Médias et publics au Maroc
Résumé
La dispersion des recherches en SIC sur les médias et les espaces publics dans les pays arabes est propice à toutes sortes de prophétisme sur « l’opinion publique arabe » ou la « rue arabe ». Hors des discours politiques et productions médiatiques sur le thème, nous proposons d’analyser la question au travers des pratiques de réception en prenant appui sur une enquête de terrain au Maroc. Il est primordial de comprendre ce que font les publics marocains des médias qu’ils reçoivent chez eux, notamment depuis « l’ouverture » du champ médiatique, l’arrivée des radios et des chaînes de télévision internationales, ou encore l’avènement des réseaux. Usages informatifs, constructions identitaires, stratégies migratoires, usages sociaux, politiques, « ethniques », religieux, etc., l’analyse des pratiques permet de vérifier la place que ces médias occupent dans la vie quotidienne des acteurs et de mieux cerner les questions relatives au rapport des médias avec leurs publics.
Mots clés
Réception, Maroc, médias, publics, internet, identités.
In English
Abstract
The fact that scholarship on information, technologies in arabic countries is relatively new, lends itself to all sorts of prophetism on the “arabic public opinion” or on the “arabic street”. Relying on a field study in Morocco and without paying attention to political discourses and media production on this very subject matter, we aim at analyzing the topic from the reception point of view. It is critical to understand how Moroccans relate to the media namely since the “inception” of the media culture of international radios and TV or the internet. Examining these practices allows to grasp the role the media play in people’s every day life, be it for information, identity construction, migratory strategies, social, political, “ethnic” or religious uses, etc., it also brings to better capture questions related to the relationship they have with the public.
Keywords
Reception, Morocco, media, public, internet, identity.
En Español
Resumen
La dispersión de las investigaciones en Ciencias de la Información y de la Comunicación sobre los espacios mediáticos y hasta públicos en los países árabes acarrea todos tipos de profetismos acerca de “la opinión pública árabe” o la “calle árabe”. Fuera de los discursos políticos y producciones mediáticas acerca del tema, nos proponemos analizar la cuestión bajo el ángulo de la recepción, apoyándonos en una investigación en terreno realizada en Marruecos. Es de primera importancia comprender qué hacen los públicos marroquíes con los medios de comunicación que reciben en casa, especialmente desde la “apertura” del campo mediático, la llegada de emisoras de radio y canales de televisión internacionales o el surgimiento de las redes. Usos informáticos, construcciones identitarias, estrategias migratorias, usos sociales, políticos, “étnicos”, religiosos, etc., el análisis de las prácticas permite comprobar el lugar que ocupan estos medios de comunicación en la vida cotidiana de los actores y comprender mejor las cuestiones relativas a la relación entre los medios de comunicación y sus públicos.
Palabras clave
Recepción, Marruecos, públicos, Internet, identidades.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Daghmi Fathallah, Pulvar Olivier, Toumi Farid, « Médias et publics au Maroc« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/1, 2012, p.85 à 98, consulté le samedi 21 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/varia/05-medias-et-publics-au-maroc/
Introduction
Jusqu’à présent, les recherches portant sur le champ médiatique et sur les espaces publics de manière générale dans les pays arabes font figure d’exception. Cette situation est propice à toutes sortes de prophétisme sur « l’opinion publique arabe ». L’avènement de chaînes transnationales comme Al-Jazeera a favorisé une approche par les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) avec une préférence notable pour les médias du Machrek au détriment des médias du Maghreb. Depuis le début des années 2000 cependant, les travaux de recherche sur les médias au Maghreb sont de plus en plus visibles. Nous faisons allusion, entre autres, aux travaux de Riadh Ferjani et de Lotfi Madani sur la réception des programmes français comme le Loft Story respectivement en Tunisie et en Algérie dès le début des années 2000 (dossier MédiaMorphoses HS, 2003) de Riath Ferjani (2007, 2011), de Abdelfettah Benchanna (2011, 2012) sur les TIC et sur la réception au Maroc, de Fathallah Daghmi (2009, 2010, 2011, 2012) sur les TIC et sur les diasporas et les politiques des médias marocains, de Farid Toumi, Olivier Pulvar et Fathallah Daghmi (2010, 2011, 2012) sur internet et sur la réception des médias au Maroc, etc.
C’est que l’influence des médias transnationaux apparus au milieu des années 1990 sur les pratiques des publics est à prendre sérieusement en compte. Alors même que celle-ci intervient dans les démarches et stratégies d’adaptation des audiences, leur intégration, les recompositions et réinventions identitaires, les mobilisations politiques ou linguistiques éventuelles, etc., elle demeure peu mesurée dans les faits. Or, cette dimension transnationale de l’offre médiatique tend à se pérenniser : le marché est en perpétuel renouvellement, il constitue un enjeu pour les Etats en place au Maghreb comme pour l’Europe en raison de la présence des « minorités » (ethniques, religieuses, etc.) dans ces pays. Il apparaît pertinent de savoir ce que font les publics arabes des productions médiatiques qu’ils reçoivent via les médias nationaux et internationaux.
