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De l’intérêt d’interroger les usages des ENT du point de vue de la médiation. Étude du dispositif CORRELYCE, Catalogue Ouvert Régional de Ressources Éditoriales pour les Lycées

21 Déc, 2010

Résumé

La recherche d’information a longtemps nécessité la médiation d’un professionnel de l’information afin que l’usager trouve une réponse documentaire pertinente à son questionnement. Mais le développement croissant des Environnements Numériques de Travail (ENT) dans ce domaine tend à effacer ces échanges humains au profit de médiations techniques multiples : organisationnelle, fonctionnelle et documentaire. L’étude d’un dispositif spécifique dans l’éducation, la plateforme d’accès à des ressources éditoriales en ligne CORRELYCE, va permettre d’interroger les usages du point de vue de ces médiations. Ainsi vont émerger les réussites et les limites d’une médiation entièrement technique, le décalage entre les attentes des concepteurs et la réalité des usages et le nécessaire maintien d’une médiation humaine.

In English

Abstract

For a long time information retrieval has had to be mediated by an information professional so that the user can find a documentary answer relevant to his/her questioning. But the growing development of virtual learning environment in this field tends to remove human exchanges in favour of various mediation techniques: organizational, functional and documentary. The study of a specific educational device – the access platform to editorial resources CORRELYCE – will allow us to examine the users’ practices from the standpoint of these mediations. Thus will emerge both the achievements and the limits of a fully-technical mediation, together with the gap between the developers’ expectations and the reality of the users’practices, implying the need to maintain a human mediation.

En Español

Resumen

Durante mucho tiempo, la búsqueda de información necesitó la mediación de un profesional de la información para que el usuario encontrara una respuesta documental pertinente a su pregunta. Pero el desarrollo creciente de los entornos numéricos de trabajo en ese campo tiende a borrar esos cambios humanos en beneficio de mediaciones técnicas múltiples: de organización, funcionamiento y documentación. El estudio de un dispositivo específico en la educación, la plataforma de acceso a los recursos editoriales en línea Correlyce, va a permitir plantearse los usos desde el punto de vista de esas mediaciones. Así van a surgir los éxitos y límites de una mediación totalmente técnica, el desfase entre las expectativas de los creadores y la realidad de los usos y el necesario mantenimiento de una mediación humana.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Inaudi Aude, Liautard Dominique, « De l’intérêt d’interroger les usages des ENT du point de vue de la médiation. Étude du dispositif CORRELYCE, Catalogue Ouvert Régional de Ressources Éditoriales pour les Lycées« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°11/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2010/dossier/03-de-linteret-dinterroger-les-usages-des-ent-du-point-de-vue-de-la-mediation-etude-du-dispositif-correlyce-catalogue-ouvert-regional-de-ressources-editoriales-pour-les-lycees

Introduction

CInfrastructures et équipements de communication multimédias sont au cœur des politiques éducatives depuis maintenant 10 ans (du PAGSI 1998/2002 à France Numérique 2012, en passant par Re/So 2007). Parmi ces infrastructures, en lien direct avec le développement des réseaux, se sont développées les plates-formes numériques, composantes fondamentales des environnements éducatifs, le plus souvent appelées Environnement Numérique de Travail (ENT). Au-delà de la diversité des objets recouverts par ce terme, une constante se dégage : quelle que soit la finalité de l’ENT, il s’agit toujours d’un dispositif technique établissant une relation active directe entre l’usager et certains éléments de son environnement, relation matérialisée « par un ensemble de services supposés cohérents » (Puimatto, 2009), ou encore dans le cas des ENT dédiés à l’Ecole « entre-deux où l’individu peut ressentir une liberté d’action et concrétiser ses intentions dans un environnement aménagé et normalisateur favorisant la médiation des savoirs » (Inaudi, 2008, p. 98).
« Relation directe », « entre-deux », désignent dans tous les cas une mise en rapport assurée par le dispositif entre l’usager de l’ENT et les services proposés. Dans la mesure où le dispositif technique assure le rôle d’intermédiaire pour rendre possible les actions attendues, M. Akrich énonce le concept de « médiations techniques » pour qualifier ces mises en relation actives entre l’homme et certains éléments de son environnement (Akrich, 1993), en opposition à la notion de médiation humaine associée à l’oralité, à forte dimension communicationnelle.
Ainsi, sous l’effet des technologies de l’information et de la communication, des situations auparavant uniquement réglées par la médiation humaine sont technologisées. Parmi ces situations, celles dédiées à l’accès à des contenus informationnels sont particulièrement concernées. Dans le système scolaire, si l’on se focalise sur l’individu-usager, l’objectif de dispositifs tels que les ENT ou plus généralement les plates-formes numériques, « est de développer l’usage de services » … et « de ce point de vue de produire une médiation, au sens d’une mise en relation entre des acteurs, des services et des contenus » (Puimatto, 2009). C’est le cas de la plate-forme CORRELYCE, Catalogue Ouvert Régional de Ressources Editoriales pour les Lycées, qui a pour but de permettre l’accès en ligne à un ensemble de services et de ressources éditoriaux, services d’information, encyclopédies, archives, e-learning, etc. Né du partenariat entre le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur avec les CRDP d’Aix-Marseille et de Nice et les services académiques,
CORRELYCE est mis à disposition de tous les lycées de la région. Les usagers en sont les 180 lycées publics, les 160 000 élèves et 17 000 enseignants. Les services de CORRELYCE relèvent donc du champ de la documentation.
Si l’on considère qu’accéder à des ressources documentaires s’entend par satisfaire un besoin énoncé, à savoir, le comprendre, le traduire en objectif documentaire, mobiliser les ressources ad hoc, pour obtenir une réponse pertinente, il est légitime de s’interroger sur la manière dont les dispositifs techniques remplissent et satisfont ces fonctions. D’autant plus qu’ils se définissent à travers la dimension de médiation entre la demande de l’usager et les ressources, médiation traditionnellement assurée par des intermédiaires, professionnels de la documentation.
C’est ainsi que CORRELYCE « Catalogue Ouvert Régional de Ressources Editoriales pour les Lycées« , « Portail d’accès sur les ressources éditoriales en ligne », « [outil de] médiation entre les usagers de la communauté éducative et l’offre numérique éditoriale« , « [outil d’] aide à l’acquisition des produits choisis« , « [outil pour] un accès facilité aux ressources« , met en relation directe, assure la médiation entre les usagers des lycées et des éditeurs, par la gestion des abonnements et l’accès à des ressources en ligne (Plaquette de présentation de CORRELYCE Région PACA, p. 4-5).
D’où notre proposition d’analyser du point de vue de la médiation, les usages d’un exemple concret d’ENT, CORRELYCE. Quelles sont les formes de médiation convoquées par un ENT dédié à la recherche et à l’obtention de documents, en tant que nouvelle modalité de présentation, tant dans l’organisation que dans l’accès aux ressources, ordonnée par la mise à disposition technique ? Considérée du point de vue de la médiation, quelle est la valeur ajoutée du dispositif en valeur d’usage des ressources ? La médiation se révèle-t-elle un critère recevable d’appréciation de l’appropriation par les usagers d’un ENT ?

