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La médiatisation : de la production à la circulation des nouvelles

14 Juin, 2010

Résumé

Dans cet article, nous présentons une enquête qui questionne le concept de nouvelle à partir de l’analyse de la circulation d’énoncés. En observant des événements concernant des ONG, diffusés au moyen de dispositifs signés par des sites diffuseurs ou non-diffuseurs de nouvelles sur le Web, nous avons cherché des réponses à trois questions spécifiques : quel est le rapport entre la reconnaissance de « l’événement concerné » médiatisé par des institutions journalistiques d’une part, non journalistiques d’autre part ? Dans quelle proportion, cette circulation en général et spécifique de la nouvelle est-elle en relation avec les capitaux des institutions protagonistes ? Et, finalement, quel est le rapport entre les dispositions discursives et la circulation (en général et spécifique) de la nouvelle ? Les deux dernières questions portent sur les rapports d’un produit médiatique avec les processus sociaux plus larges.

In English

Abstract

In this article, we show an investigation discussing the concept of news, since the analysis of the circulation of the propositions. Watching events on NGOs, broadcast in devices made by news and non-news sites on the Web, we look for answers to three specific questions: what is the relation between recognition of “referring event” among journalistic institutions and non-journalistic ones? To what extent is this general and specific circulation of the news related to the capitals of the protagonist institutions? And, at last, what is the relation between the discursive dispositions and the circulation (general and specific) of the news? The two last questions regard to the relations of a mediatic product with the ampler social processes.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Ferreira Jairo, « La médiatisation : de la production à la circulation des nouvelles », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°11/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2010/varia/08-la-mediatisation-de-la-production-a-la-circulation-des-nouvelles

Cheminements

Dans notre enquête (1), la nouvelle est discutée à partir de la méthode déductive-inductive liée aux concepts de circulation, champs sociaux et dispositifs. Ces analyses visent à appréhender les interactions entre les institutions, par le moyen d’une étude de cas à propos de la circulation sur le Web d’énoncés informatifs sur les ONG, et elles ne saisissent pas la place des interactions en face-à-face dans la construction de la nouvelle. À partir de cette position, nous avançons un concept de nouvelle lié à l’occurrence simultanée d’énoncés informatifs sur certains événements référents dans des dispositifs d’institutions médiatiques et non médiatiques. En d’autres termes, la nouvelle n’est pas un « produit » spécifique des « journaux », mais un événement social plus large. L’analyse renforce les interprétations de la nouvelle à partir du concept de circulation, en convergence avec des perspectives de Debray, de Sperber et aussi de Groth (dans le sens où la nouvelle n’est pas ce qui apparaît dans le support signé par l’institution journalistique, mais est un événement diffus qui circule entre des supports divers – dans notre cas, des dispositifs – signés et même sans signatures).
La nouvelle mise en évidence comme un événement social transversal produit par des institutions de différentes modalités, nous cherchons à identifier la spécificité de la nouvelle stricto sensu (produit d’un journal) dans le domaine de l’univers constitué par la nouvelle lato sensu (des énoncés informatifs relatifs aux mêmes événements référents ayant lieu « en dehors du journal »). Autrement dit, nous cherchons à vérifier dans quelle mesure, dans l’environnement diffus de l’information diffusée comme une nouvelle, le produit de l’institution journalistique occupe une place élective, de clôture du processus de circulation.
Ayant focalisé la nouvelle comme « événement », « produit culturel autonome », ou « fait social », ou encore, objectivation, dans la deuxième partie de l’article, nous réfléchirons au degré de cette autonomie. Nous observerons qu’elle est relative, car la nouvelle répond non seulement aux logiques de la circulation intra-médiatique, mais elle est orthogonalement liée aux logiques de processus spécifiques des champs sociaux qu’elle traverse. Autrement dit, elle n’est pas seulement la traversée en soi, mais elle-même est également traversée par où elle passe.
Nous le montrons dans ses relations avec les conditions sociales des protagonistes du « monde montré » (où la nouvelle est reproductrice d’une hiérarchie propre au domaine traité), et avec les discours de ceux-ci (c’est-à-dire, la nouvelle comme reconnaissance d’une force d’autres discours).
Nous croyons que cette perception élargit le concept de nouvelle. Notre effort réflexif consiste à exploiter les possibilités de cette position pour penser un concept de nouvelle à partir des concepts de médiatisation. Le concept que nous avons développé renforce la médiatisation comme relations et intersections entre dispositifs, processus sociaux et processus de communication (Ferreira, 2007). Cette formulation théorique est abstraite, et sa concrétisation, déductive et inductive, implique toujours une rupture épistémologique, dans le processus descendant, déductif et inductif, du concret pensé à l’analyse des matérialités. En d’autres termes, l’investigation singulière que nous réalisons ne vise pas couvrir toutes les relations et intersections possibles dans le concept de médiatisation, mais elle sera toujours une découpe produite à partir de la théorisation abstraite. Ce que nous sommes en train d’opérationnaliser est tout à fait spécifique : les processus sociaux visés sont les relations entre des champs institutionnels différenciés (des institutions spécifiquement journalistiques, des ONG, ainsi que d’autres agences publiques et privées), investiguées dans les processus de communication matérialisés dans la circulation inter-médiatique et, au sein des dispositifs, dans les dispositions discursives.
Dans le processus de collecte de données, cette approximation déductive et inductive a permis, méthodologiquement, la construction des cadres descriptifs que nous analysons dans cet article. Les voici :
1.La circulation d’énoncés en général et de nouvelles en particulier sur les ONG investiguées (en référence aux sites, aux nouvelles en général et aux nouvelles en particulier analysés). Tableau 1, ci-dessous.
La collecte a été développée dans la période de 2005 – 2006, et a été mise à jour en 2007-2008, pour l’analyse de chaque nouvelle :

Tableau 1 – ONG analysées et matériaux respectifs circulant sur le web

 

ONG

NOUVELLES DIFFUSES (2)

NOUVELLES CONCENTRÉES(3)

Plus de 100 textes

GAPA (Grupo de Apoio e Prevenção à Aids)

110

25

ABIA (Associação Brasileira Interdisciplinar de Aids)

107

17

GGB (Grupo Gay da Bahia)

107

50

GREENPEACE international

107

10

SOS CORPO

106

20

CAZUZA

104

25

WWF (Fundo Mundial para a Natureza)

104

06

REDEH (Rede de Desenvolvimento Humano)

102

27

GTA (Grupo de Trabalho Amazônico)

101

34

MMF

101

11

Entre 50 et 100 textes

GIV (Grupo Humanitário de Incentivo à Vida)