Dans un contexte où les mutations sont difficiles à cerner, l’étude de la réception au Maroc depuis une certaine « ouverture » du champ médiatique peut révéler des permanences et des ruptures propres à cette région géographique du Maghreb en matière de consommations médiatiques(1) . A travers cette étude de cas, on évoquera l’histoire des médias nationaux avant de contextualiser les pratiques de consommations médiatiques de leurs publics au plan de la presse écrite, de la radio, de la télévision et d’internet ; on discutera pour conclure l’opportunité de créer une catégorie « opinion publique arabe » face à la nécessité de connaître avec précision les pratiques des publics arabes divers qui reçoivent les médias nationaux et internationaux.
Médiation et points de vue sur les produits médiatiques
La perspective proposée ici pour étudier le champ médiatique marocain à partir de la réception privilégie deux dimensions complémentaires :
- le lieu à partir duquel il devient possible de saisir l’interaction entre l’espace de production et celui de la réception ;
- les processus d’appropriation des formats industriels dans leur diversité sociale et culturelle (Martin-Barbero, 1987).
Cette approche s’inscrit dans le prolongement des analyses de l’Ecole de Birmingham que le courant latino-américain des Cultural Studies nomme la médiation et les manières de voir les produits médiatiques. Elle se penche sur les processus d’interaction entre l’émission et la réception des messages, leurs réinterprétations par les récepteurs, les réorganisations sociales qu’ils encouragent, les recompositions territoriales qu’ils entraînent.
Le point de vue développé ici est celui des SIC. Il conçoit que les cultures s’élaborent et se transmettent à travers des processus et des dispositifs de communication ; d’où la nécessité d’en observer les formes comme circulation de messages et de les étudier à partir des supports utilisés pour en repérer de nouveaux processus de production et de diffusion.
L’objectif vise à comprendre l’environnement de la réception au Maroc. La méthode est la suivante : à partir d’une étude sur les usages des médias par les Marocains, nous cherchons à connaître la place qu’occupe chaque média dans le quotidien des publics à travers leurs usages sociaux et pratiques culturelles, les usages et consommations des grands médias nationaux et internationaux. Concrètement, l’étude s’appuie sur une enquête par questionnaires effectuée en avril 2009 auprès de 480 récepteurs dans l’agglomération d’Agadir au sud ouest du Maroc. Les questionnaires ont été administrés en face-à-face, en déplacement dans les quartiers. L’échantillon a été sélectionné selon les règles statistiques de représentativité géographique de la population totale. Ainsi, chaque quartier de l’agglomération d’Agadir était représenté proportionnellement par rapport à la place qu’il occupe en nombre de résidents/le nombre total de la population. L’ensemble des données collectées a été analysé statistiquement à l’aide du logiciel Sphinx. Nous tenons à préciser que ce travail de recherche se prolonge avec d’autres enquêtes qui ont été menées sur les réseaux sociaux ou qui sont en cours d’élaboration sur la réception après le « printemps arabe » dans d’autres régions du Maroc.
Histoire politique des médias au Maroc
Le développement des médias au Maroc est lié à l’introduction des techniques de communication modernes et à son évolution historique, politique, culturelle et linguistique. L’espace public marocain est passé d’une situation de domination des médias liés au Protectorat français, à celle où règne la presse partisane qui a laissé place à une certaine diversité imposée par la libéralisation et l’ouverture politique. La situation de l’offre médiatique actuelle trouve ses racines dans l’histoire et dans les médias ainsi que dans le rapport au politique et à l’économique. Dès lors, afin de mieux cerner les caractéristiques de la réception au Maroc il est primordial de se pencher sur l’évolution des médias dans ce pays. Surtout dans un contexte de contrôle du pouvoir à la fois colonial et étatique par la suite sur l’information, le public marocain a toujours développé d’autres formes d’expressions et de recherche d’informations : la clandestinité, les prêches au sein des mosquées, des journaux manuscrits en langue arabe et dernièrement les télévisions satellitaires.
Le temps des monopoles (1870-1960)
L’introduction de la presse au Maroc est intimement liée à l’infrastructure inhérente à sa production, à savoir l’imprimerie. Cette dernière fait son apparition en 1864 dans le Royaume grâce aux efforts personnels d’un juge. Le fonctionnement de l’imprimerie se développe à Meknès puis à Fès sous le contrôle des autorités locales (Baïda, 1996).
Ce n’est qu’en 1870 à Tanger que la vocation de l’imprimerie au Maroc connaît un changement important avec S. Benhayoun et V. Horvice. L’Alliance Israélite de Paris (AIP) soutient en effet matériellement ces derniers pour l’acquisition d’une imprimerie et le lancement du premier journal d’expression française au Maroc en 1870 (Miège, 1954). Tanger joue donc un rôle « avant-gardiste » dans l’histoire de la presse marocaine.
Ce rôle se consolide en 1880 où l’imprimerie Abrines voit le jour et participe activement à l’édition de nombreux journaux dont l’hebdomadaire Al Moghreb al akssa, doyen de la presse marocaine édité en Anglais puis en Espagnol en 1883 (Baïda, 1996 ; Odo, 1973).
