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Multimédia et cinéphilie : l’usage de séquences vidéos comme révélateur d’un élargissement des pratiques d’écriture. L’exemple de trois blogueurs

16 Déc, 2011

Résumé

L’objet de cet article concerne les rapports entre l’écriture « multimédia » (Séguy, 2000) et la « cinéphilie ordinaire » (Jullier et Leveratto, 2010). La problématique sous-jacente est celle des logiques et enjeux sociaux de « la médiatisation des pratiques culturelles via TIC » (Miège, 2007). L’hypothèse principale est que l’usage des « écrits multimédias » révèle des élargissements dans les démarches individuelles d’écritures cinéphiliques. Mobilisant une approche méthodologique à la croisée de la sociologie du cinéma (Ethis, 2005) et des usages sociaux des TIC (Jouët, 2001), l’analyse s’appuie sur les pratiques d’écritures de trois bloggeurs de cinéma et plus précisément sur leurs usages d’extraits vidéos dans la rédaction de « billets ». Une reconstruction monographique des cas est présentée, veillant à mettre en perspective le temps long des pratiques d’écritures individuelles avec les usages multimédias du blog.

Mots clés

TIC, weblogs, médiatisation, usages_des_TIC, pratiques_culturelles, pratiques_d’écritures, pratiques_cinématographiques, cinéphilie_ordinaire.

In English

Abstract

The purpose of this article concerns the relationship between « multimedia » kind of writing (Seguy, 2000) and « ordinary cinephilia » (Jullier and Leveratto, 2010). The underlying problem is about logic and social stakes of  » the mediatization of cultural practices via ICT » (Miege, 2007). The main hypothesis is that the use of « multimedia writings » reveals expansions in the individual steps of cinephilia’s writing. By mobilizing a methodological approach between the sociology of cinema (Ethis, 2005) and the social uses of ICT (Jouët, 2001), the analysis is focused on the writing practices of three movie bloggers and more specifically their uses of video clips in the writing of « notes ». A monographical reconstruction of all case studies is presented, taking care to put into perspective the long time individual write practices with the multimedia uses of the blog.

Keywords

ICT, weblogs, ICT_uses, Mediatization, cultural_practices, cinema_practices, writing_practices, ordinary_cinefilia.

En Español

Resumen

El propósito de este artículo se refiere a la relación entre la escritura de « multimedia » (Seguy, 2000) y la « cinéfilia ordinaria » (Jullier y Leveratto, 2010). El problema subyacente es sobre las lógicas y las apuestas sociales de la « mediatización de las prácticas culturales a través de las TIC » (Miège, 2007). La hipótesis principal es que el uso de los « escritos multimedia », revela la expansión de los distintos pasos del escrito cinéfilo individual. Mediante la movilización de un enfoque metodológico entre la sociología del cine (Ethis, 2005) y los usos sociales de las TIC (Jouët, 2001), el análisis se basa en las prácticas de escritura de tres blogeros de cine y más específicamente el uso de clips de vídeo en la redacción de « notas ». Presentamos una reconstrucción monográfico de cada tres casos, teniendo cuidado de poner en perspectiva la práctica individual de mucho tiempo de la escritura con los usos multimedia del blog.

Palabras clave

TIC, weblogs, usos_de_los_TIC, mediatización, prácticas_culturales, prácticas_de_escritura, prácticas_de_cine, cinéfilia_ordinaria

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Dupuy-Salle Manuel, « Multimédia et cinéphilie : l’usage de séquences vidéos comme révélateur d’un élargissement des pratiques d’écriture. L’exemple de trois blogueurs« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/2, , p.55 à 71, consulté le samedi 21 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/dossier/05-multimedia-et-cinephilie-lusage-de-sequences-videos-comme-revelateur-dun-elargissement-des-pratiques-decriture-lexemple-de-trois-blogueurs/

Introduction

Si le terme « multimédia » « désigne d’abord la présence d’informations de toutes natures sur un support numérique (texte, son, image fixe, image animée, animations, 3D principalement à ce jour) » (Séguy, 2001), alors les contenus édités sur les blogs peuvent répondre à cette définition. Par exemple, un simple regard sur les « billets » édités sur des blogs de cinéma francophones dévoile des compositions a priori originales mêlant textes écrits, images variées tirées de film, bandes-annonces ou séquences filmiques.
La perspective proposée dans cet article est d’interroger les rapports entre le multimédia – considéré ici comme les écrits numériques – et la « cinéphilie ordinaire »(1). Elle s’intègre dans une problématique plus large concernant les enjeux sociaux de la « médiatisation des pratiques culturelles », considérant que l’usage des TIC contribue à actualiser et élargir les sphères d’actions individuelles (Miège, 2007). Notre analyse concerne plus particulièrement les pratiques d’écriture des cinéphiles par le prisme de l’animation d’un blog. Si nous nous intéressons à la démarche ayant conduit au lancement d’un tel « projet éditorial », l’analyse porte plus spécifiquement sur les modalités de constructions de « billets » incluant des séquences vidéos. L’hypothèse est que l’usage des écrits numériques révèle des élargissements dans les démarches individuelles d’écriture cinéphilique. Pour la discuter, trois auteurs de blogs ont été interrogés par entretiens semi-directifs.
La première partie présente plus précisément notre démarche théorique, méthodologique et empirique. La seconde effectue une analyse de notre terrain sous une forme monographique. La conclusion proposera une synthèse des résultats et un élargissement théorique concernant les enjeux éditoriaux des formes « ordinaires » des écrits cinématographiques multimédias.

