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Le rôle de la mobilisation dans l’ouverture des données publiques : le cas de la publicisation de la localisation des parcelles transgéniques

20 Fév, 2013

Résumé

Le but de cet article est d’étudier le rôle de la contestation dans l’actuel mouvement d’ouverture des données publiques. La contestation environnementale en général, et la contestation des OGM ici en particulier, nous paraît emblématique de cette dynamique. En effet, les OGM ont fait l’objet de contestations locales qui s’appuient à la fois sur la réglementation internationale, et sur la collecte et la diffusion militante de l’information, qui ont permis de court-circuiter la rétention des données publiques par les pouvoirs publics. L’exemple ici développé est celui de la production et de la publicisation d’informations alternatives sur la localisation des champs d’essais transgéniques situés dans le Gers.

Mots clés

Contestation, ouverture des données publiques, OGM, espace public, information alternative

In English

Abstract

The aim of this paper is to study the participation of mobilization in the current open data movement. Environmental mobilization in general, and GMOs in particular here, appears emblematic of that movement. Indeed, local protests on GMOS were based on both international regulations, and the gathering and publication of information by activists who helped bypassing the public data retention by the government. The example developed here, based in the South western France (Gers), is the one of the production of alternative information on the location of GM-crop field trial and their publication.

Keywords

Mobilization, open data, GMO, public sphere, alternative information

En Español

Resumen

La meta de este articulo es estudiar el papel de la mobilización en el actual movimiento de apertura de datos publicos. La mobilización medioambiental en general y la que concierna los OGM en particular, nos parece emblemática de aquella dinámica. En efecto, los OGM fueron objeto de movilizaciones locales que se apoyan a la vez sobre la reglamentación internacional y la recaudación de y la difusión militante de la información que permitieron saltar la retención de datos públicos por el gobierno. El ejemplo de sarrollado en este articulo es el de la producción y de la difusión de la información alternativa sobre la localizatión de campos transgénicos situados en el suroeste de Francia el Gers.

Palabras clave

Mobilización, apertura de datos, OGM, espacio público, información alternativa

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Domard Julien, « Le rôle de la mobilisation dans l’ouverture des données publiques : le cas de la publicisation de la localisation des parcelles transgéniques« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/2, , p.47 à 58, consulté le jeudi 5 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/dossier/04-le-role-de-la-mobilisation-dans-louverture-des-donnees-publiques-le-cas-de-la-publicisation-de-la-localisation-des-parcelles-transgeniques/

Introduction

La tendance à une plus grande « ouverture » des données administratives, revendication centrale du mouvement Open Data, a été confortée par l’adoption de la directive européenne 2007/2 établissant une infrastructure d’information géographique dans la Communauté européenne (INSPIRE). De son côté, la France a ouvert le portail internet data.gouv.fr en décembre 2010, dont l’objectif est de diffuser « les données publiques des administrations, des établissements publics, des autorités administratives indépendantes, et des collectivités territoriales qui le souhaitent ». Le domaine de l’environnement semble avoir été le précurseur. L’objectif de ce texte(1) est d’interroger le rôle de la mobilisation civique dans ce mouvement d’ouverture des données publiques, à travers une étude de cas portant sur la divulgation officieuse de la localisation des parcelles transgéniques.

Le domaine de l’environnement a été l’objet depuis une vingtaine d’années d’accords internationaux mettant bien souvent l’accent sur l’information du public et sur sa participation aux décisions. La Convention d’Aarhus, signée par la Communauté européenne et ses États membres le 25 juin 1998, reconnaît ainsi comme droits fondamentaux « l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ». Le texte a été intégré dans la Charte de l’environnement en France en 2004, s’inscrivant ainsi dans une loi constitutionnelle. Cependant, malgré ce contexte favorable de la législation, l’information reste encore un point de friction entre les services administratifs étatiques et les associations. Accéder aux informations publiques représente bien souvent l’un des enjeux de la contestation environnementaliste.

