Extension du journalisme du coté du documentaire, le cas de l’erreur boréale
Résumé
Au tournant du XXIe siècle, certains documentaires se sont particulièrement distingués en initiant des débats publics. En Amérique du Nord, on pense en particulier aux documentaires de Michael Moore aux États-Unis et à L’Erreur boréale de Richard Desjardins et Robert Monderie au Québec. À leur manière, ils ont joué un des rôles que la société a confié traditionnellement au journalisme : animer le débat public en informant et en proposant des interprétations. Dans cet article, nous nous attardons au cas de L’Erreur boréale (1999) pour étudier la contribution du documentaire à la délibération publique ainsi que le rapprochement discursif entre le documentaire et le journalisme par l’emploi de deux démarches empiriques complémentaires. La première établit la résonance publique du documentaire, notamment sa mise en médias traditionnels, à partir de l’analyse de presse des articles, des entrevues accordées, des réactions et des critiques parus dans les journaux pendant les 11 premiers mois suivants la sortie du film. La seconde analyse le contenu du documentaire, avec la méthode adaptée de l’analyse du discours journalistique (Ringoot, 2004). Elle permet ainsi d’établir le statut de l’auteur dans le film documentaire et de comparer la structure discursive du documentaire à celle du discours journalistique. Ces données sont discutées dans l’éclairage de la proposition plus générale d’une extension du champ journalistique au tournant du XXIe siècle.
Mots clés
Documentaire, journalisme, extension, délibération publique, auteur, intention éditoriale.
In English
Title
Extension of journalism towards the documentary, the case of « Forest Alert » (1999)
Abstract
At the turn of the 21th century, some documentaries particularly distinguished themselves by introducing public debates. In North America, we think in particular of Michael Moore’s documentaries in the United States and of « Forest Alert » of Richard Desjardins et Robert Monderie in Quebec. In their own way, they played one of the roles that society entrusted traditionally to journalism: lead the public debate by informing and by proposing interpretations. In this article, we analyze the case of « Forest Alert » (1999) to study the contribution of this documentary to the public deliberation and (also) the discursive link between the documentary and the journalism by the use of two complementary empirical procedures. The first one establishes the public echo of « Forest Alert » by an analysis of press articles, interviews, reactions and critics that appeared in newspapers during the first eleven months after the release. The second one analyzes the contents of the documentary, with the method adapted from the analysis of the journalistic discourse of Ringoot (2004). That method establishes the status of the author in the documentary film and compares the discursive structure of the documentary to the journalistic discourse. These data are discussed in the light of the more general proposition of an extension of the journalistic field at the turn of the 21st century.
Keywords
Documentary, journalism, extension, public deliberation, author, editorial intention.
En Español
Título
Extensión del periodismo del lado del documental, el documental L’Erreur boréale (1999)
Resumen
Durante el siglo XXI, ciertos documentales se han caracterizado por propiciar el debate público. Por ejemplo, pensamos en los trabajos del documentarista Michael Moore de los Estados Unidos y en la producción de Robert Monderie y de Richard Desjardins en Québec, titulada L’Erreur boréale. Estos trabajos, a su manera, han jugado uno de los roles que tradicionalmente la sociedad adjudicaba al periodismo: propiciar el debate público a partir de sus informaciones e interpretaciones de la realidad. Este artículo analiza el documental L’Erreur boréale (1999) con el fin de estudiar la contribución de este género cinematográfico a la deliberación pública, así como de evaluar los modos en que se asemejan la estructura discursiva del documental y del periodismo. Para tales efectos, empleamos dos métodos empíricos complementarios. El primero es un análisis de contenido de la representación en la prensa escrita del citado documental (entrevistas, criticas y artículos), durante los once primeros meses de su estreno (entre febrero y diciembre de 1999), con el fin de establecer su resonancia pública. El segundo método consiste en un análisis del contenido del documental, utilizando la propuesta metodológica del análisis discursivo periodístico de Ringoot (2004). Esta segunda aproximación metodológica permitió establecer el estatus del autor del documental en su producción y de comparar la estructura del discurso del documental y del discurso periodístico. Los resultados del análisis son discutidos a la luz de la proposición más general de ver el documental como una extensión del campo periodístico a comienzos del siglo XXI.
Palabras clave
Documental, periodismo, extensión, deliberación pública, autor, intención editorial.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Fillion Nathalie, « Extension du journalisme du coté du documentaire, le cas de l’erreur boréale« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/3, 2011, p.23 à 39, consulté le lundi 30 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/supplement-a/02-extension-du-journalisme-du-cote-du-documentaire-le-cas-de-lerreur-boreale/
Introduction
Le contexte médiatique actuel est éclaté et le monopole de la délibération publique associé au journalisme n’existe plus. Les sources et les publics disposent maintenant de plusieurs alternatives médiatiques pour accéder directement au processus d’échanges et de débats publics. Ils deviennent à leur tour des producteurs et des diffuseurs d’information. (Demers, 2008) Un flou des frontières permet cependant au journalisme de s’adapter à de nouvelles réalités et de se reproduire dans le temps. (Ruellan, 2007 [1993]) Ainsi, le journalisme, en tant que discours social de l’événementiel, s’élargit et déborde grandement l’aire de sa production professionnelle. Le journalisme n’était pas, et l’est encore moins aujourd’hui, originaire d’un lieu unique et sa production professionnelle n’est qu’un seul de ces lieux; il est issu de lieux hétérogènes et diversifiés. (Tétu, 2008) Il correspond alors à la manifestation d’une activité humaine plurielle. La pratique du journalisme professionnel incarne la forme dominante d’une pratique sociale plus large, celle de l’information. Par diverses stratégies d’acteurs, les emprunts aux autres pratiques sont monnaie courante. (Ringoot et Utard, 2005)
Dès lors que l’appellation « journalisme » touche une plus grande diversité d’activités de production discursive en public, centrées sur la médiation de la délibération publique, il est par exemple – ce que nous faisons ici – possible de qualifier de « journalistiques » des documentaires qui répondent à certaines caractéristiques, dont la référence au réel, le rôle éducatif et d’animation sociale ainsi que la médiation de la liberté d’expression et d’opinion. En ce sens, la sphère des documentaires filmiques croise celle du journalisme professionnel parce que toutes deux contribuent à la délibération publique.