Toujours sous l’égide de l’AIP, Abraham Cohen Lévi lance en 1883 le journal Le réveil du Maroc dont le but principal est « …de seconder les efforts de l’alliance israélite, en vue de la régénération morale et matérielle de nos coreligionnaires dans ce pays (Maroc)… » (Baïda, 1996, p.44) mais également de soutenir les idéaux de la France. A cet égard, Cohen Lévi est un soutien du consul français Ordega dans sa politique de pénétration au Maroc. D’autres journaux naissent à Tanger tels que Le commerce du Maroc, La lanterne Marocaine. La presse casablancaise apparaît quant à elle bien plus tard (1908) avec La Vigie Marocaine, L’action Marocaine qui sont les porte-drapeaux de la présence française.
L’instauration par la France du régime du Protectorat au Maroc en 1912 marque l’entrée de Rabat, en tant que nouvelle capitale diplomatique du Royaume, dans l’ère du journalisme. En effet, Rabat voit l’installation d’une communauté française importante dont certains propriétaires de journaux ou encore des journalistes qui éditent à Rabat L’Echo du Maroc ou encore Le Nord Marocain.
Les villes de Tanger et de Casablanca continuent sur leur lancée. Mais c’est surtout à Casablanca que l’évolution de la presse écrite est fulgurante. Rien que sur Casablanca, on compte 19 journaux d’expression française en 1923 (Baïda, 1996). Le nombre important des ressortissants français dans cette ville couplé au développement d’une infrastructure propice à une activité économique, industrielle et de négoce entre la Métropole et Casablanca sont autant de facteurs favorisant l’épanouissement de la presse.
Bien que la presse soit prospère quantitativement, les contextes international et national sont peu favorables au développement d’un journalisme libre. En effet, la première guerre mondiale et la guerre du Rif au nord du Maroc aboutissent à un état de siège, instauré par le Résident général Lyautey. Cet état de siège s’inspire des lois martiales promulguées en France en 1849 et en 1878 transférant les pouvoirs des mains des civils aux militaires qui sanctionnent « les délits de presse », « le colportage par la voie de la presse ». Par ailleurs, Lyautey considère la presse comme un organe du pouvoir politique français en place et non comme un quatrième pouvoir.
L’arrivée du nouveau Résident général, Steeg Théodore, marque un tournant important quant à l’épanouissement de la presse au Maroc. En effet, Steeg réalise les revendications des patrons de la presse, longtemps ignorées par son prédécesseur, Ainsi, les droits de douane pour le papier journal ont été supprimés. Les tarifs des communications télégraphiques entre la Métropole et Casablanca connaissent également une baisse de plus de 60%. Ces mesures permettent premièrement aux journaux de réaliser des économies considérables réinvesties en partie dans la modernisation du matériel et surtout dans l’élargissement de leur champ d’activité à d’autres villes.
Le calme relatif que connaît le Maroc entre 1926 à 1939, dû en grande partie à l’achèvement de l’occupation française des zones reculées favorise l’émergence d’une presse avec des tendances politiques nationalistes avérées, L’action populaire, L’action du peuple, et confessionnelle Le Maroc catholique et L’avenir illustré.
Dans ce contexte, depuis l’instauration du protectorat en 1912, aucun journal n’a reçu l’autorisation d’éditer en arabe si l’on exclut le très officiel journal Es-Saada dont le directeur est le colonel E. Margot attaché aux services de la Direction Générale des Affaires Indigènes du Général Lyautey. La zone du Maroc, placée sous contrôle espagnol, quant à elle, dispose d’une presse nationale d’expression arabe avec Al-Salam et Al-Hayat dont les visées indépendantistes aussi bien vis-à-vis de l’Espagne que de la France, sont claires (Odo, 1973).
La fin du deuxième conflit mondial sonne la reprise d’une activité journalistique caractérisée par le retour d’une presse nationaliste marocaine dont le leitmotiv principal est l’indépendance du Maroc surtout après présentation du manifeste de l’indépendance en 1944. Cette liberté de ton est intimement liée à la politique plus souple du résident général Eirik Labonne.
Au plan de l’audiovisuel au Maroc, les premières diffusions radiophoniques remontent au protectorat. Radio Maroc est créée en 1928. Ses émissions sont diffusées en langue française. Un comité consultatif de radiodiffusion en langue arabe créé en 1937 voit son rôle consolidé en 1956 avec l’indépendance du Maroc.
Du côté de la télévision, la première expérience de diffusion date de 1951. La société française Telma a en effet l’autorisation d’exploitation et de diffusion portée par la présence d’une forte communauté française et un public francophone. La diffusion effective commence en revanche en 1954 et dure seulement quelques mois. Le contexte politique du Maroc (mouvements d’indépendance jusqu’en 1956) contraint Telma à cesser son activité.
Finalement, le temps des monopoles de la presse et des médias au Maroc présente les traits forts d’une presse d’expression française foisonnante mais très surveillée (1864), la seule radio du Protectorat contrôlée par le pouvoir (1928), une première expérience de télévision française rapidement interrompue (1954).
Le règne partisan (1960-1990)
A son indépendance, le Maroc compte quelques titres de presse se résumant pour l’essentiel aux publications du groupe Mas, de survivance coloniale, et le journal du parti de l’Istiqlal, Al-Alam. Cette période marque l’entrée du Maroc dans l’ère de la presse partisane qui perdure jusqu’à nos jours. Ainsi, plusieurs journaux sont créés tels que l’Opinion, Libération, Al-Bayan ou encore Al-Mukafih.
