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Articulation entre communication, information et organisation en SIC

29 Oct, 2009

Résumé

Les recherches récentes en Sciences de l’Information et de la Communication se préoccupant du travail et de ses objets définissent souvent les concepts d’information, de communication et d’organisation en miroir les uns par rapport aux autres. Il arrive parfois que l’information disparaisse au profit de la communication ou, au contraire, l’occulte. à partir d’une revue de littérature sur les vingt dernières années, nous proposons dans cet article de clarifier les articulations entre ces concepts, d’en repérer les complémentarités et d’en cerner les éventuelles contradictions.

In English

Abstract

Recent Information and Communication Research interesting by work and his object defines concepts of information, communication and organisation by confrontation. Sometimes the concept of information disappear behind communication unless occurs the contrary. In this article, using a large literature revue, we propose to clarify the way these concepts are articulated one with each other to see their complementarities or contradictions.

En Español

Resumen

Las recientes investigaciones francesas en Ciencias de la Información y de la comunicación que se preocupan del trabajo, precisan los conceptos de información, organización y comunicación confrontando el uno con el otro. A veces, ocurre que uno de estos conceptos desaparece en beneficio de los otros. Gracias a una revista de literatura teórica de los últimos veinte años, proponemos en este artículo de clarificar las articulaciones entre estos conceptos para poner en evidencia como se completan o, eventualmente, como se contradicen.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Vacher Béatrice, « Articulation entre communication, information et organisation en SIC », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°10/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2009/varia/10-articulation-entre-communication-information-et-organisation-en-sic

Introduction

Repérage de quatre tendances

Dans le champ des SIC qui s’intéresse de près ou de loin au travail ou à ses objets, il n’est pas toujours facile de distinguer les concepts d’information, de communication et d’organisation. Ils ne s’identifient pas seulement en négatif ou par complémentarité l’un par rapport à l’autre, ils ne forment pas seulement un nouage inextricable, ils ne peuvent tout simplement pas se passer les uns des autres et s’articulent, plus ou moins harmonieusement.
Dans cet article, nous détaillons ces quatre tendances que nous avons repérées à partir d’une sélection de recherches récentes (moins de vingt ans) en SIC :
(1) ignorance mutuelle de l’information et de la communication pour étudier l’organisation,
(2) définitions réciproques de l’information et de la communication,
(3) identification entre l’organisation et la communication et
(4) conceptions croisées de l’information, de la communication et de l’organisation.

Pourquoi cette sélection de références récentes ?

Nous avons déjà remarqué l’insistance avec laquelle les recherches en communication organisationnelle tentent de se démarquer d’approches positivistes tout en continuant parfois à proposer des réponses universelles à des questions particulières (Vacher, 2008b). Nous avons situé ce paradoxe dans l’histoire des SIC et repéré que c’est seulement vers la fin des années 90 que les SIC commencent à s’intéresser à l’approche interprétative que nous revendiquons dans nos travaux.
En effet, dans le cadre de nos recherches, nous proposons un regard communicationnel et organisationnel, sur ce que nous avons nommé « la manutention de l’information » (Vacher, 1998), en laissant parler les individus au travail. Il s’agit de prendre au sérieux, mais pas au pied de la lettre, la parole de chacun sur ses tâches d’information, a priori anodines, pour repérer les potentiels d’évolution organisationnelle : comment les questions de savoir quoi ranger, trier, saisir, sous quelle forme échanger et avec qui, jeter ou garder en vrac, éclairent la question complexe de savoir comment organiser l’action collective sur le long terme ? Cette démarche suppose une approche interprétative proche des workspace studies, terme anglo-saxon qui englobe les travaux de tradition ethnographique (action située, cognition distribuée, ethnographie des organisations) avec les théories de l’activité pour questionner les formes d’engagements pluriels qui caractérisent le travail en réseau contemporain (Borzeix & Cochoy, 2008).

C’est dans ce contexte social mouvementé et avec ce regard pointé sur les faits élémentaires que nous questionnons ici l’organisation, l’information et la communication.

