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Web social et multimédia : propriétés d’une relation symbiotique

16 Déc, 2011

Résumé

Les notions inhérentes aux principes du web social placent les contenus multimédias au cœur de nouvelles pratiques communicationnelles. Les relations entre les nouveaux espaces de médiation ouverts par le web 2.0 et l’univers du multimédia ne s’inscrivent pas simplement dans un rapport linéaire et séquentiel de transfert d’innovations mais procèdent davantage d’une relation symbiotique aux bénéfices multiples. Dans une première partie nous mettrons en exergue les spécificités de ces relations puis nous questionnerons les nouveaux usages et les nouvelles pratiques qu’elles induisent. Dans une seconde partie, nous présenterons un ensemble de résultats obtenus suite à une étude menée sur les usages du web 2.0 au sein d’institutions culturelles ou de loisirs.

Mots clés

Web social ; multimédia ; usages des TIC ; espaces de médiation

In English

Title

Social Web and multimedia: properties of a symbiotic relationship

Abstract

Social web tools and uses give multimedia contents a very significant place within new communication practices. Relationships between new mediation areas opened by social web and multimedia contents do not fit in a simple linear and sequential innovation transfer process but appear more as the result of a highly benefic symbiotic system. In the first part of this communication we will outline the particularities of these relationships and then we will focus on new uses and practices they produce. In the second part we will present conclusions of a study about social Web tools and cultural or leisure institutions communication.

Keywords

Social Web; multimedia; IT uses; mediation areas

En Español

Título

Web social y multimedia : propiedades de una relación simbiótica

Resumen

Las nociones inherentes a los principios de la web social ponen los contenidos multimedias al centro de las nuevas prácticas comunicacionales. Las relaciones entre los nuevos espacios de mediación abiertos por la web 2.0 y el universo del multimedia no se inscriben solamente en una relación lineal y secuencial de transferencia de innovaciones pero proceden más de una relación simbiótica con beneficios múltiples. En una primera parte pondremos en relieve las especificidades de estas relaciones y posteriormente cuestionaremos acerca de los nuevos usos y nuevas prácticas que inducen. En una segunda parte, presentaremos un conjunto de resultados obtenidos gracias a un estudio realizado sobre los usos de la web 2.0 en el seno de instituciones culturales o de entretenimiento.

Palabras clave

Web social ; multimedia ; uso de las TIC ; espacios de mediación

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Pirolli Fabrice, Crétin-Pirolli Raphaëlle, « Web social et multimédia : propriétés d’une relation symbiotique« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/2, , p.73 à 82, consulté le vendredi 19 avril 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/dossier/06-web-social-et-multimedia-proprietes-dune-relation-symbiotique/

Introduction

L’émergence du web dit social, ou web 2.0, constitue l’une des évolutions de fond les plus remarquables de ces dernières années dans le domaine de la communication sur les réseaux numériques. Aujourd’hui considéré comme une « réalité notionnelle et factuelle évidente » (Bouquillon, Matthews, 2010, p. 7) le web social a déjà contribué à redessiner le contour de nombreuses pratiques. Selon une étude menée par l’institut Médiamétrie sur les usages quotidiens des internautes français (Médiamétrie, 2011) la consultation de sites communautaires se plaçait au mois de décembre 2010 en seconde position après l’utilisation de moteurs de recherche tandis que les plateformes de partage de vidéo et de photographies proposant des fonctionnalités de réseautage social figurent de façon récurrente dans la liste des sites les plus visités. Cette tendance générale est confirmée sur le plan international par une progression soutenue de l’audience des acteurs majeurs du domaine du web social. Parmi les différents domaines directement impactés par cette évolution celui du multimédia est particulièrement concerné. Les notions inhérentes aux principes du web social telles que le partage, la collaboration et la génération de contenus par les utilisateurs (User Generated Contents) placent les contenus multimédias au cœur de ces nouvelles pratiques communicationnelles.
Les relations entre web 2.0 et multimédia ne s’inscrivent pas simplement dans un rapport linéaire et séquentiel de transfert d’innovations mais procèdent davantage d’une relation symbiotique aux bénéfices multiples. Les applications du web 2.0 se nourrissent d’une multitude de contenus multimédias qui trouvent sur ces plateformes et applications de nouveaux espaces de médiation. Nous proposons de mener une réflexion théorique sur ces apports. L’étude de la nature de cette relation nous amènera dans une première partie à mettre en exergue les spécificités des relations entre web 2.0 et multimédia. Dans un deuxième temps, nous questionnerons les nouveaux usages et les nouvelles pratiques que cette relation symbiotique induit. Enfin dans une dernière partie, nous présenterons un ensemble de résultats obtenus suite à une étude menée sur les usages du web social dans un ensemble d’institutions culturelles ou de loisirs.