Nombreux sont les événements politiques dans les années 1960 qui conduisent l’Etat marocain à décréter l’état d’urgence et à interdire de nombreux journaux considérés comme « radicaux » dont Al Mukafih et Attahrir. Il est question principalement des affrontements entre partis politiques, de l’adoption par l’opposition d’un discours radical vis-à-vis du pouvoir mais également des différentes rumeurs autour du renversement de la monarchie aggravées par les émeutes populaires dans plusieurs villes du Maroc. Dans la foulée, le groupe Mas se voit retirer son autorisation de publier au lendemain de l’attentat de Skhirat (1971), et ce dans le cadre de la marocanisation des secteurs privés.
Au niveau des médias audiovisuels, l’indépendance du Maroc est suivie de la prise de contrôle de la radio par l’Etat en 1961. La radio est nationalisée. Il s’agit d’un processus en trois étapes. La radio a d’abord un statut de service rattaché au ministère de l’information. Elle devient ensuite un établissement public doté de la personnalité civile et autonomie financière. En dernier lieu, elle est transformée en entité faisant partie intégrante de l’administration centrale du ministère de l’information (actuel ministère de la communication).
La diffusion reprend en 1962 avec la Radiodiffusion Marocaine (RTM) qui est directement rattachée au ministère de l’information.
La période allant des années 1960-1990 se caractérise en définitive, par une presse partisane bilingue en plein essor mais muselée, un face à face tardif entre la radio d’Etat et une radio privée, une reprise de la diffusion télévisée sous l’autorité de l’Etat.
L’ère de la libéralisation
A l’indépendance du Maroc, la presse partisane et la presse officielle règnent en maîtres absolus jusqu’aux débuts des années 1990. C’est à cette période que le roi Hassan II décide, en vue d’une transition politique préparant sa succession, de libéraliser le secteur médiatique. La presse indépendante fait son entrée au Maroc avec d’abord Maroc hebdo en 1991, Le journal et Assahifa en 1997, suivi en 1998 par Al Ahdath al-Maghribia. L’essor de la presse libérale se précise avec l’arrivée du roi Mohamed VI en 1999.
Du côté de la radio, la RTM règne en maître jusqu’en 1989, date à laquelle la Société d’études et de réalisations audiovisuelles (SOREAD) lance la première chaîne commerciale privée au Maroc : 2M diffuse des programmes cryptés avec deux plages horaires en clair. Mais les difficultés financières de la chaîne font passer 2M rapidement dans le giron de l’Etat.
S’il faut attendre 1980 pour « écouter » la deuxième radio (Medi 1) émettre. Vingt six ans plus tard, les dix premières licences privées sont attribuées. Actuellement, plus de 20 radios émettent sur le territoire marocain.
Le secteur de la télévision est lui aussi touché par la libéralisation du secteur médiatique. C’est ainsi qu’en avril 2005, la RTM, transformée en société anonyme sous la dénomination de Société Nationale de Radio et de Télévision (SNRT), voit sa mission de télédiffusion s’élargir. Désormais, la SNRT dont l’Etat détient la totalité du capital compte une dizaine de chaînes (TVM, TVM Satellitaire, Arriyadiya, Arrabiâ, Al Maghribiya, Assadissa, Tamazight TV, Aflam TV, et la chaîne régionale Laâyoum TV).
Depuis les années 1990, la libéralisation entamée par le pouvoir marocain se traduit par l’existence d’une presse arabophone quantitativement importante et plébiscitée, par des attributions de licence progressives pour des radios privées, par l’édification d’un service public de télédiffusion, et enfin par l’avènement de chaînes de télévision transnationales.
L’avènement des réseaux
C’est en 1994, à l’Ecole Mohamedia de Casablanca qu’Internet se développe. Les académiciens de l’école bénéficient d’un seul et unique service : la messagerie électronique. L’introduction effective des technologies de l’information et de la communication (TIC) a lieu deux années plus tard en 1996 faisant du Maroc le cent et unième pays connecté au réseau mondial avec comme point d’orgue le lancement du premier cyberespace du Royaume à Marrakech. Certes, la connexion du Maroc à la toile mondiale vient plus tard que ces voisins immédiats tunisien et algérien reliés respectivement en 1991 et en 1993. Ce retard s’explique par le choix des autorités marocaines d’associer les entreprises du secteur privé et d’en faire un levier du développement d’Internet contrairement à une politique interventionniste des Etats algérien et tunisien.
Ainsi, en 2005 près de 130 fournisseurs d’accès se partagent le marché au Maroc. Cette structure du marché des services d’accès à Internet est artificiellement atomisée (Mezouaghi, 2005) car seuls Maroc Telecom, Maroc Connect se partagent réellement le marché ; la plupart des PME disparaissent vu les coûts exorbitants d’interconnexion au Backbone et surtout le nombre limité d’abonnés.
Il existe en effet de sérieux obstacles à la diffusion de l’offre Internet : des infrastructures techniques limitées, des équipements et un accès coûteux, et également l’analphabétisme.
