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Peut-on glocaliser l’actualité internationale ? Inscription locale des nouvelles de l’étranger dans la PQR : le Soudan et le Darfour dans Ouest France (juillet 2008-juin 2009)

15 Jan, 2011

Résumé

Elaborée par Roland Robertson au début des années 1990, le concept de glocalisation est aujourd’hui souvent appliqué pour parler de l’élaboration de l’information internationale par les médias. Son usage est-il justifié dans ce contexte ? Notre étude de la couverture du conflit du Darfour et du Soudan par Ouest France, le plus grand journal régional français, entre juillet 2008 et juin 2009, laisse penser que non. En effet, tout en confirmant la thèse de l’image déformée et partielle de l’Afrique dépeinte par les médias occidentaux (due, entre autres, au respect des sacro-saintes lois de proximité), elle nous amène à la conclusion que l’on ne peut pas parler de la glocalisation de l’actualité internationale puisque, dans la majorité des cas, cette dernière concerne l’actualité nationale des pays étrangers et non pas des problèmes globaux, que les journalistes souhaitent rendre proches aux lecteurs d’une culture locale donnée.

In English

Abstract

Elaborated by Roland Robertson at the beginning of 1990s, the concept of “glocalization” is often applied today to speak about the elaboration of the international news by the media. Is it justified in this context? Our study of the cover of Darfour conflict and Sudan by Ouest France, the biggest French regional newspaper, between July, 2008 and June, 2009, lets think that not. Indeed, while confirming the thesis of the deformed and partial image of Africa depicted by the western media (attributable, among others, to the respect of sacrosanct laws of proximity), it brings us to the conclusion that we cannot speak about the glocalization of the international news because, in the majority of the cases, it concerns the national current events of foreign countries and not global problems, which the journalists wish to make close to the readers of a given local culture.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Holubowicz Maria, « Peut-on glocaliser l’actualité internationale ? Inscription locale des nouvelles de l’étranger dans la PQR : le Soudan et le Darfour dans Ouest France (juillet 2008-juin 2009)« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°11/3A, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2010/supplement-a/03-peut-on-glocaliser-lactualite-internationale-inscription-locale-des-nouvelles-de-letranger-dans-la-pqr-le-soudan-et-le-darfour-dans-ouest-france-juillet-2008-juin-2009

Introduction

« La guerre au Darfour est finie », titrait Le Monde du 28 août 2009, en citant les propos du général Martin Luther Agwai, commandant et chef opérationnel de la force hybride Union africaine – Nations-Unies, chargée du maintien de la paix dans cette région du monde. Et le général nigérian n’était ni le seul, ni le premier, à l’affirmer, prétextant qu’il n’y a pratiquement plus d’opérations militaires dans la région depuis quelques mois, « juste » des problèmes de sécurité et que le nombre de victimes au Darfour, estimé à deux mille personnesentre le 1er janvier 2008 et la fin mars 2009, n’a désormais rien à voir avec les 200 000 morts estimés en 2003 – 2004, l’année la plus critique du conflit.
Même si de telles déclarations, jugées irresponsables et n’ayant que peu à voir avec la réalité, ont provoqué des critiques de certains responsables politiques occidentaux, notamment français et états-uniens, la petite phrase-choc « La guerre au Darfour est finie », accompagnée, pour preuve, de nouvelles statistiques de mortalité dans l’Ouest du Soudan, risque de faire son chemin. Dans l’esprit des gens lambda d’abord, ensuite, dans celui des responsables des rédactions des médias occidentaux, pour lesquels l’intérêt informationnel du Darfour, certes plus vaste que la France avec ses 510 000 km2 environ de superficie, se résume essentiellement à l’équation élevée du nombre de morts par rapport au nombre de kilomètres qui séparait de l’Hexagone cette région de l’Afrique.