Questionner et analyser la médiatisation des pratiques cinéphiles ordinaires

L’usage de l’extrait vidéo comme révélateur d’un élargissement des pratiques d’écritures individuelles

Depuis les années 90, il est possible pour les internautes de créer des « sites personnels », dispositifs éditoriaux numériques entremêlant texte écrit, liens hypertextuels, images fixes et animées. Ces sites permettraient non seulement à l’écriture traditionnelle (sur document imprimé) d’enrichir ses formes, mais également de rendre visible, dans l’espace médiatique de l’Internet, des productions informationnelles amateurs (Beaudoin et Licoppe, 2002). Une plus récente technologie d’édition numérique, dite CMS (Content Managment System), se situe dans cette continuité. Les modalités d’appropriations techniques apparaissent cependant plus souples d’utilisation et faciles d’accès que les « sites personnels ». L’explosion des weblogs – ou blogs – sur l’Internet, largement commentée, semblerait ainsi montrer combien il est simple pour les internautes de construire un dispositif éditorial et de produire des contenus informationnels numériques (Jeanne-Perrier, 2006). Il serait enfin possible au « grand public » de se lancer dans des pratiques éditoriales, élargissant ainsi l’offre médiatique amateur sur Internet.
Les blogs de cinéma se situent dans un tel contexte socio-technique. Ils sont soumis à des représentations mettant l’accent à la fois sur leur démultiplication dans l’espace Internet, et sur les potentialités d’innovations éditoriales que l’écriture numérique impliquerait. Dans le débat consacré à « la critique de cinéma face à l’Internet », organisé en 2008 à la cinémathèque française, les invités (journalistes professionnels pour la plupart) ont souligné avec enthousiasme les enjeux éditoriaux du format blog pour faire innover la « critique cinématographique ». Les potentialités d’une écriture numérique permettraient ainsi de « dépasser » les formats traditionnels de l’imprimé. Le blog, considéré comme dispositif annonciateur d’une « nouvelle critique », permettrait alors d’innover tant au niveau éditorial (nouveaux modèles médiatiques) que scriptural (nouvelles formes textuelles). En bref, selon ces discours, le numérique permettrait à la « critique » de s’affranchir de contraintes tant économiques que techniques.
Dans cette perspective, les possibilités multimédias et interactives des blogs pourraient ainsi laisser libre cours à la « créativité scripturale » des « cinéphiles ordinaires », leur permettant d’élaborer des textes novateurs tout en leur donnant une place médiatique dans le panorama des expressivités critiques. Très souvent, l’usage des extraits vidéos est présenté comme la marque de ces innovations scripturales. Les textes écrits pourraient s’enrichir de ces extraits, voir même disparaître pour laisser place à des formes de critiques sous la forme de montages vidéos, par exemple les « détournements ».
Nous proposons d’interroger la rencontre entre les possibilités d’écritures multimédias du blog – principalement l’usage de vidéos – et les pratiques d’écriture des « cinéphiles ordinaires ». La perspective théorique et méthodologique que nous adoptons ici se situe en sciences de l’information et de la communication. Elle se distingue de l’approche historique de la « cinéphilie » élaborée par Antoine De Baecque (2003). Si cet auteur a fortement contribué à l’examen de cet objet, ses analyses concernent plus spécifiquement les figures des critiques professionnels français de l’après-guerre. Dans notre travail, la notion de « cinéphilie ordinaire » met plutôt l’accent sur l’étude des pratiques quotidiennes d’individus qui s’auto-qualifient de passionnés de cinéma. Dès lors, cette approche « extensive » de la cinéphilie permet de considérer les rapports des individus dans leur dimension d’attachement et d’investissement du cinéma en qualité de passionné, sans faire de jugements sur la nature « cultivée » ou « populaire » de leurs goûts et connaissances.
Nous raccordons dès lors cette approche de la « cinéphilie ordinaire » à une problématique plus vaste concernant la « médiatisation des pratiques culturelles via TIC » (Miège, 2007). Selon cet auteur, et en référence aux apports de la sociologie des usages (Jouët, 2003), la médiatisation des pratiques (ou « technicisation ») permettrait d’élargir et actualiser les pratiques culturelles, pouvant témoigner d’un « renforcement des logiques d’actions individuelles plurielles » ou d’une « interpénétration et déplacement des frontières de la sphère d’action » (Miège, 2007). Il serait possible de faire l’hypothèse que la médiatisation des pratiques d’écritures, sur blog, révèle des changements dans la démarche scripturale des individus.
Pour prendre la « juste mesure » de cette acception, nous proposons une posture méthodologique compréhensive face aux logiques d’actions des acteurs. Résolument qualitative, elle implique une prise de distance avec toute interprétation « technodéterministe », qui tendrait à déduire l’élargissement des pratiques comme résultant des potentialités techniques du dispositif. Dès lors, l’angle d’observation proposé se situe à l’échelle des individus et vise à interroger les intentionnalités et modalités de leur démarche d’écriture en référence au blog et à certains de leurs « billets ». Cette approche nécessite au moins deux précautions méthodologiques, la prise en compte du temps long des pratiques cinéphiles individuelles (le blog s’inscrit dans une continuité de pratiques antérieures) et la relation plus spécifique au dispositif technique (le geste scriptural est encadré par les potentialités techniques du blog).