En effet, en matière de risque environnemental, la publicisation de l’information, comprise comme la diffusion d’informations, est avant tout le résultat d’un rapport social fluctuant entre les pouvoirs publics et les formes organisées du public (la « société civile »). Les pouvoirs publics exercent, par diverses stratégies, un contrôle sur les informations qu’ils détiennent : rétention d’information, secret industriel ou d’État, systèmes d’expertises, contrôle qui présente un caractère fondamentalement asymétrique entre les pouvoirs publics et le public, c’est-à-dire entre décideurs et non-décideurs : « Dès lors que la décision n’est pas partagée, ceux qui sont exposés au danger ne sauraient évaluer le risque de la même manière que le décideur, ou ne peuvent pas l’évaluer du tout, faute de maîtriser les données adéquates » (Chaskiel 2008, p.72).

Le cas des OGM dans l’agriculture est sur ce point emblématique puisque le droit à l’information s’est constitué très rapidement comme l’un des enjeux majeurs de la contestation. Malgré une jurisprudence du droit de l’information du public en matière d’OGM favorable en raison de « l’abondance des textes qui l’organisent » (Chateauraynaud, Bernard de Raymond, Hermitte, Tétart 2010, p.168), l’État français s’est montré réticent à diffuser de nombreuses informations concernant les domaines suivants : étiquetage des produits contenant des OGM ou issus d’animaux nourris avec des OGM, publication des données expérimentales des essais toxicologiques, localisation précise des parcelles d’essais en plein champ… La revendication de l’accès à l’information publique sur les OGM a donné lieu à d’importantes batailles juridiques entre l’État d’une part, les associations et les syndicats agricoles d’autre part.

Bien que le développement contesté des OGM en France ait fait l’objet d’un nombre important de travaux en sciences humaines et sociales, l’approche en sciences de la communication a été assez peu explorée à propos des OGM : elle s’est concentrée sur la médiatisation de la controverse, qu’elle soit radiophonique (Assogba 2010) ou télévisuelle (Masseran, Chavot 2003). La question de l’information du public – sans être oubliée – n’a pas une place centrale dans l’analyse, et ce sera sans doute là l’une des contributions de cet article. Parmi d’autres approches, sociologiques ou en sciences politiques, la question de l’information est le plus souvent abordée en termes de « participation du public ». La majorité des travaux s’attachent alors à développer les rapports entre science et société et l’accent est mis soit sur la fermeture du débat public en raison de l’autorité du discours expert disqualifiant les discours profanes (Wynne 2001; Joly, Kreziak 2001), soit sur les alternatives en matière de gouvernance scientifique – notamment en terme d’ouverture de la science au public (Joly 2001; Bonneuil, Demeulenaere, Thomas, Joly, Allaire, Goldringer 2006), ou bien encore s’efforce de montrer les effets positifs de l’ouverture au public de la controverse (Boy, Donnet-Kamel, Roqueplo 2000; Joly, Marris 2003).

Plus généralement, ces questions de la participation du public ont été développées dans une approche communicationnelle (Monnoyer-Smith 2011; Suraud 2007b), à partir desquelles s’inscrit ce travail. Empruntant le concept d’espace public (Habermas 1993, réed.1962), nous reprendrons la distinction introduite par M-G.Suraud, à partir des concepts habermassiens, entre espace systémique et espace public autonome (Suraud 2007a). Le concept d’espace public autonome, c’est-à-dire les formes organisées et discursives du public (Habermas 1997, chap.VIII), nous invite donc à faire la « distinction entre les appareils de l’État d’une part, et les arènes publiques d’expression et d’association des citoyens d’autre part » (Fraser, Valenta 2001, p.128). Ce concept nous permet d’appréhender la constitution d’une sphère publique de discussion à l’initiative des associations et groupements de la société civile. Il nous permettra également d’analyser la constitution par cette sphère d’une information alternative à celle de l’État.

Nous nous interrogerons sur la construction du caractère public de l’information à travers ses rapports entre pouvoirs publics et espace public autonome. Partant du constat que, face aux difficultés d’accès à l’information détenue par l’État, l’espace public autonome produit une information alternative, l’hypothèse émise ici est que cette information alternative à destination du public délégitime la position de l’État en court-circuitant l’information officielle. Ces initiatives autonomes d’information du public posent, dans le cas étudié, les fondements d’une alliance entre élus locaux (en désaccord avec les rétentions d’information de l’État) et militants associatifs, et participent ainsi de l’évolution de la réglementation vers une plus grande ouverture des données publiques.

