Quand l’État s’intéresse à la sexualité des Français : le développement d’une information publique à l’appui des stratégies de communication liées à la prévention du SIDA
Résumé
Cet article propose une analyse des enquêtes sur la sexualité des Français en tant qu’information publique. Il retrace l’émergence et la systématisation du financement de ces enquêtes par l’Etat, parallèlement au développement de l’épidémie de sida depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’une part de présenter les caractéristiques de ces enquêtes et de montrer qu’elles relèvent de l’information publique et d’autre part de montrer en quoi elles ont aidé à la prise de décision en ce qui concerne les stratégies communicationnelles liées à la prévention du sida.
Mots clés
Communication publique, information publique, prévention, sida, maladie
In English
Abstract
This article is bout surveys on French sexuality behavior. It analyses the emergence and development of these surveys financed by the State, since the beginning of AIDS epidemic in the 80s until today. On one hand, this article shows that these surveys represent public information and, on the other hand, that they helped to take decision in AIDS prevention politics.
En Español
Resumen
Este artículo traita de estudios sobre el comportamiento sexual dos franceses. Esto analiza la aparición y el desarrollo de estos estudios financiados por el Estado, desde el principio de epidemia de SIDA en los años 80 hasta hoy. Este artículo muestra que estos estudios depende de la información pública y que ellos ayudaron a tomar las decisiónes en las políticas publicas de prevención del SIDA.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
De Oliveira Jean-Philippe, « Quand l’État s’intéresse à la sexualité des Français : le développement d’une information publique à l’appui des stratégies de communication liées à la prévention du SIDA« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/2, 2012, p.39 à 46, consulté le mercredi 13 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/dossier/03-quand-letat-sinteresse-a-la-sexualite-des-francais-le-developpement-dune-information-publique-a-lappui-des-strategies-de-communication-liees-a-la-prevention-du-sida/
Introduction
L’article porte sur les enquêtes financées par les pouvoirs publics sur la sexualité des Français. Elles se sont développées à partir des années 80, dans un contexte de développement de l’épidémie de sida dont les rapports sexuels constituaient le principal mode de contamination. L’émergence d’une politique publique liée à la lutte contre le sida a nécessité la constitution de savoirs sur les comportements sexuels des Français afin d’analyser les comportements à risques et d’ajuster les actions de prévention menées par les pouvoirs publics. Ces enquêtes étaient d’autant plus importantes que l’épidémie concernait principalement des populations (les homosexuels et les migrants, entre autres) sur lesquelles les pouvoirs publics ne disposaient pas de savoirs sociologiques sur lesquels s’appuyer pour élaborer des messages adéquats aux pratiques des publics ciblés. Les résultats des enquêtes sont en effet intégrés dans les stratégies communicationnelles liées aux campagnes de prévention étatiques dans le cadre de la lutte contre le sida. Ces enquêtes sont donc menées pour aider à la prise de décision politique et relève d’une expertise confiée à différents organismes (l’Inserm, l’Observatoire régional d’Île-de-France, des instituts de sondage, des associations de lutte contre le sida…). Pourquoi, dès lors, considérer ces enquêtes comme relevant d’une information publique ? L’objet de cet article est de démontrer que la production de savoirs sur la sexualité des Français relève autant d’une expertise que d’une information publique et sociale (1). Dans un premier temps seront présentées les enquêtes dont il est question, le contexte dans lequel elles ont émergé puis se sont systématisées sous l’impulsion des pouvoirs publics dans le cadre de leur politique publique de lutte contre le sida. Dans un deuxième temps, nous proposerons une définition de l’information publique, pour analyser en quoi les résultats de ces enquêtes relèvent de cette catégorie.