Or, dans l’histoire de la production documentaire québécoise et canadienne, nous pouvons retracer, au tournant du XXIe siècle, plusieurs documentaires qui ont initié des débats publics en mobilisant, à la fois, les journalistes, le public et les acteurs politiques, sociaux et économiques concernés sur les sujets traités. Ce constat est aussi observable aux États-Unis dont certains documentaires comme ceux de Michael Moore ont secoué l’opinion publique. Ces documentaires sont apparus comme des actes de journalisme, l’activité à laquelle l’on confie traditionnellement ce rôle d’information et de stimulateur de la liberté d’expression. Ainsi, une certaine forme de documentaires devient partie du journalisme en demeurant fondamentalement un produit cinématographique avec ses procédés discursifs spécifiques et en échappant au contrôle des médias traditionnels et de leurs journalistes.
Notre thèse propose précisément de montrer que l’intégration de certains documentaires dans la sphère du journalisme fait sens en raison de certaines conditions qui ont poussé à ce rapprochement au tournant du siècle. La conception du journalisme qui souligne le flou, l’extensibilité des frontières et la diversité des pratiques, est centrale en ce qu’elle va permettre de considérer le documentaire comme partie du journalisme dans certaines conditions. De plus la catégorisation des discours, qui souligne sa dépendance aux logiques sociales et aux enjeux de production, permettra de considérer le journalisme et le documentaire comme des « genres » distincts dans un certain contexte et le documentaire comme un « genre » journalistique dans d’autres.
Les hypothèses
Notre première hypothèse veut donc que cette affirmation du documentaire canadien à la fin du XXe siècle comme discours éditorial « journalistique » fasse partie de l’élargissement et de la multiplication des instances médiatiques permettant la diversification de l’expression publique. Notre deuxième hypothèse avance que cet apport du documentaire à la communication publique a été rendu nécessaire parce que les conditions de la production du journalisme traditionnel, télévisuel en particulier, ont rétréci son champ d’action et que, dans ce contexte, le documentaire est venu suppléer en quelque sorte à un manque. Au même titre que les blogues et les réseaux sociaux, il est une forme de discours qui contribue au processus social d’échanges et de débats et témoigne des transformations importantes de la délibération publique, auparavant monopolisée par le journalisme professionnel. Notre troisième hypothèse souligne deux éléments plus structurels. 1) Le journalisme est une activité dont les frontières ont toujours été floues et poreuses. (Ruellan 2007 [1993]; Ringoot, Utard, 2005) Des pratiques peuvent s’y intégrer (par exemple, le documentaire lui-même dans les années 60 dans les grandes chaînes de télévision américaines et québécoises) ou dériver vers l’extérieur (par exemple, la forme « nouvelle » d’agence de presse devenue « communiqué de presse »). 2) Les grands traits de ce que l’on nomme le documentaire ressemblent étrangement à ceux que l’on attribue au journalisme. Comme celui-ci, le documentaire possède un caractère référentiel et une intention éditoriale; il a lui aussi un rôle éducatif; il est un vecteur de l’expression et il est au service de la liberté d’opinion; il repose sur un scénario discursif qui s’adresse à un public médiatique de masse. L’un et l’autre discours se rapprochent encore plus aujourd’hui par leur mise à l’avant-scène de la subjectivité de l’auteur (Charron, 2006), réalisateur ou journaliste.
La transformation du contexte
En fait, la volonté des documentaristes canadiens de participer aux débats publics ne date pas d’hier. Depuis les balbutiements de la production documentaire au Canada et au Québec, cette volonté de participation à la vie démocratique est explicite. Cependant, ce rôle d’animation et d’intervention publique se manifeste plus ou moins fortement selon les époques et le contexte politique, économique, social et culturel lié à chacune. Cette fonction d’intervention publique s’est affirmée dès la fin des années 50. L’avènement de la télévision, l’extension du journalisme filmé et l’évolution des techniques cinématographiques ont engagé la production documentaire vers un cinéma qui s’inscrit clairement dans l’authenticité, la subjectivité et la mise en place d’un regard lucide au service d’une prise de conscience orientée vers la critique sociale. (Marsolais, 1979)
Au Québec, cette période bouillonnante de création et de production du documentaire social et engagé s’est essoufflée dans les années 1980, marquées par les difficultés économiques, les restrictions budgétaires et la déprime post-référendaire du milieu intellectuel et cinématograhique. Puis, dans les années 1990, la production cinématographique québécoise et canadienne a été restructurée pour devenir plus rentable et plus représentative. Les mandats des organismes publics ont été revus et modifiés et les crédits budgétaires ont été coupés à quelques reprises. Les gouvernements québécois et canadien ont remanié ce secteur économique, dépendant des fonds publics, pour accorder une place plus importante à la production indépendante et privée, aux collaborations possibles entre le privé et le public et aux contenus destinés à la télévision et aux marchés internationaux. La production de films documentaires n’a pas été épargnée par cette restructuration forçant le principal joueur, l’Office national du film du Canada (ONF) à s’adapter et à entrevoir différentes avenues stratégiques, organisationnelles et financières pour affirmer sa légitimité ainsi que promouvoir et dynamiser la production de documentaires et plus particulièrement, des documentaires d’intervention sociale.
