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Subtils flottements entre impératif d’information et déni de communication. Le cas de la mise en œuvre des PPRT ou la gestion des risques technologiques et sa délicate acceptation locale

20 Fév, 2013

Résumé

Composé de 13 sites Seveso seuil haut, l’agglomération dunkerquoise est soumise à la loi du 30 juillet 2003 réglementant la cohabitation entre les sites industriels dangereux et les habitations. Plan d’urbanisme imposant des aménagements et des restrictions dans l’usage du territoire, sa mise en œuvre fait l’objet de nombreux enjeux politiques, économiques et sociaux sur lesquels les acteurs de la concertation restreinte qui en assure le suivi a du mal à communiquer. Bloqués entre un devoir d’informer et la crainte de communiquer à un large public les membres du Comité Local d’Information et de Communication (CLIC) usent du contexte local – et d’une population peu regardante sur son environnement – pour en dire peu à ceux qui ne veulent pas en entendre beaucoup…

Mots clés

Information, communication, concertation, risques industriels

In English

Keywords

Information, communication, dialogue, industrial risks

En Español

Palabras clave

Información, comunicación, concertación, riesgos industriales

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Chambon Mylène, Flanquart Hervé, Zwaterook Irénée, « Subtils flottements entre impératif d’information et déni de communication. Le cas de la mise en œuvre des PPRT ou la gestion des risques technologiques et sa délicate acceptation locale« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/2, , p.23 à 38, consulté le samedi 21 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/dossier/02-subtils-flottements-entre-imperatif-dinformation-et-deni-de-communication-le-cas-de-la-mise-en-oeuvre-des-pprt-ou-la-gestion-des-risques-technologiques-et-sa-delicate-acceptation-locale/

Introduction

Les termes d’information et de communication semblent poursuivre le même objectif : celui de donner à autrui un élément de connaissance qu’il ne détenait pas ou que partiellement. Néanmoins, selon les cas, les situations, les usages et les intérêts en présence, cette homonymie n’est plus évidente. L’utilisation d’un terme plutôt que l’autre peut alors être privilégiée pour répondre au mieux à l’objectif – formulé ou non – que l’auteur de l’information ou de la communication souhaite atteindre. Car si nous pouvons nous accorder pour dire que le but identifié de ces deux termes est similaire (celui de donner un renseignement sur quelqu’un ou quelque chose), une différence peut néanmoins être recherchée dans l’intention de celui qui produit l’action d’informer ou de communiquer. Cherche-t-on le même niveau de compréhension chez son interlocuteur selon que l’on souhaite l’informer ou lui communiquer un message ? Il semblerait que la volonté d’informer soit plus approfondie sur les aspects techniques – elle correspondrait en ce sens à une démarche explicative, à l’exposition d’éléments « scientifiques » – alors que celle de communiquer concerne davantage la diffusion à un large public d’un fait ou d’une donnée qu’elle a simplifié. Ainsi, ces deux notions n’ont pas le même pouvoir. Pour Bernard Miège (2004), la communication ne fait pas que révéler un savoir (comme lorsque l’on informe), elle le diffuse au-delà de la sphère géographique, sociale ou nationale pour laquelle il a été pensé. Ainsi la communication se présente comme « le pouvoir de transgresser les frontières nationales et les différences identitaires, et de tracer de nouveaux horizons » (Miège, 2004 : 11).

En matière de gestion du risque, le législateur fait plus obligation d’informer que de communiquer : cependant, est-il possible de se contenter d’informer sans communiquer ? Et inversement, peut-on communiquer sans construire au préalable une information de qualité ? Ces questions ne peuvent trouver de réponse si l’on ne s’interroge pas sur l’identité des personnes ou institutions à l’origine de l’information et de la communication et sur celle des destinataires. En d’autres termes : qui informe et qui communique ? Qui reçoit l’information et vers qui communique-t-on ? Ainsi, l’analyse du contexte, l’observation des acteurs en situation sont-ils importants pour construire des éléments de réponse à notre questionnement. Mais notre travail de compréhension ne peut être complet si l’on omet de parler de l’objet de l’information, de la communication. Sur quoi informe-t-on et que communique-t-on ?

Ces différences entre communication et information, nous allons les mettre en œuvre dans l’étude d’une situation : la mise en œuvre des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) dans le territoire dunkerquois. Et sans prétendre épuiser le sujet et clore le débat, nous poserons pour cet article que le contrat de « bien informer le public » est rempli lorsque l’information disponible est la plus complète et la plus exacte possible – ce qui correspondrait à « informer » – et, qu’en plus, des efforts suffisants ont été faits pour qu’elle parvienne au plus grand nombre – ce qui correspondrait à « communiquer ». A partir de ce postulat nous faisons l’hypothèse que dans la délicate gestion des risques industriels, les acteurs locaux de la concertation s’accordent tacitement pour ne pas communiquer, afin de limiter les controverses qu’engendreraient les décisions prises en la matière.

Après un bref et nécessaire rappel de la loi instaurant les PPRT (I), nous décrirons la spécificité de la Zone Industrialo-Portuaire de Dunkerque. La compréhension des enjeux législatifs et territoriaux nous permettra ainsi de nous focaliser sur l’obligation faite – par la loi – d’informer sur ces plans, la réticence liée à cette information par les acteurs impliqués dans leur mise en œuvre et l’hypothèse que nous faisons quant au subterfuge de non-communication permettant de répondre à cette obligation sans pour autant se résoudre à l’appliquer (II). Enfin nous regarderons du côté des riverains et de ce qui peut apparaître comme une étonnante passivité (III).