L’Environnement Numérique de Travail : agent de mise en relation directe entre des services, des contenus et des acteurs

La recherche d’information dans le contexte numérique : une tendance générale, l’effacement des intermédiaires humains au profit de la médiation technique

La question de la médiation dans la chaîne documentaire, de l’analyse des besoins jusqu’à l’obtention de la ressource souhaitée, n’est pas nouvelle. Elle a toujours été centrale, notamment dans la définition de l’identité des professionnels de l’information, intermédiaires [humains]. Mais il est vrai que les ENT réinterrogent fortement la notion de par la nature des techniques d’intermédiation et de tous les services d’accès à l’information qui y sont associés, interfaces directes entre l’utilisateur et l’information (colloque de l’ADBS avec la participation de l’EAP –ESCP, Revue Documentaliste 2003).
La médiation, interrogée du point de vue de l’identité professionnelle des documentalistes dans un passé récent consiste, dans les années 70, au recensement des documents et à l’alimentation des catalogues et banques de données. Puis, l’informatique arrivant et certaines tâches s’automatisant, la médiation se construit autour de la maîtrise de techniques informatiques et informationnelles par le documentaliste, « intermédiaire incontournable » [vis-à-vis des techniques]. Peu à peu, et jusqu’aux années 90, sous l’effet de la mise à disposition d’outils grand public d’accès à l’information (minitel, cdroms et internet), l’action des professionnels de la documentation se concentre sur le traitement et la valorisation de l’information. La valeur ajoutée est créée par le documentaliste en sélectionnant et validant l’information pertinente, en la diffusant sélectivement. La prise en compte du besoin de l’utilisateur et de sa satisfaction devient alors centrale. [En fait], « la relation de médiation s’est métamorphosée en une relation de service consistant à apporter une solution à l’utilisateur » (Revue Documentaliste, 2003). Décrit de cette manière, le rôle du passeur d’information ou infomédiaire s’est considérablement modifié, mais la dimension humaine persiste.
Sauf que cette relation de service peut aussi être totalement technologisée pour l’usager. Dans une approche historique de la recherche d’information, Alexandre Serres montre que dans les 50 dernières années on passe successivement « d’un système Usager-question /documentaliste/informaticien avec une dépendance complète aux professionnels de l’information, à Usager-question/interrogation de banque de données par le minitel puis Usager-question/interrogation par moteurs de recherche caractérisé par une interactivité directe/outil« . (Serres, 2004). En cause, début des années 2000, le passage des applications informatiques au « tout web » et à l’interactivité. Une multitude de produits services dans tous les domaines de la vie courante et professionnelle est proposée aux utilisateurs via internet, accessibles par des outils de la recherche d’information (ex. moteurs) ou des services (ex. portail). L’accès aux ressources numériques est totalement modifié : la tendance lourde est une simplification des interfaces, des accès, des procédures, simplification des usages de recherche d’information pour un accès direct, par l’utilisateur final lambda.
L’évolution en recherche d’information dans le contexte numérique tend de manière constante vers moins de médiation humaine, plus de médiation technique, dans le sens d’un recours à un artefact technique intermédiaire (outils, interfaces, etc.).
Yann Polity parle « d’un [véritable] changement de paradigme. Jusqu’au début des années 80, la recherche d’information relève du paradigme classique orienté-système : focalisation sur le système technique avec les langages d’indexation et d’interrogation ; appariement entre termes requête et indexation. Avec pour conséquence la nécessité d’intermédiaires professionnels [dont d’ailleurs les moteurs la recherche d’information sont les « héritiers» !]. Puis dans les années 80 le paradigme cognitif orienté-utilisateur supplante le précédent. Le système d’information devient un système de communication entre un [des] producteur(s) et un utilisateur » (Polity, 2000). La dimension communicationnelle caractéristique de la médiation humaine est prise en charge par le dispositif.
L’intermédiation entre l’offre de ressources et l’utilisateur final est directe via la technique. Autrement dit, la réorganisation de la chaîne documentaire se caractérise par « l’évitement d’acteurs [humains] qui opéraient jusqu’à présent entre l’auteur et le lecteur et une intégration verticale par l’intermédiaire des outils » (REPERE, 2008).
Cette « intégration verticale » caractéristique de la nouvelle chaîne documentaire se retrouve-t-elle sur les plates-formes dédiées à la recherche d’information telles que CORRELYCE ?
Si oui, dans ce contexte de moindre, voire sans, médiation humaine, la satisfaction de l’utilisateur, fondamentalement liée dans un contexte traditionnel à la prise en compte dans un échange oral de ses spécificités (ses besoins, le contexte d’usage, ses préférences, ses centres d’intérêt, son environnement cognitif, etc.), est-elle assurée ?