Analyser l’élargissement des logiques d’actions scripturales : rapport au dispositif et temps long des pratiques

Les pratiques d’écritures sont médiatisées en tant qu’elles passent par les TIC. D’un point de vue méthodologique, il est donc nécessaire de prendre en compte dans l’analyse la relation entre le dispositif technique et l’individu. La sociologie des usages sociaux des TIC (Jouët, 2003) propose d’analyser cette relation du point de vue des « modes d’appropriation » des individus. Cette approche met l’accent sur les négociations entre les spécificités instrumentales du dispositif (médiation technique) et les logiques d’usages propres à l’acteur (médiation sociale). Cette perspective est heuristique en tant qu’elle permet de prendre en compte les modalités d’actualisation de la démarche d’écriture. Elles sont ainsi résultantes d’une part, des logiques d’appropriations individuelles – compétences, intentionnalités et représentations que l’acteur y projette – et d’autre part, aux potentialités du dispositif, qui structure les formes de l’écriture. Nous mettons ainsi en exergue dans l’analyse les intentionnalités de l’acteur et ses modalités d’actualisation au sein de la plateforme, saisies au travers des notions « d’adoption » et « d’appropriation ».
Il est également fondamental de replacer les usages de blogs au sein des pratiques culturelles qui les structurent. Dans notre cas, nous postulons que les logiques d’usages de l’écriture sont sous-tendues par des pratiques sociales et culturelles spécifiques à la cinéphilie. Avoir une activité d’écriture lorsqu’on est cinéphile est ainsi dépendant de variables telles que les goûts ou les connaissances cinématographiques. Pour saisir les degrés de « nouveauté » dans les pratiques, il est fondamental de les recontextualiser dans une perspective de temps long individuel : « l’apparition des nouvelles pratiques se greffe sur le passé, sur des routines, sur des survivances culturelles qui perdurent et continuent à se transmettre bien au- delà de leur apparition » (Mallein et Toussaint, 1994). La notion de « carrière de cinéphile »(2) nous permet de prendre en compte la généalogie des pratiques d’écritures cinéphiles antérieures au blog. Ces précautions énoncées, il est dès lors possible de présenter notre démarche empirique.

Démarche empirique

Malgré l’extrême diversité des objets médiatiques et informationnels produits sur Internet par des cinéphiles ordinaires (forums, webzines, sites personnels, etc.), nous avons choisi d’analyser plus spécifiquement les pratiques d’écritures autour des blogs. Un tel choix se justifie en raison de la richesse thématique des contenus, qui apparaissent variés, personnalisés et « idiosyncrasiques ». Nous avons dès lors interrogé trois bloggeurs de cinéma francophones par le biais d’entretiens semi-directifs. Nos questions ont porté aussi bien sur leur « carrière de cinéphile » que sur leurs usages plus précis du blog, en référence à leurs pratiques d’écritures. Nous avons également orienté certaines des questions autour des pratiques d’écritures en relation à l’usage de séquences vidéos dans le texte, afin de savoir dans quelles finalités et modalités ces séquences ont été mobilisées. L’analyse repose ainsi sur un croisement de données issues des entretiens avec l’observation de contenus produits sur les blogs. La présentation de l’étude se déroule sous forme monographique. Chaque portrait permet de mieux comprendre comment l’inscription des séquences vidéos s’articule, prolonge, ou élargit les pratiques d’écritures individuelles antérieures.

Trois formes « d’élargissement » des pratiques d’écriture cinéphile

Exemple 1 : « Aller au bout de ses vieux serpents de mer » ; de l’accomplissement chez V.

