L’identité numérique : de la cité à l’écran. Quelques aspects de la représentation de soi dans l’espace numérique
Résumé
Dans l’espace virtuel du web social, les dynamiques subjectives se travaillent entre identité civile et identité numérique. Cet article, après avoir explicité les grandes caractéristiques de l’interaction dans le web social, s’attache à présenter ces deux bornes du continuum identitaire sur le net. Ce cadre posé, l’auteur s’attache au personnage-écran, une forme extrême de la subjectivité numérique, construite entre liberté et contrainte du système.
Mots clés
identité, internet, subjectivité, personnage
In English
Abstract
In the virtual space of the social web, subjective dynamics oscillate between ordinary and digital identity. In this paper, the author explains key features of social web interaction, and presents both boundaries of the identity continuum on the net. Once the framework is posited, the focus is on the character-screen, an extreme form of digital subjectivity, hovering between freedom and constraints of the system.
Keywords
identity, Internet, subjectivity, character
En Español
Título
Titre en espagnol.
Resumen
En el espacio virtual de la web social, las dinámicas de la subjetividad repartense entre la identidad civil y la identidad digital. El artículo, después de explicar las principales características de la interacción en la web social, los intentos de presentar estos dos limitès de la continuidad de la identidad en la red. A continuación el autor se centra en el personaje-pantalla, una forma extrema de la subjetividad digitale, construido entre la libertad y la restricción de la sistema.
Palabras clave
identidad, Internet, subjetividad, personaje
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Perea François, « L’identité numérique : de la cité à l’écran. Quelques aspects de la représentation de soi dans l’espace numérique », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°11/1, 2010, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2010/varia/09-lidentite-numerique-de-la-cite-a-lecran-quelques-aspects-de-la-representation-de-soi-dans-lespace-numerique
Introduction
Dans l’espace du web social proclamé participatif et interactif, l’internaute est omniprésent, inscrit dans une situation de communication caractérisée, entre autres, par la publicité des échanges, par l’absence de coprésence physique des participants, par des usages linguistiques et interactionnels propres et par le partage de praxis et de références communautaires. Cette absence de coprésence suppose donc une explicitation identitaire de l’instance énonciatrice (qui parle ?) qui peut se faire de multiples manières, en tension entre un jeu de contraintes techniques et légales d’une part, et une liberté identitaire d’autre part. Ici se trouvent les formes premières de l’identité-numérique.
Le succès grandissant de ces échanges repose sur des dynamiques qui ne sont pas en leur principe novatrices puisque ce sont celles du bavardage, de la discussion ordinaire. Cependant, le net introduit quelques variables nouvelles à ce bavardage (« clavardage », par contraction de clavier et de bavardage, selon l’Office québécois de la langue française depuis octobre 1997), plaçant le sujet parlant en situation de puissance inédite en autorisant les interactions au niveau mondial, sous forme synchrone ou asynchrone, et surtout en exposant médiatiquement aux yeux de tous les internautes le produit de ses échanges.
Cet article propose une lecture interprétative de ces échanges, tels qu’ils sont relatés et analysés par de nombreux auteurs (entre autres, parmi ceux cités dans les lignes qui suivent : Chardenet, 2004 ; Martin, 2006 et 2007 ; Pastinelli, 2006 ; Velkovska, 2002) et tels que nous les observons en naviguant sur des sites communautaires, des forums et des blogs. Il ne propose pas de résultats d’analyse de corpus, mais une réflexion générale et transversale sur certaines dynamiques identitaires et subjectives agissant dans l’espace numérique en général et dans ces lieux d’échange en particulier.
Nous commencerons par exposer quelques caractéristiques de ces espaces d’échange qui constituent le cadre d’émergence de ces identités numériques. Dans un deuxième temps, nous présenterons les deux bornes du continuum de l’identité numérique : l’identité civile et l’identité-écran. Enfin, nous nous interrogerons sur une figure extrême de la subjectivité numérique, le personnage-écran, inscrit en tension entre liberté et consensus, omniprésence et désincarnation…
Poser le cadre
Clavardage et communauté dans le web social
Le primate occupé à épouiller avec application son congénère ne se contente pas de lui venir en aide pour sa toilette tout en s’assurant un complément alimentaire : il travaille activement à la cohésion de la communauté. L’épouillage mutuel, ou grooming, représente en effet une activité essentielle du groupe à laquelle l’individu consacre une bonne partie de son temps et pour cause : il participe notamment au maintien de la hiérarchie et évite les conflits entre les membres, à travers un principe régulateur qui tient de « l’économie de service » (Grundmanna, 2002, p. 5). Il est de plus source de plaisir puisqu’il stimule chez « le patient » la synthèse de l’hormone du « bonheur » : la ß-endorphine.