La plate-forme CORRELYCE : des médiations techniques multiples pour un rapport direct éditeurs –usagers

Du point de vue source d’information documentaire, 166 ressources sont à ce jour inscrites au catalogue CORRELYCE. Elles proviennent d’une cinquantaine d’éditeurs ou diffuseurs inscrits comme participant au dispositif. Parmi les produits, se trouvent des ressources publiques et privées, libres ou pas, gratuites ou payantes. Un guichet permanent d’accueil est prévu pour les éditeurs qui doivent accepter les termes de l’appel à proposition : ils réalisent la description documentaire des titres en utilisant LomFrPad etl’interfaçage avec le dispositif d’authentification unique, le cas échéant ils définissent l’offre commerciale (source : communiqué de Correlyce 13 juillet 2007 Marseille).
Du point de vue organisationnel, le dispositif s’assortit d’un comité de suivi réunissant la région PACA, les CRDP des académies de Nice et d’Aix-Marseille, les représentants des rectorats et des corps d’inspection veillent à la bonne évolution du dispositif tout en assurant la conformité des ressources inscrites au catalogue au regard des critères de qualités attendus. Les lycées rejoignent le dispositif après accord de leur conseil d’administration. Une charte des droits et devoirs de chacun régit les conditions d’exploitation des services par les établissements. Parallèlement aux inscriptions au catalogue, qui vont permettre à chaque établissement de sélectionner les ressources qui seront accessibles à ses usagers, la Région finance un bouquet de ressources généralistes accessibles à tous les usagers des lycées.
Du point de vue fonctionnel, CORRELYCE met en relation directe, sans autres acteurs intermédiaires, deux acteurs de la chaîne documentaire, d’une part l’offreur/éditeur, d’autre part les demandeurs/utilisateurs « usagers des lycées ». Pour ce faire, les usagers sont en possession d’un nom et d’un mot de passe donnant accès à l’application à partir d’un simple navigateur web aussi bien depuis le lycée que du domicile.

Fig. 1 : Principe fonctionnel de CORRELYCE (extrait de Présentation de CORRELYCE Janvier 2010 – CRDP Aix-Marseille)

C’est en terme de médiations multiples qu’est décrite cette mise en relation par les concepteurs de la plate-forme (Puimatto, 2009, p.11):

  1. « Une médiation fonctionnelle, couche technique qui permet l’accès à des contenus, nécessitant des traitements répartis entre serveur et postes clients, pour identifier les données recherchées, les rapatrier et les mettre en forme selon la machine de l’usager et ses desiderata » : lien [usager-ressources].
  2. « Une médiation documentaire qui garantit la visibilité, l’identification et l’accès à des ressources ad hoc et de qualité par des usagers non experts, lycéens, enseignants, etc. Cette médiation est assurée d’une part par l’application de critères stricts d’inscription au catalogue sur lesquels s’engagent les éditeurs, d’autre part par l’usage de normes et standards (OAI-PMH, LOMFR) adoptés par tous pour décrire les ressources, par des règles de présentation (informations commerciales distinctes et standardisées), enfin par des choix éditoriaux concrétisés pour l’usager par les menus, interfaces graphiques, boutons, bandeaux qui constituent les écrans d’affichage » : lien [usager-ressources-éditeur-service].
  3. « Une médiation organisationnelle qui confère des droits d’accès et d’usages en fonction de profil (fonction d’authentification du demandeur/annuaire conforme aux spécifications SDET), tenant compte/reflétant l’organisation institutionnelle » : lien [établissement-usager-ressources-éditeur-service]. Avec deux voies d’accès possibles pour l’usager : [Usager/accès Espace public] ou [Usager/accès authentifié Espace personnalisé].

Toutes ces médiations, en tant que composantes incorporées du dispositif, sont d’ordre technique. Elles visent à permettre d’une part l’accès à la plate-forme avec un identifiant et un mot de passe, offrant ainsi via un portail, une entrée unique et personnalisée à un ensemble de services en ligne, en l’occurrence des ressources éditoriales, d’autre part la sélection par les acteurs de l’établissement scolaire de ressources éducatives susceptibles de répondre à leurs besoins. En ce sens, CORRELYCE s’inscrit dans l’évolution générale de la recherche d’information dans le contexte numérique : plus de médiation technique, moins de médiation humaine. En tant que supports des deux fonctions fondamentales du dispositif, la fonction accès personnalisé (ENT) et la fonction ressources (catalogue), ces médiations sont déterminantes du dispositif. D’où la proposition d’utiliser le concept de médiation comme critère d’analyse du dispositif au regard des usages.