Contenus multimédias et espaces de médiation du web social

Le multimédia

Le concept de multimédia, popularisé depuis la fin des années 1980 et l’avènement des techniques de numérisation de contenus analogiques (Chrisment, Sèdes, 2000, p. 10), peut désigner selon la posture et le cadre théorique retenus, différentes réalités. La simple coexistence de plusieurs médias sur un même support ne peut suffire à le définir. Dans le cadre de nos travaux, nous adopterons la définition du produit multimédia énoncée par Ioan Roxin (Roxin, 2003, p. 10) : « un produit multimédia peut être défini comme une combinaison de médias numériques discrets (texte, images fixes) et continus (images animées, sons) ; synchronisés et liés ; diffusables sur les réseaux de télécommunication ou tout autre support numérique ». Matériellement la création et la gestion de contenus multimédias supposent le recours à un ensemble de dispositifs techniques et de pratiques dont le domaine du Digital Media Asset Management présente une approche fonctionnelle et un modèle d’architecture particulièrement aboutis (Gouyet, Gervais, 2006, p. 138). Le traitement des contenus multimédias est ainsi abordé à travers leurs phases de création, d’analyse, d’indexation, de stockage puis de distribution. En fondant notre approche sur ces différentes phases observées à la lumière du web 2.0 nous nous intéresserons davantage aux modalités de création et de diffusion de contenus multimédias qu’aux enjeux socio-économiques sous-jacents.