Pour Robin Dunbar (2002), les hommes – comme les primates – pratiquent le grooming, ou plus exactement un « grooming verbal ». L’auteur fait l’hypothèse que le bavardage aurait permis à l’homme de gagner du temps en s’adonnant à d’autres activités simultanément, tout en pratiquant ces indispensables échanges sociaux. Quelles qu’en soient l’origine et l’explication, ces bavardages, chronophages (Dunbar estime qu’ils représentent les deux tiers de nos conversations) et sans finalité pratique apparente, paraissent bien avoir un intérêt social commun avec les activités de nos cousins primates « épouilleurs « .
Le clavardage-gromming participe ainsi de que ce que Iannis Pledel (2009) appelle le comportement tribal sur le Web 2.0. En effet, les réseaux sociaux électroniques ne « sont donc pas une simple juxtaposition d’individus isolés, mais une véritable structure sociale qui repose sur la cohésion de ses membres :
- à l’intérieur de la communauté, par le partage d’usages de langue, de symboles, d’affects…
- vis-à-vis de son extérieur, en une logique manichéenne où s’opposent un « eux » et un « nous ». »
L’auteur observe ainsi les stratégies tribales qui, pour que la communauté survive, visent à étendre son territoire (par la multiplication des « amis » sur Facebook par exemple) et à défendre celui-ci face aux attaques (commentaires négatifs, trollisme, voire sabotage…). De plus, à l’intérieur de ces espaces, des hiérarchies s’inscrivent : webmasters, membres inscrits, invités… n’ont pas tous les mêmes droits et les mêmes accès aux services.
Les communautés ainsi créées sur le web ont en commun de se retrouver sur des univers indépendants les uns des autres (jeux, actualité, loisirs, sphère professionnelle… déclinés en communautés d’opinions) où « chaque internaute a le sentiment d’être le point central autour duquel le reste évolue. C’est l’individualisme de réseau [qui] devient une forme de sociabilité sur Internet, et ceci n’est pas sans conséquences sur la vie concrète, réelle des individus. » (Pledel, 2009).
Le clavardage s’inscrit ainsi dans un « espace d’être ensemble », selon l’expression de Madeleine Pastinelli (2006), et correspond à une quête de l’autre et un désir de liens. L’auteure établit ici la comparaison avec la socialisation bistrotière (tout comme le fait Nicolas Vanbremeersch (2009) pour faire de l’espace électronique un lieu, c’est-à-dire un espace habité et symbolisé, évolutif, sous-tendu et sous-tendant des dynamiques identitaires. Nous pouvons ajouter que, compte tenu de l’individualisme souligné (entre autres) par Pledel, ces identités sont certes collectives, mais surtout singulières, propres à chacun.
Ces communautés localisées dans ces espaces identifiés et identifiants reposent, comme cela est le cas dans le monde réel, sur des praxis et des comportements langagiers à valeurs lectales.
Subjectivité et usages
Sur le net, les chats (synchrones), forums (asynchrones)… ont maintes fois été décrits comme des lieux de clavardage, non sans quelques différences avec les bavardages ordinaires :
- le nombre de participants, et l’exposition médiatique décuplant le pouvoir du bavardage (pour un aperçu, voir Donald, 2007) ;
- la possibilité de clavarder avec de nombreux participants indépendamment et simultanément, en ouvrant plusieurs fenêtres de chat par exemple ;
- le décalage dans l’espace (à l’échelle planétaire) et dans le temps : même en cas d’interaction synchrone, les décalages horaires induisent que les interactants ne partagent pas une même référence temporelle, quand bien même ils sont connectés au « même moment ».
Ce dispositif original conduit à une « connectivité perpétuelle » (Katz et Aakhus, 2002), une obligation à la connexion qui inscrit le sujet dans une disponibilité à tout instant. Ainsi, dans les logiciels de clavardage synchrone, tels MSN ou Skype, l’absence n’est toujours qu’une suspension de la présence : le sujet est « connecté », « indisponible », « absent »… mais il y a toujours la possibilité de laisser un message qu’il découvrira à son retour… Le temps suspend son vol, mais jamais ne l’arrête. Madeleine Pastinelli (op. cité), qui a étudié de très près le comportement d’un chat québécois (le canal #amitie25-qc), souligne comment cet espace doit être occupé en permanence, quitte à parler même lorsque l’on a plus rien à dire, en guise de processus compensatoire de l’absence de coprésence physique. Ce rapport au temps est constitutif de la subjectivité numérique, marquée par la figure fantasmatique du sujet post-moderne caractérisé par sa capacité à être branché sur les flux de circulation de l’information en permanence (la miniaturisation des équipements va en ce sens), bardé de prothèses technologiques lui permettant d’être partout, tout le temps, en un nouvel ordre temporel « qui combine le » ici et maintenant » du sujet concret au « hors temps et hors lieu » qu’autorise et impose le système technologique » (Ghislaine Azémard, 2009).
