Pour une approche asiatique de la communication de crise, ou comment sortir grandi de l’épreuve
Résumé
La culture occidentale a tendance à rejeter les événements critiques comme de néfastes éléments perturbateurs, quand d’autres voient en eux l’opportunité d’un bénéfique renouveau. Il faut peut-être remonter aux fondements de la pensée rationaliste, sous la Grèce antique, pour comprendre l’origine des réticences au changement et des stratégies de défense frontales qui conduisent souvent entreprises et institutions à l’échec, lorsque surgissent des menaces majeures. De fait, nombre d’orientations choisies dans le cadre de la gestion et de la communication de crise se révèlent inefficaces, voire contre-productives, et cela apparaît partiellement imputable à l’ »état d’esprit » singulier, volontiers binaire, qui anime la plupart des décideurs. Après avoir analysé les caractéristiques du modèle stratégique occidental, nous proposerons un mode de gestion des crises inspiré de la philosophie mais aussi de l’art militaire asiatiques, consistant à prendre appui sur l’obstacle plutôt qu’à le combattre, et à adapter son mode de communication de manière à en tirer avantage.
In English
Abstract
The western culture tends to reject critical events, considering them as fatal disruptive elements, when many others cultures see in the crisis the opportunity of a positive revival. It is maybe necessary to analyse the bases of the rationalist philosophy and of the logic, during greek antiquity, in order to understand the origin of this refusing in change and the frontal strategies in a defensive objective which often lead to fail, when arise major threats. Actually, many orientations chosen by the western organisations to manage a crisis and to communicate about it are ineffective, even counterproductive. And this seems partially attributable in the binary « state of mind » which leads most of their decision-makers. After having analyzed the characteristics of the western strategic model, we shall propose a mode of management of the crises inspired by the asiatic philosophy, but also by the asiatic art of warfare, consisting in taking support on the obstacle rather than in fighting it, and in adapting its mode of communication so as to take advantage of it.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Bryon-Portet Céline, « Pour une approche asiatique de la communication de crise, ou comment sortir grandi de l’épreuve« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/1, 2011, p.33 à 50, consulté le samedi 9 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/varia/03-pour-une-approche-asiatique-de-la-communication-de-crise-ou-comment-sortir-grandi-de-lepreuve/
Les crises et leur gestion
Des conséquences du rationalisme sur la pensée stratégique occidentale : quand la réflexion s’enferme dans des systèmes dualistes et des schémas intellectuels figés
La pensée grecque et, partant, la civilisation occidentale qui en est largement issue, se sont construites sur un rationalisme empreint de dualisme à partir du Vème siècle avant Jésus-Christ, ainsi que le rappelle le spécialiste de l’hellénisme Jean-Pierre Vernant (Vernant, 1997). La constitution d’une science démonstrative avec Euclide notamment, la toute-puissance du sujet raisonnant, mais aussi la primauté des Idées sur les événements matériels aux fluctuations éphémères dans la philosophie socratique, ont façonné un état d’esprit singulier. Si ce dernier est propre à stimuler la curiosité intellectuelle, à favoriser la connaissance, à contribuer aux grandes entreprises édifiantes de conceptualisation et de développement des savoirs, il semble à l’inverse peu apte à accepter et à accompagner le changement dont est jalonnée l’existence humaine. La vérité telle que la conçoivent Platon et son maître s’oppose à l’univers mouvant de leur ancêtre Héraclite : excluant le devenir inhérent au monde phénoménal, bannissant les manifestations sensibles au profit des abstractions, elle se veut idéale, éthérée, absolue, unique, universelle et surtout immuable. L’influence de ce modèle cognitif fut telle que celui-ci se répandit tout autour du bassin méditerranéen, et qu’on retrouve la trace de ses postulats essentiels jusque dans la religion judéo-chrétienne, comme le démontra Friedrich Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles notamment. C’est dire combien les racines de ce qui se présentait, au siècle de Périclès, comme une véritable « révolution culturelle », selon la formule de Jean-Pierre Vernant, se sont durablement ancrées dans notre patrimoine intellectuel et notre manière d’appréhender le réel.
La logique d’Aristote trans-forma à son tour les mentalités de l’ère préchrétienne de façon décisive. Emile Durkheim voyait dans cette propension à désigner, réguler et figer les « propriétés les plus universelles des choses » un acquis tellement positif qu’il la qualifiait d’« ossature de l’intelligence » (Durkheim, 1968, p.12-13), et Lucien Lévy-Bruhl à son tour opérait une distinction qualitative entre l’indigence intellectuelle supposée des sociétés primitives prélogiques, et la supériorité prétendue des sociétés dites « évoluées » détentrices de cet outil d’analyse. Pourtant, les conséquences négatives de cette démarche catégorielle sont également nombreuses. La logique, en effet, a encore contribué au renforcement des résistances dont la culture occidentale faisait preuve face au changement, tant il est vrai que toute modification dans la structure de l’expression et « le système des communications a nécessairement d’importants effets sur les contenus transmis », comme le souligne Jack Goody (Goody, 1979). Le formalisme aristotélicien a largement participé à fonder un mode de raisonnement strict et rigoureux qui donna naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui l’esprit scientifique, mais la rigidité de ses règles se révèle limitative. Réduisant le champ des possibles dont l’imagination humaine – cette « folle du logis » que discrédite une tradition séculaire – ouvre les portes, il constitue un frein à la pensée créative et aux processus d’innovation. Ce n’est probablement pas un hasard si la culture chinoise, dotée d’un mode d’écriture idéographique qui était initialement pictographique, donc très concret et figuratif, est davantage tournée vers le symbolisme : polysémique par essence, ce dernier ne livre jamais son sens directement et par avance, mais fait intervenir un imaginaire souple, inventif, adaptatif, propre à saisir la diversité et la complexité du mouvant (à propos des répercussions de ce passage des démarches prélogiques aux démarches logiques, on se reportera par exemple aux travaux de Lucien Lévy-Brulh (Lévy-Bruhl, 1910).
Un tel formalisme logique impose à notre quotidien, mais aussi à notre structure mentale, des généralisations normatives, c’est-à-dire un ordre parfois arbitraire, étranger à la nature des choses. Ce traitement totalisant de l’information s’efforce d’universaliser le particulier, d’abstraire le concret, d’homogénéiser des éléments hétérogènes, dans un vaste mouvement de décontextualisation et de dépersonnalisation du savoir. Il organise, unifie artificiellement des données disparates en leur conférant une apparente cohérence. En emprisonnant l’intellect dans le carcan des schémas préétablis, cette « pensée domestiquée » que certains anthropologues ont opposée à la « pensée sauvage » que Claude Lévi-Strauss a définie, permet certes d’élaborer de solides systèmes architectoniques (aussi les mathématiques et l’ordinateur doivent-ils beaucoup à la logique binaire !) ; mais ceux-ci sont irrémédiablement finis, leur prétention à l’exhaustivité les rend inaptes à la compréhension des phénomènes évolutifs et souvent imprévisibles dont notre réalité est majoritairement constituée. Ainsi cette tendance spécifique des traditions écrites, et qui plus est des traditions écrites de type alphabétique, cette « raison graphique » telle que l’a baptisée Jack Goody, se trouve-t-elle encore accentuée dans la culture occidentale, de par l’ultra-rationalisme qui caractérise son mode de réflexion et d’énonciation. Le principe de contradiction élaboré par le penseur stagirite, expression ultime de la pensée taxinomique, illustre parfaitement cet état de fait. L’étroitesse dichotomique, exclusive, à laquelle aboutit le dilemme « ou bien », « ou bien », frappe de nullité la saisie des phénomènes intermédiaires échappant à toute classification conceptuelle et pétrification langagière, du type de ceux que la physique quantique a mis en exergue au vingtième siècle (1) . Elle rend également impossible le choix d’une troisième voie ou voie du milieu, que l’Asie développa quant à elle à travers l’alchimie chinoise et le bouddhisme, notamment.