Sur un plan technique, la généralisation de l’accès à Internet repose essentiellement sur les infrastructures en télécommunication dont dispose un pays. Or le nombre limité de lignes téléphoniques fixes freine le déploiement de l’accès Internet large bande via des lignes ADSL et limite cet accès aux seules zones urbaines. Ainsi, en 2009, le Maroc compte seulement 479 786 abonnés à internet sur une population de plus de 30 millions d’habitants enregistrant un taux de pénétration de 1.50% loin derrière la Tunisie qui enregistre un taux de pénétration de 4.03%. (Union Internationale des Télécommunications, 2009). Cependant, l’accès universel à Internet devient plus large si on considère les clients de près de 3000 structures mutualisées (cybercafés, cyberespaces).
Ces faibles taux de pénétration des TIC mettent en exergue un autre problème plus global, celui des disparités régionales en termes d’accès et de service universel aux télécommunications.
Le Maroc a œuvré, comme c’est le cas dans la majorité des pays en développement, dans le sens d’un accès universel plus que dans le sens d’un service universel alors que ce dernier est une condition sine qua non pour impulser la croissance économique du pays (Röller, Waverman, 2001). Les coûts d’équipement et d’accès à Internet s’ajoutent au premier facteur pour freiner la généralisation des TIC au Maroc. Ainsi, le Maroc compte seulement trois ordinateurs pour cent habitants contre sept pour la Tunisie.
Dans un cadre national de développement surveillé de la presse et des médias marocains, voire récent et modeste pour ce qui est d’Internet, il apparaît maintenant intéressant de voir comment se comportent les publics qui consomment les productions médiatiques. En effet, dans un contexte social décalé, la pluralité des émetteurs de messages, la variété des contenus bref, la diversité des voies et moyens de la communication (notamment transnationaux) s’ajoutant aux « sources autorisées », une évolution des appropriations de contenus comme des usages des médias est à prévoir. Les publics proposent-ils de nouvelles pratiques avec « l’ouverture » de l’espace médiatique ? Empruntent-ils des voies parallèles pour chercher l’information comme ce fut le cas sous le protectorat ou encore sous le Roi Hassan II ?
Pratiques et usages des publics marocains
Face au développement des médias marocains dans un environnement caractérisé par une ouverture contrôlée, les usages sont en constante évolution. La croissance des chiffres de vente des journaux nationaux est forcement modérée par la grande irrégularité du lectorat marocain. La libéralisation du secteur de la radiodiffusion révèle des pratiques beaucoup plus liées aux contenus des radios qu’à la langue et à la culture des auditeurs. De la même façon, le contenu de la programmation des télévisions étrangères arabophones leur permet de séduire les téléspectateurs marocains. Enfin, les divers usages d’Internet sont encore marginaux pour l’heure, mais en plein essor. Autant d’éléments de nature à nous indiquer la place des médias dans l’émergence d’opinions et de comportements des publics.
Un lectorat irrégulier
Après l’indépendance, le français est dominant dans le secteur de la presse. La presse partisane utilise l’arabe et le français. Mais le processus d’arabisation entamé dans les années 1970 finit par dominer la scène de la presse écrite. En effet, la tendance s’inverse et actuellement près de 80% des titres sont en langue arabe, et les trois premiers journaux les plus lus sont arabophones.
Ce revirement de situation est dû en partie à la domination durant les décennies 1960, 1970 et 1980 d’une presse partisane et militante qui n’a pas su s’adapter aux attentes d’un lectorat marocain devenu plus exigeant, résolument arabophone et ouvert à une presse du Moyen-Orient notamment Acharq al Awssat et Al Hayat. Sur ce dernier point, on doit souligner pour la presse ici, plus loin pour la radio, la télévision et Internet, « l’imaginaire collectif qui prend corps » à travers des représentations collectives (médiatisées notamment) d’un espace-temps commun, lieu de mémoire historique et de projet politique (Khayat, 2012, p. 81).
Cette défaillance de la presse partisane couplée à une volonté politique d’ouverture du secteur médiatique en général et de la presse en particulier, marque un changement significatif de la presse marocaine des années 2000. Cette dernière s’efforce d’être plus professionnelle et indépendante. Les quotidiens arabophones sont les premiers à donner un nouveau ton dans les choix des sujets ce qui séduit le lectorat marocain. C’est le cas de Al Massae, Assabah et Al Ahdat Al Maghribia qui arrivent en tête des journaux en terme de lectorat. Les résultats de notre enquête confirment ceux avancés par l’Organisme de Justification de Diffusion (OJD) qui fait état de plus de 100 000 journaux vendus par Al Massae. La dénonciation à longueur de colonnes de la corruption, les affaires d’Etat et de société jusque-là tabous semblent réussir à cette nouvelle presse marocaine.
Si le secteur de la presse écrite connaît une explosion des ventes en termes quantitatifs, le profil du lectorat marocain reste marqué par son irrégularité. Près de la moitié de notre échantillon déclare lire la presse occasionnellement. Ce phénomène se traduit également par un taux d’abonnement qui avoisine les 1% seulement contre près de 95% des ventes qui se réalisent dans les kiosques. Seuls, 25% des personnes interrogées déclarent lire la presse d’une manière régulière ou assidue. En 2009, les Marocains ont acheté plus de 300 000 quotidiens par jour, ce qui représente un bond significatif par rapport à 2007 (280 000 par jour). Des habitudes de lecture bien inférieures aux voisins algériens dont la diffusion de deux journaux arabophones, El Khabar et d’Echourouk (800 000 exemplaires par jour), dépasse celle de tous les quotidiens marocains.