Concrètement, sur le net et chez les observateurs, nous retrouvons cette figure du sujet : l’internaute n’a d’existence dans la communauté qu’en fonction de son activité, d’abord évaluée quantitativement (nombre de « posts », d’ « amis »…), en une « identité calculée » pour reprendre la terminologie de Fanny Georges (2009). Nous entrevoyons ici une possibilité de décrochage avec l’identité civile, sociale, dans le réel : « peu importe l’identité, ce qui est primordial, c’est ce que l’internaute déclare être » (Iannis Pledel, op. cit.). L’existence numérique est ainsi déterminée par l’exigence de la publicité de soi, qui suppose le partage d’un cadre de référence et d’un code commun de communication.
La double injonction de présence et de partage communautaire conduit à des échanges articulés autour d’un thème zéro, selon Patrick Chardenet (2004, p. 71) : « la centration sur le dire plutôt que sur le dit, qui semble être un facteur récurrent de l’usage des technologies récentes à travers lesquelles on s’appelle pour s’appeler, contribue à faire apparaître de nombreux échanges saisis comme paraissant produits sans thème directeur« . Le dispositif se retourne ainsi sur lui-même, dans un certain décrochage du réel qui pourrait constituer l’objet du message, en passerelle entre les mondes (ici encore, « le médium c’est le message », McLuhan). L’auteur souligne ainsi que les différentes thématiques abordées dans les échanges s’effacent généralement derrière le travail de la relation. Ce travail relationnel explique également le recours à la citation des autres internautes, amplifié par le dispositif technologique qui permet de reproduire à l’identique tout ou partie d’un message.
La dimension interactionnelle semble donc être au cœur du dispositif avec quelques différences marquées entre bavardage et clavardage, dont la non moindre est l’absence de rencontre des corps. Marcienne Martin (2007), s’interrogeant sur la conversation numérique, précise que s’il n’y a physiquement pas d’autre en face de soi lors de ces échanges, le corps du sujet n’est pourtant pas isolé : il a devant lui la machine qui créé le lien, à une distance intime ou rapprochée selon les catégories d’E. T. Hall (1966). Si les dynamiques de la communication en distance rapprochée sont ici largement amputées (odeur, contact épidermique…), celle-ci semble bien créer les conditions d’une communication proche, favorisant les registres intimistes tels qu’on peut les retrouver sur beaucoup de forums et sites (cela reste bien sûr une hypothèse). Madeleine Pastinelli cite pour sa part certains procédés visant à compenser cette absence de coprésence physique. Ils sont célèbres désormais et de nombreuses études ont été consacrées à ces indices textuels du message du corps, depuis les émoticônes renseignant sur l’état affectif et guidant l’interprétation (L, J, etc.) jusqu’aux acronymes remplissant des fonctions similaires (« mdr », « dtc » et autres « jpl »).
Le lien à autrui est donc travaillé jusqu’à « compenser » son absence. C’est que ce lien est essentiel : le clavardage suppose un destinataire. Comme bavarder seul est mal venu, le soliloque est discrédité et, sur le web 2.0, même les blogs-journaux intimes sont ouverts à la réaction d’autrui.
Dans les chats, où l’anonymat est le plus souvent de mise, l’autre est présent, simultanément inscrit dans l’espace numérique, mais reste (au début tout du moins) une « abstraction » (Velkovska, 2002). Cette abstraction ne signifie pas pour autant que l’autre est annulé ou tenu à distance. Il peut avoir, en effet, le statut d’un proche permettant un discours intimiste, d’autant plus facilement que cette implication forte est couplée à une facilité du désengagement rassurante. Et Julie Velkovska d’écrire que « la construction de l’autre dans l’espace du média est extrêmement générale et anonyme. En même temps, cet autre fait partie du quotidien : on converse tous les jours avec lui et l’on passe ensemble des heures sur le réseau. Avec les médias électroniques, il devient possible de vivre dans un monde à la fois d’abstraction et de proximité » (p. 212).
Dans l’espace du web social, espace numérique aux usages et praxis nouvelles caractérisé par de nouvelles figures de la subjectivité et des échanges caractérisés tout autant par la proximité que par l’abstraction, par la personnalisation que par l’anonymat, se dessinent des comportements d’inscription identitaire de soi variés mais aux soubassements communs.
L’identité numérique : de la cité à l’écran
Il serait illusoire de vouloir faire le tour de toutes les formes explicites d’inscription identitaire dans le cadre du web social. Nous ne nous attachons ici qu’aux identités personnelles (et non à celles de groupes tels des entreprises) en excluant une problématique voisine, celle des » identifiants numériques » (bien que celle-ci soit importante puisqu’elle questionne la « traçabilité » de l’internaute anonyme et permet la conjonction identité sociale – identité-écran là où le sujet peut souhaiter une disjonction étanche).
Si l’utilisation d’un pseudonyme est souvent repérée et mise en avant, il faut constater que celle-ci ne constitue qu’une possible posture d’inscription identitaire, à côté –entre autres– des usages de l’identité civile par exemple. Ces deux formes constituent les bornes d’un continuum que nous appelons, par commodité « identité numérique ».
Identité ?