Dans la seconde partie du dix-neuvième, Friedrich Nietzsche avait déjà fait la critique des catégories logiques et des structures grammaticales (du type « sujet-verbe-prédicat ») qui sont les nôtres. Philologue de formation, il démontrait comment elles entretenaient un rationalisme dualiste source de nombreuses erreurs, conditionnant tant notre façon de réfléchir, de dire et de nous représenter le réel (créant l’illusion d’un finalisme et d’un déterminisme, la conviction d’une relation sujet-objet, cause-effet), que notre comportement face aux événements. La langue y apparaissait ainsi tout à la fois comme un instrument et un miroir des oppositions consacrées par la métaphysique grecque, par les liens qu’elle entretenait avec la production du sens. N’était-ce pas déjà, dans une certaine mesure, la mise en évidence de ce que nous appelons aujourd’hui, aux côtés de Régis Debray, la « logosphère » ? Dans l’un de ses articles, Emile Benveniste en arrivait à des conclusions identiques, démontrant que quand Aristote pensait énoncer les conditions de validité de tout raisonnement humain, il avait en fait retranscrit les catégories grammaticales de la langue grecque (Benveniste, 1966, p. 63-74). Plus récemment, les études de Benjamin Lee Whorf sur la relation existant entre structures grammaticales et processus cognitifs, qui radicalisèrent l’hypothèse d’Edward Sapir, allaient dans le même sens que celles du philosophe allemand (Lee Whorf, 1969). Par leur caractère pré-définitoire, ces cadres de la pensée, que Thomas Samuel Kuhn étudia par la suite sous le terme de « paradigme » dans une perspective épistémologique (Kuhn, 1999), ont des conséquences globalement néfastes sur les modèles stratégiques communément établis, que ceux-ci fussent de nature militaire, politique, socio-économique, commerciale ou encore organisationnelle.
Le domaine de la communication, et notamment de la communication de crise, ne fait pas exception à la règle de ce que l’on pourrait nommer une idiosyncrasie occidentale, laquelle dépasse largement les conditions d’accès au savoir, allant jusqu’à façonner ce même savoir et l’utilisation que l’on en fait (2). La plupart des stratégies mises en place lorsque surgit une situation critique se révèlent être des stratégies binaires, comme nous tenterons de le démontrer dans le cours de notre analyse. Elles utilisent des méthodes directes, élaborant une série d’actions qui consistent à nier la menace ou au contraire à la combattre frontalement, sans égard pour la singularité que celle-ci présente. La première option a trait à l’angoisse liée à tout ce qui peut être porteur de changement ; la seconde, découlant d’une décision de surmonter l’épreuve, est animée d’une double présomption : la croyance en la supériorité de la volonté humaine sur le cours des choses (cette « volonté de puissance », décrite par Friedrich Nietzsche, est également une composante particulière de la culture occidentale, si on la compare à la sagesse du « laisser-faire » ou du « lâcher-prise » présente en Orient, dans le Tao par exemple, et qui est totalement étrangère aux peuples du soleil couchant), et la conviction que cette supériorité ne peut s’exprimer qu’en faisant face à l’objet menaçant.
D’aucuns feront cependant remarquer à juste titre que les traités de polémologie et les livres d’histoire occidentaux abondent en anecdotes qui font la part belle au détournement, au contournement ou à la diversion, bref à la stratégie indirecte, dont Basil Liddell Hart reconnaît la précellence dans son célèbre ouvrage consacré à la stratégie et à la tactique militaires. L’officier et historien anglais étend même cette suprématie à tous les domaines de la vie, affirmant qu’« on convertit plus aisément et plus rapidement par les insinuations discrètes d’une idée différente ou par une argumentation qui tourne le flanc d’une opposition instinctive. L’approche indirecte est aussi fondamentale dans le domaine de la politique que dans celui de la sexualité » (Liddell Hart, 1998, p. 70). Inspirée des enseignements de Sun Tzu, qui déclare dans L’Art de la guerre que « dans tout conflit, on peut recourir à la méthode directe pour marcher à la bataille, mais les méthodes indirectes sont nécessaires pour remporter la victoire », ce type de stratégie fut rapidement adopté par les grands chefs militaires occidentaux, au point d’en devenir banal. Lors des conflits, en effet, on recourait tellement à la méthode indirecte que Napoléon Bonaparte lui-même utilisa des stratégies directes dans certaines de ses batailles, convaincu, à juste titre, que la simplicité de son action paraîtrait tout à fait improbable à l’ennemi, et créerait ainsi un avantageux effet de surprise. La raison pour laquelle l’approche indirecte fut si facilement assimilée par les nations héritières du platonisme est somme toute assez simple : elle ne contrevient pas au rationaliste binaire. Mieux, elle se présente comme l’une de ses expressions possibles (au même titre que le l’hyper-matérialisme s’inscrit dans le cadre d’un idéalisme radical et manichéen, de manière réactionnelle), si l’on accepte de voir dans la stratégie indirecte l’autre pendant de la stratégie frontale, son contradictoire ou son double inversé. Autant dire qu’elle reste enfermée dans un schéma dualiste dont elle renverse seulement les termes, sans en transmuter la substance.
En son enfance, la Grèce faisait également usage de la ruse, dont l’essence paraît plus fondamentalement différente de l’approche indirecte dans la mesure où elle forge une grille de lecture novatrice, inventive, par rapport à la situation au sein de laquelle elle s’inscrit. Le personnage d’Ulysse, immortalisé par Homère, est à cet égard emblématique. L’habileté de ses actions transcende la notion même d’approche directe / indirecte, pour se rapprocher d’une conception asiatique de la crise, que nous développerons à la fin de notre étude. Mais il convient de rappeler que les temps homériques divergent des siècles qui leur ont succédé, et qui ont fondé notre culture actuelle. Les récits d’Homère ou encore d’Hésiode faisaient appel, comme tous les récits présocratiques, à la fertilisante imagination. Encore influencés par la civilisation mycénienne et sa philosophie orientaliste, ils entretenaient des liens étroits avec un esprit d’inventivité permanent et spontané. Au siècle de Périclès, la raison l’emportera définitivement sur le rêve, le logos sur le muthos, le concept sur le symbole, l’être sur le devenir, l’intelligence solaire, technicienne et calculatrice d’Athéna sur la sagacité mouvante, multiple, polymorphe et adaptative de Mètis. A propos de celle-ci, Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant déclarent que « cette forme d’intelligence a été, à partir du Vème siècle, refoulée dans l’ombre par les philosophes ». Et d’ajouter : « au nom d’une métaphysique de l’être et de l’immuable, le savoir conjectural et la connaissance oblique des habiles et des prudents furent rejetés du côté du non-savoir » (Détienne ; Vernant, 1974). Ce parti pris, privilégiant l’esprit de catégorisation systématique, pèsera sur l’Occident pendant plus de deux millénaires, précisent les deux auteurs. Un point de vue que partage également l’anthropologue britannique Arthur Maurice Hocart, qui développe tout un chapitre autour du dualisme sur le thème « la complémentarité du bien et du mal échappe aux Occidentaux », dans l’une de ses études consacrées aux rites (Hocart, 2005, p. 174).