99

21

SEA SHEPHERD

93

14

AMB (Articulação de Mulheres Brasileiras)

80

19

CFEMEA (Centro Feminista de Estudos e Assessoria)

70

11

IMAFLORA (Instituto de Manejo e Certificação Florestal e Agrícola)

62

15

Entre 25 et 50 textes

ISA (Instituto Socioambiental)

53

13

CEMINA (Comunicação, Educação e Informação em Gênero)

51

14

ICV (Instituto Centro de Vida)

47

13

ECOS (Comunicação em Sexualidade)

25

1

Entre 0 et 25 textes

AMAZONA (Associação de Prevenção à Aids)

20

5

MIRA-SERRA

16

4

GRUDE

13

1

SEB (Sociedade de Ecologia do Brasil)

12

1

AGIRAZUL na REDE

11

1

GRUPO ORIGEM

8

2

AMAJF (Associação pelo Meio Ambiente de Juiz de Fora)

4

2

GRUPO SIM À VIDA

4

0

AJA (Associação Jequitiba de Agroecologia)

3

0

IAAL (Instituto Socioambiental Austral)

3

1

ECOM (Ecologia e Comunicação)

2

1

ABAPAM (Associação Barbosense de Proteção Ambiental))

1

1

AACC (Associação de Apoio às Comunidades do Campo do RN)

 

 

 

TOTAL (dans les 895 sites)

1726

365

2.Occurrence simultanée des textes informatifs diffuseurs de nouvelles au sein des dispositifs localisés dans différentes positions institutionnelles (Tableau 2, ci-dessous).

Tableau 2 – Illustration sur la distribution d’un invariant (thème-événement-information)

Invariant

Sites d’ONG

Sites Privés ou Étatiques

Sites journalistiques

Le gouvernement peut briser les brevets sur les anti-rétroviraux

www.abiaids.org.br www.abdl.org.br www.gestospe.org.br
(Ce site a deux nouvelles qui font référence à cet événement)
www.giv.org.br
(Ce site a deux nouvelles qui font référence à cet événement)

www.aids.gov.br
(Étatique)
www.fiocruz.br
(Étatique) www.amaivos.uol.com.br
(Privé)
www.conasems.org.br
(Étatique)
www.sindlab.org
(Étatique)
www.saude.rn.gov.br
(Étatique) https://grupos.ufrgs.br (Étatique)

www.folha.uol.com.br www.drashirleydecampos.
com.br
http://aprendiz.uol.com.br www.agenciaaids.com.br www.revistaforum.com.br

 

Ceci est le matériel analysé dans la première partie de l’article. Les relations de ces matériaux avec les processus sociaux partent de données (catégorisées) sur les capitaux et les dispositions discursives des ONG qui faisaient l’objet d’investigations dans une recherche antérieure, partiellement publiée (Ferreira, 2005). Les conditions d’existence ont été définies à partir d’indicateurs de capitaux incorporés par les institutions, construits à partir d’une littérature diversifiée sur les mouvements sociaux; en d’autres termes, nous avons fait une construction qui répond à des indicateurs construits dans le domaine académique et dans le domaine des ONG (à l’aide de leurs rapports d’activités et des documents d’évaluation de ces institutions). Les données ont été collectées à travers une recherche documentaire (dans des sites de l’Abong, des ONG enquêtées et auprès d’autres institutions), des interviews et des réponses à des questionnaires. Les données ont été croisées, catégorisées et codées. Les dispositions discursives ont été analysées à partir d’échantillons (en moyenne, 35 textes produits et divulgués par ces ONG dans leurs sites); ces échantillons ont été eux-mêmes analysés en groupements catégoriels d’énoncés (visant à réglementer, conceptualiser et moraliser les processus sociaux).
Les données regroupées présentées ici se rapportent à ce que nous appelons les conditions sociales d’existence des institutions productrices des sites examinés. Ce lieu des conditions de production n’est pas toujours considéré comme étant central pour l’analyse du langage. Des auteurs aussi différents que Bourdieu et Verón privilégient ainsi la différenciation par « classes » dans la sphère de la réception, c’est-à-dire celle de la consommation. Notre recherche met l’accent sur la sphère de l’émission pour différencier les classifications sociales. La thèse guidant notre recherche considère que la distinction existe aussi dans la sphère de la production, ce qui traduit une critique de notre part à la thèse de l’homogénéisation du discours (qui, comme cela a déjà été signalé, apparaît même chez Bourdieu, dans sa troisième phase – dont l’œuvre Sobre a televisão (Sur la télévision) est paradigmatique).

Corrélations entre les conditions de production et les dispositions discursives

Les conditions d’existence des ONG comme institutions sont examinées à partir du même modèle présenté dans le tableau intitulé « espaço de posições sociais e espaço dos estilos de vida« , où Bourdieu (1996 : 20) présente un résumé du diagramme de La Distinction. Ce tableau se définit autour de quatre quadrants : à gauche, les agents avec le plus grand capital culturel ; à droite, ceux qui possèdent plus de capitaux économiques ; dans les quadrants supérieurs se trouvent ceux qui possèdent les plus grands capitaux globaux (= la somme des capitaux culturels et économiques) ; dans les quadrants inférieurs, ceux qui disposent des capitaux les plus faibles.
En ce sens, la recherche procède d’une interprétation des conditions sociales d’existence des ONG, celles-ci définies par les capitaux incorporés, disponibles et mobilisés pour les confrontations symboliques dans un marché discursif déterminé. Dans la mesure où nous travaillons avec les trois marchés, nous avons un espace tridimensionnel. Ainsi, l’étude prend en compte aussi bien l’ONG ayant peu de capitaux politiques, économiques et culturels que celle qui les possède tous en quantités considérées comme plus importantes par rapport aux autres. Les rapports entre les dispositions discursives et les positions sociales définies ici sont présentés dans un tableau où les éléments du contexte macrosocial de production se distribuent selon les attitudes discursives des ONG examinées.
Un problème méthodologique important à ce niveau est celui des indicateurs des capitaux institutionnels. Nous savons que Bourdieu, dans ses investigations, a utilisé des groupements sociologiques stabilisés (patrons, salariés, professionnels libéraux, etc.) pour étudier leurs dispositions des individus (surtout dans la sphère du goût et de la consommation, mais aussi dans celle de la formation scolaire). Or, on ne regroupe pas les institutions comme on place les individus en classes sociales. C’est pourquoi, si dans un premier temps le critère d’une distribution par homologie nous a paru pertinent, et intéressant pour une critique des approches de la production médiatique envisagées comme un processus homogène (ce qui est le cas depuis l’École de Francfort jusqu’à Bourdieu), dans un deuxième temps, cette solution s’est montrée insuffisante pour une étude empirique, qui a donc exigé des instruments plus spécifiques de vérification des distinctions, s’agissant des institutions. Le processus méthodologique développé au cours de la recherche a permis d’identifier des indicateurs de capitaux incorporés par les institutions, à partir d’une littérature diversifiée sur les mouvements sociaux ; ainsi, nous avons construit des indicateurs aussi bien dans le domaine académique (universitaire) que dans le domaine des ONG (à l’aide de leurs rapports d’activités et des documents d’évaluation de ces institutions). Les données ont été collectées à travers une recherche documentaire (dans des sites de l’Abong, des ONG enquêtées et auprès d’autres institutions), des interviews et des questionnaires. Les données ont été croisées, catégorisées et codées.