V., 40 ans est ingénieur dans l’industrie chimique. Il cultive depuis l’adolescence un goût prononcé pour les westerns, mais aussi les grands classiques. Son blog de cinéma est ouvert sur la plateforme Haut et fort depuis 5 ans. En dehors d’une consommation de film accrue, sa « carrière de cinéphile » est guidée par un investissement de passionné. Elle est jalonnée de nombreuses activités, comme la création d’une association consacrée au cinéma et la mise en place d’un festival de courts-métrages. L’écriture cinématographique remonte à la pré-adolescence : « vers 9, 10 ans je faisais déjà des fiches sur les films que j’avais vu. Donc ça part comme ça en fait, après on commence à lire des trucs, on prend des notes, on construit des listes, des machins ». Au fil du temps, il a néanmoins laissé de côté cette activité.
Il ouvre justement son blog dans la perspective de renouer avec la pratique d’écriture. Il s’agit de re-créer une activité cinéphile dans un moment de vie particulier. Il vient pallier à l’arrêt d’une émission de radio sur le cinéma qu’il animait et dans laquelle il préparait parfois des textes écrits. Le blog permet également de pratiquer une activité cinéphile à domicile, qui s’articule bien avec son rôle récent de père. Si l’idée d’une activité d’écriture sur le web était déjà envisagée avec les « sites personnels », la simplicité d’adoption du blog l’a réellement poussé à « franchir le cap ». Il a néanmoins mis plusieurs semaines avant de maîtriser les fonctionnalités de l’outil. En dehors de l’accès simplifié au dispositif, il est important de souligner que le choix de ce format de publication est aussi motivé par la sensation d’une liberté éditoriale. La sensation de maîtrise de l’ensemble de la démarche – écrire, éditer et diffuser – se fait l’écho de ce qu’il nomme « l’esprit des fanzines » : « ce qui est bien, c’est tu dis ce que tu veux, comme tu veux, ça plait ou pas à la limite tu t’en fou, y’a un côté personnel un peu, ça a beau être personnel, bon c’est exposé, c’est intéressant, c’est un peu interactif ». À cette liberté s’ajoute aussi une sorte de représentation « esthétique » de l’écriture et de l’édition, celle du bricolage, du collage, et du « fait maison » propre aux fanzines : « dans le blog c’est pareil, tu peux retrouver ça, tu fais ta mise en page, tu choisis tes photos, tes extraits de films, tes bouts de sons, des espèces de montages ». La perspective d’adoption et les modes d’appropriation qu’il fait du blog, articulé à sa carrière de cinéphile, le place dans la sensation d’une forme d’écriture renouvelée, tant pour lui-même et ses pratiques antérieures, qu’au niveau formel des textes, qui se nourrissent des caractéristiques de l’écriture numérique.
L’usage des séquences vidéos dans le blog se retrouve dans cette perspective de dépassement des pratiques d’écriture antérieures. Nous nous appuyons sur l’analyse de quelques exemple d’articles qu’il nous a commenté en entretien : le billet « pièce à conviction » (mis en ligne le 15/08/06) et « Gran Torino pour les nuls » (mis en ligne le 12/03/2009).
La thématique du premier billet (cf. figure 1) est une analyse de la séquence d’ouverture du film Kapo (Pontecorvo, 1959). Il est important de savoir que cette séquence est célèbre dans l’histoire de la critique cinématographique. Elle a donné lieu à des discussions théoriques sur l’usage et le rôle du travelling (mouvement de caméra) dans le cinéma. Le « travelling de Kapo » a fait l’objet de plusieurs publications critiquant l’usage de la caméra par le réalisateur notamment au travers des analyses de Jacques Rivette en 1962 (« de l’abjection », paru aux Cahiers du Cinéma n°64) et de Serge Daney en 1992 (« le travelling de Kapo », Traffic, N°4).
Tout d’abord, l’usage de la vidéo est déclencheur de l’écriture. C’est en effet la perspective et la possibilité de l’insérer dans le billet qui a pu déterminer le projet de l’article : « j’avais jamais vu Kapo, et je voulais voir le fameux travelling, et je voulais montrer le travelling sur le blog, je voulais montrer l’extrait ». La mise en place de la vidéo lui a fait mobiliser un usage des TIC particulier : « donc j’ai piraté Kapo, parce qu’il n’existait pas encore en DVD, et je me suis trouvé un logiciel pour extraire le morceau, je l’ai passé sur Youtube et j’ai pu le montrer ». Pour récupérer l’extrait, V. a d’abord téléchargé le film sur une plateforme d’échange peer-to-peer. Il l’a ensuite récupéré grâce à un logiciel de montage. Dans un second temps, il l’a archivé sur la plateforme d’édition de vidéo Youtube. V. a en effet ouvert préalablement un compte prévu à cet effet qui lui sert de base de donnée pour le blog. Il a ainsi créé un lien depuis pour éditer l’extrait sur le billet. Cet usage de Youtube n’est pas nouveau, plusieurs vidéos de ce type ont été téléchargées sur le compte Youtube de l’acteur. Elles renvoient presque toutes à des billets postés sur le blog. La présence de cet extrait provient ainsi d’un savoir-faire technique, qui témoigne d’une pratique de recyclage de contenu vidéo qui s’intègre dès lors dans la démarche d’écriture. Nous pouvons considérer qu’elle est l’une des conséquences d’une « singularisation » des pratiques spectatorielles qui prennent naissance avec l’usage du magnétoscope, puis du DVD : « le DVD tu peux prendre des images, les VHS, j’ai jamais accroché, mais tu peux manipuler quoi, sur Youtube, tu peux faire quelque chose, tu peux reprendre ton extrait, tu peux être plus précis, et au pire si c’est un film pas connu, tu vas chercher sur emule tu l’as, enfin il y a de fortes chances que tu le trouves ».
Ensuite, la vidéo lui permet d’asseoir son propos et de légitimer sa démarche d’écriture, qui s’inscrit dans le renouvellement du débat. L’objectif de V. est de relancer cette polémique, et d’apporter sa contribution personnelle au débat. L’insert d’une vidéo lui permet de le réactualiser : « ça faisait des années que je voulais écrire un truc…sur le travelling de Kapo, le truc de Daney, en fait c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et j’ai jamais été tellement d’accord, mais c’est un truc que j’ai mûri longtemps, j’ai retrouvé celui de Daney, celui de Rivette, puis il fallait que je structure ce que j’avais envie de dire autour de ça, c’était pas évident, ça m’a pris beaucoup de temps ». Le blog lui a permis d’accomplir un ancien projet intellectuel qu’il n’avait jamais pu réaliser. Enfin, la vidéo est centrale à l’argumentation : « L’angle d’attaque c’était voilà, en fait on nous parle de ça depuis 20 ans, n’importe quel cinéphile connaît les textes, mais combien on vu le travelling ? ». Comme le montre également la figure 1, elle sert de pivot à l’élaboration textuelle et se place comme exemple pour appuyer l’ensemble de l’argumentation.
L’insert de la vidéo résulte ainsi d’une possibilité éditoriale innovante permettant d’aller plus loin dans le débat, voir de le dépasser. Sa mise en visibilité sur l’article, impossible jusqu’alors dans les premiers articles édités sur papiers de Rivette et Daney. L’usage de la vidéo est ainsi central dans le texte en tant qu’elle est à l’origine même de son existence. Elle permet de ré-actualiser la discussion, en proposant une analyse personnalisée appuyée par la monstration de la séquence ayant fait l’objet du délit.