L’exemple de la publication officieuse de la localisation des parcelles transgéniques retenu ici démontre que les logiques de fermeture des systèmes politiques (rétentions d’information, expertises) sont de plus en plus battues en brèche par des mouvements sociaux utilisant à la fois à la législation internationale et divers moyens de diffusion de l’information dans l’espace public, dont internet. Nous aborderons la place de la contestation dans cette évolution en nous appuyant(2) sur la contestation anti-OGM ayant pris place dans le département du Gers, département rural du Sud-ouest de la France, à partir des années 2001.

Des milliers d’essais à ciel ouvert ont été menés entre 1986 et 1996 en France (Bonneuil, Joly, Marris 2008, p.201) sans information ni consultation des populations locales. La localisation des parcelles n’était alors pas connue du grand public. C’est par l’évolution de la réglementation européenne et, ensuite, en raison des recours juridiques d’une association nationale de défense de l’environnement, que la localisation des essais transgéniques a été publiée en 2001. Par la suite, s’appuyant sur la législation internationale et européenne pour défendre la revendication du droit à l’information quant à la localisation les parcelles transgéniques, la contestation anti-OGM a, de façon locale (Chateauraynaud, Bernard de Raymond, Hermitte, Tétart 2010), mené sur le terrain un véritable combat pour identifier les parcelles et en diffuser une localisation précise.

Pour les associations combattant le développement des OGM, la localisation des parcelles transgéniques présente effectivement un triple enjeu : c’était d’une part un argument pour sensibiliser élus locaux et grand public, en rendant tangible la présence d’essais transgéniques locaux. C’est pourquoi le manque de transparence entourant les essais transgéniques est présenté par les militants comme un déni de démocratie vis-à-vis des maires qui ne sont pas informés de leurs présences sur leur commune. C’est ainsi que la production d’informations alternatives sur la localisation des parcelles transgéniques en direction de ces différents publics est devenu un moyen de s’allier les élus locaux contre les pouvoirs publics. D’autre part, l’argument de l’information a permis au mouvement de contestation de continuer à mener des actions dans l’espace public malgré les sursis juridiques pesant sur certains militants. Tandis que les actions de désobéissance directe, comme les fauchages de parcelles transgéniques ou les occupations de sites de productions de semences, risquaient de mener les militant directement en prison, les actions d’information et de signalisation ont permis aux militants de continuer de dénoncer l’existence de ces parcelles tout en restant dans un cadre légal. Elles bénéficient de plus d’un surcroît de légitimité du fait d’une réglementation favorable à l’information du public. Enfin, la production d’une information alternative permet aux associations d’occuper le rôle de l’État : « Allant plus loin que la poursuite de leurs intérêts directs, les associations font parfois ce que l’État aurait dû faire et qu’il n’a pas fait » (Chateauraynaud, Bernard de Raymond, Hermitte, Tétart 2010, p.170), note M-A. Hermitte au sujet du droit à l’information du public en matière d’OGM. Nous détaillerons ici quelques cas montrant comment les militants anti-OGM ont cherché à peser sur la publication des données, puis, devant les atermoiements de l’administration, ont fini par produire leurs propres données en matière de localisation des parcelles transgéniques, pour les diffuser le plus largement possible. Pour atteindre cet objectif, les militants associatifs ont mené une campagne de recherche des parcelles transgéniques et de publication des résultats de leurs recherches par différents canaux (cartes, affichages en mairie, rapports…).

Auparavant, nous présenterons dans un premier temps les dispositifs légaux qui, en matière d’information du public, encadraient les essais transgéniques en France. Puis nous développerons ensuite les différents aspects de la démarche qui a permis aux militants anti-OGM de constituer la localisation des parcelles en mode d’action vers les élus locaux et les habitants du Gers, et de réussir ainsi à contrecarrer l’opacité de l’administration.