Distribution des capitaux économiques, politiques et culturels

Quand nous parlons de conditions objectives d’existence des ONG, nous savons que notre regard part du champ académique (universitaire) et que nous faisons référence aux formalisations qui ordonnent la compréhension de ces conditions objectives, comme point de départ de l’introduction, dans le corps de la recherche, d’un ensemble d’informations obtenues à travers les techniques mobilisées.
Dans la mesure où nous n’interagissons pas avec d’autres formes d’action sinon celles qui subissent la médiation du langage (questionnaires envoyés par courrier électronique et recherche documentaire sur le Web), nos propositions sur les conditions d’existence des institutions étudiées sont limitées. En d’autres termes, les limites d’un accès aux conditions objectives d’existence à travers des textes sont profondes. Savoir comment est l’architecture d’un bâtiment, sa localisation, le quartier où il se trouve, etc., est aussi important que de savoir si l’ONG possède ou pas son propre bâtiment au travers d’un questionnaire. Observer directement les rapports en face à face nous en dira plus sur les relations politiques effectives que d’inférer, à partir de documents et de réponses standard, leur paramétrage comme organisation bureaucratique, charismatique ou démocratique et collective. Même en étant conscients de ces limites, nous nous proposons de travailler cet ensemble de catégories, qui nous fournissent quelques indicateurs de localisation des ONG dans l’espace social.
En même temps, avec cette formulation, nous n’avons pas l’intention d’affirmer que les conditions sociales d’existence d’un champ social se rapportent à une objectivité de la vie sociale – i.e. les capitaux mobilisables dans les confrontations symboliques – qui pourrait se superposer aux structures sociales, bien qu’inconscientes, d’interprétation et de production des objectivations de la nature et de la société. Les sens communément admis provenant de l’expérience sociale ne sont pas identiques à ceux ayant pour origine le champ scientifique et le champ académique: ainsi les significations sociales sont-elles construites autant par le champ objet de l’étude que par le champ académique ou celui des médias.
La classification des ONG en fonction de leur capital économique a été construite à travers l’utilisation de critères successifs, suivant la perspective d’indicateurs de l’économie et de la comptabilité publique, et en s’appropriant des références suggérées par la littérature à propos de l’autofinancement des ONG et du troisième secteur. Tout d’abord, ces organisations ont été classées en ordre décroissant selon le budget brut annuel, la possession et la valeur de biens immobiliers. Les critères suivants sont relatifs aux sources de revenu propres (activités économiques, autres événements, contributions volontaires et celles provenant des membres réguliers).
La classification en capitaux politiques a été faite à partir de niveaux construits par la somme d’un ensemble d’items catégorisés selon des indicateurs présents dans la littérature des mouvements sociaux (le nombre de membres, les mobilisations, les participations à des événements nationaux, régionaux et locaux, la présence à des instances publiques, etc.). Ces niveaux ont été différenciés, dans un deuxième moment par le moyen d’une succession de critères et de catégories.
Nous avons considéré, premièrement, que la gestion collective (dimension démocratique) implique des capitaux supérieurs à ceux de l’organisation rationnelle –techno -bureaucratique, et que les deux agrègent plus de capitaux que les institutions dont le fonctionnement repose sur des leaders forts. Ces trois séries de critères correspondraient de ce fait aux formes de gouvernement démocratique, bureaucratique et charismatique. Le deuxième critère de différenciation est quantitatif : nombre de volontaires. Le troisième reprend la question des formes de rapports des collectifs composant les ONG ; la première valeur est toujours celle de la participation, l’activité étant plus grande que la passivité en termes de valeur politique. On a encore considéré la situation intermédiaire où des leaders et des groupes divers jouent le rôle de médiateurs en des termes discursifs. Le quatrième critère est relatif aux formes d’action politique ; l’action directe est considérée comme un indicateur de force politique dans la mesure où elle est confrontée à des normes, à la moralité et à des méthodes sociales ; ensuite, nous prenons en compte la protestation de masse et, enfin la dénonciation. Le cinquième critère de différenciation valorise le travail en réseau avec d’autres ONG et/ou les actions qui y correspondent ; dans ce critère, l’action avec l’appui d’autres institutions a aussi été valorisée. La sixième catégorie de différenciation concerne la participation à des politiques publiques ; les catégories ayant trait aux rapports avec d’autres agents sociaux n’ont pas été utilisées dans cette première classification.
Par rapport à la différenciation des capitaux culturels, nous avons utilisé trois regroupements. En premier, le développement de recherches indépendantes sur l’objet de l’action de l’ONG. Deuxièmement, l’existence de publications propres et, troisièmement le processus de formation, en donnant la préférence aux indicateurs scolaires, cherchant ainsi un paramètre permettant de dialoguer avec la sociologie de la culture de Bourdieu, qui a toujours considéré l’accumulation de titres scolaires comme une des marques de la vie culturelle des sociétés marchandes.
À partir de ces critères, nous avons construit un tableau des positions des ONG étudiées, c’est-à-dire, un tableau de distribution de leurs capitaux respectifs. Cinq des trente et une ONG enquêtées n’ont pas répondu aux questionnaires et/ou n’ont pas été analysées à cause de l’absence de données les concernant sur Internet. À partir de ces données, nous sommes passés à l’analyse du processus de distinction, en utilisant pour cela des corrélations (SPSS) et des analyses qualitatives. Ces corrélations peuvent être examinées globalement et en des termes spécifiques.
Graphiquement, la distribution hétérogène peut être visualisée comme suit :

Graphique 1 – Distribution des capitaux économiques (var. 02), politiques (var. 04) et culturels (var. 06)