S’il n’est pas question de circonscrire en quelques lignes une définition de l’identité, nous pouvons toutefois rappeler sa triple dimension :
- dimension personnelle, subjective, d’abord, résultant d’une construction visant un « effet » d’unité dans la complexe hétérogénéité de la personnalité, permettant l’identification à/de soi dans la permanence. Erick H. Erikson la décrit ainsi comme « le sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle (sameness) et d’une continuité temporelle (continuity) » (1972, p.13).
- dimension interpersonnelle, ensuite, c’est-à-dire co-construite dans la relation à autrui, ce qui pointe, déjà Hegel : « La conscience de soi est en soi et pour quand et parce qu’elle est en soi et pour une autre conscience de soi ; c’est-à-dire qu’elle n’est qu’en tant qu’être reconnue » (1939, p. 155).
- dimension sociale, enfin, en référence aux statuts et rôles préparés dans la société. Pour Henri Tajfel, l’évaluation de soi se trouve l’identité sociale c’est-à-dire dans son appartenance à différent groupe au sein desquels l’individu se voir définir la place qu’il occupe dans la société.
Dans les lignes qui suivent, nous considérons l’identité comme le résultat de l’intime interaction de ces trois dimensions. Mais ce résultat n’est pas homogène : il dépend, par exemple, du contexte.
Nous entendons par identité civile l’aspect de l’identité tel qu’il se manifeste et se travaille dans la réalité quotidienne, mais aussi sur le net en concordance avec cette première ; et par identité écran l’aspect de l’identité tel qu’il se manifeste et se travaille spécifiquement et exclusivement sur la toile. Par identité numérique, nous désignons l’ensemble des manifestations de l’identité (civile et écran) observable dans ses manifestations sur le net.
L’identité civile : nomen verum entre monde réel et virtuel
Identité civile, d’abord, articulée à l’usage du prénom et du nom d’usage, en toute transparence. L’internaute réalise ici la conjonction entre son identité sur le web social et son identité sociale réelle, historique, caractérisée notamment :
- par l’absence de choix : les anthroponymes de ce genre ne sont pas choisis, mais donnés par autrui : l’identité de la personne est directement inscrite dans le don (et ses conséquences) de l’autre, de la famille et de la société ;
- par l’inscription du sujet dans les réseaux sociaux et l’ancrage dans ces liens : filiations, origines, hiérarchies…
- par la transversalité de son usage : toutes les formes de communication peuvent l’accepter puisque le prénom et le nom soutiennent toujours la concurrence avec les autres formes de nomination (surnoms, pseudonymes…).
Il faut noter que les internautes emploient l’identité civile dans les sites sociaux ouverts sur le monde réel : ainsi, ils sont fréquents sur FaceBook où l’identifiant demandé prend la forme [prénom] [nom] (une détection automatique lors de l’inscription détecte et refuse les formes non conformes à cette attente). Cela n’est guère surprenant puisque ce site, conformément à son objectif premier inspiré des annuaires d’étudiants américains, est largement utilisé comme support d’exposition et de publicité de soi dans une perspective professionnelle, comme en témoignent de nombreux « murs » d’exposition (pages personnelles où s’inscrivent les brèves) qui rassemblent affiches publicitaires et invitations à événements commerciaux. Bien entendu, si cela n’empêche pas d’autres usages, le fonctionnement même de FaceBook repose sur cette publicité : la multiplication des amis (assurant une multiplication des espaces de projection de soi et de ses propres « news ») conduit à accepter des demandes d’amitiés d’inconnus dès l’inscription : le compteur d’ « amis » est ainsi un compteur des pages sur lesquelles peuvent apparaître les messages.
Soulignons au passage que si l’interaction entre les membres est possible sur FaceBook, elle ne représente qu’une part mineure des échanges, ces derniers étant souvent limités au partage de la surface d’exposition.
Au-delà de cet exemple, on remarque la présence de l’identité-civile sur les sites où les rapports entre les usagers dépassent le cadre de l’espace numérique : rencontre de camarades de classe (Copains d’avant), développement de réseaux professionnels (Viadeo ou LinkedIn)… Cet usage reste exceptionnel sur des sites de rencontres (Meetic) ou d’exposition de jeunes artistes (où le pseudonyme d’artiste est, comme d’usage dans le milieu, à privilégier).
Le pseudonyme : l’identité comme écran de projection et de protection
A l’autre borne du continuum de l’identité numérique, nous retrouvons l’ensemble des formes pseudonymiques. Nous employons le terme « pseudonyme » conformément à l’usage électronique qui en fait un terme générique incluant la variété des formes autonymiques remplaçant l’identité civile. Soulignons tout d’abord que les usages interactionnels numériques n’étant pas libres des contraintes que connaissent les échanges hors de l’espace électronique, l’ » injonction au pseudonyme » constitue un élément du rituel du clavardage auquel il est difficile de déroger et nécessaire de s’adapter. Ce caractère injonctif peut déstabiliser le néophyte, comme en témoignent certains internautes peu avertis demandant des conseils pour choisir leur pseudonyme ou s’interrogeant sur l’existence de programmes permettant d’en créer automatiquement ! Les pseudonymes sont souvent présentés comme des formes anonymes, marquées du sceau de la liberté du choix et de la protection, comme le souligne le blogueur Tiresias (2009) : « c’est pour écrire librement, sans engager d’autres que moi, et sans que les conséquences puissent peser un jour sur les gens de mon nom« ). Ils participent aux contraintes d’usage, qui sont dans leur principe semblables à toute forme de communication (que l’on songe aux manières de s’appeler dans tel ou tel milieu professionnel par exemple).