Une image déformée de l’Afrique dans les médias occidentaux

Ainsi, même dans ses moments les plus critiques, le génocide du Darfour avait du mal à s’imposer dans les agendas des médias occidentaux, français en occurrence, préoccupés avant tout par l’actualité censée intéresser un lecteur moyen, donc l’actualité « bien de chez nous », dans tous les sens du terme. La construction imaginaire du récepteur des nouvelles par les médias, supposé ne pas être intéressé par les nouvelles qui ont peu à voir avec ses préoccupations quotidiennes, fait écarter d’emblée des colonnes des journaux bon nombre de sujets et de régions géographiques (Gervereau, 2004). La fameuse « loi de proximité » – géographique d’abord, mais aussi économique, politique, culturelle, affective…, fait le reste. Faisant privilégier aux médias les aspects de l’actualité supposés toucher le plus le récepteur (Martin-Lagardette, 2005), elle constitue pour ceux-ci toujours une loi d’airain, ne supportant que rarement l’exception.
C’est encore davantage le cas de la presse régionale, pour laquelle le local et la proximité ont toujours été le principal fonds de commerce. En conséquence, tout ce qui dépasse le cadre local y est presque présenté « hors cadre », car souvent relégué aux dernières pages du journal, bien après la présentation de l’actualité quotidienne des communes du terroir : l’agenda du maire, l’activité des associations ainsi que les événements qui troublent le cours habituel des choses et que l’on regroupe habituellement dans la rubrique des faits divers.
Dans ces pages, l’actualité nationale et internationale est traitée en « comprimé », et se partage souvent la même rubrique avec les actualités nationales, intitulée France-Monde. Le traitement des informations nationales, et encore plus internationales, s’y résume souvent à la réécriture des dépêches d’agence. Les actualités, jugées plus dignes d’intérêt, y font parfois l’objet d’un article. Les genres plus élaborés, tels que le reportage, l’enquête étant beaucoup plus rares, faire de l’international dans la PQR équivaut à faire du journalisme assis (Laudier, 2009), pratique aux antipodes des mythes sur des grands reporters parcourant inlassablement le monde à la manière d’Albert Londres. En effet, comme on l’a dit, l’international n’appartient pas au cœur du métier de la PQR, donc il est traité en conséquence.
Comme le montre l’exemple du Darfour, le continent africain, et l’Afrique noire en particulier, a la malchance de ne cadrer que fort peu avec les lois de la proximité en vigueur dans les médias. Et ces derniers, dans leur couverture du continent africain, peinent à sortir de la vision stéréotypée de celui-ci, même si une telle vision réductrice est régulièrement dénoncée depuis longtemps par différents observateurs et spécialistes de l’Afrique (entre autres : Kapuscinski, 2007). La même chose concerne d’ailleurs le cadrage médiatique très spécifique appliquée à l’Afrique, qui veut que les nouvelles jugées dignes d’intérêt venant de ce continent ne concernent toujours que les désastres humanitaires, les massacres et les épidémies, les coups d’Etat et les catastrophes (Marthoz, 1999 : 160 ; rapport MacBride, 1986 : 63 ; Moumouni, 2003 ; Bourgneuf, 2009).
Il y a presque trente ans, les experts – contributeurs du rapport McBride, déploraient déjà que l’information occidentale sur ce que l’on appelait le Tiers Monde était souvent basée sur les préjugés ethnocentriques et se concentrait presque exclusivement sur les « hot news », pour assouvir son penchant sensationnaliste. Une image déformée de la réalité africaine qui en résulte parvenait non seulement aux publics occidentaux mais aussi aux publics des pays pauvres concernés, du fait du monopole mondial des agences occidentales d’information (ibid.).
Le principal objectif du rapport MacBride et de ses recommandations était de remédier à cette situation en instaurant des échanges d’information plus égalitaires entre le Nord et le Sud. Un parcours même rapide des contenus des journaux occidentaux, français en l’occurrence, aujourd’hui montre que les informations sur les pays de la périphérie la plus éloignée n’ont pas changé de forme ni de nature, même s’il n’est pas de notre propos de nous arrêter sur les causes d’une telle situation.