A noter que l’intermédiation humaine existe dans le dispositif, mais en amont des usages : traitement éditorial et documentaire de la ressource par l’éditeur ou le diffuseur, application de critères de sélection pour l’inscription au catalogue par le comité de suivi. Au même titre que le travail de constitution d’un fonds documentaire traditionnel non numérique, elle ne concerne pas l’usager en direct dans son usage de la plate-forme.

Etude de CORRELYCE du point de vue de l’usager : réussites et limites de la médiation technique

C’est dans le cadre d’un lycée X que l’accès aux ressources par l’intermédiaire de la plate-forme a été interrogé. Avant la mise en place de CORRELYCE, le panel de ressources documentaires proposé aux usagers (élèves et enseignants) était accessible au CDI (Centre de Documentation et d’Information de l’établissement) ou en ligne sur Internet (sites présélectionnés et référencés dans la base documentaire ou accès libre via un moteur de recherche). Dans ce paysage, CORRELYCE permet l’accès à des ressources éditoriales en ligne sur abonnement annuel gratuit ou payant. L’intérêt pour l’usager est de profiter, dans et hors temps scolaire (dans le cadre familial notamment), de contenus riches, diversifiés et qualifiés par l’institution, auparavant essentiellement disponibles en un nombre d’exemplaires réduit au CDI (usuels, archives de presse, manuels…). Dans un univers informationnel saturé, c’est une plus-value majeure.
Aussi, l’apparition de CORRELYCE a entraîné dans le lycée un renouvellement de la réflexion sur la documentation mise à la disposition de la communauté scolaire. Parmi les nombreuses ressources du catalogue, un choix attentif a été effectué par les enseignants en fonction des besoins pédagogiques et des contraintes budgétaires. Une fois l’offre propre au lycée constituée (une dizaine de ressources), les questions du développement des usages et de la formation se sont posées et les médiations propres à CORRELYCE explorées. Le professeur-documentaliste, déjà responsable d’une utilisation optimale des ressources du CDI, a mené cette réflexion en relation avec certains enseignants particulièrement impliqués dans l’intégration de ce type de contenus dans leurs cours.

Les clés de lecture : la recherche d’information et les écrits d’écran

A ce stade, un rapide détour théorique et méthodologique s’avère utile pour comprendre les clés qui ont permis de mener cette étude sur le terrain.

A quelle étape de la recherche d’information, le catalogue CORRELYCE est-il susceptible d’être utilisé ?

Utiliser les ressources de la plate-forme positionne nécessairement l’usager dans une démarche de recherche d’informations, démarche qui nécessite différentes compétences documentaires.
De manière générale, il doit franchir cinq étapes pour mener à bien sa recherche : l’identification et l’analyse du besoin d’information (1), la sélection des sources appropriées (2), l’élaboration d’une stratégie de recherche (3), l’exécution de la recherche (4) et l’évaluation des résultats (5) (Salaün, 2010, p. 110). La possibilité de recourir aux ressources éditoriales accessibles via CORRELYCE intervient plus particulièrement lors de la deuxième étape. La plate-forme devient alors source d’information au même titre que le catalogue documentaire et qu’internet.
Par ailleurs, le choix d’une source d’information nécessite une bonne connaissance des sources documentaires disponibles, « portée et objectifs, sujets traités, couverture chronologique et linguistique, fiabilité, accessibilité, structure » (Salaün, 2010, p. 111) afin de sélectionner celles qui répondront le mieux au besoin défini en amont. Autrement dit, dans le cadre scolaire, les usagers devraient connaître non seulement les ressources disponibles dans le CDI (Centre de Documentation et d’Information) et accessibles via le catalogue documentaire informatisé, mais aussi les ressources en ligne accessibles via un ENT, auxquelles s’ajoutent les sites et pages internet accessibles par moteur de recherche et interface web. Cette logique documentaire est fortement présente dans CORRELYCE puisque l’usager s’y connectera s’il a préalablement connaissance des ressources proposées sur la plate-forme et s’il a identifié qu’elles étaient susceptibles de répondre à ses besoins.

Les écrits d’écran comme clé de lecture du dispositif CORRELYCE

C’est ce que révèle par exemple le cheminement d’un usager-élève souhaitant trouver des ressources sur le développement durable, thème exploité par des enseignants de différentes disciplines en classe de seconde.
La lecture de son parcours grâce à la sémiotique des écrits d’écran (Souchier, 1996) va faciliter l’analyse de l’effet des médiations techniques identifiées par les concepteurs (fonctionnelle, documentaire et organisationnelle), car cette approche lie « les propriétés techniques du média, son organisation sémiotique et son statut éditorial et communicationnel » (Jeanneret 2000, p.108). L’analyse ainsi menée permet de lire les discours non verbaux et facilite le décryptage visuel des signes du dispositif technique dans leur contexte d’énonciation (Inaudi, 2008).
La page-écran est considérée à la fois d’un point de vue organisationnel (organisation éditoriale) et d’un point de vue contextuel (énonciation éditoriale). Elle reprend très souvent une structure articulée autour de trois zones, une zone d’information, une zone d’identité et une zone relationnelle (Poupard, 2005). La zone d’information est occupée par du texte et des images, elle est située au centre et apporte des éléments sur le contenu de la ressource. La zone relationnelle est située à droite et/ou à gauche de l’écran, elle est le lieu de la communication individualisée et protégée, là où les usagers de la ressource vont s’identifier. La zone d’identité correspond au bandeau en haut de l’écran et/ou à la dernière ligne de la page d’accueil, là où les éléments concernant l’identité du site sont affichés. Dans cet ensemble, des « signes passeurs », hypertextuels (liens, icônes, logo…), reconnus sur le plan symbolique par une majorité de lecteurs, permettent de passer d’une zone à une autre, d’une page-écran à une autre.