Discours de pouvoir des ONG

La dimension disposition discursive est explorée autour d’une de nos hypothèses expérimentales. Nous affirmons que les objets discursifs des ONG sont également produits dans une perspective d’institutionnalisation de l’espace public, dans des régions lacunaires, où il est nécessaire de réglementer, d’ordonner le bien faire (la méthode adéquate) et de moraliser. Ces trois axes formels situent le discours des ONG dans les marchés symboliques contemporains, qui fondent et légitiment des institutions multiples, en des processus ascendants, transversaux et descendants, jusqu’à la condensation de l’État. Ce sont des formes discursives qui structurent les représentations homologues au discours officiel (ou d’État), c’est-à-dire, réglementer, moraliser et ordonner la bonne voie du faire social). En d’autres termes, nous considérons que le discours de la morale, de la règle et de la méthode est une construction typique des configurations de l’État dans toutes ses ramifications. En ce sens, ce sont des discours de pouvoir. Cette formulation différencie le discours de pouvoir du discours sur le pouvoir (où le thème est le pouvoir), et le pouvoir du discours (où se présente le problème de la reconnaissance) du discours-pouvoir (où le discours subsume les pratiques et les sens communément admisen son lieu de signification).
Les catégories que nous utilisons apparaissent chez Charaudeau sous le genre de l’ « instruction officielle », c’est-à-dire en tant que formes discursives qui visent à ordonner la vie sociale, de la part d’un pouvoir existant ou prétendu, par une institution, par des agents sociaux et leurs champs d’appartenance. L’instruction officielle est un genre de discours cherchant des effets sociaux de pouvoir pouvant être impliqués dans une situation donnée soit en vue de sa transformation soit/et en vue de son maintien. C’est spécialement à travers ces modalités que se révèle le caractère des institutions qui sont analysées comme candidates à la régulation de la vie sociale, par l’intermédiaire de processus pédagogiques – la méthode envisagée comme forme de régénération des processus sociaux embrassés par les objets du discours, et son absence comme processus dégénératif –, de la loi (ou de la règle)– comme instance coercitive nécessaire à la régulation de l’espace public – et de la morale – comme condensation symbolique –, qui transcende les règles valables dans chacun des marchés sociaux dans lesquels la société s’est différenciée.
Les effets de ces modalités, toutefois, sont divers. Affirmer que la pollution d’une rivière découle d’intérêts économiques d’entrepreneurs qui « ne pensent qu’aux profits » (point de vue moral) n’a pas la même valeur dans un marché que d’affirmer que les « entrepreneurs doivent développer des méthodes de collecte de déchets » (point de vue de la méthode), ou que la réglementation municipale doit créer des règles contrôlant et punissant les entrepreneurs qui jettent des déchets industriels dans les ruisseaux et les rivières locales. Ces trois énoncés peuvent exister simultanément ou pas. Notre question est de vérifier comment ces modalités d’énoncés entrent dans le marché discursif des ONG et contribuent à les distinguer.
Pour cela nous avons construit une typologie de marques pour chaque dimension de cette triade.
Nous avons considéré que des énoncés sur la loi (ou la règle) sont caractérisés par une instance collective (institution, société), où le sujet n’apparaît pas (je, nous) ; il est délocutif. Ces énoncés autorisent, interdisent, gèrent, déclarent, rendent possible, cherchent la valeur de permanence dans le temps et ont les marques des instances du pouvoir.
À leur tour, les énoncés sur la morale ont comme marques les aspects suivants : la distinction entre le bien et le mal ; l’idée que l’action sociale est soumise à une fin, qui est le bien ; l’idée qu’il existe un lieu étant une autorité morale ; le sujet est collectif, exemplaire ; la recherche du processus au travers duquel le bien puisse avoir une valeur ; la croyance en sa propre autorité en tant que sujet moral et en la correction des valeurs du bien ; l’existence permanente d’un objet de quête.
La troisième dimension est constituée des énoncés sur la méthode, dont les marques d’identification utilisées sont : comment faire pour atteindre l’idéal et les fins morales, ceci comprenant à la fois l’objectif et les obstacles, et cherchant à découvrir comment les surmonter ; la quête du meilleur moyen d’atteindre les objectifs moraux ; le sujet présent dans les énoncés, contrairement à ce qui arrive avec la thématisation de la loi ; un programme à suivre, qui correspond à un idéal de moyens et qui doit être conseillé ; une position de force qui est morale ; une position où l’ONG est uniquement conseillère parce qu’elle a une expérience de la question ; la réalisation du programme ne dépend pas de la performance du conseiller ; la définition des opérations pour arriver au but moral ; la définition d’un parcours ; les moyens pour arriver à un idéal ; des opérations, des programmes d’action.

Corrélations

À partir des tableaux de données regroupées selon les catégories commentées ci-dessus, nous avons exploré les corrélations en utilisant le logiciel SPSS. Le tableau des corrélations est donc le suivant :

Tableau 3 – Corrélations entre les conditions de production et les dispositions discursives

 

Loi (Règle juridique)

Morale

Méthode

Économie

0,10

0,14

0,19

Culture

0,20

0,07

0,34

Politique

0,46

1,08

0,71

Dans le cas des capitaux économiques, les coefficients de corrélation entre unités de capitaux agrégés (selon les paramètres de cette recherche) et la production d’énoncés sur la loi sont de 0,10, sur la morale de 0,14 et sur la méthode de 0,19. Cela ne signifie pas qu’on puisse conclure qu’il n’y a pas de rapports entre la possession de capitaux économiques et la production d’énoncés sur le pouvoir, mais que ces rapports, en termes linéaires, sont faibles. D’autres méthodes peuvent, peut-être, saisir des rapports autres que les rapports linéaires. De toute façon, ce sont les rapports linéaires qui indiquent un effet de distinction. En ce sens, l’effet de distinction, relativement aux capitaux économiques, est faible quand il s’agit d’énoncés sur le pouvoir. Ce résultat n’est pas surprenant. En général, par intuition, nous savons que les agents sociaux spécialisés dans la sphère des marchés économiques sont silencieux en ce qui concerne les questions relevant de la réglementation, de la moralisation et de l’organisation technique et scientifique de l’espace public. Dans l’ère de la modernité, ces objets appartiennent aux États, ou sont des questions relevant du monde privé et n’appartiennent pas aux processus discursifs de la sphère publique activés par ces agents. Quand ces agents se prononcent à leur sujet, c’est de façon ponctuelle : exemptions, taux de changes, impôts, etc.
La possession de capitaux culturels entraîne aussi une faible propension à produire des énoncés sur la règle (ou la loi) (coefficient 0,20), la morale (0,07) et la méthode (0,34). Le dernier coefficient de corrélation linéaire est convergent avec nos connaissances. Les capitaux culturels s’expriment positivement par rapport à la mise en ordre technique et scientifique de l’espace-monde.
La possession de capitaux politiques, à son tour, engendre une propension supérieure à la production des énoncés examinés (sur la règle (ou la loi) : 0,46, la morale : 1,08, et la méthode : 0,71). Ces coefficients (voir Graphiques 2, 3 et 4 ci-dessous) indiquent que le discours de pouvoir est un objet produit par un ensemble d’experts ; ces derniers dominent les formes organiques du discours et accumulent des forces visant à renforcer la propension de leur camp à produire des déclarations sur leurs propres objets d’expertise.,. Ces formes, comme on l’a vu, font référence aux segmentations des institutions examinées (organisation bureaucratique, démocratie interne, accès à la parole, leaders charismatiques, etc.).
Graphiquement, ces rapports peuvent être représentés ainsi :