Précisions méthodologiques.

Le matériau que nous exploitons dans cet article a été recueilli au cours de plusieurs enquêtes sur les risques et nuisances industriels menées dans l’agglomération dunkerquoise par le groupe de recherche Irénée Zwarterook.

La première (E1), réalisée au printemps 2008,était une enquête par questionnaire auprès des habitants de la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD). 518 personnes(âgées de 18 ans et plus) y ont répondu en face à face, à leur domicile. L’échantillonnage par quotas a été réalisé de manière à respecter la structure de la population par rapport à trois critères : la localisation géographique au sein de la CUD, le genre et la catégorie socioprofessionnelle.

La deuxième (E2) était une enquête par entretiens semi-directifs réalisée auprès de ceux qui participaient à la concertation sur les questions des risques industriels et de pollution dans l’agglomération dunkerquoise. Elle a eu lieu en 2008, et 21 personnes ont été interviewées.

La troisième (E3) était une enquête portant sur la formation des acteurs à la démarche PPRT et à la concertation. Elle a eu lieu entre mars 2010 et avril 2012 et a été menée par observation participante au sein des réunions du CLIC du littoral, de son comité de liaison et des Personnes et Organismes Associés (POA). Au total une vingtaine de réunions ont été observées, décrites et analysées, en parallèle de l’analyse des comptes-rendus disponibles depuis la création de ce comité en 2006. Cette enquête a également été menée par entretiens semi-directifs réalisés auprès de personnes appartenant aux 5 collèges du CLIC ; 24 interviews ont été réalisées entre mars et juin 2011.

Les risques industriels : une nécessité impérieuse d’informer

L’accident de l’usine chimique AZF, survenu le 21 septembre 2001 à Toulouse, a été l’accélérateur d’une prise de conscience nationale portant sur l’incongruité d’un aménagement urbain faisant cohabiter sites industriels dangereux et population riveraine. Les conséquences de cet accident ont été dramatiques : 31 personnes tuées, 2 500 blessés dont 30 gravement, 25 550 habitations endommagées, entraînant le relogement de 11 150 familles, ainsi que la dégradation d’entreprises et d’équipements publics (gymnase, piscine, lycée). Mais ce que révèle cette catastrophe c’est le manque d’information dont disposaient les voisins de ce site hautement dangereux (Bonnaud, Martinais, 2008 ; Suraud, 2008). Ils n’ont pas su adopter les réflexes d’urgence lors de l’explosion (ne pas rester à l’extérieur, fermer portes et fenêtres, écouter la radio locale, ne pas téléphoner…) mais, surtout, ils ne savaient pas, pour la plupart d’entre eux, qu’ils vivaient à côté d’une usine à risques. Cette situation a multiplié les mouvements de panique et renforcé la difficulté d’intervention des secours ( Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, 2002).

Au cours du bilan de cet accident, deux nécessités se sont imposées : celle de réglementer les activités économiques et la vie résidentielle autour des sites Seveso Seuil haut (industries les plus dangereuses selon la classification européenne) et celle d’informer les populations qui vivent à proximité de ces sites. Pour répondre à ces impératifs, un changement de législation a été annoncé par les politiques à peine une semaine après les faits. C’est ainsi que, le 28 septembre 2001, le Premier Ministre, Lionel Jospin, exposait les principales directives d’une nouvelle réglementation sur les risques industriels, axée sur la mise en place de Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT). Ces Plans, créés sur le modèle des Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN), qui existent depuis 1987, étaient articulés à des Comités Locaux de Prévention des Risques, devenus les Comités Locaux d’Information et de Concertation (CLIC) à la suite du changement de majorité politique en 2002. Néanmoins, une nouvelle loi régissant les rapports des sites industriels dangereux avec leur voisinage a été très vite annoncée après la catastrophe, son vote, puis en application, n’ont pas été aussi rapides et ont même rencontré quelques difficultés (Bonnaud, Martinais, 2008 ; Frère 2010 et 2012 ). L e laps de temps entre la catastrophe et la parution des textes (2003 pour la loi, 2005 pour les décrets d’application) permet de relativiser l’idée, largement entretenue par les médias et la classe politique, que c’est de cet accident que naît la loi du 30 juillet 2003. La catastrophe d’AZF ne semble avoir été que le prétexte ou l’accélérateur d’ une réflexion et d’un changement législatif qui avaient démarrés bien en amont des événements toulousains.

Technique et objectifs des PPRT

Le PPRT peut être considéré comme un nouvel outil de gestion de l’urbanisation. Il a pour objectif de définir un périmètre autour des exploitations dangereuses, qui vise à mettre en sécurité l’ensemble des tiers qui s’y trouvent. L’élaboration du PPRT se déroule en deux temps. Le premier est celui de la phase dite technique, qui consiste en l’identification de périmètres de danger traduisant l’occurrence des risques, c’est-à-dire leur probabilité de survenue. Puis sont calculés les aléas produits par une exploitation industrielle. Selon la probabilité, l’intensité et la cinétique de ces aléas (classés en sept niveaux : Faible, Moyen, Moyen +, Fort, Fort +, Très Fort, Très Fort +) plusieurs zones sont délimitées autour du site industriel, qui constituent la cartographie des aléas technologiques. Pour chaque zone, le PPRT définit des mesures qui s’appliquent autant au bâti existant qu’à l’urbanisation future. Pour l’existant, cela peut être l’expropriation, le délaissement ou l’obligation de renforcement du bâti, en fonction des effets (thermiques, toxiques ou liés à la surpression) identifiés par l’étude de dangers des sites.