Identification des médiations convoquées lors d’une recherche sur le développement durable

De la médiation organisationnelle…

Reprenons le cheminement de l’élève cherchant des informations sur le développement durable. Une fois son besoin d’information identifié et défini (1), il explore les sources à sa disposition (2). Il se connecte à la plate-forme grâce à un identifiant et un mot de passe personnalisé, en général distribué en début d’année scolaire. La zone relationnelle « M’identifier » à gauche, bien que de couleur orange, est peu visible. Et la nécessité de s’identifier pour accéder aux ressources disponibles au lycée n’apparaît pas de manière explicite dans la zone d’information au centre de l’écran. Mais finalement, quelle que soit l’icône sur laquelle l’élève clique, une page s’ouvre sur un formulaire d’identification. Cette absence de consigne n’est donc pas gênante a priori.

Fig.2 : Capture d’écran : page d’accueil publique de CORRELYCE (correlyce.fr)

Une fois renseigné, l’élève est dirigé vers les ressources auxquelles le lycée est abonné. Il accède à « son » espace avec son nom et une personnalisation des messages, « mon compte », « mes titres », « mes infos personnelles ». On retrouve à ce niveau la médiation organisationnelle qui permet, par l’intermédiaire de l’authentification, la mise en relation de l’usager avec des ressources éditoriales sélectionnées par l’équipe éducative.

Fig. 3 : Capture d’écran : page d’accueil de CORRELYCE dans l’espace personnalisé

Au centre, il peut consulter les abonnements de l’établissement par l’intermédiaire du lien « Mes titres » qui renvoie à un classement des ressources par catégories. Il peut gérer ses informations personnelles (adresse mail, mot de passe) dans « Modifier mes infos personnelles ». La zone d’information évolue ensuite selon l’action demandée.
Le menu de gauche est en revanche, une zone permanente que l’on retrouve sur toutes les pages du site lors d’une navigation en mode authentifié. En haut, figure la zone relationnelle constituée de trois éléments. Le premier indique le statut de l’usager, ici un élève. Le second, le pavé orange, affiche les données personnelles, effacées pour des raisons de confidentialités (Nom, Etablissement, Ville). Et le troisième, le premier pavé bleu, « Mes titres », donne accès aux deux modes de recherche permettant d’accéder aux titres du lycée : par catégories et par liste alphabétique. Pour ce niveau, la médiation organisationnelle fonctionne parfaitement.
A la poursuite de la lecture, apparaît toujours dans le menu de gauche, sous la zone relationnelle, un deuxième pavé bleu intitulé « Catalogue » donnant accès à l’ensemble des ressources du catalogue. Ce maintien dans l’espace personnalisé d’un accès au catalogue général est source de nombreuses confusions pour les usagers (notamment les élèves). Cette possibilité brouille la lisibilité des ressources directement accessibles et nécessite un accompagnement humain (médiation humaine) pour orienter efficacement les usagers. De même, la présence à droite d’une zone d’actualités et d’informations générales propres à la plate-forme, qui s’adresse davantage aux enseignants et aux superviseurs (responsable de la gestion de la plate-forme dans l’établissement), diminue la lisibilité globale de la page-écran.

… aux médiations fonctionnelle et documentaire

Une fois ces étapes franchies, l’élève ne peut toujours pas rechercher directement des informations sur le développement durable. A moins de procéder par tâtonnement, il doit connaître non seulement le contenu proposé par chaque catégorie, mais aussi avoir une idée du contenu informationnel proposé par chaque ressource. La médiation documentaire nécessite donc de franchir d’autres étapes.
Dans la recherche « par catégories », une catégorie s’intitule « Education développement durable ».