Le rôle de la communication dans la crise et les échecs liés au refus du changement
Nombreux sont les exemples attestant d’une attitude de rejet viscéral de la crise et d’un traitement binaire de la sphère événementielle. Parmi ceux-ci figure la communication adoptée par Total-Fina-Elf lors du naufrage de l’Erika, en 1999. Devant l’ampleur du désastre que la marée noire entraîna, la direction de la compagnie pétrolière se mura d’abord dans un silence forcené, sur les conseils mal avisés de son Directeur de la communication, Michel Delaborde. Si quelques exemples attestent, certes, d’une possible gestion de crise par le silence (Gomez Mont, 1999, p.174), ceux-ci demeurent néanmoins assez rares, et « ne s’avèrent efficaces que dans des circonstances bien précises ». Par ailleurs, le silence ne peut constituer qu’un « point de suspension provisoire », et est inopérant lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’activités et d’institutions à « risques technologiques » et environnementaux, ainsi que le fait remarquer Bertrand Cabedoche (Cabedoche, 2003, p. 231). Le silence, qui s’apparente souvent au secret dans l’inconscient collectif, expose la plupart du temps les institutions à la suspicion des journalistes et du public, qui s’interrogent sur les raisons de ce refus de communiquer. C’est ce qui se passa pour Total-Fina-Elf. Cette première erreur fut suivie d’une deuxième bévue. Prenant ensuite conscience des dégâts que ce refus de dialogue provoquait sur l’image de l’entreprise, mais également sous une pression médiatique croissante, Michel Delaborde décida enfin de s’exprimer. Mais il continua de s’enferrer dans la mauvaise voie, son discours consistant alors à nier en bloc toute responsabilité de Total dans le désastre écologique qui scandalisait l’opinion, alors même que les résultats de l’enquête en cours n’étaient pas rendus et que tout portait à croire l’inverse (plus récemment, France Télécom adopta une similaire posture de déni quant à une hypothétique pathologie sociale au sein de l’entreprise, et cela malgré le nombre croissant de suicides qu’elle connaissait). Par la suite, l’évidence obligea l’entreprise à admettre sa responsabilité dans de nouveaux communiqués de presse, contredisant ainsi les premières déclarations. Cette discordance des messages émis décrédibilisa la Direction.
La mauvaise communication de Total a donc lourdement aggravé la crise. La position qui fut la sienne nous semble parfaitement illustrer ce mode de réflexion que nous sommes efforcée de mettre en exergue et qui, s’il ne constitue pas une règle absolue de la pensée occidentale, manifeste néanmoins une tendance assez marquée. Rejetant instinctivement le danger au lieu d’envisager la manière de gérer au mieux la crise, la Direction se cantonna à une vision binaire du monde, comme si la problématique ne pouvait se poser qu’en des termes contradictoires : « non, nous ne sommes pas responsables », « oui nous sommes responsables ». Or une telle conception de la crise n’est pas seulement réductrice – pour ne pas dire simpliste –, elle est aussi préjudiciable car elle occulte les solutions alternatives, au risque de faire perdre toute légitimité institutionnelle par les incohérences qu’elle entraîne. A cet égard, la communication de crise que Shell élabora lors du naufrage du Ievoli Sun en 2000 fut beaucoup plus adroite que celle de sa consœur. S’appuya-t-elle sur l’expérience malheureuse que Total connut un an à peine auparavant ? Quoi qu’il en soit, l’entreprise fit montre d’une excellente réactivité en matière de communication. Le Président de Shell se rendit en personne sur les lieux du sinistre, reconnut la responsabilité de la multinationale, présenta ses excuses à la population et fit immédiatement débloquer des fonds pour réparation. Son attitude – sincère ou de circonstance – donna au public le sentiment d’une direction humaine, courageuse, honnête et transparente, de surcroît capable de compassion, ce qui limita quelque peu les effets négatifs de l’accident. Cependant, force est de constater que la stratégie de Shell, si elle a accepté les règles du jeu de la crise et affronté bravement l’obstacle, est demeurée attachée à une vision fataliste, dichotomique (accepter/refuser), et frontale (faire face à l’épreuve de manière franche et directe). En un sens, elle est restée dualiste dans sa gestion.
L’affaire du Rainbow Warrior témoigne elle aussi d’un tel formatage de la pensée. Lorsque Greenpeace tenta de s’opposer aux essais nucléaires français en mouillant son bâtiment maritime dans les eaux de la Nouvelle-Zélande, en juillet 1985, la DGSE, alors dirigée par l’amiral Lacoste, contre-attaqua brutalement, sur ordre du président François Mitterrand et du ministre de la Défense Charles Hernu. Une opération fut organisée dans le plus grand secret, mais surtout dans la plus grande précipitation, trahissant un manque d’anticipation évident. Mal conçu, réalisé sans la préparation nécessaire à ce genre de projet, le sabotage du Rainbow Warrior tourna vite à la tragédie. Les prétendus époux Turinge, qui étaient en fait des agents spéciaux nommés Dominique Prieur et Alain Mafart, furent chargés de diriger la mission de destruction du navire-amiral de Greenpeace. Selon les directives reçues, une équipe de plongeurs fixa deux charges explosives sous la coque du bâtiment. L’une, de faible intensité, était destinée à semer la panique à bord afin de faire évacuer le Rainbow Warrior, l’autre, plus puissante, devait faire couler ce dernier par le fond. Malheureusement, un photographe, revenu sur les lieux après la première détonation, fut tué lorsque la seconde éclata (Mafart, 1999). Rapidement, les diverses pistes de l’enquête menée par les services néo-zélandais convergèrent vers les époux Turinge, dont la fausse identité fut démasquée. Lorsque le capitaine Dominique Prieur et Alain Mafart se trouvèrent inculpés, la France se hâta de nier toute implication dans l’affaire et abandonna ses deux agents à leur triste sort. Elle provoqua ainsi une crise de confiance au sein du personnel de la DGSE, mais également de la population française, bientôt alertée du mensonge gouvernemental par les médias qui remontèrent la piste jusqu’aux services secrets, puis dévoilèrent le pot aux roses (Merveilleux de Vignaux, 2007). La crise était alors à son comble, et devint une véritable « affaire d’état ». Acculé, confronté à ses propres contradictions, le gouvernement avoua finalement son implication dans l’explosion du Rainbow Warrior, et par conséquent sa responsabilité dans la mort d’un innocent. Jugée par l’ONU, la France dût présenter des excuses officielles à Greenpeace ainsi qu’à la Nouvelle-Zélande, et fut condamnée à verser d’importantes réparations financières.