Le contexte d’émergence et de développement des enquêtes sur la sexualité en France
De l’enquête Simon à l’émergence de l’épidémie de sida
La première enquête sur la sexualité des Français est l’enquête Simon réalisée en 1969 à la demande du Mouvement du planning familial, deux ans après la loi Neurwith qui autorise la contraception et alors qu’est discutée à l’Assemblée nationale la loi sur l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). L’enquête a été publiée en 1972 (Jaspard, 2005 : 73). Or, depuis l’émergence des premiers cas de sida, en 1981, les pouvoirs publics sont confrontés à une double difficulté. En premier lieu, l’épidémie de sida a mis en lumière les archaïsmes de la santé en France (Pinell, 2002 : 80-86). L’administration ne dispose que des techniques anciennes pour lutter contre le développement de l’épidémie : la déclaration obligatoire de la maladie, le dépistage obligatoire, l’injonction thérapeutique et le placement dans des établissements spécialisés (comme les « préventorium » et « sanatorium » de la lutte antituberculose). Or, ces techniques de santé publique s’avèrent être inappropriées face à l’épidémie : la déclaration des malades du sida ne rend pas compte du développement des porteurs du VIH ; les thérapies et les techniques de dépistage sont inexistantes (et ne seront ensuite pas imposées), le placement dans les établissements spécialisés (comme les « sidatorium » évoqués par le Président du Front national Jean-Marie Le Pen) ne peut être envisagé que comme une mesure d’exclusion. De fait, « face à une épidémie de type nouveau qui renvoie les autorités sanitaires à un passé où la médecine était dépourvue de traitements efficaces et de vaccins, le dispositif de santé publique montre son incapacité à se servir de la seule arme qui lui reste : l’organisation de la prévention. » (Pinell, 2002 : 80). En lieu et place d’une hygiène sociale sous-tendue par des techniques d’intervention qui s’imposent à la population, « la modification des pratiques de santé devient […] la finalité de toute intervention » (Pinell, 2002 : 84-85). La politique publique liée à la prévention du sida s’appuie en France sur une option « moderne-libérale », définie par Nicolas Dodier en ces termes :
« Moderne, car il s’agit de déléguer aux scientifiques une part importante de la résolution du problème posé par le nouveau syndrome. Mais moderne-libérale, au sens où la circulation dans l’espace public d’une information cohérente, unifiée, et contrôlée par les institutions scientifiques, est considérée comme un outil indispensable pour s’opposer, grâce à la raison, aux attitudes et aux pratiques de stigmatisation, celles-ci étant considérées, du point de vue de l’option moderne- libérale, comme un comportement irrationnel » (Dodier, 2003 : 2).
Or, l’épidémie de sida renvoie à des pratiques pour lesquelles il n’existe pas, en dehors de l’enquête Simon, d’études sur lesquelles s’appuyer pour élaborer les messages de prévention. L’organisation de la prévention est rendue d’autant plus difficile qu’elle touche spécifiquement des groupes éloignés de cette première enquête : les taux de prévalence et d’incidence sont en effet les plus élevés au sein des usagers de drogues, des travailleurs du sexe, des migrants et surtout au sein des homosexuels masculins. Pour élaborer des stratégies communicationnelles qui s’appuient rationnellement (et sans jugement moral) sur les comportements à risques, les pouvoirs publics manquent à l’époque d’informations scientifiques. La création de l’Agence française de lutte contre le sida (AFLS) en 1989 s’accompagne donc de la création de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) et de la constitution de groupes d’experts par « publics » ciblés, composés d’acteurs scientifiques, associatifs et institutionnels. C’est dans ce contexte que l’Etat commence à financer des enquêtes sur la sexualité des Français.
Le développement des enquêtes sur la sexualité des Français impulsé par les pouvoirs publics.