S’il est vrai qu’ils permettent de masquer l’identité civile sur le net, ils n’en constituent pas moins un lieu d’identification fort, particulièrement sur les forums. Soulignons qu’ils peuvent être accompagnés, dans ce dernier cas, d’un avatar (une image valant photographie d’identité, mais, le plus souvent, sans rapport avec le vrai visage de l’internaute), d’une citation, d’un post-scriptum à la suite de sa contribution…
La variété des pseudonymes est considérable (Martin, 2006). Parfois, un prénom rempli cette fonction (« vrai » ou « faux », cela est invérifiable), mais souvent, il y a une signification cachée sous ces formes qui ne sont pas dénuées de sens pour leurs créateurs, comme en témoignent ces réponses à la question : « Y’en a on se pose pas la question. N’est-ce pas SimpleT ! JJMais pour les autres, d’où vient l’origine de votre pseudo ???« , pos(t)ée sur le forum http://actionmuco.aceboard.fr :
NOTA : Les interventions sont reproduites sans modification ou correction
faco :
Moi ça vient de l’animal Phacochère (vous savez Pumba dans le roi lion!)
mamanthom :
moi c est tres simple ….
je suis la maman de thomas ….
abreviation de thomas : thom
donc mamanthom J
mimibounce13 :
moi c’est le début de mon adress msn, pk cette adresse ?
mimi = surnom que j’ai chez moi
bounce = comme une puce parce que je fais tout, n’importe quoi, vite, de partout etc lol
13 = allez l’om mdr
schmurtz :
moi c’est mon petit surnom à la maison
krisspack :
Moi Krisspack ,c’est un condencé ,de kriss pour christ mon nom de famille c’est Chrétien et Pack pour Paques,
mon prenom c’est Pascal ,un peu tiré par les cheveux
Naty :
Bah , moi, c’est simple, mon prénom est Nathalie….
Naty, c’est un surnom que personne ne me donne parmi mes proches donc c’est celui du forum ! J
sansan43 :
sansan pour sandrine mon papa m’appelé comme sa quand j’étais petite.
Le pseudonyme n’a donc pas uniquement vocation à cacher (fonction d’écran de protection), mais peut servir à marquer un autre aspect de l’identité, plus subjectif, souvent affectif. Sa caractéristique première est donc d’être un espace de projection identitaire (fonction écran de projection). Cette dernière a ceci de particulier que l’internaute en est la source et l’objet. Contrairement aux prénoms, noms, surnoms… le choix est laissé au sujet de la forme qui l’identifiera et sera porteur de son identité.
Cette liberté de projection est d’autant plus grande que le net constitue un espace de protection : l’absence de rencontre directe et l’anonymat ouvrent un espace d’expression accru, qui n’était, dans le monde réel, souvent réservé qu’à des situations clandestines ou secrètes, dans certains milieux interlopes ou clubs privés, et qui maintenant peuvent s’étendre sur le web social et être publicisé à l’infini. Cet anonymat et le respect de la « vie privée » est d’ailleurs au centre des préoccupations liées aux identifiants techniques : il semble que l’exposition personnelle de soi soit sous-tendue par cet impératif de protection de la sphère privée, en une apparente contradiction qui se révèle être au contraire la condition même de cette exposition.
L’identité numérique : un continuum
Sur le net, l’identité civile et l’identité-écran constituent donc les bornes d’un continuum qui accepte toutes les nuances et les variantes de l’inscription identitaire.
Figure 1
A l’une des bornes de ce continuum, le pseudonyme se présente comme le « ligateur autonyme » (Georges, 2009) dans le processus de constitution de l’identité-écran. Au-delà de cette inscription qui constitue la porte d’entrée du personnage mis en scène (personnage-écran), il est nécessaire d’interroger de manière plus large les postures subjectives dans le contexte de la socialisation exclusivement virtuelle sur le web social.
Communauté numérique et personnage-écran : au bout du continuum
Il faut distinguer ici deux situations :
- les interactions sur le web social qui prolongent des relations préexistantes dans le monde réel (cas fréquent chez les adolescents qui se connectent pour « tchater » avec ceux qu’ils ont croisés toute la journée au collège par exemple) ou en tension avec celui-ci (comme c’est le cas avec l’utilisation de Twitter par les Iraniens manifestant à la suite de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009, qui souhaitent montrer la réalité de la répression violente) ;
- les interactions sur le web social dégagées du réel, ne reposant que sur le virtuel, tel que la participation à des communautés virtuelles dont les membres ne se connaissent que dans ce contexte.