La stratégie de la DGSE répond en tous points au modèle direct et binaire que nous avons défini : manque d’anticipation, destruction brutale du bâtiment, refus de la crise par le déni, puis reconnaissance des responsabilités. L’affaire des disparus de Mourmelon, qui éclata au début des années 1980, lui fait écho. L’enquête concernant la disparition d’une dizaine d’individus, appelés du contingent et soldats pour la plupart, fut relancée avec l’arrestation de Pierre Chanal en 1988. Cet instructeur dans un régiment de l’armée de terre avait été interpellé alors qu’il venait de violer et de torturer un jeune Hongrois. Les deux dossiers furent mis en relation et les soupçons concernant l’auteur des disparitions de la Marne se portèrent naturellement sur l’adjudant-chef condamné, que de nombreuses preuves semblaient accabler. Le suspect fut donc mis en examen puis en détention, mais le procès s’éternisa et se solda par le suicide du détenu en 2003. Au-delà de la trame événementielle, il convient de s’attarder sur la position qui fut celle de l’armée depuis les débuts de l’affaire. Tout d’abord, l’institution militaire se garda de signaler les disparitions, en concordance avec sa réputation de Grande muette. Lorsque les médias s’emparèrent du sujet, elle affirma la thèse de la désertion, préférant rejeter la faute sur les appelés plutôt que de risquer la mise en cause d’un élément interne, et cela même si les faits (certains des corps des disparus furent retrouvés), ainsi que les témoignages des proches des victimes, paraissaient démentir les affirmations des autorités militaires. André Giraud, ministre de la Défense, accrédita et relaya d’ailleurs lui aussi la fantaisiste thèse de la désertion. De ce fait, aucune protection à but préventif ne fut mise en place après les premières disparitions, alors même que celles-ci suivaient un canevas identique : tous les disparus, en effet, s’étaient évanouis dans la nature alors qu’ils étaient en permission et faisaient du stop pour rejoindre le domicile familial. Enfin, lorsque les journalistes et familles de victimes commencèrent à alerter l’opinion, et qu’une enquête fut ouverte, l’armée, craignant de voir son image salie, freina constamment l’avancée des investigations. Certains allèrent même jusqu’à parler « d’obstruction », et cet entêtement, initialement destiné à protéger l’image de l’armée, ne fit que la desservir davantage, donnant lieu aux caricatures les plus sévères :
Illustration – Le Canard enchaîné, 31 août 1988
Pour conclure sur les errements auxquels aboutit ce type de modélisation, rappelons le constat que Jean Bazin et Alban Bensa émettent à propos du formalisme rationaliste à l’œuvre dans la culture occidentale, et qui nous paraît résumer fidèlement l’inadéquation d’une logique binaire avec la pensée stratégique, notamment relative aux crises : « la symétrie impose ses propres effets de pensée : entre les termes mis en colonne, la relation tend à n’être que de contradiction ou d’équivalence ». Et de mentionner ensuite « les incohérences ou les contradictions qu’engendre l’utilisation de mêmes schèmes classificatoires dans des situations et des occasions pratiques distinctes » (Bazin ; Bensa, in Goody, 1979, préface, p. 11-17). Car c’est bien de cela dont il est question, une incapacité à saisir le réel dans toute sa complexité, une inaptitude à appréhender chaque crise dans ce qu’elle peut avoir d’original, de singulier, mais surtout dans son caractère foncièrement mutable. Les cultures proche- et moyen-orientales semblent d’ailleurs avoir compris que le talon d’Achille des nations de l’ouest se trouve précisément là, dans la rigidité de leurs structures mentales. C’est ainsi que des groupuscules transnationaux et interconnectés, des petits réseaux polymorphes, éclatés et nébuleux, désarçonnent les grands mais lourds complexes économiques et militaires de ce monde, rendant caduque l’arme nucléaire, le tout-technologique et l’ensemble des moyens d’attaque et de défense conventionnels (bien avant Al Qaida, les vietnamiens avaient confronté les Etats-Unis à cette douloureuse réalité). Car les menaces asymétriques ne sont pas le simple double inversé de l’hyper-puissance. Elles amènent cette dernière sur un terrain qui n’est pas le sien, elles la confrontent à une forme d’intelligence adaptative qui se soustrait aux représentations manichéennes. Il n’est qu’à considérer la doctrine nouvellement élaborée par les anglo-saxons dans le cadre de la lutte contre l’hyper-terrorisme, pour se convaincre du manque de créativité des solutions que la plupart des nations occidentales mettent en place. Aux actions d’Al-Qaida, qui s’appuie sur des tentatives de déstabilisation psychologique par la terreur, on oppose désormais le concept de résilience (Henrotin, 2005), qui n’est autre qu’une volonté de résistance reposant sur un rejet direct de la peur.
Vers une vision opportuniste de la crise inspirée du modèle asiatique
De quelques éléments de comparaison avec la stratégie militaire, ou le primat du facteur temps : anticipation et réactivité
Lorsque l’on s’engage dans une gestion de crise, la prise en compte du facteur temps, qui se décline tour à tour sous forme d’anticipation et de réactivité, apparaît primordiale. Le meilleur moyen d’avoir raison d’une crise, en effet, c’est d’abord de l’éviter. Cette assertion, qui pourra sembler une lapalissade à certains, est pourtant moins mise en pratique qu’on ne le pense. Nombre d’entreprises et d’institutions font montre de négligence en ce qui concerne la communication de veille et l’ensemble des méthodes destinées à anticiper l’apparition d’éventuels éléments de déstabilisation du système : la crise qu’entraîna la fermeture de l’usine de Renault à Vilvoorde, en Belgique, en 1997, celle que connut Buffalo Grill en 2002 (lorsque la chaîne fut soupçonnée d’avoir importé de la viande britannique après l’embargo lié à la vache folle), ou encore celle qui accompagna le désamiantage du porte-avion Clémenceau en Inde, révèlent un manque de préparation évident face à des problématiques sensibles, dont la détérioration était assez prévisible. Absence d’argumentaires, interlocuteurs multiples, messages discordants…
La méthode en est pourtant assez simple, en théorie tout au moins. Il s’agit d’avoir plusieurs coups d’avance et d’imaginer, comme au jeu d’échecs, les différents scenarii de crise possibles afin d’éviter les coups ou, au pire, de préparer des ripostes adaptées et d’acquérir des mécanismes réflexifs afin de ne pas être pris de cours. A l’époque des Royaumes Combattants, c’est-à-dire dans la Chine du IVème siècle avant Jésus-Christ, Sun Tzu, l’un des premiers et des plus grands stratèges de tous les temps, plaçait déjà la « capacité de prévision » au rang des conditions de la victoire dans le treizième chapitre de son célèbre traité consacré à l’art de la guerre. Toujours fidèle aux enseignements du maître, l’institution militaire s’efforce de suivre cette voie prospective grâce au renseignement, qui repose sur la collecte d’informations. Malgré sa vigilance, elle semble pourtant victime du « tout-technologique », les données transmises par des satellites ou des avions de reconnaissance se révélant inefficaces si l’analyse humaine n’intervient pas pour trier, recouper et juger de la pertinence des informations recueillies, ou encore pour appréhender le facteur psychologique, que la machine est incapable de prendre en considération. Des enquêtes menées après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont mis au jour cette réalité (Quilès ; Galy-Dejean, Grasset, 2001). L’on imagine alors aisément les désastres que peut provoquer une absence totale d’anticipation.