Figure 1 – Le billet « pièce à conviction »

Cette perspective se dessine également sur l’autre billet du blog, « Gran torino pour les nuls ». L’objectif de l’article repose sur la démonstration de la qualité de metteur en scène du réalisateur Clint Eastwood suite à des débats et articles auxquels il voulait apporter sa propre contribution : « j’ai dit, ok y’a pas de mise en scène, voilà… c’est un extrait, il dure trois minutes, ben moi je vois ça ça ça, j’appelle ça de la mise en scène ». Là encore, l’usage d’un extrait vidéo du film sert d’appui à l’argumentation du bloggeur et justifie l’existence même du billet. L’extrait ci-dessous montre comment l’extrait est central au propos de V.

Figure 2 – Le Billet « Gran Torino pour les nuls »

L’usage de la vidéo dans l’écriture cinématographique de V. est considéré comme une potentialité d’argumentation supplémentaire, impossible jusqu’alors : « c’est ça qui est génial dans le blog, c’est de dire, ok on parle de ça, mais le film est là, et après on discute à partir de ça (…) Aujourd’hui tu peux prendre le morceau, c’est ce que j’ai fait ». Dans ses intentions, la vidéo rend possible un dépassement et une ré-actualisation, non seulement de ses propres pratiques d’écritures, mais aussi des formes argumentatives du débat cinématographique.

Exemple 2 : « Faire dialoguer le cinéma avec d’autres disciplines » ; de l’expérimentation chez J.