Graphique 2 – Entre capitaux politiques et énoncés sur la règle (la loi)

Graphique 3 – Rapports entre capitaux politiques et énoncés sur la morale

Graphique 4 – Rapports entre capitaux politiques et énoncés sur la méthode

Circulation des nouvelles

Dans l’analyse des relations entre la circulation des nouvelles dans des dispositifs médiatiques signés « par toutes sortes d’institutions » et par des « institutions diffuseuses de nouvelles » (journaux) sur le Web pour un même événement, nous avons utilisé l’analyse de régression par le moyen du SPSS (logiciel d’analyse statistique de données). Sur la circulation, notre analyse fait référence aux régressions suivantes (Graphiques 5 et 6) :

Graphique 5 – Illustration des rapports entre nouvelles dans des institutions journalistiques et dans d’autres institutions

Graphique 6 – Illustration des relations entre la circulation générale et les nouvelles dans des institutions journalistiques

Dans les relations de la circulation avec les capitaux des institutions jouant le rôle de protagonistes dans l’événement diffusé, nous avons mobilisé des données déjà catégorisées, relatives aux capitaux des ONG enquêtées, dans une recherche antérieure, réalisée entre 2002-2005 (Ferreira, 2005). Il s’agit d’une analyse de la distinction dans le processus de circulation. Nous faisons face ici à la première génération d’études sur les nouvelles, où elles sont envisagées comme subordonnées à une hiérarchie de capitaux (l’économique, le politique et le culturel), dont la formulation la plus sophistiquée est dans l’analyse de la distinction (Bourdieu, 2000), laquelle focalise, cependant l’attention sur la consommation ou la production, mais pas sur la circulation, notamment du point de vue des investigations empiriques. Sur les relations distinction/circulation, nos analyses se centrent surtout sur les régressions suivantes (Graphiques 7 et 8) :

Graphique 7 – Illustration des relations entre les capitaux politiques et la circulation

Graphique 8 – Illustration des relations entre les capitaux politiques et les nouvelles

Finalement, l’analyse des relations entre ce que nous appelons discours de pouvoir des protagonistes des événements sociaux et les nouvelles permet de vérifier dans quelle mesure certaines dispositions des institutions sociales ont, plus ou moins, tendance à produire de la reconnaissance et à circuler dans l’espace formé par les dispositifs médiatiques.
A cet égard, on observe des événements, des dires sur les mêmes événements comme « preuve » que ces institutions, à travers leurs dispositifs, participent de « l’orchestration » sociale fondant les événements eux-mêmes. En l’absence d’une cartographie des zigzags des séquences d’actes discursifs (c’est à dire, en abstrayant les événements de leur séquence temporelle), l’analyse des nouvelles ne nous permet pas de percevoir les différents éléments de cette orchestration. C’est comme si les notes énoncées dans une chanson étaient simplement regroupées selon notre regard. D’un autre côté, à travers des interviews ou en observant tout simplement les routines, il serait possible de savoir comment, subjectivement, les agents font face aux propres mouvements qu’ils réalisent collectivement, sans le savoir.
Dans la mesure où il s’agit d’une étude de cas sur des événements où des ONG sont protagonistes sociaux, la généralisation des conclusions que nous avons développées dans le corps de l’article dépendrait d’autres études similaires sur d’autres institutions. Les conclusions souffriraient sans doute de plus de restrictions pour l’analyse d’événements où sont impliqués « des individus sans délégation des institutions » auxquelles ils sont liés. En plus, comme il s’agit d’une analyse d’institutions spécifiques – les ONG – en tant que protagonistes d’événements, celle-ci fournit aussi des éléments pour formuler le plan d’hypothèses à vérifier dans l’étude de cas d’autres institutions, mais ne vaut pas pour une théorisation conforme aux autres cas. Elle est valable surtout pour réfuter, falsifier certaines « thèses généralisatrices », sans base empirique-analytique, constituées de façon déductive-spéculative sur les questions que nous avons abordées. Autrement dit, le cas sert à affirmer un chemin, inféré, hypothétique, d’étude et, aussi, à confirmer le caractère erroné de quelques formulations généralisantes, que « cette réalité spécifique » ne vérifie pas.