Nous ne traiterons, dans les lignes qui suivent, que de la seconde situation dont nous savons qu’elle représente une situation extrême des échanges sur le web, prototypique et présentant l’avantage de souligner des phénomènes du web social plus discrets dans d’autres contextes moins caractéristiques.
L’omniprésence désincarnée
L’identité-écran peut accueillir une image. La règle est à l’avatar bien que certains n’hésitent pas à mettre une photographie, souvent mise en scène, parfois humoristique, mais celle-ci ne remplace pas la présence. Revenons sur ce point évoqué plus haut : l’identité-écran a ceci de particulier qu’elle réfère à un sujet qui, dans l’espace social numérique, est désincarné. Autrement dit : le personnage-écran est éthéré, immatériel quand bien même un sujet réel le sous-tend.
Dans les conversations électroniques, les corps isolés ne sont qu’au contact des machines (souris, clavier, écran…) à une distance proche voire intime, pour reprendre la terminologie hallienne.
Si cette médiation prolonge certains sens (ouïe et vue) au-delà de l’ « ici et maintenant », elle ne prolonge pas les corps. Le développement technologique des années 90 s’était accompagné d’un imaginaire déployé jusque dans le champ de la sexualité avec le cybersexe, par exemple, et ses prothèses censées reproduire sur le corps les sensations d’un contact charnel. Aujourd’hui, l’interaction du corps de l’homme et de la machine se développe dans une autre direction : l’objet technologique, miniaturisé, se colle au corps et le suit dans ses déplacements en même temps que la publicité le vante comme un élément de la personnalité (la publicité pour le téléphone LG Prada se présente comme un cadre-miroir dans lequel se reflète l’usager) ou un véritable partenaire (« Le nouvel iPod Shuffle, le premier baladeur qui vous parle »). Si le virtuel permettait d’être partout depuis son ordinateur, ce dernier phénomène permet d’accéder au monde virtuel partout depuis le monde réel, réduisant peut-être de jour en jour la frontière entre les deux mondes dans les pratiques ou renversant, chez certains, l’échelle des priorités. On parle alors de « réalité augmentée ».
Cette désincarnation du sujet est un trait éclairant l’identité numérique, dont nous avons dit qu’elle était un continuum s’étendant depuis l’identité sociale jusqu’aux formes de l’identité-écran. L’identité numérique permet ainsi de faire le lien entre les éléments identitaires hétérogènes, mais aussi les univers (réel et virtuel) d’évolution qui se croisent. L’identité-écran seule, hors lien avec les formes identitaires du monde réel et sous sa forme extrême, se pose comme un espace de confusion. Dans l’expérience immédiate et virtuelle se croisent dès lors l’ici et maintenant, l’ailleurs et la permanence, en une confusion du second au premier, réalisant une forme poussée de ce que Jean Baudrillard (1985) désigne comme « simulacre « . Dans cette perspective (qui est celle de la post-modernité), les modes de représentation culturels simulent la réalité, et cette simulation virtuelle tendant à l’illusion parfaite conduit, pour Baudrillard, « à l’extermination du réel par son double ». Francis Jauréguibérry (2001, p.150) rappelle que « les « manipulations de soi » auxquelles certains internautes se livrent en empruntant un sexe, un âge, statut, etc. autre que le leur dans les forums de discussion (…) se multiplient (….) la manipulation de soi sur Internet nous parle de la souffrance ou de la difficulté de l’individu contemporain à être un sujet capable de relever le défit de la gestion de son identité. »
Les « manipulations de soi » deviennent alors néfastes lorsque l’identité réelle, n’étant pas suffisamment consolidée, est désaffectée au profit de la projection virtuelle. Alors l’individu s’enferme dans une attitude compulsive vis-à-vis de l’internet, où les corps absents, le miroir accueillant car manipulable de l’autre, l’invention sans limite de soi en un néo-moi virtuel à l’identité choisie… semblent le seul horizon acceptable. Michel Hautefeuille et Dan Véléa (2010, p. 151) rapportent ainsi la réponse d’un jeune adolescent dépendant à un jeu en ligne :
« – Kirzo, répondit-il.
– Non, quel est votre nom ?
– Kirzo, de la guilde des Zorcons.
– Non, dans la vraie vie insistais-je.
– Ah, vous voulez dire pour mes parents ».
Néanmoins, le temps fait son chemin (rapidement à l’échelle du net) : les nouvelles générations maîtrisent l’usage du net et savent le positiver sans s’y perdre : le web social les fascine moins que leurs aînés et leur usage est utilitaire, largement lié à la rencontre sociale réelle ou à une occupation ludique. L’identité-écran participe de l’éventail des identités sociales et constitue une facette identitaire qui n’est pas exclusive, mais complémentaire.
Le double miroir
Dans ce contexte, l’identité numérique et tout particulièrement l’identité-écran (parce qu’elle supporte la disjonction parfaite avec le monde réel) inscrite dans les cadres d’échanges en communautés virtuelles, apporte ainsi de nouvelles possibilités de positionnement identitaire.