On constate des lacunes similaires dans le domaine de la communication. Nombre de crises auraient pu être évitées si quelques principes de base avaient été respectés. La campagne de Benetton, élaborée par le photographe Oliviero Toscani de l’agence Eldorado, qui affichait des tatouages sur des membres nus avec l’inscription HIV et qui fit scandale au point de faire dangereusement chuter les ventes de la marque, n’aurait sans doute jamais vu le jour si l’on avait pris la peine d’effectuer des pré-tests avant de la lancer. Polysémique, en effet, le message de Benetton pouvait être diversement interprété. Beaucoup furent choqués en découvrant ces corps qui exhibaient les lettres d’une maladie mortelle redoutée dans les stations de métro et devant les arrêts de bus. En tête des protestataires figurait l’AFLS, l’agence de lutte contre le SIDA. L’allusion aux tatouages des déportés fut également jugée de mauvais goût par le public, et nombreuses furent les associations qui appelèrent au boycott des magasins de la marque italienne. L’une des responsables de la communication de Benetton, Marina Galanti, déclarait en guise de justification à Anne Cicco, dans le cadre d’un article publié dans L’Humanité en date du16 septembre 1993 : « il est très regrettable que cette publicité ait été interprétée en sens inverse par l’AFLS. Nous voulions, au contraire, mettre en lumière, symboliquement, la stigmatisation de certains groupes sociaux associés au SIDA et l’exclusion dont ils font l’objet ». Pourtant, la communication de Benetton était déjà notoirement connue pour ses provocations. En outre, il est pour le moins surprenant que des spécialistes de la communication trouvent « regrettable » que l’opinion interprète une publicité à l’inverse de ce que souhaite l’institution communicante. N’incombe-t-il pas précisément aux DirCom d’orienter la lecture des messages et de prévoir les effets éventuels d’une campagne, sous forme de questionnaires recueillant les impressions d’un échantillon représentatif de la population, par exemple ? De la même manière, que dire de la campagne de recrutement lancée par l’armée de l’air en 2003, dont les jingles radiophoniques tentaient de revaloriser les spécialités non-navigantes en ridiculisant le personnel navigant ? Offensés et profondément démotivés par ce qu’ils jugeaient être une trahison de leur institution, les pilotes menacèrent de faire grève dans les escadrons, tant et si bien que l’onéreuse campagne fût interrompue au bout de dix jours de diffusion (au lieu des trois mois initialement prévus), sur ordre du chef d’état-major de l’armée de l’air en personne (Bryon-Portet, 2005, p.148-160). Une simple analyse SWOT (Strenghs / Weaknesses / Opportunities / Threats, soit Forces / Faiblesses / Opportunités / Menaces), ou une étude sémiotique préalable, auraient sans doute suffi à écarter une communication qui se révélait aussi inopportune en interne, l’analyse de chaque situation ou acte de communication dans ce qu’ils ont de spécifiques étant susceptibles de pallier l’absence de recette toute faite et de prêt-à-penser dans ce domaine.
Si elles peuvent en diminuer le nombre, toutes les précautions du monde ne pourront cependant pas empêcher des crises d’éclater, car des facteurs imprévisibles se mêlent parfois aux affaires des hommes pour en modifier le cours. De surcroît, la communication n’étant guère une science exacte, mais une science humaine, voire un art – avec ce que cette notion implique d’aléatoire –, l’on ne saurait prévoir l’ensemble des dysfonctionnements d’un système organisationnel malgré la meilleure volonté du monde. Or, autant les méthodes de veille s’avèrent nécessaires en période normale, autant il devient contre-productif de vouloir éviter à tout prix la crise, en la niant ou en l’ignorant, lorsque celle-ci a déjà éclaté. La meilleure conduite à tenir alors, ainsi que nous essayerons de le démontrer, est de tout mettre en œuvre pour en tirer profit. Toute crise impose le changement. Refuser ce dernier revient à se condamner à le subir, à se placer dans la position d’un spectateur, passif et impuissant, quand il est possible d’en être un acteur habile et éclairé. Les grands managers ont compris la nécessité qu’il y a à conduire et accompagner le changement lorsque celui-ci se révèle inévitable. Certains préconisent même de l’anticiper, rappelant encore une fois cette règle souveraine de l’art stratégique. Ainsi Jack Welch, le célèbre Président de General Electric, grand spécialiste de l’innovation, exhortait-il, lorsqu’il prodiguait ses conseils à l’ensemble de ses collaborateurs : « prenez l’initiative du changement avant d’y être contraint » (Kennedy, 2008, p. 416). Accepter le changement, c’est sortir d’un univers immuable et rassurant, rempli de certitudes. C’est également entrer dans une dimension temporelle différente, où le cours des événements prend une autre tournure. Contrairement à la durée, qui est extensive, la crise est intensive. Sa temporalité propre est celle de la vitesse. En tant que tournant, croisée des chemins, point de basculement possible, selon l’étymologie du mot grec « krisis » (le terme grec signifiait tout à la fois « séparation », « jugement », « moment de choix » et « décision »), elle intervient souvent après un temps de maturation qui peut être assez long (l’on pourrait le définir comme la constitution d’un faisceau de conditions convergentes favorables au développement de la crise), et lorsqu’elle éclate au grand jour, elle se présente comme un facteur d’accélération des éléments en présence (Libaert, 2010).
Cela semble d’autant plus vrai à notre époque, au sein d’une société « conquise par la communication », pour emprunter à la terminologie de Bernard Miège, que d’autres chercheurs préfèrent désigner comme une « société de l’information », malgré le flou et la polémique qui règne autour de cette expression, largement imprégnée d’une dimension utopique et d’un déterminisme technicien (Proulx, 1992, p. 220-224). Le rôle joué par les Tic, et surtout les NTIC, est à cet égard déterminant : en relayant l’information avec une rapidité jamais égalée auparavant, flirtant même avec le temps réel grâce au direct, celles-ci précipitent souvent l’enchaînement des faits. Pour autant, la contraction de la phase critique qui peut en résulter n’en minimise pas les effets, loin s’en faut. L’on peut même soutenir l’hypothèse inverse, dans la mesure où la densité de la crise, c’est-à-dire son intensité vécue sur un laps de temps réduit, rend sa maîtrise plus difficile. D’autre part, en multipliant les interactions, et en introduisant dans le champ critique de nouveaux acteurs – notamment l’opinion publique, à l’impact décisif, et ce quatrième pouvoir que l’on traduit communément en parlant de « l’effet CNN » –, les Tic amplifient considérablement le phénomène. En outre, depuis quelques décennies, l’on semble assister à une prolifération des crises, pour cette simple raison que les médias eux-mêmes constituent parfois des facteurs facilitateurs, voire des déclencheurs, face à ce qui aurait pu demeurer un incident anodin sans leur présence et leur intervention. Gestion du temps et gestion de la communication sont devenues deux actions solidaires. Les trois quarts d’une crise, en effet, se gèrent aujourd’hui par le biais de la communication, selon Thierry Libaert (Libaert, 2010), ce qui explique l’existence d’une terminologie propre à cette gestion spéciale, à travers l’expression « communication de crise ». Refuser de communiquer s’avère donc souvent contre-productif dans un contexte de crise. Mais toute action de communication, nous l’avons vu à travers de multiples exemples, ne se révèle pas bénéfique à son instigateur, tant il est vrai que dans ce domaine, il convient de respecter certaines règles spécifiques, conditions nécessaires mais non suffisantes de succès.