Des contagions de nouvelles diffuses et de nouvelles concentrées

Observation : le tableau 2 ci-dessus illustre des processus récurrents, observés dans la distribution d’un invariant (thème-événement-information) dans des dispositifs d’institutions diverses.
Hypothèse : La propagation d’énoncés informatifs sur le Web, simultanée dans des dispositifs émanant de et « signés » par des institutions journalistiques et non journalistiques, à partir d’événements connexes (le même thème), permet de conclure que la « nouvelle » est un événement social, un fait en soi, au-delà des faits référents et des effets qu’elle peut produire.
En d’autres termes, le même thème qui « devient nouvelle » « provoque une contagion » de plusieurs institutions et est inscrit dans des dispositifs, dans un processus de plusieurs énonciations (sur lesquelles nous ne réfléchissons pas dans cet article). C’est pourquoi nous suggérons de penser que la contagion à partir des institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles fait partie d’un processus plus vaste de circulation, englobant ces institutions dans un ensemble plus large d’interactions entre plusieurs institutions, qui participent de l’orchestration de l’événement en question. Le thème-événement qui devient nouvelle, est simultanément informé sur des sites non diffuseurs de nouvelles d’agences privées (entreprises et autres institutions de la société civile de caractère privé) et des entreprises publiques (liées aux différentes instances de l’État).
Cette observation nous suggère que la nouvelle est l’événement. De cet événement naissent deux autres événements en tant que nouvelles : celui à partir duquel elle se crée, et ceux créés par elle. Entre les possibilités infinies d’événements candidats à « devenir nouvelles », plusieurs restent dans le marché, dans le différentiel entre des énoncés offerts et ceux qui sont effectivement « consommés » par les institutions diffuseuses de nouvelles (les journaux). Quelques-uns, choisis, sont identifiés par la convergence entre « offres pour » et « consommation des » institutions diffuseuses de nouvelles. Celles-ci ferment le cycle de la newsworthiness, c’est-à-dire que l’ »être au journal » fait partie de la circulation de « ce qui est nouveau ».
De ce fait, la nouvelle est le résultat d’un choix du marché discursif vers lequel se dirigent les offres. Le premier événement référentiel est donc le « devenir nouveau », fait social représentant d’autres faits sociaux, et pas l’inverse. Le « devenir nouvelle » est, à son tour, indissociable de l’orchestration entre des institutions à buts différents, mais dont les moyens les intègrent matériellement, dans les dispositifs d’un champ diffus, le champ médiatique, qui se coordonne, dans des condensations, à travers des interactions imprévisibles, avec les institutions concentrées dans les opérations spécifiquement médiatiques et diffuseuses de nouvelles – les journaux.
Cette reconnaissance du référent « nouvelle » en différents niveaux institutionnels indique que la problématique de la « reconnaissance entre les pairs », ou la « reconnaissance diffuse dans la société », de ce qui « devient nouvelle » (sens commun de ce qui est nouvelle), suit la logique de reconnaissance transversale de ce qui est nouvelle traversant la logique de tous les champs sociaux concernés, ce qui fait que chacun se nomme participant de l’orchestration, se dit touché par la contagion, manifeste publiquement, matériellement, son adhésion au fait social en construction dans les interactions entre les institutions. Il s’agit donc, d’une logique exogène aux champs spécifiques, assumée, comme un but en soi, par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles.
Cette proposition est un argument contradictoire avec la thèse de Bourdieu, pour qui la nouvelle devrait suivre la déontologie des champs (la reconnaissance entre les pairs comme principe de la reconnaissance par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles). Il ne s’agit pas non plus d’une réponse dégénérée à une déontologie inexistante du champ journalistique. Par les relations que nous avons analysées, on a l’indication que le processus est plus complexe : la reconnaissance entre les pairs institutionnels se fait avec la plupart des énoncés informatifs inscrits aussi dans des dispositifs d’institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles, et, derrière ce qui « devient nouvelle « , il y a une arrière-garde de reconnaissance socio-institutionnelle de l’événement en question, en relation avec la propension des institutions spécifiquement médiatiques à fermer avec leurs propres clés le cycle de la circulation. Cette reconnaissance transversale de la nouvelle est indicateur d’un partage de logiques sur plusieurs champs institutionnels traversant sa construction : dans le cas présent, celui des ONG, des institutions étatiques et privées ainsi que des institutions spécifiquement médiatiques.
On peut, donc se demander quelle est la place occupée par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles dans la sphère de l’orchestration où elles sont intégrées. Sont-elles des co-actrices au même niveau que les institutions non diffuseuses de nouvelles, médiatisées ? Ou occupent-elles une « place » spéciale dans les relations qui s’établissent dans les processus d’orchestration ?
La réponse à cette question a été cherchée dans l’analyse de régression, en travaillant deux hypothèses. La première avance que le « devenir nouvelle » (c’est-à-dire, le fait d’être nouvelle dans des dispositifs émanant d’institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles) est la conséquence de la circulation en général d’un même invariant référentiel (le thème). Autrement dit, c’est l’hypothèse selon laquelle plus un certain thème circule dans les dispositifs numériques du Web, plus il sera « diffusé » par les institutions journalistiques. La deuxième hypothèse dit l’inverse, à savoir : plus le thème est inscrit dans des dispositifs émanant d’institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles, plus il circulera dans des dispositifs médiatiques à l’initiative des institutions qui ont des objectifs divers.
Ces deux hypothèses sont relatives (ce sont des points de vue « relationnels ») car, si on considère que le thème invariant est, simultanément, nouvelle dans des dispositifs mis en œuvre par différentes institutions, la séparation est un point de vue relatif à la concurrence entre institutions, plus que sur le concept même de nouvelle. Entre les deux hypothèses, des indicateurs sont disponibles du fait que les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles sont électives dans l’ensemble du processus de circulation de thèmes référents (Graphiques 5 et 6, ci-dessus). Les indices montrent que la reconnaissance par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles converge avec la reconnaissance diffuse. L’événement qui est nouvelle dans des journaux est en moyenne triplement reconnu par d’autres institutions. Qu’est-ce qui est apparu en premier, l’œuf ou la poule ?