Pendant ce temps, la télévision se développe et acquiert beaucoup de poids dans le contexte médiatique car elle est le média par excellence pour la diffusion d’une grande partie de la production audiovisuelle produite au Canada et au Québec. Dans la deuxième moitié des années 90, les chaînes spécialisées de télévision se multiplient exerçant une demande forte de contenus.
Comme dans les années 1968 à 1975, les années 90 sont devenues un terreau fertile pour la production de documentaires engagés. Plusieurs cinéastes s’investissent alors dans cette voie parce qu’ils veulent aborder les « vraies affaires ». (Lever et Pageau, 2006) En même temps, l’auteur du documentaire se manifeste clairement. Cette affirmation de l’auteur et de son propos coïncide avec la subjectivisation du discours observée à la fin du siècle en journalisme. Le documentaire est alors un instrument démocratique essentiel dans un « contexte où les médias ont affaibli la presse d’opinion ». (Froger, 2009 : p. 85) Le documentariste devient, en quelque sorte, un substitut à l’éditorialiste. Relevant du cinéma social, le documentaire fait alors contrepoids aux discours officiels. Le cinéaste est donc un citoyen et un auteur qui tente d’imposer son point de vue comme discours de la vérité au même titre que les discours scientifique, journalistique et politique. (Froger, 2009)
Démarches empiriques
Dans l’éclairage de nos hypothèses, les démarches empiriques de notre thèse porteront sur trois documentaires d’auteur sortis entre 1999 et 2006. Chaque cas possède des caractéristiques qui mettent en lumière les transformations du processus de délibération publique et de l’intersection du documentaire d’auteur et du journalisme. Les cas sont : L’Erreur boréale (1999) de Richard Desjardins et Robert Monderie; Les voleurs d’enfance (2005) de Paul Arcand et L’illusion tranquille (2006) de Joanne Marcotte. Chacun offre des caractéristiques spécifiques correspondant à des sous-catégories comptant plusieurs exemplaires.
Pour chaque cas étudié, nous ferons une revue de presse des articles, des entrevues, des réactions et des critiques parus dans les journaux et/ou sur les blogues ou diffusés à la télévision et à la radio afin d’établir la résonance publique de chacun. Ensuite une analyse de contenu de chaque documentaire sera faite à partir de la méthode adaptée de l’analyse de discours journalistique de Ringoot (2004) pour comparer la structure discursive du discours documentaire à celle du discours journalistique. Enfin des entrevues semi-dirigées avec les acteurs impliqués de près dans la production, la réalisation et la diffusion de chaque documentaire permettront de préciser et d’expliquer certains constats observés dans les autres démarches empiriques. Le tout permettra de soupeser la pertinence des hypothèses formulées.
Ici, nous ne ferons état que de deux de ces démarches à propos d’un seul des trois cas : L’Erreur boréale.
La première démarche établit la résonance médiatique de ce documentaire, notamment sa mise en médias traditionnels à partir de l’analyse d’une revue de presse d’articles parus dans les journaux. La seconde analysera le contenu du documentaire avec la méthode adaptée de l’analyse du discours journalistique, afin d’établir le statut et la place de l’auteur dans le film documentaire et comparer la structure discursive du discours documentaire à celle du discours journalistique. Ces données seront ensuite sommairement discutées dans l’éclairage de la proposition plus générale d’une extension du champ journalistique au tournant du XXIe siècle.