Ces chiffres éloquents s’expliquent par plusieurs phénomènes. D’abord, l’analphabétisme touche encore près de 40% de la population malgré les efforts fournis pour résorber ce fléau. Ensuite, la consommation de la télévision des foyers marocains (500 minutes par jour) dépasse de loin par exemple celle des Français (350 minutes par jour).
Enfin, les nouvelles pratiques en ligne pourraient en partie freiner l’augmentation des chiffres de vente de journaux. En effet, Les internautes marocains optent de plus en plus pour le mode d’information en ligne mais cette pratique, il faut le reconnaître, reste marginale pour l’heure.
La pratique et l’usage de la presse restent ainsi déterminés en grande partie par un taux d’analphabétisme élevé et une culture marocaine dominée par l’oral. De ce fait l’appropriation de ce média par le public marocain reste faible et cède la place à la télévision et à un moindre niveau à la radio. Les résultats publiés par « l’instance médias et société » à cet égard montre une désaffection de la presse par les jeunes en faveur de la télévision et de la radio surtout pour une question de coût et un manque de confiance (El Harras, 2010).
Il reste que la réponse à la demande des publics en faveur de contenus attractifs non confondus avec les aspects culturels et identitaires circonscrits au territoire national se trouve tant dans l’apparition de nouvelles pratiques professionnelles des journalistes que dans le renouveau des lignes éditoriales des médias.
Un auditorat en baisse
Pour ce qui est de la fréquence d’écoute de la radio, nos résultats convergent sur certains points avec d’autres enquêtes notamment celle de Jaïdi (Jaïdi, 2000) dans laquelle presque 20% des personnes déclarent ne jamais écouter la radio. Ce chiffre est en nette progression par rapport à 1992 où le pourcentage avoisinait les 7%. S’agit-il d’un abandon de la radio au profit d’un autre média, la télévision en l’occurrence dont la consommation atteint des records ? Le reste de notre échantillon est soit consommateur assidu de la radio avec près de 34%, soit consommateur occasionnel à 47%.
L’analyse du champ radiophonique marocain et de ses consommations révèle des informations intéressantes à plus d’un titre.
D’abord, l’attribution des licences pour des opérateurs privés permet aux nouvelles radios FM d’aborder les auditeurs sur des terrains sous monopole, après une domination de près de 50 ans par la RTM (l’actuelle SNRT) et de 30 ans par la chaîne Medi1. Jusque-là, on cultivait le bilinguisme arabe/français et un positionnement sur le mode une voix, deux langues pour Medi1 et un trilinguisme arabe/français/berbère avec ces trois variantes dialectales (tarifite, tachelhite et tamazert) pour la SNRT. C’est dans ce contexte que Radio Plus Agadir, radio privée qui émet à la fois en berbère, en arabe et en français, arrive en tête des radios les plus écoutées. Radio Plus Agadir devance Medi1 et Radio 2M, elle relègue la SNRT à la sixième place.
Ensuite, malgré le caractère régional prononcé de certaines radios comme Radio Plus, MFM Souss ou encore la SNRT avec ses antennes régionales diffusant des émissions et des bulletins d’informations en berbère, la langue d’écoute dominante aussi bien chez les berbérophones et les arabophones interrogés reste respectivement l’arabe (50%), le français (18%) suivi par le berbère (15%).
En dernier ressort, l’apparition de multiples radios à fortes connotations régionales et linguistiques, révèle une appropriation et des usages du média (surtout en termes linguistiques) assez éloignés de revendications d’ordre identitaire. La qualité du contenu des programmes semble primer sur tout autre aspect. Ces résultats coïncident avec ceux publiés par l’instance médias et société concernant la langue d’écoute des jeunes au Maroc (El Harras, 2010).
Une audience tournée vers l’extérieur
Depuis le milieu des années 1990, le champ médiatique arabe connaît d’énormes bouleversements en raison de l’avènement de chaînes transnationales sous l’impulsion notamment des pays du Golfe. Al-Jazeera, une chaîne qatarie d’information en continu a innové en s’appuyant sur d’autres pratiques journalistiques et d’autres contenus ; elle a investi massivement les foyers marocains.
Al-Jazeera arrive en effet, en tête des chaînes de télévision les plus regardées au Maroc, suivie de près par la deuxième chaîne nationale marocaine 2M, et de MBC2, une chaîne du Moyen-Orient. Au moins deux éléments préalables sont à prendre en compte pour appréhender cette forte audience télévisée. D’abord, le taux d’équipement des ménages marocains en antennes paraboliques (satellitaires) et en téléviseurs est supérieur à 90% leur permettant de recevoir les programmes notamment transnationaux sans difficulté. Ensuite, les programmes les plus regardés par les Marocains sont de loin les informations, qui remportent le plus grand succès avec près de 80% des réponses recueillies.