Concernant les aménagements en devenir, la délimitation des zones d’aléas permet de réglementer les constructions futures. Pour cela, deux mesures sont associées à la délimitation de ces périmètres concernant les projets de construction : le principe d’interdiction stricte (interdiction de bâtir) ou le principe d’interdiction avec quelques aménagements (construction autorisée selon des conditions prédéfinies), dit également principe de prescription.

Ce sont les services Risques de la DREAL qui ont en charge la production de cette cartographie. C’est à partir de ce document, et des zones ainsi délimitées, que sont appliquées et soumis à concertation les mesures à prendre sur le bâti ou l’urbanisation future.

Figure 1 : Cartographie des aléas technologiques, tous types d’effets confondus du PPRT multi-sites de la ZIP de Dunkerque


Source : DREAL du Nord-Pas-de-Calais, mars 2012.

Figure 2 : la hiérarchie des aléas et leur répercussion sur le bâti.

La cartographie de ces aléas se traduit dans la pratique par trois types de mesures (l’expropriation, le délaissement et le renforcement du bâti), adaptables en fonction des risques encourus et de la situation locale. Un tableau de correspondance entre le risque et les mesures à prendre a été produit par le ministère dans un guide (MEDAD, 2007) à destination de ses agents déconcentrés, et que nous avons synthétisé de la façon suivante

Aléas Mesures sur le foncier existant
TF + Expropriation
TF Expropriation ou délaissement selon la situation locale
F + Délaissement
F Délaissement ou renforcement du bâti selon la situation locale
M +/ M/ Fai Renforcement du bâti prescrit ou recommandé selon la situation locale

Figure 3 : Exemple d’application des mesures foncières sur l’existant et l’aménagement futur sur un territoire fictif


Source : Ph. Chagnon, (TVES-ULCO), 2012, d’après le Guide méthodologique des PPRT, MEDAD, 2007.

Le CLIC ou l’information « sans issue »

La phase technique de calcul des aléas et de leur mise en carte fait l’objet d’un « suivi » par le Comité Local d’Information et de Concertation (CLIC), et les données sont présentées lors des réunions plénières de celui-ci. Ce comité se compose de cinq collèges : ceux de l’« administration », des « exploitants », des « salariés », des « riverains » et des « élus ». Chaque collège comprend six membres. Le CLIC, créé par la loi du 30 juillet 2003, est une instance obligatoire, qui a pour objectif d’informer les acteurs locaux sur les risques technologiques. Au-delà de ce rôle d’information sur les installations classées, ce comité a également, selon l’esprit de la loi, pour mission de faire naître, en son sein et en celui de l’ensemble des entités représentées, une « culture du risque ». Cette transmission espérée d’une culture du risque des membres du CLIC à l’ensemble de la société – locale, pour le moins – pose la question de la différence existant entre information et communication. En effet, si les collèges ont été choisis pour représenter au mieux l’ensemble des acteurs concernés localement par le risque technologique, que ce soit au niveau législatif, technique, social ou professionnel, la loi oblige à limiter à six le nombre de représentants par collège mais sans spécifier comment et par qui ceux-ci sont choisis. Cette obligation numérique pose des problèmes de « recrutement » pour certains collèges, qui n’arrivent pas toujours à réunir les six membres nécessaires. C’est le cas, du collège des riverains, qui ne trouve pas souvent suffisamment de volontaires intéressés par ces questions pour participer au CLIC (Nonjon, et al., 2007). Par conséquent, dans les régions où le milieu associatif et militant de défense de l’environnement est actif, c’est habituellement vers lui que les Préfets, responsables de la mise en œuvre de ce comité, se tournent pour représenter les intérêts des riverains au sein du CLIC. Ce faisant, la constitution de ce comité n’échappe pas à ce que Rémy Barbier et Corinne Larue appellent une « gestion néo-corporatiste de l’environnement local », qu’ils définissent comme « une gestion partagée par un nombre relativement limité et stable de « représentants qualifiés » des principaux groupes d’intérêt. » (2011 : 78-79). Nous nous demandons alors si les associatifs, acteurs avertis et documentés sur les conséquences du risque industriel, sont les meilleurs représentants de la population locale. Plusieurs études montrent qu’au contraire la sensibilité du monde associatif local aux questions environnementales et sécuritaires ne correspond pas toujours très bien à la perception des habitants vivant le plus près des usines qui privilégient eux davantage l’aspect économique des industries à ceux des nuisances et risques qu’elle génère (Zwarterook, 2009 & 2010 ; Amalric, et al. 2010).