La présence de l’autre, sa réponse synchrone (chat) ou asynchrone (forum), est comme dans tout échange un élément déterminant. Dubar (1991) le souligne en écrivant que la construction identitaire n’existe que dans un espace continuel de transaction et d’échange entre l’image que le sujet se fabrique de lui-même et celle qu’autrui lui présente en miroir.
Sur le web social, le jeu de miroir a ceci de particulier que les individus sont en manque des informations habituelles dans la relation directe : l’internaute ne sait de son interlocuteur que ce dont celui-ci veut bien l’informer et choisit ce qu’il souhaite communiquer de lui-même. Dans cette relation, les informations ne sont pas vérifiables, peu comparables à celles émanant d’autres sources.
De plus, la relation spéculaire prend ici une forme supplémentaire en raison de la publicisation des échanges : l’image construite de soi est donc soumise à la réponse de l’autre (premier miroir). Elle repose également sur le succès de la campagne d’exposition (deuxième miroir), mesurable par exemple, au nombre de citations ou de visites. Cette double relation spéculaire peut, c’est déterminant, être immédiatement suspendue : il suffit à l’internaute de se désinscrire du groupe ou, plus simplement encore, de changer de pseudonyme (quand il n’en utilise pas déjà plusieurs simultanément).
Ainsi, ces caractéristiques (double miroir – de l’interlocuteur et de la communauté entière – et possibilité de suspension à tout moment et sans conséquence de la relation) offrent un cadre de construction et de projection identitaires pour le moins singulier. Cette projection est rendue possible par la disponibilité et le choix de la communauté, composée de « mêmes », qui constitue un espace rassurant (il y a toujours une communauté-miroir qui renverra un reflet positif) et protégé (il y a toujours possibilité de quitter sans frais la communauté).
Le personnage-écran : une forme extrême de la subjectivité numérique
La liberté de projection subjective, ouvre, pour Jean-François Marcotte (2003) la possibilité d’un « simulacre de soi », à l’image de la figure du golem dont la création se passe de corps physique et de reproduction charnelle. Le terme même d’avatar, emprunte à cette puissance projetée de la personne, puisqu’il désigne à l’origine l’incarnation du dieu Vishnu parmi les hommes. L’internaute peut en effet prendre le contrôle d’une image dépendant, dans le cadre des relations et des communautés réelles, des autres, des statuts, des rôles… et inventer un personnage qui lui sert de masque.
Bien que caractéristique dans son ampleur virtuelle, cette opération emprunte aux relations dans le monde réel. Le masque ou la façade (de pseudonyme et d’avatar entre autres) est une extension supplémentaire, dans l’espace virtuel, des jeux de masques et de façades des interactions ordinaires. Serge Tisseron (2009) banalise même l’usage de l’avatar : « […] Nous vivons dans une culture où l’apparence n’est plus censée refléter l’identité, mais simplement une facette de cette identité. De la même façon, dans un monde virtuel, l’avatar choisi ne nous ressemble pas forcément fondamentalement, mais il constitue une facette de nous-mêmes qu’il nous plaît de donner à un moment précis. Les mondes virtuels n’ont pas créé cette tendance, ils l’ont banalisée en en faisant un mode généralisé de rencontre avec l’autre. C’est un bal masqué permanent, on y rencontre des marins, des sorcières, des fées. N’oublions pas que les fêtes masquées étaient très importantes dans les sociétés traditionnelles. Cela permettait de faire de nouvelles rencontres imprévues. Les mondes virtuels renouent en quelque sorte avec la tradition du carnaval, en s’autorisant à dire des choses que l’on ne s’autorise pas habituellement, parce qu’on est masqué. »
Avec la création de ce personnage-écran (golem et avatar), peut-être de carnaval, mais dont le masque est pris pour le « vrai visage virtuel », s’ouvre la possibilité d’un discours que l’on a qualifié d’intime, de « plus vrai » sensé être dégagé de tous les travestissements sociaux.
La communauté et la liberté consensuelle
La liberté d’être « soi-même » sous-tend ce personnage-écran. Cette liberté s’inscrit dans l’idéal démocratique et égalitariste du net, dont Nicolas Vanbremeersch donne un exemple : « Comme les cafés, ces espaces [du web social] sont ouverts à tous les vents. Chacun peut y circuler et lire ce qui s’y dit […] quiconque souhaite y entrer, et prendre la parole, est effectivement libre de le faire. On ne demande pas de titres avant d’écouter. On ne demande pas le nom. Cela n’empêche pas les conversations de s’établir, librement, et les réputations de se faire. La parole et la contribution à la conversation priment sur l’identité de l’émetteur, à la différence de l’espace public bourgeois traditionnel, où la prise de parole est soumise à la sélection de filtres qui ne sont pas ceux de l’agrément de la foule » (2009, p. 52).