L’Erreur boréale (1999)
Dans le film L’Erreur boréale, les réalisateurs, Richard Desjardins et Robert Monderie, se préoccupent de la gestion du patrimoine forestier québécois, en particulier de la forêt boréale. Une longue collaboration unit ces deux hommes. Avant ce documentaire, ils ont réalisé ensemble les documentaires Comme des chiens en pacage (1977), Mouche à feu (1982). Récemment, ils ont présenté le documentaire Un peuple invisible (2008). (Richard Desjardins, 2011 : en ligne) L’Erreur boréale est une production de l’Association coopérative de productions audio-visuelles (ACPAV) et de l’ONF. La productrice exécutive est Bernadette Payeur. Le scénario est de Richard Desjardins. (ONF, 2010 : en ligne) La distribution est assumée par Les Films du 3 mars et l’ONF. Il a été produit aussi en association avec Télé-Québec et la Société Radio-Canada. Ce documentaire a nécessité un peu plus de quatre ans de travail pour parvenir au résultat final. (Maisonneuve, Archives de la Société Radio-Canada, 2008 [1999] : en ligne, vidéo) Il a été présenté pour la première fois le 13 février 1999 lors des Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ). Ensuite, il a été diffusé en mars et en avril à Télé-Québec et en juin à Radio-Canada. (Erin Research Inc., 2005, p.85-86) La même année, le film documentaire a reçu le Jutra du meilleur documentaire, un prix décerné chaque année depuis 1999 lors d’une soirée-gala à la télévision. Il existe une version de 68 minutes et une autre de 52 minutes (format télévisuel). (ACPAV, 2010 : en ligne)
Ce film indépendant a été coproduit avec l’ONF. L’Erreur boréale a coûté 500 000 $. Il a été financé, en grande partie, par les fonds publics. Il a reçu l’aide financière du Fonds canadien de télévision et de Téléfilm Canada. Il a également profité des crédits d’impôt canadien et de la SODEC pour la production cinématographique ou télévisuelle. (Erin Research Inc., 2005, p. 84) Pour sa distribution, l’ONF possédait les droits pour la vente aux consommateurs, la distribution dans le réseau et les salles de l’ONF ainsi que les droits commerciaux internationaux. Quant à l’ACPAV, elle possédait les droits télévisuels et Cinéma libre, une société de distribution, avait ceux des institutions et des festivals. En plus d’être présentée à la télévision, aux festivals et dans quelques salles de cinéma, L’Erreur boréale a été diffusée dans plusieurs institutions d’enseignement du niveau primaire au niveau universitaire. La demande a été particulièrement forte auprès des compagnies forestières, du ministère de l’Environnement, des associations professionnelles attachées à la foresterie, des agences de relations publiques, etc. Richard Desjardins demeure le meilleur promoteur du film. Chansonnier réputé, il pouvait accéder facilement à la tribune publique. Avant de réaliser ce documentaire, il défendait déjà la cause de la protection des forêts. Des projections publiques ont été organisées en présence des réalisateurs pour sensibiliser et discuter avec l’auditoire. (Erin Research Inc., 2005, p. 86-87) Certains débats ont été spontanément organisés après la diffusion du film, quelques fois en l’absence des réalisateurs. Il a obtenu également de nombreuses distinctions à l’étranger.
Le scénario du film
Le film est construit autour de Richard Desjardins, personnage principal de l’action. Il joue le rôle du présentateur ainsi que celui de l’enquêteur qui interroge et partage ses réflexions. Son propos est accompagné de plans larges, aériens et d’ensemble de la forêt, du témoignage de son père, d’images d’archives, de cartes géographiques, d’entrevues filmées en plan rapproché et de musique.
Le film comporte quatre parties. La première partie repose essentiellement sur des souvenirs et le regard que le narrateur pose sur la forêt. En compagnie de son père, il expose le problème de la déforestation en allant sur les lieux d’une coupe récente. Qu’il soit en balade en forêt ou à bord d’un avion, il s’adresse à la caméra. À d’autres moments, des plans aériens sont appuyés de sa voix en hors champ. La musique appuie le propos aux moments opportuns.
Dans la deuxième partie, le réalisateur-animateur discute de l’attitude des compagnies forestières face à la protection de l’environnement et de leurs activités. À la manière d’un journaliste, il fait des entrevues, assiste aux assemblées des actionnaires, pose des questions et recueille des commentaires auprès des gens du milieu. Assis, face à la caméra, il nous fait l’histoire de la foresterie du 20e siècle. Des images d’archives illustrent l’accélération de la déforestation et ses conséquences sur le renouvellement de la ressource. Il discute avec plusieurs acteurs du milieu sur la façon de prévoir la régénération de la forêt et le régime forestier afin de mettre l’accent sur les faiblesses et les incohérences du système actuel. Le montage serré des entrevues est entrecoupé de plans de bois coupés et cordés, de la machinerie lourde et des usines. La musique et les commentaires en voix hors champ sont aussi présents.
Dans la troisième partie, Desjardins consulte les responsables des réserves fauniques au sud, les pourvoyeurs d’activités de chasse et de pêche et les autochtones de la Réserve de Waswapini. Tous subissent l’envahissement des compagnies forestières sur leurs territoires. Ensuite, Richard Desjardins rend visite au professeur Luc Bouthillier et aux étudiants en foresterie de l’Université Laval pour prendre leur réaction à la vue des images aériennes présentées à plusieurs reprises pendant le documentaire et les questionner sur le rôle qu’ils ont à jouer dans la préservation de ce bien public.
Enfin, sur un trottoir bondé, Desjardins conclut qu’il existe une loi du silence qui implique le gouvernement et les compagnies forestières quant à la gestion de cette ressource naturelle. Il demande de retirer la loi 150 et de renégocier publiquement les conditions de l’exploitation de la forêt afin d’être en accord avec la première loi qui stipule que la forêt est publique.