J., 35 ans, habite Paris et vit en concubinage. Il vit de plusieurs « petits boulots » en rapport avec le monde professionnel cinématographique. Il se considère aussi bien « architectophile » que « cinéphile ». En matière de cinéma, ses goûts portent sur des auteurs et des films à l’esthétisme sophistiqué. Il estime être également passionné d’art au sens large et de tout ce qui touche à l’image et ses esthétiques.
Sa trajectoire de formation est ainsi jalonnée à la fois d’une école d’architecture, mais aussi de cinéma – la FEMIS – où il a suivi une formation de scénariste. Sa « carrière » plus spécifique de cinéphile repose sur une multitude d’activités, comme celle de l’animation d’un ciné-club pendant ses premières années d’études d’architecture. S’il n’a jamais pris de notes sur les films, ni élaboré de « critiques », son activité d’écriture propre au cinéma se situe plutôt dans le scénario. Sa vocation initiale, scénariste, est aussi motivée par une volonté d’expérimenter des formes de récits novateurs dans le cinéma.
L’ouverture de son blog il y a 5 ans sur la plateforme Blogger repose sur plusieurs raisons. La première est la re-création d’une activité d’écriture radicalement différente de la forme scénario. Elle porterait davantage sur son expérience personnelle, tout en restant créative et novatrice. Le choix du format blog s’est fait progressivement. Il explique avoir passé beaucoup de temps à lire les autres blogs de cinéma afin de réfléchir à une proposition plus originale. Il a procédé à son lancement, d’une part pour la simplicité d’usage du dispositif- dont il utilise les ressources techniques « au minimum » – et d’autre part, pour l’intérêt porté à l’élaboration d’écritures « plus subjectives et créatives ». L’adoption du dispositif se situe ainsi dans une perspective d’élaboration de textes personnels et singuliers. À l’instar de V., il considère le blog comme une façon de revivre l’époque de fanzines et « le temps des radios libres », qu’il considère avoir « raté ». De ce fait, l’écriture numérique sur blog est propice à une élaboration de textes trouvant un écho dans le principe du cinéma et du montage : « le blog, c’est pas du cinéma, mais dans le relais texte-image du blog (…) c’est une écriture qui est un peu montage aussi, c’est ça qui me plait, c’est trouver du rythme dans l’écriture, enfin un rythme qui rappelle celui du montage cinématographique.
Cette intention se retrouve au sein du blog, où il élabore des connexions, des passerelles, entre architecture, cinéma et les arts en général. L’ensemble des textes porte ces marques : « au départ c’est vraiment quand j’ai l’idée de faire dialoguer le cinéma avec d’autres disciplines. C’est rare que je parle d’un truc tout seul dans un post. J’aime bien l’idée de penser qu’une chose est entre deux autres choses, qu’il y a quelque chose qui se passe entre ».
L’adoption et l’appropriation du blog se font donc dans l’intention de renouveler ses pratiques d’écritures. Il permet de dépasser sa démarche d’écriture en permettant l’élaboration de textes aux formes innovantes. Cette perspective se retrouve dans un bon nombre de ses « billets » où il fait un usage très particulier des photos, mais aussi des extraits vidéos. Très souvent, images fixes et animées viennent remplacer ou prendre une place plus importante que le texte écrit : « disons que dans le blog, il y a quand même la dynamique du lien, jeu ludique, les collages, les extraits vidéos tout ça, c’est ça qui est excitant. Même si ce que j’écris n’est pas terrible au moins y’a l’extrait, y’a toujours quelque chose qui recoupe ».
Nous lui avons demandé dans l’entretien d’expliquer plus en détail la construction et la finalité de l’article « Oucipo : ouvroir de cinéma potentiel » (publié le 23/11/2008). Il porte sur une réflexion théorique et esthétique sur le principe d’inventaire et de découpage au cinéma et dans la littérature. Le titre fait ainsi clairement référence à l’ « Oulipo », (Ouvroir de littérature potentiel) qu’il est important de situer. Il s’agit d’un atelier d’écriture reposant sur l’idée de contraintes stylistiques et initié par Raymond Queneau dans les années 60 en France. Le billet se compose essentiellement de trois séquences vidéos, chacune titrée et commentée par quelques phrases explicatives. La première vidéo est la bande-annonce du film A bout de souffle (Godard, 1959), la seconde l’extrait d’une pièce sonore de Dominique Petitgrand, la troisième, une bande-annonce du film Mon oncle d’Amérique (Resnais, 1980).
L’idée originelle du billet provient de la bande-annonce d’A bout de souffle. J. explique qu’il provient d’un « moment de flânerie sur la plateforme Youtube », sur laquelle il aime particulièrement aller lorsqu’il est sur Internet : « c’est un peu comme feuilleter le dictionnaire, tu tombes sur des choses par hasard que tu découvres ». C’est à l’issue de l’une de ces « pérégrinations » qu’il est tombé sur l’extrait. Il est donc « l’élément déclencheur » de l’article. La finalité de l’article est de rendre hommage aux bandes-annonces et à certaines de ses formes particulières : « parce qu’on en trouve plus, l’art de la bande-annonce s’est un peu…enfin elles sont hyper standardisées aujourd’hui alors qu’en 80, 90 t’avais des bandes-annonces assez originales ». La perspective s’élargit ensuite, en référence au contenu de la vidéo, vers un croisement esthétique avec la littérature, plus précisément sur les principes du collage et du « découpage » avec « l’Oulipo ». Il s’agit donc de souligner, de montrer des relations entre la visée esthétique du découpage dans la stylistique littéraire et celle du montage audiovisuel. L’élaboration du texte s’enrichit également d’autres séquences vidéos, l’une portant sur la danse, et l’autre sur la bande-annonce du film Mon oncle d’Amérique. L’article présente ainsi différentes formes de découpage dans l’art, entre littérature, bandes-annonces et cinéma. Du côté des modalités d’usage, l’insertion des vidéos sur le blog provient de deux liens vers la plateforme d’hébergement Youtube. La dernière vidéo, celle de Mon oncle d’Amérique, provient du bonus DVD de l’interviewé. Comme V., il a procédé à son extraction par un logiciel avant de l’inscrire directement sur le blog.
Cet exemple montre que l’usage de la vidéo est essentiel à l’article, en tant qu’il en inspire le projet, mais aussi dans sa structuration formelle, ou la présentation en liste des vidéos est supérieure au texte écrit (figure 2 et 3). Chacune des séquences représente un paragraphe du billet.

Figure 3 – Le billet « OUCIPO (Ouvroir de cinéma potentiel) »

Pour cet acteur, l’usage des vidéos est un exemple permettant d’actualiser son projet initial d’écriture sur blog, basé sur l’intention d’une « créativité textuelle » singulière. L’hommage rendu aux anciennes bandes-annonces puis à l’esthétique du collage dans le cinéma et la littérature est révélateur de cette vocation.

Exemple 3 : « faire parler des vieux films des années 80 » : du démarrage chez C.