Par ailleurs, cette question de la représentativité ne se pose pas uniquement pour le collège « riverains », mais également pour le collège « salariés », au sein duquel certains syndiqués ont pu voir dans le CLIC un lieu où prendre la parole et défendre leurs idées face au patronat. Et là, contrairement à ce qui se passe pour le collège « riverains », l’Etat a jugé utile d’intervenir pour réglementer plus précisément la composition du collège « salariés ». Pour remédier à certaines dérives, comme l’utilisation du CLIC pour des revendications syndicales sans liens directs avec la sécurité industrielle, le Ministère a rappelé, par la circulaire du 6 novembre 2007 (1), les attentes et attendus réglementant la composition de ce collège. Le texte, sans viser directement les salariés syndiqués, précise néanmoins que «  plusieurs CLIC ont été constitués avec un collège « salariés » composé de salariés non protégés, c’est à dire n’ayant le statut ni de délégué du personnel, ni de représentant du personnel au CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail). Par conséquent, les arrêtés préfectoraux concernés s’avèrent entachés d’illégalité et doivent donc être retirés au plus tôt. ». La Directive est donnée, au préfet de département, de «régulariser chaque CLIC litigieux », et ce « dans les meilleurs délais ». Il semble clair qu’à travers cette volonté de composer le collège « salariés » uniquement de « salariés protégés », ce soit les syndicalistes non membres de CHSCT ou de CISST qui étaient visés.

Ce manque de représentativité que l’on observe au sein d’un, voire de deux collèges, interroge d’abord sur la légitimité des acteurs à intervenir au nom de leur collège, mais surtout sur la capacité à diffuser largement les informations recueillies. En effet, celles-ci, délivrées dans le cadre des réunions du CLIC et non diffusées directement au « grand public », ne peuvent l’atteindre que par le truchement d’intermédiaires. En nous focalisant sur la question des associations, nous nous interrogeons sur le rôle de « traducteur » qu’elles peuvent jouer alors que pour asseoir leur légitimité auprès des autres acteurs, elles sont à la fois amenées à développer leurs capacités d’expertise (Nonjon, 2006 ; Frère, (coord.), 2012), et à développer un discours et des revendications au moins partiellement en désaccord avec certaines parties de la population. Dans quelle mesure ces associations peuvent-elles encore constituer un relais ascendant (porteur de revendications) ou descendant (de diffuseur de l’information) pour la population ? (Frère, 2005 : 349). A partir de ces éléments, se pose donc une question centrale : comment les informations transmises au sein du CLIC sont-elles diffusées à l’extérieur de cette instance ?

La loi du 30 juillet 2003 donne pour mission au CLIC d’informer sur les installations classées. L’obligation législative est précisée par le décret d’application n°2005-82 du 1er février 2005 relatif à la création des comités locaux d’information et de concertation et par la circulaire d’application de ce décret, datée du 26 avril 2005 et à destination de l’administration. La circulaire définit les domaines de compétences du CLIC et précise notamment son obligation d’information, soit par la diffusion de ses débats, soit par l’organisation de réunions publiques. Certes, cette obligation constitue un progrès indéniable comparativement à la situation antérieure, quand ni les salariés ni les riverains n’étaient associés à la gestion des risques industriels, mais cela suffit-il à dire que le public est informé ? Ne s’est-on pas contenté de rendre disponible l’information, sans la communiquer c’est-à-dire sans se préoccuper de la diffuser largement et sans savoir si le public l’a bien reçue et bien intégrée ?

Cette question est d’autant plus prégnante que le CLIC – dans le cas de Dunkerque mais également dans d’autres régions (Ferrieux et al., 2010) – semble, en termes d’information, se cantonner aux quelques suggestions émises dans cette circulaire : « L’information résultant des débats contradictoires est mise à la disposition du public par tout moyen que le comité juge utile (presse locale, bulletin d’information municipal ou industriel, site internet de la DRIRE [aujourd’hui DREAL] ou du SPPPI lorsque celui-ci existe ou tout autre site utilisé par le CLIC). »

Respectant à la lettre le décret et sa circulaire, les acteurs du CLIC du littoral, ont donc créé un site internet, mis à jour plus ou moins régulièrement, qui explique ce que sont les PPRT, la composition d’un CLIC et mettent à disposition, en libre téléchargement, les comptes rendus des réunions plénières du CLIC.

Communiquer sur le risque industriel : la prudence d’abord

Dans un dossier aussi épineux que celui de l’urbanisation autour des sites industriels classés très dangereux (sites Seveso seuil haut), l’action d’information et de communication auprès du public se révèle être une tâche complexe et aux enjeux politiques sensibles. Comment, en effet, rendre publiques les avancées du travail d’élaboration des PPRT alors que celui-ci peut avoir des répercussions importantes sur la vie quotidienne des habitants ? Comment définir des périmètres de danger entrainant des mesures foncières lourdes, comme le délaissement ou l’expropriation d’habitations proches des sites industriels sans affoler les riverains (la panique des populations dans la communication des risques étant l’un des « mythes » identifié notamment par M. Doré, 2005 : 77-78) ? La sur-réaction possible des habitants de ces territoires face à la procédure technique et administrative est d’ailleurs perçue, par les services de l’Etat chargés d’appliquer cette réforme (Préfet, DREAL, DDTM [Direction Départementale des Territoires et de la Mer]), comme un handicap à la mise en œuvre de ces plans. Ce qui explique que leur approbation est déjà, pour la grande majorité, fortement retardée : (la loi du 30 juillet 2003 prévoyait 420 PPRT en place avant le 31 juillet 2008, or en février 2012, seuls 111 PPRT étaient approuvés. A cette crainte de l’Etat et de ses administrations s’ajoute la prudence des élus locaux qui, tout en souhaitant protéger au mieux leurs concitoyens, ont également pour objectif leur réélection. Le prétexte du « travail technique et administratif en cours » est, comme nous allons le voir, utilisé par nombre d’acteurs des PPRT pour justifier leur impossibilité de rendre public l’avancée des PPRT. Néanmoins quand ce « travail en cours » dure depuis plus de 2 ans, le manque d’informations données au public n’indique-t-il pas une stratégie de rétention ?