OGM, une réglementation favorable à l’information du public

En France, jusqu’en 2008, les disséminations d’OGM dans l’environnement ont été encadrées par la loi du 13 juillet 1992, retranscription dans le droit français de la directive européenne 90/220 (adoptée par la Commission européenne le 23 avril 1990). Contrairement à la réglementation relative aux OGM des États-Unis, qui appliquent un principe « d’équivalence en substance » entre plantes génétiquement modifiées et plantes non modifiées, l’Europe a pris acte des divergences de ces pays membres et fait le choix d’adopter une législation particulière aux OGM.

La directive a été présentée comme un compromis entre deux approches différentes parmi les états membres : d’un côté les États allemand et danois, défavorables aux OGM et, de l’autre, les pays indifférents ou favorables aux OGM (Hermitte 2006). Les opposants aux OGM ont reçu « l’assurance d’un système d’autorisation de mise sur le marché avec évaluation préalable des risques », tandis que les promoteurs ont obtenu « le bénéfice d’une autorisation de mise sur le marché directement valable pour l’ensemble du territoire européen » (ibid., p.42). En matière d’information, la directive prévoit qu’un certain nombre de données soient récoltées lors des demandes d’autorisation.

La directive 90/220 inclut notamment des dispositions quant à l’information du public, laquelle est cependant limitée par le caractère confidentiel de certaines données. Un certain nombre d’informations sont collectées par l’autorité délivrant l’autorisation de dissémination. Certaines ont un caractère confidentiel et étaient protégées au nom du secret industriel. L’article 19 de la directive 90/220 précise en effet que « les autorités compétentes ne divulguent à des tiers aucune information confidentielle qui leur serait notifiée » (directive 90/220/CE). Mais la confidentialité des données dépend de la volonté de l’autorité publique en charge de l’autorisation : « l’autorité compétente décide, après avoir consulté le notifiant, quelles informations resteront confidentielles et elle informe le notifiant de sa décision » (ibid.). Cependant, l’article 19 précise également que certaines informations ne peuvent en aucun cas rester confidentielles : « la description du ou des OGM, nom et adresse du notifiant, but et lieu de la dissémination, méthodes et plans de suivi du ou des OGM et d’intervention en cas d’urgence, évaluation des effets prévisibles, notamment des effets pathogènes et/ou écologiquement perturbateurs » (ibid.). Il est donc fait explicitement mention de la publicité du lieu où la dissémination des organismes génétiquement modifiés sera pratiquée.

Dans les faits, l’Etat français tient alors un registre des cultures et des essais auxquels il délivre des autorisations. Ce registre comprend, entre autres, la localisation des essais. Les essais peuvent être commandités par des coopératives agricoles (Euralis, Vivadour…), par des groupements de producteurs (AGPM…), par des organismes de recherche publique ou semi-publique (INRA, CETIOM, CIRAD…) ou, principalement, par des firmes spécialisées dans les semences (Monsanto, Pioneer, Biogemma…). Les essais sont menés sur leurs propres parcelles ou sur des parcelles louées à un agriculteur dans ce but. Une demande d’autorisation pour l’essai est émise auprès des pouvoirs publics, via l’agence en charge du contrôle des plantes transgéniques : la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), sous tutelle du Ministère de l’agriculture. Sur le terrain, ces informations sont transmises aux différents services de l’État, notamment la Préfecture et la Direction Départementale de l’Agriculture (DDA), ainsi qu’aux services liés au Ministère de l’Agriculture, le Service Régional de la Protection des Végétaux (SRPV) de la Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt (DRAF). Rarement, le maire est informé de la tenue d’un essai sur sa commune. Le grand public n’a, quant à lui, pas accès à ce type d’information.