C. a 25 ans, habite Paris et est employé dans une entreprise de déménagement. Son attachement au cinéma est celui d’un passionné de films d’action, notamment ceux des années 80 avec lesquels il a grandi : « enfant des années 80, on a grandi avec la télé, la VHS, le magnétoscope ». Sa première expérience d’écriture a été la proposition d’un texte sur un film, « pas du tout analytique » pour un ami qui voulait faire un fanzine. C’est sur Internet qu’il s’est davantage voué à cette activité, dès le début des années 2000. Après quelques interventions dans les forums de cinéma, il a commencé à proposer des textes personnels plus élaborés : « j’ai décidé de passer à la vitesse supérieure, j’ai fait un papier sur la cinéphilie ». Il explique que ce qui l’a poussé à écrire est principalement la dimension de partage avec d’autres passionnées ayant les mêmes goûts cinématographiques. En 2005, il a ainsi ouvert un premier blog sur la plateforme DVDrama, dans l’objectif de se lancer à écrire plus sérieusement. Son intention est aussi de de proposer des textes différents de ceux des critiques de cinéma : « y’a pas que les journalistes qui peuvent en parler, on veut pas faire de l’ombre, c’est juste qu’on défend notre point de vue et ce qu’on pense du film, puis y’a des mecs qui écrivent des dossiers qui valent beaucoup mieux que certains journalistes, parce qui a une démarche, une vraie recherche y’a quelque chose, et puis c’est plus respectueux parce que c’est pas officiel entre guillemets ».
Son blog actuel, lancé en 2006 sur overblog, l’est après la fermeture de la plateforme DVDrama : « C’est facile d’usage, c’est moins le problème avec les balises, puis c’était l’aventure en indépendant, je voulais tester, quelque chose de nouveau ». Il a pu réellement démarrer une activité d’écriture et de démarrer son projet dans une direction singulière, rendre hommage, à ce qu’il nomme les « nanars des années 80 » : « c’est plus pour faire parler des vieux films des années 80, c’est plus sur ça que je me suis orienté ». L’une des principales finalités éditoriales du blog est ainsi de revaloriser ces films : « j’essaie de rétablir le niveau, sans se prendre trop au sérieux, sans prendre le film trop au sérieux ».
Nous l’avons plus particulièrement interrogé sur l’usage des séquences vidéos de l’article « coups pour coups ». Il s’agit d’un hommage rendu à l’acteur Jean-Claude Van Damme et plus spécifiquement aux films que C. a appréciés dans son enfance. L’article se compose de plusieurs paragraphes qui entrelacent un résumé de l’histoire avec les commentaires personnels de l’auteur et des extraits de répliques du film. Trois extraits sont présentés à la fin de l’article : une séquence du film Kickboxer (1989, DiSalle et Worth), une bande-annonce en français et une séquence tirée du film Hot Shots 2, parodiant une scène du film Kickboxer (1993, Abrahams).

Figure 4 – Extraits vidéos sur le billet « coups pour coups »

L’intention de l’article est ainsi symptomatique de la cinéphilie et de la vocation éditoriale du blog en tant qu’il propose une critique d’un film d’action : « essayer de défendre ce film, essayer d’expliquer comment il a été fait, et essayer de le traiter comme un film normal, même si on sait que c’est un gros nanar ».
Dans ce cas, l’usage de la vidéo n’est pas essentiel dans le propos de l’article. L’extrait lui est périphérique en tant qu’il est placé à la fin du texte, dans l’espace réservé aux liens et références. En revanche, C. explique son usage comme un « clin d’œil supplémentaire allant dans le sens de l’article ». L’extrait vidéo est en effet un détournement humoristique de la dernière séquence du film. Ainsi, le choix et l’usage de cette vidéo, même périphérique au texte, trouvent une correspondance dans la vocation initiale et la cinéphilie de C. Il voue une importance particulière au format de bande-annonce, qui fait écho à ces films. L’usage qu’il fait de la vidéo dans son blog porte souvent sur l’insertion de bandes-annonces liée à ces films. (Comment vous construisez vos billets ?) « J’utilise pas mal les bandes-annonces collectors on va dire ». Il s’agit plus particulièrement de bandes-annonces en version française : « y’a un mec qui a ça sur Dailymotion, il met des bandes-annonces de vieux films des années 80, 70, 60, 90 qui sont en français et qu’on retrouve pas dans les coffrets DVD, ça peut être intéressant, notamment quand on voit un bon film avec la VF qui s’impose comme le maître de guerre, commando, ce genre de film, la bande annonce est en français ». Il explique ainsi apprécier particulièrement ce format vidéo, qui fait écho à son enfance. Ce goût fait écho à son goût pour le format VHS : « j’ai du mal à revoir certains films en DVD, je préfère les revoir en VHS, c’est bizarre, il y a une certaine émotion qu’il n’y a pas dans le DVD, peut-être que ça nous rappelle notre enfance, C’était les défauts de la bande qui faisaient le charme du film ».
Le cas de C. montre que dans la perspective éditoriale du blog, celle de rendre hommage aux films des années 80, l’usage qu’il fait des extraits vidéos, bandes-annonces « doublées en français » et d’une séquence de film humoristique montre combien l’appropriation du dispositif lui permet un dépassement de ses activités cinéphiles antérieures.