Analyser la glocalisation de l’actualité internationale dans la PQR

Par conséquent, en choisissant d’analyser la manière de présenter le Darfour et le Soudan dans la presse quotidienne régionale (PQR) française, nous ne nous attendions pas à de grandes surprises en ce qui concerne le volume de couverture et les thèmes choisis. Ce qui nous paraissait par contre intéressant, c’était d’analyser la manière utilisée par la presse régionale de rendre l’information internationale « lointaine », c’est-à-dire réputée peu intéressante pour un lecteur moyen de la PQR, plus accessible, donc plus proche. Et aussi de vérifier, à l’occasion, le bien-fondé de l’utilisation du concept de « glocalisation », à propos de l’inscription dans le local des actualités internationales.
En ce qui concerne le support d’étude, notre choix s’est donc porté sur Ouest France. Il s’agit du plus grand quotidien régional français, et en même temps, toutes catégories confondues, c’est le quotidien le plus lu, si l’on prend pour preuve le chiffre de son tirage, qui s’élevait à 768 226 exemplaires en moyenne en 2008/9.(1) Last but not least, Ouest France est aussi présent sur la base documentaire d’articles de presse Factiva, ce qui n’est pas encore le cas de tous les quotidiens régionaux français et ce qui constitue une commodité indéniable pour la constitution d’un corpus d’analyse.
Il faut admettre cependant que le corpus d’articles constitué de cette manière présente différentes insuffisances. En effet, les articles du corpus constitué grâce à Factiva, même si leur longueur en nombre de caractères est bien précisée, sont sortis de leur contexte matériel immédiat que, pour un journal, représente la mise en page. On ne peut donc pas étudier l’emplacement d’un article donné dans un journal, sa manière de s’insérer dans une telle ou autre rubrique, sa titraille, des éléments qui l’accompagnent éventuellement, comme des photos. D’où vient parfois la difficulté de déterminer le genre des articles, car les critères d’emplacement entrent parfois en compte. Un autre inconvénient de taille : la présence d’articles incomplets dans les résultats de la recherche sur Factiva, ce qui rend difficile leur compréhension et fausse l’analyse.
Cependant, vu le temps limité ayant pu être consacré à cette étude, le critère de commodité d’accès au corpus a prévalu, d’autant plus que la mise en page est un élément secondaire dans la méthode d’analyse adoptée.
Puisque nous voulions étudier un sujet relatif à l’Afrique noire, le conflit au Darfour s’imposait presque de lui-même. En effet, en tant qu’une des plus grandes catastrophes humanitaires des dernières années, qualifié de génocide, le « cas » du Darfour soudanais ne pouvait pas échapper à l’attention des médias, même les plus insensibles à l’actualité « lointaine ». En plus, les événements et rebondissements liés à ce conflit et survenus ces derniers mois le maintiennent toujours dans l’actualité.
Ainsi, notre corpus est constitué d’articles d’Ouest France contenant les mots « Darfour », ou « Soudan », parus entre le 1e juillet 2008 et le 30 juin 2009. Il y a en a 114 en tout.

La couverture du Darfour et du Soudan par Ouest-France

Sur la totalité d’articles du corpus, quarante et un, donc moins de la moitié, renvoient directement au conflit et à d’autres événements survenus sur place (référent spatial, voir tableau ci-dessous), au Darfour, au Soudan ou dans un des pays limitrophes, au Tchad plus particulièrement, directement concerné par le conflit.

Figure 1 : Le référent spatial des articles du corpus

Référent spatial
(l’endroit où l’événement a lieu)

Nombre d’articles concernés

Darfour, Soudan, Tchad

41
(dont 3 parlant de l’implication des locaux dans la région)

Région Ouest de la France

24

Ailleurs dans le monde (y compris en France, hors la région Ouest)