La résonance médiatique de L’Erreur boréale aété particulièrement importante. À sa sortie en 1999, ce film a donné lieu à un débat public qui s’est intensifié pendant les 10 mois qui ont suivi sa sortie. Son impact a également permis de créer une coalition rassemblant les groupes environnementaux, les travailleurs forestiers, les Premières nations et les syndicats, qui comptait plus de 200 000 membres. Une enquête publique indépendante sur la forêt longtemps revendiquée a été créée. Cela a mené à la publication et au dépôt du rapport Coulombe en décembre 2004. Ce rapport a conduit à des changements de politiques publiques. Le documentaire demeure encore un outil pédagogique et de sensibilisation important. Il est donné souvent en référence lorsque l’on touche à la gestion des ressources forestières. (Erin Research Inc., 2005, p. 88-92)
Première démarche empirique
Afin de mesurer plus spécifiquement la résonance médiatique du documentaire de Richard Desjardins et son rôle en tant qu’extension du journalisme, nous avons fait une analyse de presse des principaux quotidiens du Québec. Nous avons donc employé la base de données Eureka.cc, un outil de recherche conçu par CEDROM-SNI inc, disponible à la bibliothèque de l’Université Laval. Elle répertorie, entre autres, la majorité des quotidiens et magazines d’actualité francophones canadiens à l’exception du Journal de Québec et du Journal de Montréal, propriété de Quebecor Media. Nous avons limité la recherche d’articles aux journaux francophones québécois parce que le sujet du documentaire relevait de la politique provinciale québécoise. En employant l’expression clé « erreur boréale », repérée dans le titre ou dans le corps des articles, nous avons recensé plus de trois cents articles, critiques, éditoriaux, opinions, commentaires, chroniques, lettres et caricatures publiés entre février 1999, mois de la sortie officielle du documentaire, et décembre 1999, moment où Richard Desjardins est élu la personnalité de l’année 1999 par le magazine L’Actualité.
Dans la période de temps ciblée pour le recensement des articles, nous avons, d’abord, mesuré la résonance médiatique du documentaire en identifiant les périodes intenses du débat public à partir des dates de publication des articles et des événements importants associés au film. Ensuite, nous avons dressé la liste des acteurs impliqués dans le débat par les paroles rapportées par les journalistes et les lettres publiées ainsi que la liste des rubriques dans lesquelles on a traité du documentaire. Enfin, nous avons répertorié le vocabulaire, les expressions, les descriptions, les arguments et les comparaisons utilisées pour présenter les réalisateurs et le documentaire et pour commenter son scénario et sa facture visuelle et sonore.
Deuxième démarche empirique
Par ailleurs, nous nous sommes livrés à une brève analyse de contenu du documentaire lui-même (1). Plus précisément, nous avons étudié la structure discursive de l’introduction de L’Erreur boréale afin de la comparer à celle du discours journalistique. Les travaux de Roselyne Ringoot (2004) sur les discours journalistiques et sa méthode d’analyse de la ligne éditoriale de la presse écrite nous ont permis d’établir cette comparaison en postulant que le documentaire, comme le journalisme, donne une interprétation du réel selon son propre système de représentation. De plus, il entretient d’autres relations avec d’autres types de discours sociaux. Dès les premières minutes du film, il a été possible de rendre compte d’une combinaison de stratégies énonciatives et d’une identité éditoriale. Le choix de cette méthode d’analyse s’inspire du constat décrit par Jean Charron (2006), celui de la subjectivité de discours journalistique qui se révèle un marqueur fort de la ligne éditoriale. De plus, il s’inscrit dans cette idée que le journalisme est une pratique discursive en invention permanente. En adaptant cette méthode d’analyse, nous pouvions entrevoir une extension du journalisme et de ses pratiques en dehors du circuit professionnel et, à l’inverse, de l’apport d’autres pratiques discursives à celles du journalisme dit traditionnel.
Cette lecture du documentaire à l’étude s’est concentrée sur trois axes : la construction du sens lié à la forme du documentaire, aux identités énonciatives présentes et à la polyphonie des discours. Pour employer cette méthode d’analyse conçue pour le discours de presse, nous l’avons aménagée afin qu’elle soit cohérente avec l’objet à l’étude qui n’est pas un produit journalistique traditionnel. Certains indices des trois axes ont été adaptés : la distribution des surfaces, les références à la mise en page spécifique du journal, etc. La Une devient l’introduction des documentaires ; les sections du journal deviennent les scènes du documentaire. Même si le son n’est pas un attribut du journal papier, il a été examiné. Chaque indicateur a été harmonisé en regard des particularités langagières et stylistiques du documentaire. Nous avons privilégié quatre indicateurs qui marquent la présence de l’auteur et l’intention d’intervention dans le débat public : la mise en scène de l’énonciateur, le rapport au public, le type d’information et les dispositifs énonciatifs (Fillion et Le Cam, 2007).
Analyse des résultats
À la lecture et à l’écoute de ces diverses sources d’information, nous cherchions à mesurer la résonance obtenue par L’Erreur boréale à travers le concert des médias qui en même temps se saisissent du film et construisent un discours intermédiatique. Nous avons construit un calendrier contenant les moments forts du film sur la scène médiatique au cours de la période étudiée. Les moments forts correspondent, entre autres, à la sortie officielle du film comme point de départ de la résonance médiatique et ses diffusions à la télévision comme repères d’une hausse importante de sa résonance. D’autres moments forts correspondent aux réponses et réactions importantes des acteurs concernés face au documentaire et à ses allégations : la réponse officielle du ministre des Ressources naturelles, la parution d’une enquête d’opinion commandée par un quotidien montréalais, la riposte de l’industrie forestière et les premières propositions d’une mise à jour du régime forestier. Les deux derniers temps forts du calendrier sont associés à la récupération du documentaire par les journalistes et les médias pour discuter du documentaire en tant qu’outil d’intervention publique selon le traitement et l’exactitude des informations présentées à l’origine des nombreux débats des derniers mois. Il s’agit de la présence de Richard Desjardins au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et le dossier préparé sur L’Erreur boréale par L’Actualité dans l’édition du 15 décembre 1999. Dans ce numéro, la rédaction a décerné le titre de personnalité de l’année 1999 à Richard Desjardins (voir tableau 1). Ce dossier reprend l’investigation de Richard Desjardins et Robert Monderie, les arguments avancés par les auteurs et les contre-arguments des opposants au film pour vérifier si les réalisateurs du film ont bien raison de lancer l’alarme et que leur inquiétude repose sur une base solide.