Conclusion : accomplissement, expérimentation, démarrage

L’analyse de ces trois monographies valide l’hypothèse d’un élargissement des pratiques scripturales cinéphiles individuelles lorsqu’elles sont médiatisées par les TIC. Ceci a pu être validé par l’identification de trois formes d’élargissement de ces pratiques d’écriture : l’accomplissement, l’expérimentation et l’initiation. Dans le premier cas, l’usage de l’extrait vidéo relève alors d’un enjeu d’accomplissement des pratiques d’écriture. Les potentialités numériques du blog permettent à l’acteur d’élaborer et de finaliser des projets scripturaux longtemps restés en attente. Dans le deuxième cas, la vidéo est envisagée comme un moyen d’expérimenter des formes d’écritures inédites. Il s’agit par exemple de croiser des genres artistiques et esthétiques (issus du domaine du cinéma comme de la littérature notamment). Enfin, dans le troisième cas, blog et vidéo permettent de commencer une activité d’écriture que l’individu n’avait jusqu’à présent pas développée. L’étude de ces trois formes d’élargissement des pratiques révèle ainsi des processus d’écriture cinéphilique innovants dans les carrières cinéphiles des individus. Elle montre que l’usage des extraits de vidéos, considérés comme une modalité spécifique d’écriture multimédia (ou numérique), s’articule aux pratiques d’écritures antérieures des individus tout en les dépassant.
D’ailleurs, dans cette logique de dépassement, le recours aux procédés d’écriture numérique du blog contribue à favoriser un élargissement des contenus eux-mêmes consacrés au cinéma. Ceci se perçoit tant dans la forme que dans le fond des écrits. Du côté de la forme textuelle, les exemples analysés montrent des textes où les extraits vidéos ont des fonctions diverses. Ces extraits peuvent être centraux, structurants, ou périphériques aux textes. Du côté du fond, les cas analysés mettent en évidence l’existence de vocations et de projets scripturaux différents, portant sur des discussions théoriques ou esthétiques : réflexions sur l’usage du travelling ou de la mise en scène, hommages rendus à des formes cinématographiques et audiovisuelles comme la bande-annonce ou les films d’action.
Cet élargissement des contenus, tant dans le fond que dans la forme, s’inscrit plus largement dans une démarche de personnalisation des écrits. Cette démarche déjà identifiée, au niveau de la « consommation à domicile », par des auteurs tels que Jean-Marc Leveratto et Laurent Jullier (op.cit : 157), comme le « culte du fragment » se retrouve au niveau de la production des contenus, comme l’attestent les monographies de cet article. Les trois bloggeurs insistent, quand nous les interrogeons sur les intentions qui les guident, sur leur volonté d’apporter des discours qu’ils veulent « personnalisés » et par extension, qu’ils souhaitent « novateurs » sur le cinéma. Cette démarche de personnalisation est un trait commun contemporain des pratiques cinéphiles ordinaires, trait qui s’étend de la consommation à la production des contenus par les individus.

Dans cet élargissement de la démarche scripturale, les contenus ordinaires émergents se superposent alors aux contenus préexistants. L’ensemble des exemples étudiés montre l’apparition de contenus spécifiques aux « cinéphiles ordinaires » qui s’ajoutent à l’ensemble des productions cinématographiques existantes. Cet élargissement des contenus contribue finalement à un élargissement des espaces médiatiques et publics dédiés au cinéma.

Notes

(1) « La cinéphilie ne se réduit pas au discours savant sur le cinéma et sur certains films véhiculés par les médias et les publications. Il existe une cinéphilie ordinaire, qui ne sort pas du cadre de la conversation amicale et intime, celle de l’amateur de cinéma ordinaire » (Leveratto et Jullier, 2010, p. 3).

(2) Cette notion est proposée en référence à la notion de « carrière spectatorielle », qui met l’accent sur la mémoire et l’expérience esthétique vécue des acteurs au long de la vie (Ethis, 2004). Dans notre proposition, le terme de « carrière de cinéphile » renvoie non pas à l’expérience esthétique, mais à l’expérience culturelle et sociale, celle des rencontres, des goûts et connaissances acquises, mais aussi des activités et pratiques en référence au cinéma, dont l’écriture.

Références bibliographiques

De Baecque, A. (2003), La cinéphilie, Invention d’un regard, histoire d’une culture 1944-1968, Paris : fayard, 404 p.

Ethis, E. (2005), « Le cinéma, cet art subtil du rendez-vous », Communication et langages, N°154, p. 11-21.

Jeanne-Perrier, V. (2006), « Des outils d’écriture aux pouvoirs exorbitants ? », Réseaux n° 137, p. 100-130.

Jouët, J. (2003), « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, n°100, p.487-521.

Jullier, L., Leveratto, J-M .(2010), Cinéphiles et cinéphilies, Armand colin, 223 p.

Licoppe C. et Beaudouin V. (2002), « La construction électronique du social : les sites personnels. L’exemple de la musique », Réseaux n° 116, p. 53-96.

Mallein, P., Toussaint, Y. (1994) « L’intégration sociale des technologies d’information et de communication : une sociologie des usages », TIS, vol. 6, n° 4, p. 315-335.

Miège, B. (2007), La société conquise par la communication. Tome 3, PUG, Grenoble, 235 p.

Paquienséguy, F. (2000), « Les questionnements des écritures interactives », Les enjeux de l’information et de la communication, (en ligne) http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Seguy/index.php (consulté le 12/08/2011).

Auteur

Manuel Dupuy-Salle

.: Manuel Dupuy-Salle est doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Grenoble 3 Stendhal et membre du GRESEC. Ses travaux de recherche portent un regard critique sur les correspondances entre industries culturelles et médiatiques, web collaboratif et usages sociaux des TIC. A ce titre, il s’intéresse plus spécifiquement aux enjeux socio-économiques de la médiatisation des pratiques cinéphiles sur Internet.