Frilosité ou excès de discrétion ?

En observant le fonctionnement du CLIC, l’on s’aperçoit que s’il n’existe pas une vraie volonté de rétention de l’information, certains comportements et attitudes montrent qu’il n’existe pas non plus l’objectif de communiquer vers un public large, c’est-à-dire les riverains des installations classées et les autres habitants de la Communauté Urbaine.

Cette frilosité dans la diffusion de l’information – que l’on peut presque qualifier de « mauvaise volonté » –, ce manque de soin délibéré pour vérifier qu’elle a bien été reçue par le plus grand nombre peuvent se voir à travers trois postures.

D’abord, on peut les mettre en évidence en décryptant l’activité du sous-préfet envers la presse. En effet, celle-ci a longtemps été écartée des invitations lancées par le CLIC pour les réunions plénières. Discutée en réunion, la motion proposant que la presse n’assiste pas directement aux réunions mais qu’elle soit autorisée à interroger les membres du CLIC à leur sortie a été votée par la plupart des membres. Et si les journalistes, informés par certains membres du CLIC, se présentaient quand même, l’entrée de la réunion ne leur était pas interdite, mais la tâche ne leur était pas facilitée.

Le deuxième élément révélateur de la position du CLIC vis-à-vis de la diffusion de l’information, donc de l’établissement d’une véritable communication envers le grand public, concerne les cartes présentant les zones d’aléas. En effet, celles-ci, produites tout au long du processus de concertation par la DREAL et la DDTM, ont toujours été distribuées dans des formats qui empêchaient toute lecture fine de ce qu’elles étaient sensées montrer : les zones d’aléas et donc d’application des restrictions d’urbanisation. Cette cartographie figée et peu lisible a alors été autant source d’information que de désinformation (Cornélis, Billen, 2001 ; Martinais, 2007, Propeck-Zimmermann et al., 2009).

Par ailleurs, le sous-préfet et ses représentants n’ont jamais manqué de réaffirmer l’exemplarité du territoire dunkerquois en matière de concertation sur les activités industrielles, comme pour désamorcer toute revendication sur la question. Comment, avec ces trois structures de concertation que sont le CLIC, la Commission Locale d’Information (pour la centrale nucléaire de Gravelines) et l’un des plus vieux SPPPI de France, peut-on penser que les riverains ne sont pas au courant des risques qu’ils encourent en vivant à proximité des exploitations industrielles ? En somme pourquoi fournir des informations supplémentaires à un public local déjà si averti ?

Cette position est d’ailleurs partagée par la plupart des autres acteurs du CLIC, même si c’est généralement avec beaucoup plus de nuances par les associatifs et les syndicats. C’est ce que montre cet extrait d’entretien du conseiller municipal délégué à l’environnement et aux risques majeurs d’une commune de l’agglomération, lorsqu’il évoque la création du CLIC :

« Parce que c’est dans notre mode de culture ici à Dunkerque. On a une concertation qui a toujours été développée par les différentes instances que l’on a mis en place ; que ce soient les commissions locales d’information pour le nucléaire, les commissions de surveillance pour les autres industries […] Le fait que sur Dunkerque il y ait un S3PI avec toutes ses commissions qui travaillent. Donc on a déjà, on avait déjà développé cet esprit de concertation avec les différents acteurs et les associations de défense de l’environnement. Donc je pense que le PPRT a été dans cette arrivée. » (Enquête E2)

Mais cette autosatisfaction se justifie peu, puisque l’information fournie par le CLIC est incomplète. En effet ne sont pas présents sur le site les comptes rendus des réunions de travail qui se sont tenues au début de la prescription des PPRT de la ZIP (en 2009), ni ceux des séances de travail du comité de liaison depuis que celui-ci s’est formé en 2011. De même aucune date de réunion n’est donnée en amont sur le site Internet, ce qui ne permet de savoir qu’après coup quand se réunit le comité.

Par ailleurs, les phases de « concertation » associant la population à l’élaboration des PPRT, enclenchées ultérieurement, quand le CLIC a fini son travail et donné un avis, consiste en un simple affichage à la mairie de la commune concernée, indiquant que le dossier complet de la phase technique du PPRT est à leur disposition pour une consultation « sur place ». Et ce mode de communication ne semble pas très efficace si l’on se réfère au nombre faible de personnes qui viennent consulter les documents et inscrire des remarques sur le cahier prévu à cet effet.

Cette façon de procéder laisse soupçonner un refus de diffuser largement des données en direction de la population de la commune, car peut-on décemment prétendre avoir informé celle-ci en restreignant la communication au panneau d’affichage de la mairie ?