Dans un premier temps, jusqu’en 2001, la localisation des parcelles n’est pas publiée par le Ministère de l’agriculture, malgré les dispositions mentionnées précédemment. Le Ministère est attaqué par l’association France Nature Environnement (FNE) pour obtenir la publication de la localisation des parcelles. À la suite d’un premier procès, le Ministère est condamné en mars 2001 à publier la localisation des parcelles transgéniques. Réticent, il ne publie que des informations partielles et peu précises, voire obsolètes : au printemps 2001, il publie uniquement la liste des essais datant de l’année précédente (2000). FNE porte à nouveau plainte et gagne un second procès. L’État doit publier la localisation des essais de l’année en cours. Mais une ambiguïté de la législation freine la divulgation de l’information. La directive en effet prévoit la divulgation du « lieu de la dissémination » mais reste floue sur la définition du terme lieu. Doit-il s’entendre comme la parcelle cadastrée ou comme une zone géographique plus large (commune, canton, département) ? Le Ministère de l’agriculture s’appuie sur cette ambiguïté pour publier des données de localisation parcellaires et suffisamment imprécises, en se justifiant par sa volonté de protéger les parcelles transgéniques des actions de destruction militante. De plus, cette discrétion paraissait nécessaire aux commanditaires des essais afin d’éviter l’ouverture d’un débat public défavorable (Bonneuil, Joly, Marris 2008, p.210).Le Ministère publie donc finalement pendant l’été 2001 une liste des communes abritant des essais en cours. Une carte des essais par département est également rendue disponible sur le site gouvernemental ogm.gouv.fr créé à cet effet. Ces informations sont reprises par la presse, et notamment par la presse locale, ce qui donne une visibilité certaine aux cultures génétiquement modifiées.

1. Carte des essais de PGM par département en 2001, ogm.gouv.fr

Sur le terrain, les essais OGM étaient le plus souvent discrets : déclarés auprès des services administratifs de l’État uniquement, ils ne donnaient lieu ni à un affichage en mairie ou à une consultation des populations locales. Les maires de la commune où se tient l’essai, les agriculteurs du voisinage, les habitants vivant à proximité ne sont pas systématiquement informés de leur présence. Dans le département du Gers, la publication de cette carte dans la presse locale, fait l’effet d’un électrochoc : on y apprend non seulement qu’il y a des essais transgéniques dans le Gers, mais de plus que le Gers est le département accueillant le plus grand nombre d’essais pour l’année 2001, avec douze essais. Le collectif anti-OGM local écrit : « au pays du  »Bonheur dans le pré », nous avons le triste privilège d’accueillir le plus grand nombre d’expérimentations d’OGM en plein champ, et ce dans la plus complète opacité. » (Bulletin d’information du collectif anti-OGM 32, octobre 2001).

L’enjeu démocratique de la localisation des parcelles transgéniques

La localisation précise des parcelles devient alors un enjeu important pour les militants anti-OGM, qui démontre la présence locale d’essais transgéniques et, souligne que l’État ne remplit pas ses obligations en matière d’information du public. Localement, un collectif anti-OGM se crée la même année (2001). Il se fédère autour de la Confédération paysanne, alors fer de lance du mouvement de contestation anti-OGM. Le collectif se compose également de groupements d’agriculteurs (Groupement des agriculteurs biologiques et biodynamiques du Gers) ; de syndicats ouvriers (SUD Solidaires) et anarcho-syndicalistes (CNT) ; de partis politiques (Alternatifs de Midi-Pyrénées, Verts) ; ainsi que de plusieurs associations : altermondialistes (Attac), environnementalistes (Amis de la Terre, Ende Doman), ou consuméristes (UFC-Que-choisir).

Le collectif se construit autour d’un refus commun des cultures d’OGM, position qui cristallise les différentes valeurs du mouvement : défense de la santé, protection de l’environnement et défense économique de l’agriculture paysanne. En menant ces actions de destruction, il affirme faire « face à l’opacité entourant les essais de culture d’OGM et [à] l’impossibilité de porter un vrai débat sur la place publique » (Lettre aux maires du Gers, collectif anti-OGM 32, 13 octobre 2001). Mais après un premier procès à Auch à l’automne 2001, les militants anti-OGM gersois abandonnent les fauchages comme mode d’action. A l’issue du procès, trois militants sont en effet condamnés à des peines qui, bien que jugées modérées, laissent planer la menace d’une sentence plus sévère en cas de récidive. Le collectif opte alors pour de nouveaux modes d’action et recherche le soutien des élus locaux.