À partir des temps forts du calendrier, nous avons recensé les rubriques des journaux dans lesquelles on traitait directement ou indirectement du film. Cet exercice nous a permis de constater que ce film n’était pas uniquement un sujet culturel, artistique et cinématographique et qu’il a été repris rapidement par les rubriques économie, politique, recherche et sport. Selon l’angle de traitement, on traitait du film et de sa thèse ou d’un aspect spécifique soulevé par le film comme l’industrie forestière, le système forestier, la responsabilité du ministère des Ressources naturelles, les coupes à blanc, le reboisement et la régénération de la forêt, les impacts environnementaux possibles, etc. Les critiques, les chroniqueurs, les éditorialistes et les caricaturistes se sont aussi emparés du film pour se prononcer pour ou contre la thèse de Desjardins et Monderie ou discuter de la résonance du film dans la sphère publique. Des individus et les principaux acteurs des milieux forestier, politique, syndical et environnemental ont donné aussi leur opinion dans les espaces qui leur étaient spécialement alloués, en s’adressant aux auteurs du film ou aux acteurs dénoncés dans le film afin qu’ils s’expliquent.
Ensuite, nous avons énuméré et dénombré les acteurs, en excluant les journalistes individuels, qui se sont prononcés sur le film et qui ont pris part à la discussion par des paroles rapportées par les journalistes ou des lettres publiées en fonction des moments importants du calendrier. Ces acteurs relèvent des secteurs forestier, économique, politique, gouvernemental, écologique, de la recherche ainsi que du grand public. Même l’évêque d’Amos a pris part au débat. Cela permet de constater que la résonance du film se produit au-delà des limites de la rubrique culturelle et des sujets artistiques. Le tableau 2 qui reprend le calendrier des principales étapes du débat montre que l’onde de choc s’étend, s’intensifie et mobilise une importante diversité d’acteurs. Certains des acteurs se sont exprimés une seule fois. D’autres, dépendamment de leur fonction, revenaient régulièrement pour informer, expliquer, présenter, défendre ou débattre du film, de ses allégations ou de l’industrie forestière et de son fonctionnement.
À partir de notre analyse de presse, il a été possible de prendre en compte la personnification des réalisateurs et le rôle qu’ils ont joué chacun dans ce concert médiatique. Robert Monderie a occupé un rôle beaucoup plus effacé que son acolyte Richard Desjardins. Dans le film, il est derrière la caméra. Dans le débat, il agit en renfort quand Desjardins n’a pas pu le faire parce qu’il était à l’étranger. Pour le décrire, les journalistes le nommaient après Desjardins et spécifiaient souvent le lien qui les unissait. Ils ont spécifié qu’il était photographe et cinéaste (Tremblay, Le Quotidien, 20 mars 1999), qu’il était un ami d’enfance de Desjardins (Simard, Le Soleil, 26 février 1999), que tous les deux étaient originaires de l’Abitibi et qu’il était un « collaborateur de la première heure » de Desjardins (Perreault, La Presse, 13 février 1999). Souvent, le nom de Robert Monderie était absent de la présentation des auteurs du documentaire.
Quant à Richard Desjardins, les journalistes le présentaient comme un poète, un compositeur et un interprète. Pour le film, il était documentariste. Certains le qualifiaient de pamphlétaire. (Moreault, Le Soleil, 19 février 1999) On lui a attribué des caractéristiques particulières en soulignant son franc-parler (Perreault, La Presse, 13 février 1999) et « son sens inné des mots et de la poésie ». (Petrowski, La Presse, 16 février 1999) De plus, des journalistes ont également relevé que L’Erreur boréale renouait avec le ton engagé, un trait particulier associé aux documentaires des années 70. (Moreault, Le Soleil, 19 février 1999) Dans une lettre, un lecteur a même surnommé ceux qui défendent des causes du nom de l’auteur : « Les Desjardins sont trop rares et il n’y a pas que la forêt qui soit menacée. » (Chartier, La Presse, 11 mars 1999) D’autres se sont empressés de dire qu’il s’est transformé en journaliste « grand reportage » (Beaudoin, Le Nouvelliste, 30 mars 1999) ou qu’il « épaule le journaliste-enquêteur ». (Francoeur, Le Devoir, 9 février 1999) Certains ont souligné que le film n’aurait certainement pas eu le même impact si le « porte-flambeau » n’était pas Richard Desjardins. (Tremblay, Le Devoir, 20 mars 1999) Les opposants du film ont comparé Desjardins à Brigitte Bardot et à l’effet négatif du film sur toute une industrie comme ce fut le cas pour la chasse aux phoques et aux blanchons sur les banquises de Terre-Neuve. D’autres ont suggéré à Desjardins de ne pas parler de choses qu’il ne connaît pas : « à chacun son métier et les moutons seront bien gardés ». (Munger, Progrès Dimanche, 11 avril 1999)
On traite aussi de la manière par laquelle Desjardins s’est mis en scène dans son propre film. Selon un journaliste, Desjardins apparaît comme un présentateur. (Côté, Le Droit, 27 mars 1999). Même si tous reconnaissent que la notoriété du chansonnier jouait beaucoup dans l’attention portée sur le film, Desjardins, dans son film, incarnait un simple citoyen qui présente à ses semblables le fruit de ses recherches et cherche à éveiller leur conscience par rapport à la sauvegarde de la forêt. (Warren, Le Soleil, 22 avril 1999)
Par l’analyse de l’introduction du film, il est possible d’arriver aux mêmes conclusions quand nous nous attardons à la mise en scène de l’énonciateur et du rapport au public.