Le premier plan national de lutte contre le sida, publié en 1990 par l’AFLS souligne le manque d’enquêtes sur les comportements sexuels des Français :
«Depuis 1968 (rapport Simon) aucune enquête représentative en population générale sur le comportement sexuel des Français n’a été réalisée. Or, une telle enquête est nécessaire dans le cadre de la lutte contre le sida. En repérant et en quantifiant les conduites sexuelles et les pratiques à risque, en analysant leurs déterminants culturels et socio-psychologiques, une telle enquête doit contribuer à une définition plus adéquate des politiques de prévention (repérage de groupes sociaux ; contenu des messages préventifs) et à l’élaboration de modèles prévisionnels de la maladie. » (AFLS, 1990 : 35)
A l’époque cependant, plusieurs enquêtes partielles ont été menées. En 1987, est mise en place la première enquête sur les « connaissances, attitudes, croyances et comportements des Français face au sida » (les enquêtes KAPB, selon l’acronyme anglais pour « Knowledge, Attitudes, Beliefs and Practices). Elles sont réalisées au niveau national sous la direction de l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Ile-de-France, organisme d’études « dont la mission générale est l’aide à la décision dans le domaine sanitaire et social »(2). Les enquêtes KABP sont répétées en 1992, 1994, 1998, 2001 et 2004 et interrogent, entre autres, les Français sur leur capacité à déterminer les modes de transmission du VIH, la fréquence de leurs rapports sexuels, la fréquence des rapports non protégés et les freins liés à l’utilisation du préservatif. Elles sont suivies en partenariat avec l’Institut national de veille sanitaire (INVS), la DGS et les administrations publiques en charge de la communication du VIH (l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) depuis 2002). Des enquêtes plus spécifiques aux homosexuels ont également été menées par les sociologues Michaël Pollak et Marie-Ange Schiltz, dès 1985, pour évaluer l’adoption de comportements préventifs par les homosexuels masculins. L’enquête est réalisée sous forme de questionnaire encarté dans une revue homosexuelle Gai-Pied renvoyé volontairement par les lecteurs. Ces enquêtes souffrent néanmoins d’un biais méthodologique : elles ne concernent qu’un profil particulier d’homosexuels. Néanmoins, les résultats publiés par les deux sociologues sont les seules sources d’information sur les pratiques homosexuelles (AFLS, 1990 : 37) (3). Entre 1987 et 1993, les campagnes de prévention restent marquées par une mise en scène de la « catégorie jeunesse », selon l’expression de Patrice Pinell et Claude Thiaudière, qui renvoie « à des schèmes de pensée qui l’associent aux premières expériences de l’homosexualité, la toxicomanie, la délinquance, la recherche d’une vie marginale » (Thiaudière et Pinell, 2002 : 105). Ce choix créatif relève d’une volonté de lier la communication de prévention du sida à un ton consensuel (Paicheler, 2002 : 61). La création de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) en 1989 donne pourtant une nouvelle impulsion à des recherches qualitatives en sciences humaines et sociales sur la sexualité, coordonnées par l’Agence. En 1991, l’Inserm s’attache à une enquête de grande ampleur sur le contexte de la sexualité en France, la première depuis l’enquête Simon. Le bureau des études du Service d’information du gouvernement (SIG) est sollicité par le ministère de la Santé pour donner un avis sur le protocole de l’enquête. A l’époque, c’est Elisabeth Dupoirier, chargée des études auprès du directeur du SIG, Jean-Louis Missika, qui analyse le dossier. Selon elle, l’Institut souhaitait mener cette étude « très précise et très concrète sur les pratiques sexuelles » pour participer à l’élaboration d’une stratégie de prévention adéquate(4). Or, l’Etat avait des réticences à autoriser une telle enquête, malgré l’évolution préoccupante de l’épidémie : « le sida était à l’époque une très grande cause de santé publique… C’était dramatique […] Malgré ça, il y avait une crainte tout à fait politique qu’une enquête comme celle-là ajoute encore du souci au gouvernement de Michel Rocard ». Elisabeth Dupoirier a produit une note très favorable sur la justesse technique de l’enquête, qui sera finalement autorisée. Elle donne lieu en 1993 à une publication de la Documentation française sous la direction d’Alfred Spira et de Nathalie Bajos (Spira, Bajos, 1993). Deux autres enquêtes spécifiques sont publiées en 1993 et 1994 sur