L’une de ces règles concerne donc le traitement du paramètre temporel, et la mise en adéquation des actions de communication avec celui-ci. Il convient, en effet, de se montrer réactif, afin de respecter la temporalité propre à l’événement critique. Attendre avant de réagir, c’est prendre le risque d’aggraver la crise. La gestion du temps – et de l’espace –, comme celle de l’information d’ailleurs, a toujours primé dans la stratégie asiatique, et cela dès les premiers traités de polémologie. Encore une fois, Sun Tzu fut le premier stratège à avoir énoncé aussi clairement l’importance qu’il faut accorder à ce facteur, clé de succès ou d’échec, dans son deuxième chapitre de L’Art de la guerre, consacré à la direction des opérations militaires. Contrairement à d’autres chefs militaires et hommes politiques (dont Mao Zedong), partisans de l’enlisement des forces de l’adversaire dans la guerre d’usure, il préconisa la vitesse de réaction. Les stratèges occidentaux reprendront d’ailleurs ses enseignements pour les étoffer, les préciser et les actualiser, de Carl Von Clausewitz au colonel et pilote de chasse américain John Boyd, qui conceptualisa une boucle temporelle en quatre phases, connue sous l’acronyme OODA : « Observation-Orientation-Décision-Action » (Fadok, 1998).
A ce stade de notre étude, nous souhaitons préciser que les rapprochements que nous opérons entre la polémologie et la communication de crise se justifient pleinement au regard des multiples ressemblances qui lient ces deux domaines d’activité. Une crise (que celle-ci soit de nature sociale, politique, écologique, technologique ou encore économique…), instaure en effet un climat et une situation assez proches du contexte de guerre, si l’on considère la menace potentielle dont elle est porteuse, le stress qu’elle génère, et l’affrontement qu’elle implique entre différents acteurs (industriels / consommateurs, Etat / citoyens, chefs d’entreprises / employés, institutions / journalistes, etc.). En outre, nous nous sommes efforcé de démontrer que comme dans les guerres, le temps est le premier facteur qu’il faut prendre en compte dans le cadre de la gestion et de la communication de crise, pour des raisons évidentes, ayant trait à la fois à la nature même de la crise (rapidité d’évolution, soudaineté et parfois même imprévisibilité), et à la conjoncture contemporaine (la diffusion rapide de l’information par les médias, à l’ère des NTIC). Or, il nous semble que les nations occidentales sont mieux préparées encore que les nations orientales à adopter une vitesse de réaction dans la crise, dans la mesure où elles ont amorcé très tôt, depuis la révolution industrielle, un empressement frénétique confinant à l’impatience, qui les rend culturellement familières de la vélocité. Encore faut-il que l’ensemble des chefs d’entreprises et des directeurs de la communication aient pleinement conscience qu’une crise se gagne dans les premières heures, voire les premières minutes de son déclenchement.
Prendre appui sur l’obstacle, s’adapter et communiquer pour en tirer avantage…
Karl Popper conçoit la science comme une révolution permanente (Popper, 2007). En mettant la notion de « falsifiabilité » ou de « réfutabilité » au centre de la démarche scientifique, il la définit comme un incessant changement paradigmatique (et sur ce point, il rejoint quelque peu la conception de Thomas Samuel Kuhn (Kuhn, 1997)). Au plan épistémologique, il considère donc les crises qui traversent régulièrement son champ et secouent les schèmes provisoirement établis comme une bénéfique remise en question, condition d’évolution. Nonobstant, cette positive façon de voir nous est globalement étrangère à la culture occidentale. Il semblerait pourtant que nous ayons tout à gagner en adoptant une telle conception de la crise, si habituelle en Orient. Dans un article publié dans le volume 11 du Magazine de la communication de crise et sensible, datant d’avril 2006, Didier Heiderich rappelle avec raison qu’en chinois, l’idéogramme traduisant la notion de crise se dit, ou plutôt se décompose ainsi : « Wei-Ji ». Bicéphale, le terme signifie tout à la fois « opportunité » et « menace ». Or, c’est bien cela qu’est la crise, un carrefour, un tournant, pouvant tout aussi bien se révéler maléfique que bénéfique. Et c’est sans doute à tort que les occidentaux, mus par une peur viscérale du changement, n’y voient bien souvent que le second de ces deux aspects.
Aux antipodes de la logique inspirée du principe de contradiction aristotélicien, selon lequel un terme ne peut contenir en même temps et sous le même rapport un attribut et sa négation, c’est toute la philosophie asiatique, et plus particulièrement chinoise, qui repose sur ce principe de tension transformatrice et de réversibilité des forces par procédé de transmutation. L’alchimie chinoise, par exemple, illustre parfaitement cette pensée dynamique, encline à appréhender les évolutions, mutations et revirements de toutes sortes (3). Malgré les apparences, le schéma Yin-Yang, qui présente des termes interopérables et équivalents dans leur différence, est fort éloigné du dualisme que nous connaissons puisque ses composantes portent l’altérité en leur sein. Le Yin est présent dans le Yang, et vice-versa. Les arts martiaux eux-mêmes témoignent d’une telle conception adaptative et transmutatrice. Ainsi l’un des principes essentiels du judo consiste-t-il à prendre appui sur le poids de son adversaire, autrement dit à transformer la menace en opportunité, et sa propre faiblesse en force (un chercheur en sciences de l’information et de la communication comme Pierre Quettier a parfaitement compris l’avantage que certaines disciplines académiques avaient à étudier la voie spécifique des arts martiaux japonais, par exemple (Quettier, 2002)). Sun Tzu résume bien cet art de penser, qui est aussi un art de vivre, lorsqu’il affirme qu’« il faut savoir faire du chemin le plus long le plus court et renverser le désavantage en avantage » (Sun Tzu, 2000, p. 69).
Plus largement, le traité de polémologie de Sun Tzu permet de mesurer l’écart qui sépare les stratégies du levant et celles stratégies du couchant. Ainsi, tandis qu’Aristote prétendait figer, sous forme de propositions, les règles immuables du raisonnement, afin d’établir des modèles de pensée et de leur assurer une sorte de validité universelle, voici ce que proposait le stratège chinois à peu près à la même époque, sur un autre continent : « cette stratégie gagnante une fois adoptée, encore faut-il créer les conditions qui permettent le recours à des procédés qui sortent de la règle commune ; j’entends par-là profiter de la moindre opportunité pour emporter l’avantage ». Et l’auteur de poursuivre, quelques lignes plus loin : « tels sont les stratagèmes qui apportent la victoire et ne peuvent s’apprendre » (Sun Tzu, 2000, p. 54). Sun Tzu s’interdit donc de formaliser à l’avance des schémas simplificateurs, que l’on viendrait par la suite apposer de force sur les événements, en guise de grille de lecture et d’action. Un tel procédé d’abstraction de la réalité à travers des modèles-types ne peut fonctionner, selon lui, car il n’épouse guère l’extrême complexité et l’étonnante singularité des situations concrètes, raison pour laquelle Sun Tzu affirme que les stratagèmes « ne peuvent s’apprendre », de la façon dont on apprendrait les règles d’un syllogisme avec Aristote, par exemple.