Multimédia et web social

Le web social regroupe un ensemble d’applications et d’outils dont les finalités peuvent être variées, mais qui ont en tous en commun les notions de partage et de collaboration (O’Reilly, 2005). Parmi les plus populaires actuellement nous citerons les réseaux sociaux, les plates-formes de partage de photos et de vidéos intégrant des options « sociales » de partage, les blogs, les wikis et les outils de partage de signets. Les différentes modalités communicationnelles proposées par ces outils ont peu à peu contribué à élargir et à modifier l’approche purement fonctionnelle de la gestion de médias numériques. En effet les contenus multimédias partagés dans ces espaces spécifiques sont, de fait, massivement inclus dans des processus communicationnels basés sur une approche communautaire polymorphe et fractionnée. Polymorphe, car un même contenu informationnel peut prendre diverses formes et s’inscrire dans une quasi-infinité de contextes différents, et fractionnée, car les évolutions techniques ont conduit à un éclatement des différentes fonctions mobilisées par la gestion de contenus multimédias. Cette réorganisation a été accompagnée d’une nouvelle répartition des tâches entre les différentes catégories d’acteurs dont les internautes sont devenus l’une des plus importantes.
Les outils collaboratifs du web social permettent notamment à leurs usagers de faire abstraction des contraintes techniques liées aux besoins de stockage et de diffusion des produits multimédias. La gratuité des services pour l’utilisateur ainsi que la simplicité de leur mise en œuvre, appuyée par l’adaptation progressive des dispositifs techniques de production de contenus, facilitent l’implication spontanée et l’engagement des usagers (Proulx, 2009). Dans le domaine du multimédia ce schéma rompt avec les modèles éditoriaux établis depuis le début des années 1990. Le web social, espace de partage et d’échange, a naturellement contribué à créer de nouveaux espaces de médiation pour les contenus audio-visuels de toutes natures. En conférant aux internautes un statut de créateur, de commentateur, d’évaluateur ou encore de prescripteur (Pirolli, 2010, p. 89) – même si celui-ci reste confiné à son environnement proche – les outils du web social favorisent une large diffusion des contenus. Ils leur confèrent une visibilité jusqu’alors inégalée, ces derniers étant peu ou mal indexés par les outils de recherche d’information. Si les moteurs de recherche demeurent l’un des principaux points d’accès aux contenus sur le web, les outils du web social favorisent une diffusion sur le modèle du push. Comme l’exprime Louise Merzeau (Merzeau, 2010, p. 11) « média de commutation plus que de diffusion, Internet brouille non seulement la distribution entre émetteurs et récepteurs, mais il contredit même l’idée du message comme point focal de tout échange ». Ainsi, les outils de réseautage social, en permettant aux internautes de devenir des relais d’information tout en leur offrant la possibilité d’enrichir les contenus de manières variées (textes, images, sons) et d’en évaluer leur qualité, contribuent à faire de l’internet l’un des principaux supports actuels de développement du multimédia.
Cette relation fructueuse est à double sens dans la mesure où l’engouement populaire pour les outils du web 2.0 trouve pour une large part son origine dans la richesse et la diversité des contenus qu’il est possible d’échanger. Cette diversité est d’autant plus marquée que les modalités de création et de partage sont régulièrement simplifiées. À ce titre il nous semble intéressant de souligner que les plus grandes réussites du monde du web 2.0 observées aujourd’hui en termes d’audience et de notoriété concernent des applications qui intègrent ou exploitent des fonctionnalités de création ou d’échange de contenus multimédias (Facebook, Twitter, Youtube,…). L’interpénétration entre les fonctionnalités de ces différents outils, comme la possibilité de diffuser des contenus de Youtube via Facebook, permet en outre de multiplier les canaux de diffusion. Simultanément ces espaces d’échange sont aujourd’hui instrumentalisés par les industries de la communication (Bouquillon, Matthews, 2010, p. 33) et par les pratiques dites de « marketing viral » qui reposent en grande partie sur les principes de diffusion de contenus multimédias dans ces espaces de médiation (Mellet, 2005, p. 268). La division et la nouvelle répartition des processus de création, d’analyse, d’indexation, de stockage et de distribution des contenus favorisent la globalisation des échanges et la réplication de l’information.
Le web social intègre donc par essence une composante multimédia. Son développement traduit la convergence entre les évolutions techniques qui étaient nécessaires à leur maturation, les attentes des internautes enclins à devenir acteurs du réseau et la diversité de la forme des contenus créés et échangés. Cependant, cette nouvelle étape dans le développement de l’Internet ne marque pas une rupture franche par rapport à une situation antérieure, mais s’inscrit dans une continuité d’innovations. Cette évolution interroge naturellement la question des usages et des pratiques. Nous proposons dans les paragraphes suivants d’en étudier les caractéristiques de façon distanciée. Nous ne prétendons nullement présenter une réflexion générale sur les théories de l’usage ou, a fortiori, sur la notion même d’usager, mais davantage une mise en perspective de ces concepts fondée sur les rapports entre web social et multimédia.