la sexualité en Antilles-Guyane et chez les jeunes. A partir de 1994 justement, le Comité français d’éducation pour la santé (CFES) récupère ses prérogatives dans le domaine de la prévention du sida et change les stratégies communicationnelles sous-tendues par les campagnes. Ce changement se traduit par la mise en avant des situations à risques et les messages s’appuient sur les données recueillies grâce aux enquêtes sur la sexualité des Français. L’équipe ACSF publie sa deuxième enquête en 2008(5) (Bajos, Bozon, 2008) mais les pouvoirs publics se sont appuyés sur les enquêtes KABP publiées entre-temps pour élaborer leurs messages. Ainsi, parallèlement à l’évolution de l’épidémie et à la mise en place d’une politique publique liée à la prévention du sida, s’est développé un nouveau champ de production de savoirs sur la sexualité des Français très largement impulsé par les pouvoirs publics. Ces données sont mises à disposition publiquement sur le site de l’ANRS, de l’ORS ou encore sur celui de l’Inpes. L’Inpes a mené d’ailleurs récemment, en partenariat avec l’ORS, une enquête sur les « Connaissances, attitudes, croyances et comportements » des populations africaines d’Ile-de-France face au VIH dans lesquelles l’activité sexuelle de ces populations est analysée. Le rapport a été publié en 2011 et est téléchargeable gratuitement, au même titre que les « Baromètres santé ». Peut-on toutefois affirmer que les enquêtes liées à la sexualité des Français relèvent d’une information publique ?
Les enquêtes sur la sexualité des Français : une information publique ?
L’information publique : essai de définition
L’information publique, dont Caroline Ollivier-Yaniv a retracé la genèse socio-historique (Ollivier-Yaniv, 2000) est sous-tendue par trois enjeux. Historiquement, l’émergence d’une information publique a été d’abord liée à une volonté de transparence. Elle vise à rendre compte des décisions prises par les trois pouvoirs auprès des citoyens, dans un objectif de « publicité » nécessaire à la formation de l’opinion et aux débats. La « transparence » est également au centre du deuxième enjeu lié à une volonté d’améliorer les relations entre les administrations et ses usagers. L’Etat met en place un ensemble de mesures visant à faire connaître aux usagers leurs droits et leurs devoirs vis-à-vis de leurs administrations et à leur permettre d’accéder aux données les concernant. Un troisième enjeu porte sur les médias audiovisuels relevant du service public (France Télévisions, Radio France et la Société de l’audiovisuel extérieur de la France) et leur gestion. Ces médias, financés en majorité par l’Etat (via entre autres la redevance versée par les contribuables) se doivent d’assurer un certain nombre de missions auprès des publics, dont l’information fait partie. La classification que nous venons de proposer s’attache à différencier ainsi information publique et information gouvernementale. Cette dernière relève davantage des services de relations presse de l’Elysée et des différents ministères ainsi que des départements « analyse tous médias » et « études et sondages » du Service d’information et du gouvernement, chargés, entre autres, sous la tutelle du Premier ministre, d’évaluer pour le compte de l’exécutif les retombées presses des actions gouvernementales dans les médias et le suivi de l’opinion par rapport à des décisions à prendre ou déjà prises. Cependant, une catégorisation qui oppose ainsi information publique et information gouvernementale relève avant tout d’une dichotomie idéologique qui oppose à l’information dite d’ « intérêt général », supposée neutre, une information « partisane », supposé partiale. En fait, les deux types d’information sous-tendent des enjeux politiques qui dépassent les objectifs affichés. Les réticences à autoriser l’enquête sur la sexualité des Français au début des années 90, comme nous l’avons vu supra, illustre les interférences entre une information d’« intérêt général » et des intérêts portés sur l’image du gouvernement. Les enquêtes sur la sexualité des Français échappent ainsi à une telle catégorisation. Elles sont en grande partie des études légitimées par l’aide à la décision de l’action publique dans le domaine de la santé publique. Elles ne sont sous-tendues par aucun des trois enjeux de transparence, de modernisation des relations usagers – administration et de maîtrise de l’audiovisuel public. Il n’en reste pas moins qu’elles relèvent bien à certains égards d’une information publique.