Cela ressemble à une forme de communication fondée sur un certain mépris du profane que P.-B. Joly critique. Pour éviter que le profane ou l’habitant ne s’inquiètent inutilement, les autorités préfèrent ne pas trop en dire : mieux vaut « confiner les problèmes plutôt que de les rendre visibles » (p. 221). Et quand la communication sur le risque est obligatoire, elle doit parcimonieuse et « à sens unique – puisque les experts n’ont rien à apprendre du public « (p. 221). Cette façon de communiquer, ou plutôt de diffuser de l’information, pour reprendre notre terminologie, était déjà celle que critiquait Patrick Lagadec (1987, p.97), quand il examinait la manière dont avaient procédé les autorités politiques et les industriels lors des graves crises de Seveso (1976), de l’Amoco-Cadiz (1978), Three Mile Island (1979), Mississauga (1979), San Juan Ixhuapetec (Mexico, 1984), Bhopal (1984) et Tchernobyl (1986

Néanmoins, au regard de la loi, le CLIC et les différentes mairies impliquées ont rempli leur mission et le droit a été respecté. Et le manque d’interaction, le manque de « relation à l’autre » que pointe Dominique Wolton (2009), c’est le destinataire de l’information qui s’en voit insidieusement rendu responsable, implicitement accusé de ne pas avoir fait l’effort « d’aller chercher » l’information là où elle se trouve. Dans ce retournement « du stigmate », ou du moins de l’accusation, nous pouvons invoquer le concept « d’activation » généralement utilisé pour analyser les politiques publiques sociales. Dans le domaine du risque, les riverains sont incités à entamer eux-mêmes la démarche de se renseigner sur les risques qu’ils courent du fait de la proximité d’un site Seveso, le bénéfice attendu étant leur éveil à la « culture du risque ».

Une rétention d’information en deux phases

La « mauvaise volonté » ou « frilosité » dans la communication de l’information prend successivement deux formes principales, chacune d’elles étant liée au positionnement d’un acteur particulier.

La première phase est celle qui courre d’avant la prescription (2007) jusqu’à la sortie des cartes d’aléas quasi définitives en mars 2012. Au cours de cette période, ce sont essentiellement les ingénieurs de la DREAL qui ont la main, qui discutent avec les industriels et les cabinets que ceux-ci ont généralement mandatés pour les aider à faire leurs études de dangers. Et ils semblent ne pas aimer que « quelqu’un » – associatif, élu ou autre – « regarde par-dessus leur épaule » pendant qu’ils définissent les probabilités d’occurrences des différents types possibles d’accidents et les cercles de dangers qui en découlent. Leur tendance à la rétention peut se voir alors comme une volonté d’échapper aux questions dont ils n’ont pas forcément encore la réponse. Ou qui pourraient, en cas d’évolution de la carte de dangers, se retrouver vidées de leur sens parce que les habitations, les équipements, les activités économiques qui posaient problème seraient sortis des périmètres. Il est toujours urgent d’attendre pour communiquer dans le détail, et vérifier que la part d’information que l’on a laissé passer a été bien reçue.

Cette volonté de travailler en petit comité, entre industriels et fonctionnaires d’Etat peut se comprendre, puisqu’elle évite de provoquer des oppositions qui n’auront peut-être plus lieu d’être quelques semaines ou mois plus tard. Néanmoins c’est elle qui fait soupçonner aux associatifs qu’il y ait collision entre industriels, fonctionnaires de la DREAL et élus, que l’on travaille à l’envers de ce qu’il devrait selon eux se faire. Ils suspectent que l’on définisse d’abord les parties de territoire dont on ne veut ni bouleverser l’occupation ni geler le développement, pour ensuite seulement réfléchir à comment, en modifiant les processus de production et les formes de stockage, on peut arriver à ce résultat. D’ailleurs, ce soupçon va peut-être au-delà du monde associatif, puisque même certains personnels de la DDTM ont, au cours des entretiens que nous avons eu avec eux, estimé que l’on restreint trop la communication à ce niveau et avoué avoir fait circuler de l’information supplémentaire (voir infra).

La deuxième phase est celle où les périmètres de sites isolés sont définitifs et où celui du multi sites est quasi définitif. A ce moment-là, les ingénieurs et cadres de la DREAL, de la DDTM ont quasiment fini leur travail, et l’affaire devient alors surtout celles des élus territoriaux. Ceux-ci doivent décider s’ils veulent peser pour utiliser les marges de manœuvre qui existent dans la réglementation de l’usage des différentes zones : faut-il la rendre plus sévère (interdire également, par exemple, les activités économiques dans les zones TF, où seules les habitations sont obligatoirement en délaissement) ou au contraire être le plus souple possible?

Les élus territoriaux doivent surtout, dans cette phase, répondre aux inquiétudes de leurs concitoyens à propos de l’indemnisation des expropriés, des aides financières à destination de ceux qui seront soumis au renforcement de leur habitation, etc. Et comme ils n’ont pas encore de réponse à toutes ces questions (notamment parce que le législateur n’a pas encore tranché définitivement), c’est à eux maintenant de freiner la diffusion des informations, de pratiquer la rétention.

Une demande d’information peu pressante

Cette « mauvaise volonté » dans la diffusion des informations sur l’établissement des PPRT existe incontestablement, néanmoins peu d’habitants tentent de la bousculer. Et si la population se montrait plus curieuse en affichant une vraie volonté d’accéder aux informations (comme c’est le cas dans les Bouches-du-Rhône où les riverains se sont constitués en association) et si elle protestait pour obtenir de l’information sur les PPRT de manière plus efficace, elle ne serait pas totalement démunie face à la DREAL et aux élus territoriaux.