Fig. 4 : Captures d’écran : cheminement de la recherche

Ainsi, en suivant ce cheminement, l’usager accède à une ressource qui potentiellement lui permettra de trouver des réponses lors de l’étape d’exécution de la recherche (4). Mais ce cheminement ne fait pas apparaître ni Le Site.tv où figurent des vidéos sur le développement durable, ni l’Encyclopédie Universalis où une définition du concept est présente… ressources pourtant également accessibles via CORRELYCE et tout aussi pertinentes. Dans ce cas, la médiation documentaire ne rend visible qu’une partie « des ressources ad hoc » (Puimatto, 2009). Mais la médiation fonctionnelle est opérante puisque l’élève accède à l’UTLS, ressource sélectionnée via un lien hypertexte (signe passeur), sans avoir besoin de s’identifier à nouveau.
Par ailleurs, le choix des catégories ne s’appuie pas sur des critères documentaires explicites. Certaines catégories relèvent des disciplines (physique-chimie, français, économie-gestion…), d’autres des domaines transversaux (arts-culture, éducation développent durable, orientation), d’autres enfin de la nature du document (dictionnaire-encyclopédie, presse). De plus, les catégories affichées dans l’espace personnalisé ne sont pas strictement identiques à celles de page d’accueil publique. Dans le cas du développement durable la catégorie apparait uniquement dans l’espace personnalisé d’où une possible perte de repères, un cheminement qui ne conduit pas aux bonnes ressources, voire qui les rend invisible. Ces confusions forment une sorte de bruit documentaire où la probabilité de trouver une ressource pertinente nécessite une connaissance préalable des ressources et des modalités de recherche sur la plate-forme et/ou un accompagnement spécifique.
Cet accompagnement est en partie offert par la plate-forme. En cliquant sur le signe passeur « notice », l’usager peut lire une description complète de la ressource selon la norme LOM-FR, norme de description des contenus pédagogiques numériques ou pas (Educnet, 2009). La ressource est présentée de manière détaillée (présentation générale, technique, public cible et niveau scolaire…) afin que l’utilisateur puisse se faire une idée de son contenu et de son intérêt. Pourtant, cette fonctionnalité permet-elle une appropriation et une connaissance de la ressource qui puissent orienter efficacement l’usager-chercheur, à la manière dont l’assure traditionnellement la médiation humaine ?

Fig. 5 : Captures d’écran : Notice détaillée de l’UTLS

Il semble que ce ne soit pas si évident. Tout d’abord parce que cela implique une connaissance du vocabulaire documentaire (notice, cycle de vie, méta…). Ensuite, parce qu’une minorité d’usagers (essentiellement des enseignants) prend le temps de lire la notice, la plupart ne la consulte pas et se contente de la description générale. Or, sur le thème du développement durable par exemple, on constate que la lecture du court résumé présentant l’Université de Tous Les Savoirs n’apporte aucun élément déterminant pour sélectionner cette source d’information : « Etat des recherches les plus actuelles, l’Université de tous les savoirs au lycée propose des conférences de scientifiques et d’intellectuels en réponse aux questions que se posent les lycéens sur le monde d’aujourd’hui, aux préoccupations […] » (cf. Fig. 4). Et la thématique retenue n’apparaît dans aucun des onglets de la notice alors que l’UTLS est classé dans la catégorie « Education Développement Durable ». La médiation documentaire semble donc ici aussi incomplète.

Recherche de solutions : la nécessaire subsistance de la médiation humaine

Les médiations techniques confrontées aux pratiques

Les médiations techniques, avec leurs réussites et leurs limites, doivent également être confrontées aux pratiques de recherche actuelles qui « effacent » la deuxième étape de la recherche d’information. Quels qu’ils soient, les usagers tendent à passer directement de la définition de leur besoin à l’élaboration d’une stratégie (Salaün, 2010). Ils se dirigent vers des sources dont les réponses potentielles à une recherche leur semblent a priori les plus complètes et les plus rapides : Internet notamment, avec une multiplicité de sites directement accessibles, une requête, le plus souvent formulée en langage naturel et surtout un fort ancrage dans les pratiques sociales (Donnat, 2008).
En effet, sur une centaine d’élèves du lycée X interrogés sur leurs pratiques de recherche, tous déclarent se diriger spontanément vers Internet pour une recherche d’informations quelconque. En revanche, s’il s’agit d’une « commande » scolaire émanant d’un enseignant ou s’inscrivant dans un dispositif pédagogique particulier (Travaux Personnels Encadrés en classe de première par exemple) alors les ressources documentaires de l’établissement sont explorées dans un cas sur deux et la plupart du temps lorsqu’une exigence de diversité des sources est explicitement attendue. A ce moment-là, et parce que la formation jusqu’à présent mettait l’accent sur cet outil, ils utilisent le catalogue documentaire de l’établissement. Ce n’est pas une pratique spontanée.
De plus, traditionnellement, l’offre documentaire était centralisée dans le catalogue documentaire de l’établissement et la majeure partie des ressources signalées était disponible au CDI, dans les laboratoires disciplinaires ou en ligne lorsqu’il s’agit de sites sélectionnés pour leur qualité éducative. Ce catalogue, géré par le professeur-documentaliste, était le plus souvent une porte d’entrée unique. L’arrivée d’internet dans l’Ecole a créé une première rupture et le catalogue est devenu la plus-value documentaire de l’établissement. D’un côté, Internet propose un foisonnement d’informations dans lesquelles chacun doit être en mesure d’effectuer un tri, d’un autre côté, le catalogue propose des ressources clairement identifiées, sélectionnées en amont en fonction des besoins scolaires et évaluées en termes de fiabilité auxquelles s’ajoutent des ressources dites pédagogiques, d’abord sur CD-ROM puis sur DVD et aujourd’hui en ligne.
Dans ce contexte, CORRELYCE se positionne alors, comme une source d’informations supplémentaire avec des codes propres que l’institution tente de rendre visibles et lisibles. Mais son mode d’interrogation complexe peut apparaître comme un frein aux usages autonomes souhaités par les initiateurs de la plate-forme.