Le collectif fait la tournée des villages où ont lieu des essais. Il invite les élus locaux et la population à des réunions publiques d’information, avec projection et débat autour de films. Durant l’été 2002, les militants organisent un « jeu concours » pour dépister l’unique essai mené dans le département cette année-là : « Nous ne voulons pas détruire les plants, nous croyons seulement que les agriculteurs voisins et le public doivent être informés », explique un militant (Sud-Ouest, 1 août 2002).

Les essais repérés (3) par les militants font alors l’objet d’actions visant à les rendre visibles et à dénoncer le secret les entourant. Le collectif placarde sur les panneaux d’information de plusieurs mairies des affiches à destination des habitants : « la loi du 13 juillet 1992 dit :  »ne peuvent être considérés comme confidentiels le nom et l’adresse du demandeur, les but et lieu de la dissémination ». Sur le territoire de votre commune il y a des OGM. Avez-vous été informés de tout cela ? ». En juillet 2003, le collectif organise alors une « opération d’identification de la parcelle de maïs transgénique » (« Fâchés, pas faucheurs », Sud-Ouest, 3 juillet 2003), en ceinturant la parcelle d’un ruban de signalisation rouge et blanc. Des pancartes « Gers = OGM ? » agrémentent également la parcelle. Le maire est invité à prendre connaissance, publiquement, de l’existence de l’essai.

Le manque d’information choque nombre de ces maires, et les questionne sur ce que cela pourrait cacher. Ainsi, plusieurs maires qui n’étaient pas obligatoirement hostiles aux essais d’OGM sont devenus méfiants du fait de cette opacité, puis se sont opposés à leur développement : « moi, au départ, j’étais pas parti pour être contre les OGM, mais de voir que sur une commune on pouvait faire des essais dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants, sans que le maire ou la population soient informés… À mon avis c’était déjà un petit peu un déni de démocratie, parce que ne pas informer les gens ni les élus m’avait fait bondir. Une fois, quand j’avais interrogé le préfet du Gers, il m’avait fait répondre qu’on était pas sûr que nous garderions le silence. Je parle en tant qu’élu. Alors qu’on nous bassine en nous disant qu’avant d’être maire on est le représentant de l’État sur la commune. Donc j’estimais que si pour certaines choses j’étais le représentant de l’État sur la commune, je pouvais être dans la confidence » (Entretien avec T., maire ayant pris des arrêtés anti-OGM sur sa commune entre 2001 et 2004). Le fait que l’État ne remplisse pas ses engagements envers les maires, en ne les informant pas de la tenue d’essais sur leurs communes, engendre la méfiance des élus locaux envers les services de l’Etat.

2. Extrait du communiqué de presse du collectif anti-OGM du Gers du 4 août 2005

En publiant la localisation des parcelles, les militants souhaitent faire réagir les élus locaux. En s’appuyant sur le caractère normatif du droit à l’information, le collectif anti-OGM dénonce le double jeu de l’État, qui « bafoue les citoyens », en ne respectant pas la « transparence ». Franchissant une étape supplémentaire dans la diffusion, le collectif anti-OGM publie la localisation précise d’un essai, accompagnée d’une carte, dans un quotidien local, le 4 août 2005, « par souci de transparence et de démocratie ». Cette action vise alors à suppléer une action absente ou insuffisante de l’État, ainsi qu’ont pu le formuler d’A. Bernard de Raymond et G. Tétart dans une étude de cas sur les Faucheurs volontaires (Bernard De Raymond, Tétart 2010). C’est parce que l’État ne remplit pas son rôle et ses obligations légales d’information que les acteurs associatifs produisent et publient la localisation des parcelles transgéniques. Agissant ainsi, ils se posent comme les garants de la réglementation entre produisant une information publique alternative, face à l’État. Fort de ces informations, les militants invitent les maires à marquer à leur tour de ce désaccord par des arrêtés interdisant les essais transgéniques sur le territoire communal. Ainsi, une vingtaine de communes du Gers prirent en 2001 des arrêtés visant à interdire les essais de plantes transgéniques sur leur territoire. Le collectif salua ce « soutien citoyen » des élus, suite logique selon lui des informations délivrées : « dès lors que le débat est ouvert, que l’information circule, l’opinion publique est généralement opposée aux OGM. » (Lettre aux maires du Gers, collectif anti-OGM 32, 13 octobre 2001).