49

TOTAL

114

Plus de la moitié de ces articles sont des brèves, ne dépassant en général pas 150 mots et qui, selon la loi du genre, se contentent le plus souvent de répondre aux trois premières questions du sacro-saint principe des 5W de l’écriture journalistique, c’est-à-dire Qui ? Quoi ? et Où ? donc sans aucun éclairage sur le contexte des événements. Ce défaut de contextualisation peut aussi être imputé à la quasi-absence des reportages. En effet, juste deux articles à référent soudanais, c’est-à-dire relatant des événements qui ont eu lieu dans la zone du conflit, peuvent être considérés comme relevant de ce genre.
Ces articles sont généralement écrits sur un mode factuel et, comme dit précédemment, focalisés sur l’événementiel. On peut deviner aisément qu’il s’agit dans ce cas des dépêches d’agence réécrites. Les articles en question évoquent bien sûr différentes opérations militaires sur place, des mouvements des troupes des belligérants et des violences subies par les populations civiles. En 2009, le journal consacre aussi pas mal de place aux poursuites de la Cour pénale internationale à l’encontre du président soudanais Omar el-Béchir, ce qui n’est en rien étonnant, vu que cet événement était porteur de conséquences pour différents acteurs internationaux. L’expulsion des ONG occidentales oeuvrant au Soudan en faisait partie.
Mais il y a aussi des faits-divers, comme celui qui évoque l’écrasement au Darfour d’un hélicoptère de la force de maintien de la paix (art. du 30 sept. 2008), accident qui a fait quatre morts. En effet, les événements mineurs sont parfois évoqués, pour peu qu’ils impliquent des Occidentaux.
Dans l’ensemble, on note donc une relative pauvreté de thèmes abordés d’autant plus que pour les événements importants de l’actualité dite « chaude », plusieurs articles peuvent rendre compte de l’évolution d’un événement d’une édition à l’autre. Il est presque inutile de préciser que ce dernier type d’actualité entre dans les critères de proximité. C’était le cas du mandat d’arrêt international lancé contre le président soudanais ou bien de l’enlèvement des humanitaires occidentaux (mars 2009).
Seulement trois articles, dont le Darfour et/ou le Soudan constituent le principal référent spatial, font le lien avec le local. Ce nombre limité est incontestablement dû d’abord à l’éloignement géographique de ce pays africain, où peu de « locaux » ont l’occasion de se rendre et de séjourner.
Le premier de ces articles, publié le 1er avril 2009, est un témoignage d’un « local » (issu de la commune des Saulnières) ayant passé au Tchad un mois et demi environ. Le deuxième, celui que l’on peut assimiler à un petit reportage, relate en 503 mots l’action d’une association vannoise à Abéché, situé à l’est du Tchad, non loin du Soudan (28 janv. 2009) Enfin le troisième, publié le 30 décembre 2008, est un témoignage d’un brigadier-chef de la base des forces européennes de N’jamena au Tchad. Assurant la permanence au centre de transmission le 24 et 25 décembre 2008, il a fait pour Ouest France un compte rendu de son réveillon de Noël. Le brigadier-chef en question est normand, ce qui explique certainement de premier chef la publication de son témoignage.
Dans l’autre moitié des articles de notre corpus, le conflit soudanais ne constitue pas le référent spatial principal, même si certains articles concernent directement les affaires soudanaises, comme ceux qui se rapportent aux poursuites contre le président soudanais. Mais la mention du Darfour/Soudan peut juste y constituer un exemple, une illustration du thème principal, comme dans cette interview accordé à Ouest France par Jean-Marie Guéhenno (28 décembre 2008) dans laquelle ce diplomate, spécialiste des questions de défense et des relations internationales, considère que le monde n’est pas assez présent en Afrique en citant, entre autres, l’exemple du Darfour.
Pour résumer, le nom de Darfour et/ou Soudan est cité dans Ouest France parce que :
– un article relate les événements dans cette partie du monde (genres les plus représentés : brèves, courts articles factuels) ;
– parce que l’on cite le Darfour et/ou le Soudan à propos d’autres événements (ex. : les Etats-Unis retirent la Corée du Nord de leur liste des États-voyous, où le Soudan figure aussi) ;
– la/les personne(s) citées dans l’article viennent de cette région de l’Afrique (le plus souvent, il s’agit de réfugiés, de clandestins) ;
– les personnes citées dans l’article avaient visité cette région de l’Afrique pour diverses raisons ou y ont mené des actions (ex : Ingrid Betancourt annonce son intention de se rendre au Darfour, pour apporter du réconfort aux mères et enfants déplacés (10.10.08)) ;
– on évoque les catastrophes humanitaires en général pour lesquelles le Darfour semble être devenu un symbole.
Dans ce dernier cas, on cite le nom de Darfour à des occasions diverses, pour faire connaître sa compassion aux victimes des génocides et de la folie humaine en général, pour faire savoir que l’on est conscient de ce qui se passe dans le monde. (Ex. : «Marre qu’on nous prenne pour des cons, nous les athlètes. On sait ce qui se passe en Chine, au Tibet, au Darfour. On a aussi un cerveau. », Portrait de l’athlète Yohann Diniz, 21.08.09)
En ce qui concerne le référent spatial des articles qui ne se réfèrent pas directement aux événements qui se sont déroulés au Darfour et/ou au Soudan, il peut se situer :

  1. dans différents endroits du monde (ex. : article sur le problème de malnutrition dans le monde) ;
  2. dans un pays étranger (à Rome, par exemple, dans le compte rendu du message du pape à l’occasion du Noël 2008) ;
  3. en France, en dehors des régions couvertes par Ouest France (comme dans un article présentant les conclusions du rapport de la CFDA (Coordination française pour le droit d’asile), dénonçant la situation des migrants après la fermeture du camp de Sangatte) ;
  4. dans une des régions/localités couvertes par Ouest France (à La Gacilly, par exemple, dans un article présentant l’exposition de la sixième édition du festival Peuples et Nature, consacré à la biodiversité).