Des ressources pré-qualifiées par la médiation technique

Pourtant, la plate-forme favorise la mise à disposition des élèves et des enseignants de ressources pré-qualifiées. Lors d’une recherche d’informations, l’usager, confronté au panel croissant de ressources documentaires disponibles, doit fixer ses propres critères de sélection. Pour faciliter ce choix, chaque établissement scolaire constitue, à partir d’une offre éditoriale exhaustive, sa propre base de ressources en ligne. La démarche consiste à élaborer une offre documentaire, certes restreinte, mais dont la qualité est validée et reconnue par une communauté.
Les titres du catalogue répondent à des « critères scientifiques et éducatifs » : des contenus adaptés aux élèves de lycée, répondant aux enseignements disciplinaires et transversaux, avec des impératifs de qualité scientifique ou disciplinaire et une conformité aux textes officiels (Puimatto, 2010). Leur nombre est donc volontairement restreint (166 par rapport à l’ensemble des ressources éditoriales existantes) mais il répond a priori à des critères stricts auxquels sont attachés les responsables du projet. Parmi cet ensemble de titres, une deuxième étape, on l’a vu précédemment, conduit chaque équipe enseignante dans chaque établissement, à sélectionner la dizaine (parfois un peu plus) de ressources qui sera mise à la disposition des usagers dans « Mes titres ».
Ces dernières bénéficient, de fait, d’une double qualification : dans un premier temps pour intégrer le catalogue, dans un second temps, pour intégrer l’offre documentaire de l’établissement. L’utilisateur final circule dans un dispositif rassurant où il n’a plus à se poser la question de la fiabilité. Les médiations documentaire et organisationnelle assurées par le dispositif sont effectives. Elles permettent de consulter une ressource en confiance et de gagner du temps lors de l’étape d’exécution de la recherche (étape 4, Salaün, 2010), alors que l’évaluation de la fiabilité et de la qualité scientifique d’un site resteront bien souvent nécessaires pour une recherche sur internet par exemple.

Des solutions locales avec la médiation humaine comme moteur de l’usage

Toutefois, cette assurance qualitative, s’il est possible de la nommer ainsi, ne suffit pas à créer les « conditions favorables pour un développement de l’usage » (cf. Fig. 2). L’écueil reste l’absence de cheminement direct jusqu’au contenu concrètement utilisable pour répondre au besoin d’information. Trois préalables demeurent : connaître l’existence de CORRELYCE, connaître le panel de ressources disponibles, connaître leur contenu.
Partant du principe que la pré-qualification des ressources est un avantage réel pour constituer une offre documentaire de qualité, plusieurs professeurs-documentalistes, responsables dans l’établissement scolaire de la valorisation des ressources documentaires, ont pensé différemment leur mise à disposition. Dans le lycée X deux solutions complémentaires ont été explorées.

Remplacement d’une médiation technique par une autre : une amorce de portail documentaire

Marion Brezel, après une étude de la littérature sur cette question, retient trois éléments importants pour définir un portail documentaire : « point d’accès unique à un ensemble de ressources internes et externes, fonctions d’identification, d’authentification et de gestion des droits d’accès, outils d’aide à la recherche et à l’affichage des résultats qui tiennent compte de la multiplicité des ressources » (Brezel, 2009).
Dans le lycée X, une amorce de portail a été élaborée par le professeur-documentaliste : une interface unique rassemble les éléments permettant d’accéder à toutes les ressources documentaires sélectionnées par l’équipe éducative de l’établissement. Le catalogue permet de rechercher des documents présents dans le fonds du CDI ou des sites internet. Le menu de gauche propose des liens vers des ressources en ligne également sélectionnées pour leur intérêt pédagogique parmi lesquelles les ressources issues de CORRELYCE. Mais seule l’authentification de l’usager est requise.

Fig. 6 : Captures d’écran : exemple de portail offrant un accès plus direct aux ressources

La médiation documentaire propre à CORRELYCE est volontairement effacée. Seules subsistent les médiations fonctionnelle et organisationnelle. Le portail facilite l’accès à la ressource, mais pas encore au contenu. De fait, la recherche simultanée dans l’ensemble des ressources et l’affichage des résultats selon leur degré de pertinence reste, localement et techniquement, difficile à développer. Or vraisemblablement, seul un portail documentaire avec l’ensemble des fonctionnalités listées ci-dessus apporterait à l’usager une réelle plus-value de la médiation [technique] documentaire. En l’état, il est contraint de choisir en amont parmi une multiplicité d’entrées celle qui va répondre au mieux à son besoin.

La connaissance des ressources : un préalable pour pallier l’impossibilité de recherche sur le contenu

Or, il ne suffit pas à l’élève de savoir qu’une encyclopédie est disponible pour s’en servir. De fait, connaître son fonctionnement, les thématiques traitées, les dossiers complémentaires proposés, les mettre en parallèle avec le programme scolaire… peut lui permettre d’intégrer cette encyclopédie dans ses sources potentielles pour y faire appel lors d’une recherche future. Dans le même ordre d’idées, la notice détaillée ne permettra pas à un enseignant d’évaluer les potentialités de réponse d’une vidéo éducative à ses besoins pédagogiques. Mais pouvoir la tester, faire le lien avec ses objectifs disciplinaires, étudier des exemples de séquences, échanger avec des enseignants de la discipline… peut élargir ses sources potentielles et l’inciter à y revenir.
Aussi, l’étape 2 de sélection et de connaissance des sources a été remise au cœur des apprentissages en développant la formation des utilisateurs au contenu et non au fonctionnement des outils. L’appel à une médiation humaine plus traditionnelle s’impose non seulement au niveau documentaire, mais aussi au niveau des disciplines scolaires. Elle est assurée d’une part, par le professeur-documentaliste, chargé de faire découvrir la richesse et la diversité des contenus, d’expliciter les fonctionnalités documentaires, d’autre part, par l’enseignant de discipline, à même de créer du lien entre la ressource et le besoin pédagogique.