Les enquêtes sur la sexualité des Français comme information publique et sociale
L’information publique peut être définie comme « un ensemble de démarches qui visent à faciliter, sinon à améliorer le « rôle d’administration » de l’Etat » (Ollivier-Yaniv, 2000 : 117). Elle est une « forme à la fois englobante et distincte de l’information gouvernementale stricto sensu » (Ibid : 116). Dans les années 1960, les sondages d’opinion sont mobilisés par l’Etat français et permettent une formalisation progressive de « deux flux d’information distincts -descendant et ascendant- entre l’Etat et les citoyens » (Ollivier-Yaniv, 2000 : 125). L’administration de l’Etat repose ainsi, entres autres, sur une information « rationalisée et systématisée ». Les campagnes d’information rendent possible l’adresse directe de l’exécutif aux citoyens, préparée en amont grâce aux sondages d’opinion (Ibid). L’action publique dans la lutte contre le sida repose également sur ces mécanismes ascendants mais avec des finalités différentes. Alors que l’ « option moderne-libérale » constitue le cadre d’une politique publique de lutte contre le sida, l’information est au centre de l’organisation de la prévention du sida par les pouvoirs publics. A cet égard, les premières campagnes dites « d’information publique » étaient sous-tendues par un double enjeu. D’une part, l’Etat avait inscrit dans la loi ses prérogatives en matière de lutte contre le sida. Il se devait à cet égard d’informer les usagers des modes de transmission du VIH et des moyens de s’en protéger. D’autre part, une meilleure connaissance de la maladie s’accompagne d’une plus grande acceptation des malades. L’Etat visait ainsi à informer les citoyens dans le cadre d’une gestion du corps social. Les résultats des enquêtes sur la sexualité des Français sont ainsi mobilisés à deux niveaux, dans une volonté de renforcer le rôle de l’Etat dans son rôle d’administration. Par ailleurs, ces enquêtes sont d’autant plus importantes qu’elles apportent des éléments sur certaines situations qui sont abordées dans les campagnes, comme le multi-partenariat, ou l’utilisation du préservatif lors d’une première rencontre. Elles permettent également d’ajuster les messages en fonction de l’évolution du rapport des individus à la maladie et des comportements sexuels. Après la découverte des trithérapies en 1995, les associations, présentes sur le terrain, s’inquiètent d’un relâchement des comportements préventifs. L’enquête 1998 confirme en effet une moindre perception du risque sida et celle de 2001 fait état des premiers relâchements vis-à-vis de l’utilisation du préservatif, parallèlement aux données épidémiologiques qui mettent en évidence une reprise de l’incidence chez les homosexuels masculins. L’ensemble de ces données sous-tendent une réorientation des stratégies communicationnelles. Dès le début de l’année 2000, l’accent est mis sur la reprise de l’épidémie et le caractère mortel de la maladie, avec des signatures comme « Le Sida. On en meurt encore » en 2000 et « L’épidémie reprend. Reprenons le préservatif » en 2001. Enfin, les enquêtes sur la sexualité des Français en tant qu’information publique s’analysent à un troisième niveau. Si les résultats de ces enquêtes sont mobilisés par les pouvoirs publics pour l’élaboration de stratégies communicationnelles liées à la prévention du sida, elles sont également mises à la disposition des publics. Archivées dans des centres d’information spécialisée, comme les CRIPS (Centre régional d’information et de prévention du Sida) ; disponibles sur les sites de l’ANRS, de l’ORS et de l’Inpes ; parfois même relayées par la presse et les médias audiovisuels, les enquêtes sur la sexualité des Français donnent lieu à la production d’une information sociale par des organismes publics. A cet égard, ces enquêtes relèvent selon nous du même type d’informations produites par l’Institut national des études démographiques (Ined) ou l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Conclusion
Les différents éléments concourent ainsi à analyser les enquêtes sur la sexualité des Français comme relevant d’une information publique. Certes, elles ne sont pas sous-tendues par une volonté de transparence, de modernisation des relations entre administrations et usagers ou encore de la gestion des moyens audiovisuels publics. Elles sont néanmoins financées par l’Etat, via des structures ad hoc et dont le développement s’inscrit dans un contexte de gestion d’une épidémie qui touche aux pratiques sexuelles. Les enquêtes sur la sexualité des Français ont donc été impulsées par les pouvoirs publics pour aider la prise de décision et orienter l’action publique. A cet égard, elles visent autant à renforcer le rôle d’administration de l’Etat dans ses prérogatives en matière de lutte contre le sida vis-à-vis des usagers que dans la gestion du corps social, sous-tendu par la nécessité d’informer les citoyens pour éviter les risques de stigmatisation des personnes malades. Par ailleurs, ces enquêtes relèvent également d’une information sociale, archivée à l’attention des publics et consultable par l’ensemble de la population.