Il existe donc, et nous l’avons constaté (Zwarterrok, 2009), une certaine inertie de la population par rapport aux risques industriels ; quelque chose que l’on pourrait presqu’appeler une « volonté de ne pas savoir ». Globalement – même s’il existe des minorités qui ne vont pas dans ce sens – il existe une sorte de consensus teinté de fatalisme autour de la place de l’industrie dans le Dunkerquois (Flanquart, 2012). L’industrie y est implantée de manière massive depuis la fin de la seconde guerre mondiale, elle a aidé une ville détruite à 70% à la sortie du conflit à se reconstruire et à retrouver une certaine prospérité, et même si depuis la fin des années 1970 les effectifs employés dans ce secteur baissent, elle constitue encore le cœur de l’activité économique du territoire. Directement ou indirectement (par les activités de service qu’elle génère), elle fait vivre une part importante de la population. La plupart des habitants de la CUD sont convaincus que le territoire ne peut exister, connaître un minimum de prospérité sans industrie (Zwarterook, 2009).

La figure 4 montre bien que lorsqu’on les interroge sur les usines de l’agglomération, les habitants choisissent à la fois des items qui sont négatifs (« sont nuisibles à la santé », « sont nuisibles à l’environnement »…) et, dans une proportion presqu’aussi importante, des items positifs (« sont sources d’emploi », « sont indispensables à l’économie/sont productrices de richesse »…). L’industrie Seveso, tel Janus, possède deux visages : l’un généreux puisqu’il donne de l’emploi, l’autre inquiétant puisqu’il peut donner la mort. Ainsi les Dunkerquois pensent majoritairement que l’on ne peut supprimer le second sans faire aussi disparaître le premier.

Figure 4 : La perception de l’industrie par les habitants de l’agglomération dunkerquoise (Enquête E1)


[5 choix ordonnés possibles parmi 8 items] Source : IMN, 2008.

La dépendance économique du territoire vis-à-vis de l’industrie, réaffirmée régulièrement par ses édiles, explique que ses habitants se montrent plutôt attentistes en matière de sécurité industrielle, et globalement peu désireux d’en savoir plus.

Cela ne veut pas dire que la population se désintéresse complètement de ces encombrants voisins que sont hauts-fourneaux, vapocraqueurs et autres installations dangereuses, qu’elle est totalement passive vis-à-vis des risques et des nuisances engendrés par les industries. Mais elle a tendance à se focaliser plus sur celles-ci que sur ceux-là, parce qu’elle peut penser que les réduire est possible sans que cela entraîne forcément le départ des usines, et aussi, surtout, parce que cela concerne beaucoup plus son quotidien. Si les nuisances sont réelles et perceptibles, les risques ne relèvent pas de l’univers des probabilités, ils appartiennent à un futur incertain et plus ou moins lointain. Pour la majorité de habitants de l’agglomération, ce sont les poussières, les suies, les fumées nauséabondes, les bruits de tôle tombant sur le sol dans les sites métallurgiques qui gâchent le quotidien, pas une très hypothétique explosion. Cette focalisation sur les nuisances au détriment du risque se constate quand on regarde la fréquentation assez assidue de la commission « air, odeurs et bruits,» du SPPPI, alors que les autres sont plutôt délaissées.

La demande d’informations sur le risque industriel par les habitants est assez peu soutenue, et s’adapte donc assez bien à une offre peu généreuse. Cette faible recherche d’information, fondée sur le consensus dunkerquois autour de la nécessité économique de l’industrie pour le territoire, explique en grande partie ce que nous avons expliqué en début d’article, c’est-à-dire que les riverains volontaires pour siéger dans les CLIC sont difficiles à trouver. Et les associatifs qui comblent ce manque ne produisent pas forcément un discours et des revendications en résonnance avec ce que veulent les habitants. Ce dont ils sont d’ailleurs conscients, puisqu’au cours d’un entretien, le président de la fédération d’associations environnementalistes locales fait un constat désabusé sur l’implication des habitants dans les questions de gestions de risques industriels ; qui, quand elle existe est surtout tournée vers leurs propres intérêts:

« Je dirais que la population, soit elle va être sensibilisée parce qu’elle est très concernée par rapport à son propre habitat, parce qu’elle est propriétaire et qu’elle s’interroge sur les mesures qu’elle doit prendre ou simplement si son bien pourra être vendu à la même valeur ou pas. Ou quand même elle s’intéresse à son sort et peut se poser des questions sur les risques encourus pour sa vie. Mais sinon la majorité des habitants de l’agglomération, ils ont l’habitude de vivre avec ce risque quotidien. Je pense. Vous demandez, place Jean Bart [place centrale de Dunkerque], ‘’qu’est-ce qu’un PPRT’’, je ne suis pas sûr que [le taux de bonnes réponses] soit très élevé. » (Enquête E2)