La suite de son traité est plus explicite encore. Au chapitre V, il s’exprime de la sorte : « bien qu’il n’y ait que cinq notes, cinq couleurs et cinq saveurs fondamentales, ni l’ouïe, ni l’œil, ni le palais ne peuvent en épuiser les infinies combinaisons. De même, bien que le dispositif stratégique se résume en deux forces, régulières et extraordinaires, elles engendrent des combinaisons si variées que l’esprit humain est incapable de les embrasser toutes. Elles se produisent l’une l’autre pour former un anneau qui n’a ni fin ni commencement. Qui donc pourrait en faire le tour ? ». Si l’esprit de catégorisation, si prégnant dans la Grèce antique post-socratique, n’est pas absent de la stratégie chinoise, cette dernière dépasse pourtant une présentation dualiste destinée à rendre intelligible la confusion naturelle qui paraît entourer l’homme. Elle a une conscience aiguë du changement et, partant, de l’imprévu. Possédant une véritable intelligence des situations – très proche de cette connaissance conjecturale (« eikazein ») des premiers grecs, de ce savoir stochastique, pratique et intuitif, tourné vers la contingence, que Platon condamna dans le Gorgias et le Philèbe parce qu’il n’était pas une science exacte – elle s’efforce de se conformer à la nature des choses au lieu de vouloir faire entrer ces dernières dans un moule artificiel.
La pensée chinoise reconnaît le principe de nécessité et fait preuve, en fin de compte, de beaucoup d’humilité, mais aussi d’opportunisme, puisqu’elle affirme la supériorité de l’événement sur l’homme, tout en préconisant d’utiliser cette supériorité, potentiellement destructrice, à bon escient, afin d’en faire un atout. Dans un remarquable ouvrage intitulé Traité de l’efficacité, François Jullien a étudié les différences fondamentales existant entre la pensée chinoise et la culture occidentale. Il a notamment mis en relief le fait que la philosophie chinoise préconise l’utilisation du « potentiel de la situation », tandis que les occidentaux appliquent des plans projetés à l’avance. Les premiers se laissent porter par l’événement et saisissent l’occasion en prenant appui sur l’obstacle, puis en exploitant l’opportunité que celui-ci est susceptible de présenter à qui sait saisir sa chance ; les seconds, au contraire, ne se départissent jamais d’une volonté dominatrice, d’une modélisation binaire et abstraite qu’ils tentent d’imposer aux choses. Ainsi oppose-t-il à l’efficience immanente l’efficacité volontariste, souvent inopportune.
La métaphore de l’eau, si chère à Sun Tzu, traduit parfaitement cette idée. Si l’eau est informe, n’est-ce pas par excès de possibilités ? Semblable à Protée, elle est polymorphe : « c’est ainsi qu’un général ne cherche pas à rééditer ses exploits, mais s’emploie à répondre par son dispositif à l’infinie variété des circonstances. La forme d’une armée est identique à l’eau […] L’eau forme son cours en épousant les accidents du terrain, une armée construit sa victoire en s’appuyant sur les mouvements de l’adversaire. Une armée n’a pas de dispositif rigide, pas plus que l’eau n’a de forme fixe » (Sun Tzu, 2000, p. 68). Pour résumer, si la capacité de prévision (et donc d’anticipation) prévaut en amont de la crise, en revanche la capacité d’improvisation (et donc de réactivité), semble devoir primer face à la crise. Or improviser, c’est savoir s’adapter. La notion d’adaptation, que l’on pourrait définir comme une souplesse permettant une mise en conformité avec la nature d’un environnement changeant, est une notion clé pour toute communication de crise. Ce qui est vrai à l’échelle des espèces vivantes l’est également au plan des institutions : celles qui ne s’adaptent pas disparaissent durant les crises. En ce sens, l’on peut se demander si la gestion des crises ne doit pas mobiliser davantage une capacité tacticienne qu’une capacité stratégique, tout du moins une fois que la crise a éclaté, tant il est vrai que la première, en tant que projet, tend à produire des structures mentales rigides, quant la seconde se définit au contraire par son adaptabilité, comme le montre Patrice Flichy dans le cadre de ses réflexions autour de l’innovation (Flichy, 2003, p. 131-132).
L’une des gestions de crise que l’on pourrait ranger dans la catégorie des stratégies d’inspiration orientale du type « Wei-Ji », est celle que la marque Pepsi-Cola effectua il y a une quinzaine d’années, et dont l’universitaire Jean-Marc Lehu étudia les modalités dans un article éclairant, auquel nous renvoyons le lecteur (Lehu, 1995, p. 7-13). Plus près de nous, la gestion qu’EDF mis en place lors de la tempête qui déferla les 26, 27 et 28 décembre 1999, endommageant 70% du réseau électrique et plongeant les régions de France dans un désarroi total durant plusieurs jours, fait également figure d’exemple à suivre. L’incident, en effet, aurait pu se révéler désastreux pour l’entreprise. Car si le déchaînement des éléments naturels ne pouvait être imputable à ses dirigeants, il trahissait en revanche d’inacceptables lacunes, à savoir l’insuffisance du système des lignes enterrées – dont un maillage plus important sur l’Hexagone aurait bien évidemment minimisé l’ampleur du désastre –, mais aussi la faiblesse des stocks au niveau local. Bien plus grave, au même moment, les sous-sols de deux bâtiments combustibles de la centrale nucléaire du Blayais se trouvaient inondés. Classée au niveau 2 sur l’échelle INES, cette inondation aurait pu avoir des conséquences catastrophiques. La tempête agissait donc comme un révélateur, mettant au jour un manque d’anticipation évident, dû à des erreurs de management. Un manque de réactivité face au sinistre et une mauvaise communication auraient pu être fatals à EDF, d’autant plus que le rétablissement de l’alimentation électrique était une nécessité vitale, pour des établissements tels que les hôpitaux ou les maternités. Or, fait assez rare dans l’histoire occidentale des stratégies de communication de crise, non seulement EDF géra de main de maître les conséquences que la tempête entraîna et parvint à faire oublier ses propres défaillances structurelles, mais elle retira en outre un avantage substantiel de la situation, tant en interne qu’en externe, ainsi que nous allons le voir.