Mais ce référent peut également ne pas être précisé.
Ce qui nous intéresse particulièrement ici, ce sont les articles qui relatent les événements de la région. Et notamment, de quelles manières et pour quelles raisons font-ils mention du Darfour et/ou du Soudan ?
Parmi les 63 articles du corpus qui relatent les événements survenus en dehors du Darfour et du Soudan, 24 racontent des nouvelles de la région. On ne s’étonnera pas que dans ces articles, le Soudan et le Darfour ne constituent pas l’angle principal, loin de là. On ne s’étonnera pas non plus que 7 de ces articles concernent les demandeurs d’asile, vu que les sujets ayant trait à l’Afrique et les Africains sont souvent traités sous cet angle-là par la presse occidentale. Les articles en question traitent, par exemple, de la défense d’un Soudanais sans-papiers par un collectif, de la défense d’un squat, d’un « local pour tous » ouvert à Laval par le Secours catholique, d’une manifestation à Angers en faveur des logements pour des demandeurs d’asile soudanais, Érythréens et Somaliens. D’autres articles abordent des thèmes tels qu’une exposition consacrée à l’art africain, la participation d’une lycéenne au Prix des correspondants de guerre à Bayeux, le spectacle de l’acteur et humoriste Didier Bénureau, le programme de la Semaine de la solidarité internationale à Alençon, le souvenir de la visite de Sœur Emmanuelle dans une radio locale Pictons FM en 1988, le programme culturel du campus de Caen à la rentrée universitaire 2008…
Bertrand Cabedoche, dans son étude très complète sur la représentation du Tiers Monde par Ouest France remontant au début des années 80, pointait (certes brièvement) quatre aspects de l’information concernant le Tiers-Monde qui permettaient au journal en question un éclairage local ou régional. Selon cet auteur, ces aspects sont les suivants :

  1. Des acteurs de la région sont impliqués directement dans un des pays en question (victimes d’un accident, voyageurs…).
  2. Des acteurs de la région impliqués indirectement (par des activités d’associations, par exemple).
  3. L’information peut avoir des conséquences pour la région (la concurrence des produits des pays concernés avec des produits régionaux, la signature des contrats économiques).
  4. La région est le terrain de cette information (visite de personnalités du Tiers-monde, articles sur les travailleurs immigrés…), (Cabedoche, 1981 : 38).

On retrouve trois de ces aspects (n° 1, 2 et 4) dans notre corpus concernant le Darfour et le Soudan. A la suite de notre analyse, il convient d’ajouter cependant que sur un an, un petit nombre d’articles se référant dans Ouest France au Darfour et/ou au Soudan constitue un éclairage local des informations relatives aux événements soudanais. À vrai dire, dans notre corpus, on ne peut en dénombrer que trois. Ces sont les articles qui correspondent aux aspects 1 et 2 cités ci-dessus, car ils concernent les acteurs locaux impliqués sur place. Tous les autres articles du corpus à référent local, spatial ou autre(2), n’abordent la question du Darfour que très indirectement. Ce qui confirmerait encore une fois le peu de cas que même un grand journal régional comme Ouest France accorde à l’actualité provenant de cette partie du monde. Certes, les informations événementielles les plus importantes (celles qui sont reprises par la majorité des médias) y sont bien relatées. Par contre, la forme de cette relation : de (très) brèves informations, purement factuelles dans la grande majorité de cas, récuserait l’idée d’une implication plus active du journal en ce qui concerne le conflit soudanais.