Conséquences de l’association web social et multimédia

Usages et dispositifs techniques

L’étude des usages de dispositifs techniques soulève de nombreuses questions tant du point de vue de la posture théorique que du point du vue méthodologique (Jouët, 2000, p. 500) (Flichy, 2008, p. 164). Si, comme l’exprime Françoise Paquienséguy (Paquienséguy, 2007, p. 2), « il reste central pour l’analyse des usages de ne pas se focaliser sur les caractéristiques techniques de l’offre » il nous semble néanmoins utile, dans le cadre de notre réflexion, de mettre en avant l’évolution de l’offre du point de vue des dispositifs impliqués dans les processus de production de contenus multimédias. Nous ne considérons pas cette évolution comme l’unique source d’une modification des pratiques, mais a contrario comme le témoignage d’une nécessaire adaptation du secteur marchand aux usages observés sur les réseaux numériques. L’adoption progressive des innovations dans le domaine des TIC s’articule autour de techniques et de pratiques antérieures (Jouët, 2000, p. 500). Cette notion d’évolution nous semble particulièrement sensible dans le domaine de la production audiovisuelle. L’offre matérielle dans ce secteur a considérablement évolué afin d’intégrer aux dispositifs un ensemble de fonctionnalités communicantes ou a minima pour prendre en considération les contraintes techniques qu’elles imposent.
La diversification du marché des appareils photo numériques a notamment conduit à la mise sur le marché de produits tournés aussi bien vers la production d’images numériques que vers celle de vidéos destinées uniquement à être partagées et commentées sur les plateformes du web. À ce titre l’adoption sur une large gamme d’appareils de la norme de codage vidéo H.264, utilisée majoritairement aujourd’hui sur Youtube et particulièrement adaptée à un usage mobile, ainsi que l’intégration logicielle de fonctionnalités liées aux réseaux sociaux les plus populaires constitue l’un des aspects les plus marquants. Dans le même temps, la fusion des fonctionnalités de téléphonie, d’accès à l’internet et de production de documents audiovisuels est désormais actée par le succès croissant et ininterrompu du marché des smartphones et autres dispositifs personnels mobiles. Ces innovations, résolument ancrées dans le contexte du web social, contribuent à renforcer le caractère consubstantiel des activités de production et de partage des contenus multimédias. Au-delà de cette approche matérielle, il apparait que les différents outils du web social ont en commun une forte usabilité (Le Coadic, 2001, p. 52) dans la mesure où ils constituent un ensemble de services et produits prêts à l’usage. Pour un usager du web l’apprentissage de leur utilisation est simple, leurs fonctionnalités sont très spécifiques, mais en nombre réduit et leurs interfaces faciles à appréhender (Pirolli, 2009, p. 90). Les différentes composantes de l’usabilité  – apprentissage simplifié et mémorisation aisée du mode de fonctionnement, efficacité et fiabilité du dispositif, satisfaction des utilisateurs– se trouvent réunies.
L’ensemble de ces éléments façonne un « cadre d’usage » (Flichy, 2008, p. 166) dans lequel s’inscrit la rencontre entre usagers et technique et dont la dimension sociale est un élément essentiel. Patrice Flichy met en évidence le fait que ce « cadre d’usage » est associé à un « cadre de fonctionnement » définissant savoirs et savoirs-faire mobilisés dans l’activité technique.  C’est précisément sur ce « cadre de fonctionnement » que nous proposons à présent d’orienter notre réflexion et plus précisément sur la façon dont l’imbrication croissante en web social et multimédia conduit les usagers à développer de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs-faire.