La médiation humaine, sous forme de formation non plus aux modalités d’accès aux ressources, mais en fonction de leur contenu, devient alors la clé d’un développement des usages. Toutefois, avec un morcellement des sources disponibles et le peu de temps effectif qu’il est possible de consacrer à cette formation, son efficacité mériterait également d’être interrogée. Notamment, pour « gagner du temps », cette médiation peut parfois conduire à un usage « utilitaire » de la ressource lorsque l’enseignant la recommande pour réaliser un exposé, une recherche thématique… comme un enseignant de sciences économiques et sociales qui incite les élèves à se connecter sur CORRELYCE pour utiliser les archives du journal Le Monde et du magazine Alternatives économiques dans la perspective de réaliser une revue de presse. La source est alors désignée en préalable dans le cadre d’un parcours balisé : l’étape de sélection disparaît complètement et l’autonomie souhaitée de l’usager dans sa recherche d’information est largement mise en question.

Conclusion

La question de départ était la pertinence du concept de médiation pour apprécier l’usage de dispositifs tels les ENT, ou plus généralement des plates-formes numériques, dont le cœur de fonction consiste en la mise en relation directe, sans intermédiation humaine, d’acteurs, de contenus et de services.
Appliqué à CORRELYCE, l’objectif du déploiement énoncé étant le développement des usages des ressources numériques en ligne à travers une mise à disposition facilitée via « un catalogue », nous nous sommes focalisés sur les dimensions recherche et accès aux ressources par les utilisateurs pour apprécier la valeur ajoutée du dispositif selon le critère « médiation ». Considéré sous cet angle, il s’avère que parmi les trois catégories de médiation incorporées à la plate-forme, la médiation la plus problématique en matière d’efficacité est la médiation documentaire.
En effet, la médiation documentaire telle qu’elle est réalisée garantit, d’une part, en amont de la recherche par l’utilisateur, une offre structurée de ressources éditoriales d’origines diverses mais toutes sélectionnées pour le dispositif selon des critères qualifiés préétablis et connus, décrites selon des normes documentaires définies, d’autre part en aval la consultation de ces ressources sous la forme d’un catalogue, source de ressources par excellence. La relation directe éditeur/usager existe donc bien sur cette liste de ressources qualifiées et ordonnées. Si l’on identifie l’usager comme étant le gestionnaire des ressources, coordinateur TICE de l’établissement par exemple, la médiation [technique] documentaire remplit le rôle attendu. Complétée par les médiations [techniques] organisationnelle et fonctionnelle, l’administrateur de CORRELYCE est satisfait.
En revanche, si l’on identifie l’usager comme l’enseignant ou l’élève pour lequel la ressource représente avant tout un contenu, alors cette médiation se révèle insuffisante. Ce sont en effet des contenus que cherche à obtenir l’usager, en rapport avec ses besoins, dans le contexte d’une activité donnée. Et dans ce cas, la médiation [technique] documentaire ne couvre pas cette phase de la recherche d’information, à savoir la correspondance entre la requête de celui qui demande et la manière dont sont représentés les contenus informationnels dans la ressource, correspondance qui permet d’accéder à ces contenus directement, sans connaître au préalable la (res)source dont ils sont issus.
On peut rétorquer à cette analyse que le dispositif affiche bien la couleur à travers sa dénomination de « Catalogue Ouvert Régional de Ressources Editoriales pour les Lycées« , et qu’il ne faut donc pas en attendre plus. Soit, mais les discours des pouvoirs publics qui soutiennent et accompagnent le déploiement de CORRELYCE, et au-delà des discours, les attendus, se positionnent en priorité sur, voire évaluent, les effets positifs du « catalogue » sur les usages des ressources en ligne en situation pédagogique. Or, comment développer des usages des ressources numériques sans avoir accès facilement aux contenus ?

Il y a là un hiatus entre la réalité technique et les pratiques. Hiatus qui peut, pour partie, expliquer le peu d’usages de CORRELYCE au vu du nombre de connexions, rapporté au nombre d’usagers potentiels (cf. les enquêtes académiques d’usages), d’où la déception de ses instigateurs. Hiatus pouvant être par ailleurs à l’origine de représentations très opposées sur le dispositif CORRELYCE entre ses concepteurs et les utilisateurs des ressources. Ce qui est traduit par les responsables comme un manque d’usages n’est peut-être qu’un malentendu entre des attentes et des possibilités techniques, l’absence d’un degré de médiation à rajouter au dispositif. Attente d’autant plus forte que le contexte de l’internet a banalisé pour l’usager cet accès direct.

Références bibliographiques

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Souchier, Emmanuel (1996), « L’Ecrit d’écran : pratiques d’écriture et informatique », Communication et langages, n°107, mars 1996.

Auteurs

Aude Inaudi

.: Docteur en sciences de l’information et de la communication, Laboratoire CHERPA, Aix-Marseille 3, Aude Inaudi est professeur-documentaliste certifiée en lycée.

Dominique Liautard

.: Maître de conférences à l’université Aix-Marseille 2 (IRSIC, EA 4262, Laboratoire de Recherche sur les Médias, l’Information et la Connaissance), Dominique Liautard est expert sur les usages des ressources numériques en éducation auprès d’institutions nationales ou régionales impliquées dans le développement des TICE.