Conclusion

La divulgation militante de la localisation des cultures transgéniques dans le département du Gers durant la période développée souligne bien le rôle d’une mobilisation citoyenne dans la tendance actuelle d’ouverture des données publiques. L’opacité qui a entouré ces cultures a favorisé le rapprochement entre le monde associatif et certaines collectivités territoriales, et a finalement conduit à une démarche réactive commune. En diffusant une information jusqu’alors systématiquement occultée par l’administration, les associations ont adopté une posture de garantes du droit à l’information et ont déstabilisé la position étatique.

En effet, face à cette information alternative contournant le contrôle étatique en la matière, le Ministère de l’agriculture a reconsidéré sa stratégie afin de mettre en place, à partir de 2004, des consultations du public dans les communes concernées par les essais. Bien que ces consultations soient arrivées un peu tard pour rétablir la confiance des élus locaux et du grand public, elles témoignent cependant d’un changement de direction de la part de l’État, qui essaya ainsi de reprendre l’initiative en matière d’information.

On pourrait certainement trouver des similitudes entre cette situation de risque environnemental et des événements récents : l’exemple qui vient à l’esprit est l’importante reprise médiatique des données produites par l’association CRII-RAD lors de la récente catastrophe de Fukushima. Elle témoigne à nouveau à quel point l’opacité du système administratif met en difficulté la crédibilité aux pouvoirs publics, et comment la « société civile » constitue une source d’information alternative (notamment via des cartes interactives crowd sourcées, comme la Japan Geigermap (4)par exemple). Ces sources d’informations alternatives, en incitant les pouvoirs publics à diffuser leurs propres données afin de ne pas perdre totalement le contrôle de l’information, jouent un rôle moteur dans la diffusion des données publiques.

Notes

(1) L’auteur remercie sincèrement L. Villepontoux pour sa relecture de l’article et S. Allula pour sa traduction en espagnol du résumé.

(2) Cet article s’appuiera sur mon travail de thèse en Science de la communication, débuté en 2008, portant sur la contestation locale anti-OGM. Cette thèse est dirigée par Marie-Gabrielle Suraud au sein du CERTOP UMR5044, Université de Toulouse 2 et 3. Méthodologiquement, mon travail s’appuie sur quarante-cinq entretiens menés auprès d’associatifs, de syndicalistes et de militants politiques, d’agriculteurs, syndicalistes ou non, ainsi que d’élus locaux. Les entretiens ont tous été réalisés de façon formelle et semi-directive, et sont d’une durée comprise entre une heure et deux heures et demie. La sélection des personnes interrogées s’est réalisée sur suggestion des précédents interviewés, spontanément ou à ma demande. Le corpus est également constitué de plusieurs dizaines de documents militants (tracts, affiches, communiqués, compte-rendu de réunions,…) ainsi que de nombreux articles de la presse locale (Sud-Ouest et La Dépêche du Midi). Le cas étudié débute dans les années 2000-2001 et se termine en 2004.

(3) Parmi les stratégies mises en place pour repérer les champs, l’une d’elle consistait à retourner la surveillance policière contre elle-même : se sachant sous surveillance, les militants se téléphonaient pour organiser de faux fauchages. À l’heure du rendez-vous, ils observaient les forces de police se déployant autour des parcelles transgéniques faussement menacées…

(4) Mise en ligne suite à la catastrophe de Fukushima au printemps 2011, cette carte permet de visualiser des relevés de compteur Geiger partout à travers le Japon. Les relevés sont réalisés par des collectivités territoriales, par l’État, mais aussi par des individus possédant un compteur connecté à internet. http://japan.failedrobot.com

Références bibliographiques

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Auteur

Julien Domard

.: Julien Domard est doctorant en science de l’information et de la communication au sein de l’équipe ECORSE du CERTOP-UMR5044, Université de Toulouse.