Nouvelles pratiques, nouvelles compétences

Par l’utilisation d’applications du web 2.0 les internautes, indépendamment de leurs profils individuels, seraient amenés à intégrer progressivement dans le cadre de leurs activités numériques un ensemble de pratiques relevant de champs d’activités distincts dont certains peuvent leur être étrangers : documentation, production, réalisation, publication… La séparation entre le statut d’auteur et celui de lecteur, ou de spectateur, devient de plus en plus ténue. L’internaute peut devenir auteur – ou concepteur – en combinant et en juxtaposant des contenus ou des liens (Doueihi, 2009, p. 26). Il a la possibilité de former des sélections de textes, d’images, de vidéos qui seront rediffusées à l’intérieur d’espaces personnalisés, mais publics, dans des contextes souvent indépendants de leurs origines. Les pratiques de redocumentarisation (Salün, 2007, p. 3) se généralisent dans un contexte où la stabilité du document s’estompe au profit de contenus numériques hétérogènes dont la combinaison à l’aide d’applications composites est grandement simplifiée. L’utopie du « pouvoir de l’internaute fondé sur sa participation dans la médiation » (Vidal, 2007, p. 14) trouve ainsi une nouvelle incarnation.
Nous citerons à titre d’exemple le réseau social Myspace, l’un des premiers succès du web social, consacré à la production artistique musicale. En raison de sa facilité d’utilisation et de sa gratuité, Myspace a constitué pour de nombreux artistes une porte d’entrée dans l’univers du multimédia en ligne, devenant un vecteur de diffusion et de promotion d’œuvres originales (Beuscart, 2008, p. 141). Si aujourd’hui cette plateforme d’échange connaît la désaffection du public, son audience ayant chuté de moitié entre janvier 2010 et janvier 2011, elle reste pionnière dans ce domaine et aura contribué à l’émergence de nouvelles pratiques de conception multimédia et de communication en ligne. Dans de tels cas le web social devient non seulement un espace de production et d’échange, mais contribue à développer au sein des populations d’internautes concernés de nouvelles habiletés et compétences. Les questions liées à l’utilité, l’utilisabilité et l’ergonomie des produits numériques relevant traditionnellement du « web design » (Nielsen, Loranger, 2007, p. 96) et de la conception de produits multimédias trouvent un nouvel écho dans ces espaces où la popularité demeure l’un des critères essentiels. L’une des particularités remarquables de cette évolution tient au fait que ces pratiques ne sont à aucun moment imposées aux utilisateurs, mais qu’elles sont induites, directement ou indirectement, par l’utilisation des outils. L’ensemble des dispositifs d’autoproduction ou de « production de soi » (Fourmentraux, 2010, p. 112) tels que les pages personnelles, les blogs, ou encore les ePortfolios font massivement appel à la capacité de leurs utilisateurs à réaliser et à mettre en scène des contenus multimédias. L’émergence des vlogs (ou vidéoblogs) témoigne de cette évolution poussant l’internaute dans ce cas précis à s’affranchir des contenus textuels. Enfin, le domaine du Net art, dans lequel les contenus multimédias occupent une place primordiale, est également particulièrement concerné par la capacité du web social à réhabiliter l’image et l’échange communicationnel dans la création artistique (Fourmentraux, 2010, p. 119).
Il apparaît donc que la relation qu’entretiennent web social et multimédia n’est pas uniquement de nature symbiotique, mais qu’elle puisse également être féconde, participant à l’élargissement et à la diversification des compétences de leurs utilisateurs. Dans une troisième partie, en nous appuyant sur les résultats d’une étude de terrain, nous proposons une mise en perspective de ces caractéristiques sur le plan de la communication institutionnelle. Nous nous intéresserons aux différentes approches visant à mobiliser les relations entre contenus multimédias et outils du web social que nous avons identifiées dans les pratiques de communication en ligne d’organismes de types musées, muséoparcs et parcs de loisirs.

Exemples d’utilisation des relations entre web social et multimédia par des institutions culturelles ou de loisirs

Contexte et méthodologie de l’étude

Dans le cadre d’un travail de recherche réalisé par le laboratoire CIMEOS en partenariat avec une institution culturelle de la région Bourgogne (SEM – Alésia) nous avons été amenés à conduire un travail d’analyse et de synthèse sur les usages des outils du web social. Cette étude, menée entre janvier et mai 2010, a porté sur l’utilisation des outils du web 2.0 par cinquante-sept organismes de type musées, muséoparcs ou parcs de loisirs. Les organismes étudiés ont fait l’objet d’une sélection préalable opérée par le commanditaire en fonction de critères de similarité avec l’organisme concerné, tant au niveau des publics visés que des thématiques abordées. Afin de répondre aux objectifs assignés notre approche a été délibérément pragmatique et descriptive. Du point de vue méthodologique nous avons procédé à une analyse systématique de toutes les activités des organismes étudiés sur les outils du web social ainsi qu’à une analyse de toutes les contributions des internautes en lien avec ces activités et consultables sur le web. Les modalités d’utilisation de ces outils ont ainsi été placées au cœur de l’étude. Cette approche a été complétée par un ensemble d’entretiens. L’analyse des séquences de production, de diffusion et de partage de contenus multimédias a, de fait, occupé une place particulièrement importante.  Nous ne présenterons pas ici l’ensemble des résultats obtenus, mais mettrons en avant les observations les plus significatives sur les rapports entre web social et multimédia et la manière dont ils peuvent s’inscrire dans un contexte de communication institutionnelle.