Dans L’Erreur boréale, Richard Desjardins se met en scène pour se porter à la défense de son sujet. Par l’entremise de ses souvenirs, de son entourage immédiat, de son expérience et de ses observations, il partage ses préoccupations et sensibilise le public à un problème qui concerne la collectivité. Il est le narrateur, le conteur, l’observateur et l’enquêteur. Les récits de sa vie intime ne découlent pas d’un véritable processus de déprivatisation de soi. Richard Desjardins se sert de sa notoriété pour défendre une cause qu’il juge plus noble et importante que la promotion de sa propre personne ou de sa carrière. (Fillion et Le Cam, 2007)
Dès l’introduction du documentaire, l’adresse au public est mise en place et elle conditionne le rapport des réalisateurs au public. L’Erreur boréale est une adresse au citoyen non-informé et déconnecté de cette ressource et du sujet de la déforestation. Les réalisateurs soulignent aussi que la forêt est un bien public dont chaque Québécois est propriétaire afin d’éveiller l’intérêt du spectateur. Ce rapport au public est essentiel car il permet de percevoir la manifestation de la ligne éditoriale. (Fillion et Le Cam, 2007)
Dans la revue de presse, il est possible aussi de recenser un vocabulaire associé à la description de cet objet cinématographique par les journalistes et les acteurs impliqués afin de souligner au passage l’intention avouée de donner son opinion, d’alerter le public et d’intervenir dans le débat public. L’Erreur boréale a été présenté comme un « documentaire », un « documentaire choc », « le film-événement de l’hiver », un « film-reportage », un « film engagé », « un cri d’alarme », un film de « légitime défense », un « film dévastateur », un « essai critique », un « pamphlet », une « vaste enquête », une « démonstration », un « film d’opinion » et un « film à thèse ».
Dans la couverture médiatique de L’Erreur boréale, on perçoit une discussion sur la façon de décrire le documentaire, son énonciation et son contenu. Comme l’a écrit un journaliste : « […] avec L’Erreur boréale, nous ne sommes pas au pays de L’homme qui plantait des arbres et des images de Frédérik Back. Si le message écologique est le même, la façon de le faire passer a l’impact d’une promenade en 100 km/h dans une « trail » de terre à bois. » (Provencher, Le Soleil, 20 février 1999 : paragraphe 5) Certains ont refusé l’idée que ce film soit un documentaire parce que ce film d’opinion emploie habilement les images, les propos, la trame sonore et le montage pour appuyer la thèse de ses auteurs. (Presse canadienne, La Presse, 26 mars 1999) Philippe Breton, docteur en psychologie du langage et de la communication, a fait valoir que les énoncés avancés dans le film étaient de l’ordre de l’affect et non de l’argumentaire. De plus, il s’est dit persuadé que les Québécois n’oseraient pas critiquer le film parce que Richard Desjardins est un intouchable. (Robitaille, Le Devoir, 6 avril 1999) Paul Warren nuançait et décortiquait le film en réitérant que ce qu’ont fait Desjardins et Monderie est bel et bien du documentaire défendant une thèse bien spécifique. Ils se devaient alors, soutient-il, de convaincre le public de la pertinence de la cause qu’il dénonce et défend. (Warren, Le Soleil, 22 avril 1999) De leur côté, les auteurs du documentaire ont assumé complètement l’absence de ton neutre : « ‘Je ne crois pas à la théorie des deux côtés de la médaille. Les compagnies forestières ont assez d’argent pour faire leur propre promotion sans que je le fasse gratuitement pour elles’, de dire le chanteur-réalisateur ». (dans Presse Canadienne. Desjardins, Le Soleil, 28 novembre 1999 : paragraphe 4)
Pour certains journalistes, le documentaire était « une extraordinaire leçon de journalisme ». (dans Presse Canadienne. Rhéaume, Le Soleil, 28 novembre 1999) Au point que la question que l’on a débattue au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a été : « L’Erreur boréale? L’erreur des journalistes? Comment se fait-il que le plus gros événement journalistique de l’année soit l’œuvre d’un poète plutôt que des journalistes eux-mêmes? » (Cauchon, le Devoir, 1 décembre 1999 : paragraphe 3) Selon Cauchon, ce film perturbe la profession journalistique parce qu’il « marie deux styles en apparence irréconciliables : c’est un document d’auteur, personnel, subjectif et engagé, où le réalisateur montre un parti pris clair au risque de prendre des raccourcis… mais ce parti pris s’appuie aussi sur une enquête journalistique particulièrement fouillée. » (Le Devoir, 1 décembre 1999 : paragraphe 9)
Dans l’analyse de contenu, nous pouvons clairement voir cette dualité entre le type d’information employé dans le documentaire et la présence de l’identité énonciative de Desjardins. Même si L’Erreur boréale relève d’une perspective citoyenne, Richard Desjardins veut se construire une crédibilité journalistique en empruntant les apparences et les procédés du journalisme. Cela se manifeste par les particularités visuelles et sonores spécifiques aux scènes. Celles-ci correspondent à diverses pratiques journalistiques : l’usage d’archives, l’énumération de faits et de statistiques, les témoignages des experts – le père de Richard Desjardins, ancien technicien forestier – un économiste, des ingénieurs forestiers, des professeurs, etc. (Fillion et Le Cam, 2007)
Pendant ce congrès des journalistes professionnels, plusieurs ont notamment affirmé que les structures contraignantes des médias empêchaient aujourd’hui les journalistes de faire un travail d’investigation aussi important que L’Erreur boréale.