La glocalisation des nouvelles internationales – un concept mal choisi

Etant donné les exemples cités ci-dessus, peut-on parler de la glocalisation à propos de l’ancrage dans le local de l’actualité relative au Darfour et au Soudan présente dans les colonnes d’Ouest France ?
Avant d’essayer de répondre à cette question, il serait utile de remonter brièvement aux origines théoriques de la notion de glocalisation. Se situant entre la dimension globale et la dimension locale de la globalisation, cette notion a été élaborée par le sociologue écossais Roland Robertson, au début des années 1990. Quelque peu frustré par les travaux les plus courants sur la globalisation, qui la présentent du point de vue macrosociologique, Robertson a eu besoin de combler le vide entre le global et le local. Pour cela, il s’est servi d’un mot du jargon entrepreneurial d’origine japonaise « glocalization », qui consistait à prendre en considération aussi bien des conditions globales comme des conditions locales dans le développement d’une activité économique. Sortie de son contexte économique d’origine, cette notion permet, selon Robertson, de gommer l’antinomie entre le global et le local, entre les tendances d’homogénéisation et celle d’hétérogénéisation de la globalisation, entre le particulier et l’universel. En effet, dit Robertson, la globalisation implique de plus en plus le local, au lieu de lui être opposé ; il s’agit, en fait, de deux mouvements du même processus, qui s’enchevêtrent et se complètent. Enfin, la notion de glocalisation permet aussi de valoriser l’aspect spatial du processus, oublié dans les approches centrées davantage sur la dimension temporelle, même si la globalisation est souvent perçue comme une compression du monde, une image qui renvoie pourtant plus à l’espace qu’au temps. (Robertson, 1992, 1995).
Le terme semble être devenu à la mode depuis que les théories sociologiques de globalisation ont gagné en France une audience au-delà de son champ scientifique d’origine au point d’être utilisé par certains pour parler de la glocalisation des informations internationales dans un contexte local (Laville, 2003) Cependant, la littérature existant sur la question ne nous renseigne guère sur le sens précis de cette notion dans la pratique journalistique. Certes, le concept de glocalisation a déjà été utilisé dans l’approche économique des médias, afin de décrire les stratégies des grands groupes mondiaux visant à adapter leurs produits à des marchés locaux. L’exemple du magasin féminin Elle du groupe Lagardère est parmi les plus connus dans son genre. Par contre, les procédés discursifs permettant la glocalisation des nouvelles dans la presse n’ont, à notre connaissance, toujours pas été mis en lumière. En tout cas, pas sous ce terme-là. Est-il pour autant judicieux d’utiliser le terme de glocalisation pour nommer les procédés d’ancrage local des informations internationales par les professionnels des médias, ceux de la PQR en occurrence ?
À notre avis, ce terme n’y est pas tout à fait adapté. En effet, l’une des premières caractéristiques d’un fait ou d’un phénomène global est sa dénationalisation, le fait de dépasser le strict cadre national, de concerner, sinon le globe entier, au moins des régions entières du monde (qui ne se superposent pas forcément aux frontières nationales. (Sassen, 2003 et 2009) Or, en ce qui concerne l’actualité dite internationale, elle est abordée toujours en grande partie du point de vue national, traitant des activités des Etats et des gouvernements. Et même cette manière de traitement évolue petit à petit, notamment au fur et à mesure que les problèmes globaux augmentent en nombre (le réchauffement climatique, la faim dans le monde, l’épuisement des ressources naturelles…) et que les acteurs globaux (les multinationales, les ONG…) montent en puissance; il suffit de consulter la rubrique dédiée à l’international de n’importe quel quotidien, pour voir que les États constituent toujours le cadre privilégié dans le traitement des nouvelles venant d’ailleurs, ce qui n’exclut pas, bien sûr, que ces nouvelles puissent traiter des problèmes globaux. C’est aussi le cas du conflit au Darfour lequel, malgré ses résonnances globales (un génocide n’importe où dans le monde, cela implique quelque part la responsabilité de toute l’humanité), reste un conflit très circonscrit localement, aussi bien du point de vue géographique que, semblerait-il, politique et économique, ce qui ne permet pas, en tant que tel, de le classer parmi les phénomènes globaux, avec toutes les conséquences que cela implique, aussi au niveau du vocabulaire utilisé.

Notes

(1) Diffusion payée en France. Source : OJD

(2) Comme le remarquent certains spécialistes de la globalisation, dont l’anthropologue Arjun Appaduraï, le concept du local implique davantage les relations qu’un territoire donné. Ainsi, surtout à l’âge des médias globaux, une communauté locale peut être, au moins partiellement, déterritorialisée. Ou, à formuler les choses autrement, on note aujourd’hui une divergence croissante entre les localités spatiales et les localités virtuelles. (Appaduraï, 2005)

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Auteur

Maria Holubowicz

.: Maître de conférences, chercheur au GRESEC (Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication), EA-608, Université Stendal, Grenoble3.