Pourtant, cette liberté (célébrée) est encadrée, déterminée par le dispositif technologique et ses usages symboliques.
Le clavardage impose une contrainte à qui souhaite la valorisation numérique : celle de la disponibilité, revers de l’omniprésence, déployée dans tout le paradigme des communications médiées (téléphone portable, courriel…). La popularité et la réputation de l’internaute sont en effet soumises à un impératif quantitatif : le nombre de posts, de réponses, de clics, d’amis numériques… sont autant de gages de visibilité dans cet espace où la permanence de la présence est le seul remède à la disparition dans le labyrinthe profond du web où l’impopularité condamne à l’oubli. En effet, même mises en ligne, les pages peu ou pas liées, à défaut d’être « buzées », ne sont pas exposées compte tenu des modes de navigation reposant sur la popularité (que les moteurs de recherche n’ont de cesse de classer, en un hit-parade qui tient d’un nouveau mode de la « spirale du silence » telle que la décrit Elisabeth Noëlle-Neumann (1974)).
La pression de l’ « autre virtuel » demeure et invite pour le moins au consensus. Celui qui n’est pas d’accord n’a d’ailleurs qu’à rejoindre une autre communauté partageant son point de vue. Ainsi, le vaste espace du web social semble-t-il être, par son fonctionnement et dans son fondement même, morcelé. Si toutes les idées et les personnes peuvent s’y exposer et s’y publiciser, il n’est pas le lieu de la confrontation, du débat, mais celui d’une atomisation du lien social en communautés d’opinions consensuelles étanches entre elles, bardées de défenses de leurs territoires respectifs (Iannis Pledel, op. cité). La liberté s’opère alors au prix d’une disponibilité à participer au consensus de la communauté. De la même manière que les mass-médias doivent plaire et s’adapter à la cible, l’usager du web social doit jouer du consensus dans la (les) communauté(s) qu’il fréquente pour répondre à l’exigence de publicisation. L’affaire est d’autant plus facile qu’il y a des communautés sur tout, pour tous les points de vue. Le web social (encore une fois, dans les contextes où les échanges sont étanches au monde réel) apparaît donc comme le lieu de rencontre d’une communauté fantasmée : homogène et consensuelle. Une autre « terre d’utopie concrète », un espace social rassurant travaillé par les usagers pour ne rester, au sein d’une diversité infinie, que dans l’entre-soi, entre « soi-mêmes ». Dans cette perspective extrême, l’homme devient alors, pour Baudrillard (1990), « un pur écran », une partie intégrante du réseau où il ne croise plus que des semblables à lui-même : « Le secret de l’Interface, c’est que l’Autre y est virtuellement le Même […] On est passé de l’enfer des autres à l’extase du même, du purgatoire de l’altérité aux paradis artificiels de l’identité« .
Les différentes postures du sujet ne se limitent pas aux cas extrêmes explorés ici. Nous avons souligné une figure (personnage-écran) dans un cadre d’évolution (la virtualité sociale sans référence à la réalité sociale) et en tension avec l’identité-écran. Mais l’espace numérique accueille tout aussi bien la « personne civile » sous sa forme numérique, à l’autre bout du continuum.
Figure 2
Conclusion
Entre liberté, déconnexion des références organisatrices sociales premières, et aliénation à la machine virtuelle, l’identité-écran porte donc en elle la trace des mutations subjectives contemporaines. Elle apparaît comme la forme prototypique liée aux figures modernes de la subjectivité permettant à la personne de se penser et de s’inscrire dans les réseaux. Le triomphe de l’individu s’accompagne d’un sentiment de toute puissance de soi et produit, dans le contexte de l’identité-écran, un effet d’autocréation de la part du sujet démiurge dans la société de l’information (électronique de surcroit) dont il est à la fois source et cible, moyen et finalité. Cette identité sous-tend le personnage-écran, à la liberté limitée par le fonctionnement consensuel des communautés virtuelles.
L’identité-écran ne doit pas être exclusive ou confondante (et le sujet ne doit pas se confondre avec le personnage-écran) au risque de conduire à un déni de la réalité. Au contraire, elle doit accueillir et être perméable à la subjectivité civile et réelle. Le continuum de l’identité numérique doit alors produire, dans son épaisseur et sa densité, un effet d’homogénéité dans l’hétérogénéité des postures identitaires et subjectives. Une « simple identité » en somme, qui doit compter avec le retour du réel, des corps… dans la société des hommes marquée par leurs rencontres et leurs échanges directs, rappelant sans cesse à l’individu ses repères dans les filiations, les groupes, les autres réseaux… et ses commerces symboliques contractuels dans ces civilités où se travaillent les places.
Avec ce rappel du réel, les échanges électroniques sociaux sont un gage d’ouverture et de richesse. Sans celui-ci, ils conduisent à l’enfermement pathologique.
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Auteur
François Perea
.: François Perea est maître de conférences à l’université Paul Valéry – Montpellier III et chercheur dans l’équipe de recherche Praxiling, UMR 5267 CNRS.