En fait, l’analyse du secteur économique cinématographique québécois et canadien montre que les réalisateurs de L’Erreur boréale n’ont pas travaillé seuls. Ils ont bénéficié de l’appui d’organismes publics et privés pour le financement, la production, la distribution et la diffusion du film. Au cours de cette aventure, Desjardins et Monderie ont eux aussi eu à surmonter quelques obstacles. Les fonds limités alloués à la réalisation du film ont obligé les réalisateurs à réduire l’ampleur du sujet dont l’intention de départ était d’enquêter sur la forêt boréale à l’international. (Cauchon, Le Soleil, 27 mars 1999) Ils ont aussi tenu à conserver une liberté éditoriale en refusant de signer un contrat préparé par l’Office national du film du Canada qui cherchait à subordonner l’opinion des auteurs à celle du producteur. (Perreault, La Presse, 13 février 1999)
Conclusion
Ainsi, notre analyse préliminaire du film, de son rebondissement dans les médias traditionnels, de son identité aux yeux des acteurs sociaux concernés par son objet thématique, de la résonance obtenue dans les médias et du nombre important d’acteurs mobilisés par lui confirme pour l’instant que le documentaire L’Erreur boréale a eu l’effet d’un acte de journalisme. Il a assumé un rôle moteur d’intervention dans la délibération publique. Par ailleurs, le fait qu’il ait rempli ce rôle tient aux conditions de production du journalisme et des industries culturelles canadiennes à la fin du siècle : transformation du journalisme, télévisé en particulier, devenu incapable de produire des enquêtes et des reportages approfondis, couplé avec une offensive de la production cinématographique sommée de s’affirmer sur toutes les scènes possibles.
Tableau 1 – Calendrier des principaux temps forts associés à L’Erreur boréale
13/02/1999 |
29/03/1999 |
31/03/1999 |
02/04/1999 |
24/04/1999 |
20/05/1999 |
22/06/1999 |
27/11/1999 |
1/12/1999 |
15/12/1999 |
Tableau 2 – Apparition des divers acteurs selon les temps forts*
13/02/1999 |
29/03/1999 |
31/03/1999 |
02/04/1999 |
24/04/1999 |
* La coalition sur les forêts vierges accuse. *L’associa-tion des industries forestières du Québec se défend. |
Les médias audiovisuels se joignent au débat : * Radio-Canada. |
La classe politique se mobilise : * ministre de l’Environ-nement du Québec. |
Comme une vague, le débat s’étend : * émission de débats Droit de parole * Délégation du |
* Sondage dans un quotidien * Assemblée des actionnaires de la Domtar |
20/05/1999 |
22/06/1999 |
27/11/1999 |
2/12/1999 |
15/12/1999 |
La riposte s’organise : * Com- |
Relance du débat : * chercheurs du ministère des Ressources naturelles |
Le milieu professionnel journalis-tique : * Fédération profession-nelle des journalistes |
Le débat s’approfon-dit : * Gérard, |
Apogée du mouvement : * entrée en scène des autochtones |
* La coalition sur les forêts vierges accuse. *L’associa-tion des industries forestières du Québec se défend. |
Les médias audiovisuels se joignent au débat : * Radio-Canada. |
La classe politique se mobilise : * ministre de l’Environ-nement du Québec. |
Comme une vague, le débat s’étend : * émission de débats Droit de parole * Délégation du |
* Sondage dans un quotidien * Assemblée des actionnaires de la Domtar |
* Le tableau se limite à deux acteurs par colonne pour illustrer aussi bien la diversité des intervenants que l’extension du débat dans la période étudiée.
Notes
(1) Fillion, Nathalie et Florence Le Cam. 18 mai 2006. Documentaires et weblogs : une extension de la définition de l’identité éditoriale journalistique. Colloque « Interroger la société de l’information ». Acfas. Université McGill. Communication présentée par Nathalie Fillion. Cette communication a été publiée en 2007. (Fillion, Nathalie et Florence Le Cam. 2007. « Documentários e weblogs : uma extensão da identidade editorial jornalística?« . traduit en portugais. Comunicação e Espaço Público. Brasilia : Faculdade de Comunicação, Universidade de Brasilia, Ano X, nº 1-2, p. 50-68.)
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Auteur
Nathalie Fillion
.: Nathalie Fillion est doctorante en communication et inscrite en cotutelle à l’Université Laval et à l’Université de Rennes 1. L’auteure est également chargée d’enseignement au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Ses recherches portent sur le rapprochement entre le documentaire et le journalisme dans l’exercice de la délibération publique au tournant du XXIe siècle.