Contenus multimédias : communication institutionnelle et dimension testimoniale

Au regard des résultats obtenus, il apparaît clairement que, pour les institutions étudiées, les outils du web 2.0 occupent aujourd’hui une place importante dans les stratégies de communication. Nous avons relevé sur la période de l’étude et pour l’ensemble des institutions étudiées l’usage de huit outils distincts : Facebook, Twitter, Flickr, Picassa, Youtube, Dailymotion, Myspace, Scribd auxquels s’ajoute l’utilisation, de façon beaucoup plus sporadique, de blogs. Les outils de type réseaux sociaux apparaissaient comme les plus largement utilisés. Ainsi, 86 % des organismes étudiés possédaient au minimum une page facebook officielle. Se plaçaient en seconde position les services de partage de vidéo Youtube et Dailymotion :54 % des musées ou parcs de loisirs étudiés proposaient des contenus officiels sur l’une de ces plateformes. Enfin, le partage d’images au moyen de Flikr ou Picassa était utilisé dans 40 % des cas étudiés. Les possibilités de diffusion des contenus vidéo ou photographiques ainsi hébergés sur des pages facebook  semblent expliquer en partie ces choix techniques. Dans environ un tiers de cas étudiés, les ressources en ligne n’étaient ni alimentées, ni actualisées (pas d’activités constatées dans les six derniers mois). Pour les organismes actifs sur le web 2.0 les contenus multimédias sont quasi-systématiquement présents. Nous avons constaté deux positionnements différents selon la nature des organismes étudiés.
Du point de vue des contenus informationnels, le positionnement des institutions muséales s’inscrit dans une vision traditionnelle de diffusion de contenus informationnels du musée vers ses publics. Cette particularité a également été relevée par Gaëlle Crenn et Geneviève Vidal dans le cadre d’une étude portant sensiblement sur la même thématique (Crenn, Vidal, 2010, p. 146). Les outils du web 2.0 apportent à ce niveau une nouvelle souplesse et une simplification des processus de médiation, mais utilisés de la sorte, et en dépit de possibilités nouvelles, ils ne modifient pas profondément les modes production et de partage : l’internaute reste majoritairement cantonné au rôle de contributeur et non de créateur (Casemajor Lousteau, 2009, p. 345). Une exception a cependant été relevée à trois reprises lorsqu’une démarche de communication événementielle est menée dans le cadre d’expositions ou de concours. Dans ce contexte précis, l’implication de l’internaute, suggérée et souhaitée, dans la production et le partage de contenus est instrumentalisée afin de créer du lien entre le public et l’institution et de favoriser un sentiment d’adhésion active à l’événement. Cette démarche revêt alors majoritairement un caractère testimonial : l’internaute est invité à exprimer et à partager ses sentiments et impressions personnelles au moyen de productions vidéo, photographiques ou graphiques. La non-discrimination des publics laisse supposer que les savoirs-faire mobilisés peuvent relever à la fois de la sphère domestique et de la sphère professionnelle (Granjon, Lelong, Metzger, 2009, p. 16). En suscitant la création de contenus, le musée associe l’internaute au déroulement de l’événement.
Dans le cas des organismes de type muséoparcs ou parcs de loisirs cette approche testimoniale est beaucoup plus fréquemment exploitée, parfois même scénarisée, mettant en avant une démarche narrative et participative. Le public est amené à raconter au moyen des outils du web social et dans toute la diversité offerte par le multimédia l’expérience vécue au sein de l’institution le temps de sa visite. Tour à tour vidéaste, photographe, rédacteur et metteur en scène le visiteur au moyen des outils dont il dispose et sur la base de sa libre participation est appelé à laisser autant de traces et de témoignages. Il est intéressant de noter que la qualité, artistique ou informative, des contenus produits importe généralement peu, à l’exception des concours spécifiquement organisés. À l’instar d’un livre d’or numérique, l’espace communicationnel ainsi mobilisé n’a pour objectif principal que la collation et l’agrégation de contenus éparses tout en permettant de faire vivre un lien entre le visiteur et l’organisme au-delà de la visite.
Ce type de pratiques illustre le fait que la relation entre web social et multimédia est non seulement symbiotique et féconde, mais qu’elle permet d’essaimer dans de multiples contextes communicationnels. Bien entendu les différentes modalités d’utilisation et d’appropriation des outils techniques telles qu’elles ont été observées lors de cette étude ne peuvent être abordées indépendamment du contexte social dans lequel elles s’expriment. De nombreux facteurs extrinsèques aux stratégies de communication déployées conditionnent ces usages et ces pratiques. L’hétérogénéité des publics concernés ainsi que la multiplicité des contextes sociaux dans lesquels ils agissent nécessiteraient d’appréhender la question de l’appropriation et des « inégalités numériques » (Granjon, Lelong, Metzger, 2009, p. 16) selon une approche davantage sociotechnique. Cependant, en raison de la demande formulée par le commanditaire, notre étude est restée centrée sur l’utilisation des outils du web social par les organismes sectionnés.