Cependant, les résultats de ces enquêtes ne sont pas les seuls éléments sur lesquels se fondent la décision en matière de politique publique liée à la prévention du sida. Les associations actives dans la lutte contre le sida, comme Aides et Act Up ou des organismes publics, comme le Conseil national du sida (CNS), produisent également des savoirs sur les pratiques sexuelles, les évolutions en cours et les questions éthiques posées par la lutte contre le sida. Ces acteurs influent également sur les stratégies de prévention par un travail de pression auprès des pouvoirs publics, porté par des « plaidoyers », argumentaires visant à légitimer leurs revendications.
Notes
(1) Les éléments présentés s’appuient sur un travail de thèse portant sur la communication publique et la prévention du sida de 1987à 2007, soutenu le 27 septembre 2012 à l’Université de Grenoble.
(2) Selon la présentation qui en est faite sur leur site www.ors-idf.org.
(3) Les enquêtes « presse gay » ont été menées annuellement de 1985 à 1993, puis en 1995, 1997, 2000, 2004 et 2007. La dernière date de 2011. A partir de 2000, ces enquêtes sont complétées par les « Baromètres gay » menés dans les établissements homosexuels, toujours sous la direction de l’InVS.
(4) Entretien réalisé avec Elisabeth Dupoirier le 11 octobre 2010.
(5) Cette enquête n’a pas été publiée par la Documentation française mais par une maison d’édition privée, La Découverte.
Références bibliographiques
Agence Française de Lutte contre le Sida (1990), Plan à deux ans sida : 1990-1991. Documents d’orientation, 95 p.
Bajos Nathalie, Bozon Michel (dir.) (2008), Enquête sur la sexualité en France. Pratique, genre et santé, La Découverte, Paris.
Dodier, Nicolas (2003). « Les premières années de l’épidémie de sida », in : BROQUA Christophe, LERT France, SOUTEYRAND Yves, Homosexualités au tems du sida, ANRS Editions, Paris, p.1-18.
Jaspard Maryse (2005), Sociologie des comportements sexuels, La découverte, coll. « Repères », Paris.
Ollivier-Yaniv Caroline (2000), L’Etat communiquant, PUF, Paris.
Paicheler Geneviève (2002), Prévention du sida et agenda politique. Les campagnes en direction du grand public, 1987-1996, CNRS Editions, Paris.
Pinell Patrice (dir.) (2002), Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France (1981-1996), PUF, Paris.
Spira Alfred, Bajos Nathalie et le groupe ACSF (1993), Les comportements sexuels en France, La Documentation française, Paris.
Auteur
Jean-Philippe De Oliveira
.: Jean-Philippe De Oliveira est docteur en science de l’information et de la communication et attaché temporaire à l’enseignement et à la recherche au département SIC de l’Université de Grenoble. En septembre 2012, il a soutenu sa thèse intitulée « Communication publique et formes de gouvernabilité contemporaines de l’État. Le cas de l’homosexualité dans les campagnes de prévention du sida en France (1987-2007) ».