Les capitaux : divers, spécifiques, à l’origine de la hiérarchie des nouvelles

Peut-on alors supposer que les processus sociaux singuliers de la newsworthiness, en étant transversaux, ne sont pas affectés par d’autres logiques que celles spécifiques de la circulation intermédiatique ? Cette hypothèse est en grande mesure confirmée par l’autonomie de la nouvelle en tant que logique traversant les champs sociaux formés par le groupement d’institutions, aussi bien celles spécifiquement diffuseuses de nouvelles, que celles non diffuseuses de nouvelles. Ceci renforce la critique envers ceux qui voient le journalisme et la nouvelle comme des « moyens », des instruments, subordonnés aux conditions d’existence (capitaux économiques, politiques et culturels), ou à l’action sociale en général.
Pour cette raison même, nous cherchons l’inverse de l’inverse : démontrer le caractère erroné de la proposition d’une rupture complète entre le « fait-nouvelle » et les conditions d’existence des institutions qui jouent le rôle de protagonistes dans le récit de la nouvelle. Du côté opérationnel, nous cherchons à vérifier dans quelle mesure le « devenir nouvelle » répond aux capitaux des ONG en tant qu’institutions qui thématisent le choix des matériaux analysés. Pour cela, nous avons repris notre étude (Ferreira, 2005) sur les capitaux de ces institutions, réalisée selon la méthodologie et les conclusions déjà présentées dans un autre article. (Voir Graphique 1 Distribution de capitaux économiques, politiques et culturels, au début de l’article).
La diversité des capitaux de ces institutions (ou les différentes positions qui peuvent être mises en rapport avec leurs conditions d’existence) permet de se demander à quel capital (capitaux globaux ? ou tel capital spécifique ?) est reliée la circulation de la nouvelle, y compris son inscription dans des dispositifs émanant des institutions spécifiquement journalistiques.
Les analyses de régression indiquent que la possession de capitaux économiques a une relation positive avec la circulation en général des énoncés, mais négative avec la reconnaissance spécifique des institutions journalistiques. Cela indique que les institutions en général sont plus sensibles aux rumeurs produites par les institutions aux capitaux économiques plus « denses ». Les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles ont d’autres critères de hiérarchisation en ce qui concerne ce même marché.
Cette divergence ne se produit pas quand les enjeux sont les capitaux politiques. On observe dans l’analyse (Graphiques 7 et 8) que, plus il y a des capitaux politiques, plus grande est la propension de circulation de la nouvelle, y compris la reconnaissance par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles. Dit autrement, les institutions en général, et celles diffuseuses de nouvelles en particulier, reconnaissent plus les capitaux politiques des ONG que leurs capitaux économiques. Ces derniers sont d’ailleurs « méprisés », étant moins importants que les capitaux culturels, dans les processus de reconnaissance des institutions spécifiquement journalistiques, en ce qui concerne, bien évidemment, ce marché discursif, celui des discours des et sur les ONG.
Ces relations, construites à partir de l’étude de cas, permettent d’inférer que la nouvelle, événement transversal, croisant et pénétrant dans les logiques d’un ensemble d’institutions, dans un cycle de contagion et de rumeurs sélectionnant et intégrant la nouvelle comme événement, répond, simultanément, à une logique spécifique du champ d’appartenance des protagonistes principaux du monde narré. En ce sens, il y a une orthogonalité, un accouplement, dans la mesure où elle croise dans le même événement, des logiques de champs divers ; dans le cas étudié, celui formé par la nouvelle en tant qu’objet culturel, construit, diffus et concentré, avec les champs spécifiques des protagonistes (ici, les institutions concernées par l’ensemble de la circulation).
Cette inférence est un autre argument s’opposant à la critique de Bourdieu aux institutions médiatiques. Ces dernières reconnaissent la reconnaissance entre les pairs en deux sens : elles reconnaissent ce qui est nouvelle pour les pairs et, pour ceux qui possèdent les capitaux les plus valorisés dans le propre champ d’appartenance des protagonistes sociaux, dans l’enjeu de l’événement énoncé.
Cela aussi est un argument contre la hiérarchie fixe laissant entendre que les médias répondent aux conditionnements des capitaux économiques, politiques et culturaux, dans cet ordre de préférence. Or, s’il y a un conditionnement des conditions d’existence sur la circulation de la nouvelle, ceci se produit dans des singularités reliées aux logiques de valorisation du champ d’appartenance des institutions jouant le rôle de protagonistes des thèmes configurés dans l’instance du monde narré. En ce sens, la construction sociale est un processus de reproduction de relations installées dans les champs d’origine, qui se neutralisent et se transforment en même temps, dans la mesure où elle s’approche de la clôture du cycle de reconnaissance par les institutions diffuseuses de nouvelles, journalistiques ou non. Comme nous l’avons affirmé ci-dessus, seule une étude sur les routines pourrait nous dire si le feeling, la méthode, ou les deux (habitus) correspondent à cette sensibilité reproductive et, simultanément, auto-reproductive, dans la mesure où l’existence sociale de la nouvelle s’y joue.

Des machinations discursives

Les relations entre les nouvelles et les conditions sociales d’existence peuvent découler d’un « flair », d’une stratégie, d’un feeling, appliqués à ces « matérialités » qui sont connues des journalistes comme des chargés de relations de presse d’agences étatiques, privées ou associatives, ou appréhendées à travers un processus de médiation par les moyens circulants des dispositifs, les discours sociaux offerts et demandés dans la sphère publique. Ces matérialités offrent des indices sur les conditions d’existence des interlocuteurs ; ainsi, reconnaît-on les capitaux à travers les discours des institutions, et vice-versa.
Pour avancer dans la formulation de cette hypothèse, à savoir que les discours sociaux se constituent dans la médiation des conditions d’existence des institutions protagonistes du thème-événement narré, incorporés aux discours et énonciations des institutions énonciatrices, nous faisons référence à nos investigations sur les conditions sociales et les dispositions discursives des ONG. Dans ces investigations, nous avons découvert que la propension à des dispositions discursives relatives à des énoncés de pouvoir est directement proportionnelle aux capitaux politiques des institutions énonciatrices. Cela veut dire que, si le savoir journalistique identifie cette homologie (entre des conditions d’existence des protagonistes sociaux et leurs discours), en s’efforçant d’identifier dans les discours en interlocution, la règle de sélectivité selon les capitaux les plus valorisés dans le champ social concerné, il se fait aussi réguler par elle, en reproduisant l’accouplement entre discours et conditions d’existence des protagonistes.
L’opérationnalisation de cette hypothèse que nous avons conduite opère avec le concept de discours de pouvoir. Nous observons que le discours de pouvoir est un objet découlant surtout de capitaux politiques, ensuite, de capitaux culturels, et dont les affectations découlant de la possession de capitaux économiques sont indétectables. Comprenons bien ce que nous appelons discours de pouvoir : nous faisons référence à des modalités discursives qui révèlent la candidature de ces institutions analysées (les ONG) comme régulatrices de la vie sociale, à travers des énoncés pédagogiques (la méthode comme forme de régénération de processus sociaux englobés par les objets du discours), normatifs (la règle ou la loi comme instance coercitive nécessaire à la réglementation de l’espace public) et moraux (comme jugement et condensation symbolique), chacun de ces énoncés étant dirigé vers des marchés discursifs et sociaux qu’ils produisent.
Nos observations et interprétations indiquent que les relations de l’ »être nouvelle » avec les dispositions discursives des ONG en tant que protagonistes sont positives ; et donc, plus leurs discours de pouvoir sont « intenses » (c’est-à-dire, plus ils mettent en jeu le jugement moral, les discours normalisateurs et les mécanismes discursifs conceptuels), plus grande est la possibilité de conquérir l’espace dans lequel ils circulent, plus grand est le niveau de contagion, et fermant le cycle, d’inscription dans des dispositifs émanant d’ institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles.
Donc, le discours comme moyen circulant confirme l’inférence que l’institution journalistique opère avec la sensibilité habituelle, avec le flair de la distinction, qui s’objective par rapport à la nouvelle en tant que celle-ci est reconnaissante des hiérarchies sociales et reproductrice de logiques internes des champs d’appartenance des protagonistes concernés dans l’événement narré. Les relations de la nouvelle, diffuse et concentrée, avec les capitaux des institutions diffusées, et avec leurs dispositions discursives originales, indiquent que le feeling des producteurs de nouvelles, dans des journaux et en dehors de ceux-ci, observe et capture les conditions et le discours des institutions protagonistes, en reproduisant des relations de forces internes aux champs évoqués, en même temps qu’elles contribuent à l’harmonisation des diverses institutions dans l’orchestration de discours sociaux déterminés sur le thème référent.