En décalage avec ceux qu’ils sont censés représenter, porter la parole, les militants associatifs ont eu d’ailleurs tendance – comme toujours dans ce genre de situation – à se « professionnaliser », à manier de plus en plus le langage des experts (Flanquart et Lafaye, 2002). Aussi, même si leurs positions au sein du CLIC restent en tension avec celles des autres acteurs, voire les conduisent à des « escarmouches » récurrentes, ils sont poussés à ne pas enfreindre, sous peine de mise à l’écart, les normes informelles du groupe, dont une des plus importantes semble bien être de ne pas trop parler à l’extérieur de ce qui se passe à l’intérieur. Et le fait qu’ils se fassent peu d’illusions sur l’écho et le soutien à leurs positions qu’ils pourraient trouver chez les riverains et habitants de la Communauté urbaine finit de les dissuader de mettre en œuvre une politique de communication efficace auprès de la population locale. Les militants environnementalistes ne représentent donc pas la « marche » intermédiaire qui, selon la théorie du « two step flow of communication » (Katz et Lazarsfeld, 2008 ; Katz, 1973) permet à l’information de descendre de sa source vers ceux à qui elle est destinée. Leur position trop décalée – parce que privilégiant par trop l’environnement au détriment de l’emploi – par rapport à la majorité des habitants de l’agglomération, en fait des « guides d’opinion » assez peu écoutés.

Conclusion

La situation que nous avons étudiée souligne la faiblesse de l’information et de la communication. D’abord, on peut dire que l’information qui sort du CLIC est une information tronquée, puisqu’ on essaie d’en contenir l’ampleur et la précision. Ensuite, il n’y a pas de véritable communication : la teneur des débats qui ont lieu au sein du CLIC et les décisions qui y sont prises ne sont pas diffusés le plus largement possible, pour que le maximum d’habitants de l’agglomération se les approprie, voire les discute. A travers l’analyse des entretiens qui ont été réalisés et de notre observation des débats du CLIC, les raisons les plus souvent invoquées pour expliquer que les limites de la communication tournent autour de deux thèmes : laisser travailler les experts sans interférences de « profanes » et éviter d’inquiéter inutilement les habitants. On doit éviter de les inquiéter trop vite, alors que l’on n’a pas encore de réponses à leurs questions, ou alors des réponses que l’on suppose qu’ils seraient incapables de comprendre (Joly, 2003).

Néanmoins, ces raisons, même si elles ont leur part de réalité, peuvent laisser sceptiques certains. Comme ce fonctionnaire de la DDTM, qui, lors d’un entretien fait l’éloge du débat public et n’hésite pas à remettre en question la description idyllique de Dunkerque territoire modèle de la concertation autour du risque industriel et d’en rendre responsable les élus :

« Si vous voulez, ce qui manque dans ce type de – c’est pour ça que moi j’ai beaucoup apprécié le débat public ; le débat public, ça oblige à un moment donné, […] – et c’est pour ça que les élus ne l’aiment pas, d’ailleurs, ils n’aiment pas la démocratie participative en général, parce que ça oblige à dire les points de vue qu’on retient et ceux qu’on [évacue]. » (Enquête E3)

Dans le cas des PPRT, communiquer les informations données au sein du CLIC reviendrait à expliciter publiquement la façon dont ce comité définit le « risque », laissant alors transparaitre le fait que les enjeux économiques et politiques peuvent être des « risques » plus pressants que le risque industriel.

Les seuls acteurs du CLIC qui pourraient obliger à communiquer plus complètement sur ce qui se passe au sein de ce comité sont les militants associatifs. Or, comme nous l’avons vu, ils ne le font pas, ou peu, pour deux raisons. D’abord parce qu’ils sont un peu « piégés » par les normes de l’entre-soi de ce groupe d’« experts » du risque industriel qu’ils ont intégré, même si c’est en marquant régulièrement leur différence et de manière plutôt conflictuelles. Ensuite parce que ce n’est pas vraiment leur intérêt que de le faire, puisqu’ils courraient le risque de faire apparaître qu’ils sont peu représentatifs des habitants. Ce qui poserait problème si l’on passait de l’information à la vraie communication, puisqu’ils ne pourraient constituer l’unique relais vers la population, d’autres seraient alors nécessaires.

Notes

(1) Circulaire du 6 novembre 2007 relative aux établissements classés « Seveso seuil haut », à la création des CLIC et à la constitution du collège salariés.

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Auteurs

Mylène Chambon

.: Mylène Chambon est chercheuse post-doctorante en anthropologie, CNRS/MESHS (IRENI, TVES, EA 4477 PRES Lille Nord de France).

Hervé Flanquart

.: Hervé Flanquart est maître de conférences en sociologie, TVES-ULCO (TVES, EA PRES Lille Nord de France, ULCO).

Irénée Zwaterook

.: Irénée Zwaterook est le nom est d’un collectif de chercheurs composé de : Iratxe Calvo-Mendieta, Maître de Conférences en économie, TVES-ULCO ; Mylène Chambon, chercheuse post-doctorante en anthropologie, CNRS/MESHS ; Hervé Flanquart, Maître de Conférences en sociologie, TVES-ULCO ; Séverine Frère, Maître de Conférences en aménagement et urbanisme, TVES-ULCO ; Christophe Gibout, Professeur des Universités en aménagement et urbanisme, TVES-ULCO ; Anne-Peggy Hellequin, Maître de Conférences en géographie, TVES-ULCO ; Antoine Le Blanc, Maître de Conférences en géographie, TVES-ULCO ; Constantin Napoléon, Maître de Conférences en Economie, TVES-ULCO ; Caroline Rufin-Soler, géographe, Ingénieur de recherche, IRENI.