Mais d’autres raisons expliquent la pénétration d’Al-Jazeera dans le paysage audiovisuel marocain. Le positionnement de cette chaîne sur le segment information avec une proximité linguistico-culturelle prononcée séduit la majorité des téléspectateurs marocains. Al-Jazeera traite de l’information d’un point de vue « endogène » c’est-à-dire arabe ou musulman, évitant la censure et la rétention de l’information, caractéristiques principales des médias arabes. Les résultats de notre enquête recoupent ceux de l’étude de O. Lamloum qui affirme que les Marocains préfèrent Al-Jazeera pour s’informer (Lamloum, 2007, p.128). Néanmoins, la chaîne nationale marocaine, 2M résiste honorablement.
Après les programmes d’informations, ce sont les émissions de divertissement, les programmes culturels et le sport qui occupent une place importante dans l’audience télévisée marocaine. Cette situation autorise une forme de diversité qui profite respectivement aux chaînes 2M, MBC2, Al-Jazeera sport, MBC4 et la chaîne religieuse Al Nass. Les résultats de l’enquête menée par El Harras pour le compte de « l’instance médias et société » révèlent que les chaînes nationales 2M, Al Oula, MBC2 sont les plus plébiscitées par les jeunes marocains.
La domination des chaînes de télévision du Moyen-Orient met en évidence l’attractivité du contenu de leurs programmes face aux chaînes nationales marocaines notamment la RTM et Medi1sat qui parviennent difficilement à séduire les Marocains (toutes tranches d’âge confondues), malgré la diversification et le renouvellement de leur offre. Il est notable qu’une chaîne comme Al-Jazeera ait repris à son compte le principe d’écriture des séries égyptiennes construites suivant un format très proche des séries sud-américaines (drame joué), pour en étendre les modalités au plan du traitement de l’information (drame vécu) (Khayat, 2012). De même, on pourrait se demander si la parole libérée du monde arabe proposée par la chaîne qatarie, n’inciterait pas à une forme de simplification du politique (Bendahan, 2012) ?
L’enseignement à tirer de cette analyse est que les modes de pratique et d’appropriation de la télévision par les marocains ne sont guère différents de ceux constatés sous le protectorat français et sous le régime d’Hassan II. Car malgré le foisonnement médiatique constaté à cette période, l’information, « la vraie », est ailleurs (prêches dans les mosquées, presse clandestine manuscrite, etc.).
Ainsi, les médias participent à la production de nouveaux modèles autant qu’ils contribuent à la reproduction de modèles existants. D’une manière générale, leurs productions permettent à la fois, de mettre en place les conditions d’un débat public et de faire émerger une opinion publique. Ici, ce rôle rempli peu ou prou par les médias classiques nationaux, est repris par des médias parallèles de proximité et à plus grande échelle par les médias satellitaires transnationaux.
Des pratiques émergentes dans le domaine des réseaux numériques
L’étude d’Internet au Maroc appelle trois remarques pour mieux cerner les consommations dont les réseaux numériques font l’objet.
En premier lieu, la majorité des Marocains n’a pas accès à Internet en raison des coûts d’équipement et d’accès. Malgré des efforts considérables en vue de réduire les coûts, ils sont plus de 60% a estimé que les prix des ordinateurs et des connexions haut débit sont trop élevés, au sein desquels plus de 20% ne voient pas l’utilité d’Internet.
De plus, un obstacle majeur à l’utilisation d’Internet au plan sociologique demeure l’analphabétisme qui limite l’habilité technique des utilisateurs. Plus de 40% de la population est analphabète dont 67% en milieu rural. Il reste que cette situation est à nuancer si l’on tient compte de l’extraordinaire maillage de contenu que peut offrir Internet (écrit, photos, vidéos et son).
En deuxième lieu, les Marocains, quel que soit le lieu d’où ils ont accès à Internet (domicile, travail, cybercafé, etc.) n’identifient pas dans leur majorité (70%) de sites web marocains.
En dernier lieu, les formes de consommation de l’offre nationale d’information sont très hétérogènes, ce qui permet difficilement de dégager des tendances significatives.
Globalement, les internautes marocains identifient des dizaines de sites web marocains généralistes ou spécialisés. Ils y ont recours pour trois raisons principales : s’informer, se divertir et obtenir des services pratiques et/ou marchands. Cependant, ils développent d’autres usages très variés et hétéroclites : scolaire ou éducatif, recherche d’information pratique de nature administrative ou sur les offres d’emploi.
Tout d’abord les demandes d’informations correspondent à la recherche d’actualités notamment régionales et nationales. Cette tendance peut être représentée par Hespress, premier journal en ligne du Maroc. Ce journal arabophone propose des rubriques (photos et vidéos) très variées : faits divers, politique, culture, religion, prises de position, débats religieux, actualité du roi mais également des informations, reportages, dossiers, portraits, sur les Marocains de l’étranger, sur la place de la culture berbère, sur le sport national, etc. Sa ligne éditoriale engagée, défend notamment une vision « marocaine » de l’actualité par exemple sur le conflit du Sahara.
Ensuite, les internautes consultent des sites web proposant des œuvres d’artistes principalement marocains, mais aussi arabes, dans le domaine de la musique (images, vidéos, radios). Les sites MarocZik.com (web radio) ou encore Casavie.com représentent parfaitement cette tendance. D’autres sites permettent le téléchargement ou le visionnage en mode streaming de films et séries arabes.