Conclusion

À l’heure où de nombreux acteurs du domaine de la technologie numérique (fabricants de matériel informatique, audiovisuel…) et de l’industrie de la communication (diffuseurs, groupes de médias…) proposent des passerelles entre le monde de l’Internet et celui des médias, les grands acteurs du web social sont pleinement engagés dans cette démarche de convergence. Les accords passés entre Google, propriétaire de Youtube, et différents fabricants de télévisions témoignent de cet engagement. La mise sur le marché d’appareils permettant de visionner directement, en s’affranchissant de l’usage d’un ordinateur, les contenus disponibles sur la plateforme de partage vise à généraliser ces nouvelles pratiques informationnelles et communicationnelles. Dans le même temps cette évolution, pour qu’elle se traduise positivement en termes d’audience et de notoriété, devra être accompagnée d’une nécessaire amélioration qualitative des vidéos proposées. L’intégration progressive par les fournisseurs d’accès internet de fonctionnalités de réseautage social aux interfaces utilisateurs des équipements grand public, les « box internet », confirme le fait que l’Internet, le web social et le multimédia constituent aujourd’hui un triptyque devenu incontournable. Au-delà des problèmes de nature juridique, économique ou politique que pose cette refonte du paysage audiovisuel cet état de fait met en relief l’importance actuelle du web social qui reste malgré tout aujourd’hui un ensemble aux contours toujours flous et mouvants. La courte histoire du web 2.0 est déjà jalonnée de réussites incontestables, d’effets de mode et d’échecs auxquels le multimédia a toujours directement ou indirectement participé.

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Auteurs

Fabrice Pirolli

.: Fabrice Pirolli est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université de Bourgogne au sein du département Information-Communication de l’IUT. Il est chercheur au laboratoire CIMEOS. Ses principaux travaux concernent l’intégration des TIC, particulièrement des outils du web social, dans les pratiques professionnelles et leurs impacts sur les processus de construction, de représentation et de diffusion des savoirs.

Raphaëlle Crétin-Pirolli

.: Raphaëlle Crétin-Pirolli est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université du Maine au sein de l’IUT de Laval – Département SRC. Elle est membre du CREN (Centre de Recherche en Éducation de Nantes). Ses recherches s’articulent autour des TIC, de leurs usages et de leurs pratiques dans des contextes d’apprentissage.