Interprétations épistémologiques

Ces conclusions légitiment et rejettent des hypothèses des deux « générations » épistémologiques de l’analyse des nouvelles.
D’abord, elles confirment et refusent les analyses des nouvelles produites à partir d’une philosophie de l’action. Elles les confirment dans la mesure où il n’y a pas de rupture absolue entre les conditions d’existence des acteurs, les dispositions discursives des agents sociaux (dans ce cas, les ONG) et les nouvelles. Toutefois, ce sens presque commun (les médias-fonctionnaires du capital et de l’audience) permet des analyses vagues, évasives, généralistes, ainsi que des généralités et des idéologies interprétatives, qui selon notre point de vue ne sont pas vérifiées par l’analyse de processus empiriques. Dans ce sens, notre interprétation suggère l’investigation des nuances de conditionnements permettant de révéler des imbrications complexes entre les différentes économies en jeu (différentes dans le sens où l’économie des biens matériels de Marx doit être vue sous une théorie générale des économies sociales). En même temps, on nie, par les observations et les indices relevés, l’autonomie absolue des nouvelles, à la fois diffuses et concentrées, car, dans sa transversalité, ses logiques propres, relativement à tous les champs concernés, y compris celui formé par les institutions spécifiquement diffuseuses de nouvelles, elle est traversée par le chemin qu’elle rend possible.
Deuxièmement, elles confirment et nient la génération (épistémologique) adepte des conséquences épistémologiques du tournant « sémio-linguistique-discursif », qui entend l’action langagière comme centrale. Elles les confirment en observant le « poids » des médiations discursives dans les processus de circulation de rumeurs, dans les contagions entre les institutions, dans les évaluations, dans les propriétés discursives, d’un lieu d’appartenance des protagonistes (ainsi, on sait qu’une ONG quelconque doit avoir un discours de jugement moral, de prescription normative et indiquer, conceptuellement, ce qu’il est légitime de faire pour être « plus reconnue »). Elles nient, dans la mesure où l’on se fie à l’action (politique, dans ce cas ; culturelle, si nécessaire) et l’on se méfie de quelques capitaux (économiques quand il s’agit d’ONG); de cette manière, l’acte discursif – diffuseur de nouvelles légitime les règles des champs sociaux, comme condition orthogonale, accouplements, pour se légitimer comme produit culturel autonome.
Le point de vue de la circulation, cependant, démontre et relativise les deux perspectives suivantes. D’un côté, celle de la production. La logique de la production (stratégies, routines, et objectivations dans des dispositifs) peut être observée. Elle existe et enregistre la force des capitaux et des discours. D’un autre côté, celle de la réception (la consommation, l’incorporation, distribuée selon les institutions), où l’on enregistre la valeur de l’audience virtuelle et réalisée. Mais, sous le regard de la circulation, ni l’une, ni l’autre ne saisit le mouvement d’orchestration sociale, qui englobe les deux logiques et qui offre de nouveaux mécanismes d’intelligibilité pour la médiatisation. Ainsi, la médiatisation, dans ce cas, est cette pororoca, formée par la rencontre de discursivités, originaires comme des rivières de ce qui vient de la genèse des champs, et comme la mer, des discours-nouvelles, en produisant de nouvelles configurations des discours sociaux dans les espaces publics élargis, envahissant, rétroactivement, la logique des institutions, parce qu’elle envahit sa discursivité « privée » et ses propres conditions d’existence, de même que ses relations avec le public.

Ici le terme événement est peut-être le terme synthétique adéquat, dans la mesure où il renvoie au sens de fait social, objectivation, produit culturel et discours sociaux. Pour cela, il est nécessaire de soustraire le terme « événement » du sens commun, de l’évident, et l’ouvrir, le démonter, le constituer comme concept, en récupérant l’héritage philosophique qu’il contient (Ciro Marcondes, 2006). Si la nouvelle est l’événement, il est essentiel de la refonder. C’est à partir de cette réflexion épistémologique que les thermes accouplement, circulation et médiatisation gagneraient également de la richesse réflexive et épistémologique, avec de nouvelles questions en jeu.

Notes

(1) Ces réflexions ont été développées dans la recherche sur la circulation médiatique, intitulée « La circulation dans des dispositifs médiatiques (étude sur les ONG dans des sites de la Web) « . Soutien : CNPq, Fapergs, Unisinos. Boursiers d’IC : Carine Ferreira (FAPERGS) et Vanessa de Oliveira (UNIBIC). Une partie de cet article a été publiée premièrement dans “FERREIRA, Jairo. Um caso sobre a midiatização : caminhos, contágios e armações da notícia. In: FAUSTO, ANTÔNIO; GOMES, PEDRO; BRAGA, JOSÉ LUIZ; FERREIRA JAIRO. (Org.). Midiatização e Processos Sociais na América Latina. 1 ed. São Paulo: Paulus, 2008, v. 1, p.55-74”. Nous remercions l’Editora Paulus pour l’autorisation de publication dans la revue Les Enjeux de l’information et de la communication.

(2) Les nouvelles sont qualifiées de nouvelles diffuses quand elles émanent de dispositifs dont les signataires sont autant les organisations journalistiques que les agences publiques et privées ainsi que les ONG (associations).

(3) Les nouvelles sont qualifiées de nouvelles concentrées quand elles émanent uniquement de dispositifs dont les organisations journalistiques sont signataires.

Références bibliographiques

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Bourdieu, Pierre, (2000), La distinción : criterios y bases sociales del gusto, 2 ed., Madrid, Taurus.

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Ferreira, Jairo, (2007), « Notícias sobre as ONGs », In: Ferreira, Jairo; VIZER, Eduardo, Cenários, teorias e epistemologias da comunicação, Rio de Janeiro, E-Papers. 

Ferreira, Jairo, (2008), « Um caso sobre a midiatização: caminhos, contágios e armações da notícia », In: Fausto, Antonio; Gomes, Pedro; Braga, José Luiz; Ferreira, Jairo. (Org.). Midiatização e Processos Sociais na América Latina. 1 ed. São Paulo: Paulus, 2008, v. 1, p. 55-74″.

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Sperber, Dan, (1996), La contagion des idées, Paris: Editions Odile Jacob.

Veron, Eliseo, (1980), A produção de sentido, São Paulo, Cultrix

Auteur

Jairo Ferreira

.: Chercheur du Programa de Pós-Graduação em Ciências da Comunicação. Chercheur du CNPq (Conseil National de Développement Scientifique et Technologique). Universidade do Vale do Rio dos Sinos.