Enfin, les portails des entreprises qui opèrent dans le domaine de la téléphonie et d’Internet illustrent la recherche des services. Ainsi, ces portails (Menara, Mobileiam par exemple) proposent non seulement des informations d’actualité mais également des services de gestion de l’abonnement GSM ou internet, l’envoi de SMS, etc. L’utilisation prépondérante des services dans ce domaine peut s’expliquer notamment par la forte densité de la téléphonie mobile au Maroc et des politiques publiques.
La préoccupation du Maroc en faveur d’un accès ubiquitaire universel, équitable et financièrement abordable aux infrastructures et aux services TIC est certes nécessaire mais non suffisante pour assurer un développement d’Internet et de ses consommations. D’autres aspects importants telles que les habilités techniques de l’utilisateur, sa langue ou encore sa culture doivent être incluses dans les services offerts en vue d’une appropriation sociale des TIC. Pour l’heure, les résultats de notre recherche constituent des éléments conditionnant une appropriation sociale des TIC.
Nous faisons en outre l’hypothèse que les médias numériques prolongent la fonction des médias classiques de structuration du débat public tout en renforçant la complexité du processus qui lie production et réception. Dans ce cadre, les publics choisissent leurs consommations (constitution identitaire des publics) et leurs interprétations (émergence de communautés de réception) en dehors des canaux institutionnels. Ces publics interviennent de plus en plus dans la production de l’information au risque d’en affecter la circulation traditionnelle ou autorisée, voire officielle.
Au cœur de ces mutations sociales, se profilent des exigences de respect du sujet, de solidarité collective et de justice sociale, portées par les acteurs aux prises avec un système d’intégration globale des sociétés. La reconnaissance d’une histoire, la visibilité d’une communauté, la discussion sur les discriminations et les exclusions édifient le débat critique pour faire évoluer au plus près leur système social.
Conclusion : des audiences et des médias
Dans les pays du Maghreb, les grands médias demeurent globalement encore sous influence étatique. La méconnaissance du champ médiatique et des espaces publics dans les pays arabes de manière générale attire l’attention vers le trop visible (Machreck) au détriment du moins visible (Maghreb). Cette situation est propice à toutes les projections sur « l’opinion publique arabe » ou la « rue arabe » à partir des discours politiques et productions médiatiques notamment. Face à des paysages médiatiques contrastés, les observateurs sont souvent partagés sur les changements survenus dans cette région du monde.
A partir de l’analyse des consommations médiatiques, la question d’une « opinion publique arabe » peut être abordée de manière plus souple, et dans une perspective de travail prometteuse. Si on convient que les cultures des audiences et culture des médias interagissent, il s’agit de saisir l’espace de production des messages et l’espace de réception comme lieu d’interaction. Partant, il devient possible de mieux cerner les processus d’appropriation des formats industriels dans leur diversité sociale et culturelle. Jusqu’ici, telle qu’est posée la question des formes du débat public dans les pays arabes, et au stade de nos investigations, il serait plus judicieux d’évoquer « l’humeur publique » plutôt qu’une « opinion publique ».
L’étude de la réception au Maroc montre une évolution constante de la presse et des médias vers davantage de liberté dans un contexte d’ouverture surveillée à partir des années 1990. Cette libéralisation progressive dynamise les usages que les publics développent autant qu’elle complexifie la rencontre des supports avec ces usages.
Les résultats de ce travail révèlent par ailleurs, des situations particulières à prendre en compte dans cette région géographique avant même de proposer une catégorie « opinion publique arabe », construite ex nihilo.
Notes
(1) La présente étude ainsi que la rédaction de cet article sont antérieures aux « révolutions arabes ». Nous n’avons pas souhaité effectuer des modifications qui tiendraient compte des récents événements. Cette étude offre néanmoins des clés de lecture et répond aux interrogations relatives au rôle joué par les médias dans ces « révolutions ».
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Auteurs
Fathallah Daghmi
.: Fathallah Daghmi est Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Poitiers. Membre du laboratoire Migrinter-CNRS UMR 7301, ses recherches portent essentiellement sur le fonctionnement médiatique saisi à travers l’analyse du discours des médias français (y compris ceux des minorités ethniques ou régionales). Il étudie la rencontre des identités professionnelles des journalistes avec celles des publics des médias.
Olivier Pulvar
.: Olivier Pulvar est Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Antilles-Guyane et chercheur au CRPLC-CNRS UMR 8053. Il s’est beaucoup intéressé aux rapports sociaux de travail et précisément au rôle des communications et à la place des identités dans les transformations organisationnelles. Ses travaux actuels interrogent alternativement les productions de communication médiatisée et leurs consommations par les publics afin d’en comprendre les significations dans les espaces sociaux du Sud qu’il observe.
Farid Toumi
.: Farid Toumi est Professeur Habilité en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Ibn Zohr-Agadir au Maroc. Il est membre du Laboratoire de Recherche sur les Langues et la Communication (LARLANCO). Il s’intéresse aux rapports qu’entretiennent les médias et les réseaux avec le développement.