Son attention se porta d’abord sur l’organisation logistique des réparations. Sa réactivité fut exceptionnelle, des milliers d’équipes se mobilisèrent en quelques heures. Désireuse de grossir les effectifs pour un résultat optimal, l’entreprise rappela même d’anciens salariés à la retraite et fit intervenir du personnel venu de pays frontaliers. Sa seconde priorité fut de communiquer sur la manière dont elle gérait efficacement la crise. Mais au lieu de braquer les feux des projecteurs sur EDF, ce qui aurait pu paraître prétentieux et rappeler aux médias ses fautes initiales en amont, la direction mit à l’honneur toutes les petites mains qui œuvraient au rétablissement de l’électricité dans les foyers, pour le bien-être des citoyens. Cette opération de communication fonctionna à merveille auprès de l’opinion publique, qui constatait avec satisfaction que le personnel d’EDF était au service de son confort et de sa sécurité. Loin des clichés qui entourent souvent les grandes entreprises et représentent ces dernières comme des entités bureaucratiques, froides et impersonnelles, distantes et quelque peu inhumaines, la campagne communicationnelle d’EDF mis le focus sur les myriades de rouages constituant le système entrepreneurial : des techniciens simples et dévoués, des agents de terrain au cœur de l’action, proches de la population et défendant l’intérêt général, en adéquation avec la mission de service public. Parallèlement à cela, d’importants dispositifs d’analyse furent mis en place : forum interne à disposition des agents, forum externe Intempéries à disposition des usagers (le tout accompagné d’une analyse des discours par des spécialistes), entretiens semi-directifs et études statistiques. A l’issue de la crise, les sondages révélèrent qu’EDF était devenue l’entreprise préférée des Français…
Les effets positifs de cette stratégie dépassèrent largement le cadre externe. En effet, en valorisant ainsi ses salariés, EDF profitait d’une crise qui aurait pu discréditer durablement son image pour augmenter la motivation et l’adhésion de son personnel, en lui témoignant une véritable reconnaissance socioprofessionnelle à l’échelle nationale. La division Recherche et Développement d’EDF a réalisé et publié en 2002 une étude intéressante, proposant une sorte d’analyse critique et de retour d’expérience. Rassemblant les contributions de différents sociologues, psychologues, linguistes, sémiologues, statisticiens et ingénieurs, l’ouvrage Tempête sur le réseau. L’engagement des électricien(e)s en 1999 (Brugidou ; Cihuelo ; Meynaud, 2002), recense de nombreux bénéfices. Les auteurs vont jusqu’à voir dans la tempête de 1999 l’occasion d’une résurgence et d’une réactualisation des mythes fondateurs d’EDF. En effet, la crise a uni les forces des salariés autour d’un objectif unique. Cet engagement fort a renforcé la cohésion du groupe, mais également un sentiment d’accomplissement de soi chez le personnel. D’autre part, cette expérience exceptionnelle a permis aux techniciens – quelque peu dévalorisés par rapport à leurs collègues de bureau en situation normale –, de « redonner du sens » à leur métier. L’entreprise assista alors à la lente reconstruction d’une identité jadis menacée, preuve que toute crise peut se révéler une opportunité autant qu’une menace.
Ces quelques récents exemples de gestion et de communication de crise semblent attester d’un léger infléchissement de cette tradition occidentale rigidifiante que nous nous sommes efforcée de mettre en exergue. Une lente prise de conscience de la nécessité qu’il y a à adopter une posture adaptative pour saisir une réalité mouvante, mais aussi pour piloter convenablement les organisations et valoriser leur image lorsque celles-ci entrent dans des états chaotiques, voit le jour depuis quelques années, chez certains praticiens, mais aussi chez des intellectuels. Parmi ces derniers, Edgar Morin (Morin, 2005) et Jean-Louis Le Moigne (Le Moigne ; Morin, 1999) figurent en bonne place, puisqu’ils vont jusqu’à voir dans l’avènement de cette « pensée complexe », qu’ils identifient à l’aube du XXIe siècle, une « nouvelle réforme de l’entendement » (Le Moigne ; Morin, 1999, p. 7-8).
L’on peut d’ailleurs considérer que les théories qui se sont développées autour de la pensée systémique vers le milieu du XXème siècle ont été des prémices de cette réforme qui serait actuellement à l’œuvre. Prenant en compte la complexité des interactions en jeu entre les différentes parties d’un système, mais aussi entre un système et son environnement, ce mode d’appréhension apparaît comme une version occidentale de la philosophie asiatique que nous avons qualifiée d’« opportuniste », puisqu’il associe adaptation à un milieu évolutif et désir de modélisation (ce désir de modélisation est très manifeste dans les théories du chaos, par exemple). Dans le domaine de la communication, l’importance accordée au contexte et à la dimension relationnelle par Gregory Bateson et Paul Watzlawick (Winkin, 2000), notamment, exprime cet abandon relatif d’un socle de certitudes préétablies, produit par une raison humaine autonome et autosuffisante.
Les praticiens ayant à faire face à des crises gagneraient, selon nous, à s’inspirer davantage des approches systémiques que l’école de Palo Alto a élaborées et réalisées au plan thérapeutique (4), et, au-delà, à puiser au sein de la philosophie orientale, dont nous avons tenté de mettre en évidence la pertinence. La voie a semble-t-il été ouverte, très récemment, par quelques trop rares chercheurs, dans les sciences de l’information et de la communication. Nous pensons notamment à Catherine Loneux, qui voit dans la crise un « antagonisme constructif » (Loneux, 1999, p. 106), processus assez proche de la notion bicéphale de « Wei-Ji » telle que mise en exergue par Didier Heiderich, ou encore à Alex Mucchielli, qui y voit une opportunité de mobilisation du personnel et de reconstruction d’une identité collective (Mucchielli, 1993, p. 77). Il reste à espérer que ces devanciers soient suivis dans une telle voie, qui reste encore à explorer…
Notes
(1) Le « chat de Schrödinger », postulant que l’animal enfermé dans une boîte noire soustraite à tout regard, est à la fois mort et vif ; ou encore les expériences concluant au fait que la lumière est à la fois un phénomène ondulatoire et corpusculaire (deux natures que l’on considérait jadis exclusives et irréductibles), infirment le principe aristotélicien de non-contradiction, brouillent les frontières communément admises entre sujet et objet et offrent une représentation singulière de la réalité (cf. Klein, Etienne (2002), La Physique quantique, Paris : Flammarion).
(2) L’anthropologue et sociologue Gilbert Durand, disciple de Gaston Bachelard, a également montré la prégnance d’une double polarisation (régime diurne / régime nocturne, notamment) non seulement dans la philosophie, mais aussi dans les sciences exactes. Il ajoute à la liste les arts occidentaux : « ce dualisme d’inspiration cathare structurerait toute la littérature de l’Occident, irrémédiablement platonicienne », affirme-t-il dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire (Durand, 1992, p.69).
(3) En ce sens, l’alchimie occidentale, née en Orient et reposant sur des postulats identiques, anti-dualistes et translogiques, s’avère être une pensée marginale par rapport au mouvement global des idées européennes. Bien différente, par exemple, est la tradition dialectique qui parcourt l’Occident, de Platon à Hegel, et qui reste, quant à elle, profondément rationaliste et dualiste malgré la synthèse apparente qu’elle propose à la fin du processus d’échange des termes contradictoires.
(4) Si l’on considère la schizophrénie comme une pathologie symptomatique d’un dysfonctionnement familial qu’il convient de traiter en prenant en considération la singularité du patient, de son histoire personnelle et de son contexte familial, la comparaison se justifie pleinement. Elle se justifie d’autant mieux que parmi les causes de cette pathologie (que l’on pourrait d’ailleurs apparenter à une crise si sa durée n’était pas si longue), les chercheurs de Palo Alto identifient la « double contrainte » (« double bind »), qui n’est pas sans rappeler l’enfermement dans une logique binaire de type aristotélicien….
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Auteur
Céline Bryon-Portet
.: Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, directrice de la communication à l’ENSIACET (Institut National Polytechnique de Toulouse), et chercheur au LERASS. Le champ de recherche de l’auteur a trait aux représentations mentales ainsi qu’aux médiations symboliques.