Organisation-information vs organisation-communication

Approches par des métiers d’information ou de communication

A travers le métier de documentaliste ou celui de la communication d’entreprise, l’organisation est prise en compte mais seulement d’un point de vue, soit informationnel, soit communicationnel.
L’approche partant de l’évolution du métier de la documentation s’intéresse au travail d’information en le définissant comme une médiation entre un dispositif et un public (Guyot, 2000 ; Metzger, 2006 ; Le Bis, Vacher, 2006 ; Couzinet, 2001 ; Peyrelong, 2002 ; Hassanaly & Al., 2002). Elle met l’accent sur l’importance du travail d’interprétation qui n’est pas toujours valorisé par l’organisation, sur les compétences nécessaires pour assurer cette médiation de type relation de service et sur les enjeux d’impliquer l’ensemble de l’organisation sur ces questions documentaires. L’approche informationnelle (Guyot, 2004), voire les sciences de l’information (Couzinet, 2002 ; Metzger, 2002), se proposent de rendre compte du principe organisateur puissant de l’information. Elles posent la question de la connaissance comme celle de l’élaboration de savoir à travers des objets fixés, durables et rémanents dont la matérialité rend possible la réinscription et la transcription. L’information y est définie comme un « processus par lequel une entité, de nature humaine ou sociale, est transformée » (Metzger, 2002, 24).
Partant des paradoxes de la communication d’entreprise (Almeida, 2006 ; Floris, 2000 ; Bernard, 2000 ; Le Moënne, 2006), c’est le concept d’information qui disparaît. L’accent est mis sur le manque de recevabilité de plus en plus criant de la communication d’entreprise ainsi que sur son décalage avec l’expérience de travail. Son rôle dans la prescription et les formes d’évaluation est mis en valeur pour considérer cette communication comme production narrative qui peut être manipulatoire. Cette approche incite à réintroduire le sujet dans les organisations, à dépasser les oppositions entre l’individu et l’organisation pour penser la médiation, technique, humaine et politique.

Approches selon des points de vue non spécialisés

A travers l’étude d’autres pratiques en organisation, non spécialisées en information ou en communication, c’est bien souvent l’information qui disparaît au profit de la communication, sauf exception contraire (Vacher, 1998 ; Palermiti & Polity, 2002 ; Roux, 2004). Trois spécialités revendiquent en France l’étude de l’organisation à travers les questions de communication : l’approche systémique, l’approche communicationnelle et la communication organisationnelle.
L’approche systémique ou la systémique des communications (Mucchielli, 1998 ; 2004) modélise l’organisation par les liens qui unissent ses éléments en considérant l’information comme le lubrifiant du système permettant de révéler les représentations des uns et des autres.
L’approche communicationnelle des organisations (Bouillon, 2003 ; Bouillon, Bourdin & Loneux, 2007) propose un cadre intégrateur aux dimensions communicationnelles des organisations en observant les activités de production de sens. Elle cherche à tenir ensemble les trois niveaux, opérationnel, organisationnel et politique, où se manifeste la communication.
La communication organisationnelle (Almeida & Andonova, 2006 ; Vacher, 2008b ; Bouzon, 2006 ; Martin-Juchat, 2009), voire les communications des organisations (Delcambre, 2000), plus modestes mais aussi plus précises, ont pour point de départ la façon dont chacun interagit en fonction des contraintes locales et institutionnelles (Lacoste, 1995, 2000b, 2001). Ces contraintes peuvent être la double autorité du projet, l’urgence, l’injonction de transparence ou le besoin de confiance au sein d’équipes fortement sollicitées et en interaction constante avec d’autres. La communication participe du mouvement de reconnaissance (ou non) du poids de ces contraintes : crédibilité du groupe ou de la cellule projet, intelligibilité des actions par le rituel des rencontres métiers qui tranche avec le stress du projet (Gramaccia, 2001 ; Gramaccia & Gardère, 2006), valorisation des engagements mutuels dans les discours officiels (Bernard & Joule, 2004 ; Grosjean, 2007). Emerge ici l’importance de l’activité comme étant un mélange de paroles et de faits matériels. Le rôle du langage, non seulement sous l’angle pragmatique mais aussi de l’interlocution, est mis en valeur : il permet la multi-action (garder une attention flottante tout en assurant une tâche précise), le déplacement des réseaux d’alliance par des traductions multiples, le partage de références tout en préservant la liberté de représentations plurielles (Bouzon, 2000 & 2002). La communication combine le face à face et les médias, structure le travail et est structurée par l’histoire de l’organisation. Elle est ce qui permet d’interpréter et de donner du sens au travail. Cette approche interroge la constitution d’une intelligence collective entendue comme la possibilité de mettre ensemble des questionnements à partir d’articulations de points de vue et de pratiques.

Toutes ces recherches proposent d’englober les pratiques et les processus dans un contexte politique, en parlant de dispositif, soit informationnel, soit communication, rarement les deux ensemble. Yanita Andonova (2004) par exemple, parle d’enchevêtrement des discours, des dispositifs communicationnels et des pratiques. Le terme de dispositif marque l’idée de considérer les objets dans leur cadre d’usage avec les bricolages et appropriations que cela implique, en référence notamment aux travaux en sociologie des usages. Les usages se construisent dans l’interaction en tenant compte des discours ambiant (valorisation officielle de certaines techniques, mépris d’autres, etc.), des règles de travail (rendre compte dans tel format, à tel moment, dans telle langue, etc.) et des pratiques quotidiennes. Angélique Roux (2004) parle quant à elle de dispositif informationnel, avec cette même idée de prise en compte des discours, lois, lieux et institutions, pour entrer en résonance et non en contradiction avec les pratiques d’appropriation des outils et machines d’information. Les termes information et communication renvoient ici aux technologies, d’information ou de communication selon le point de vue. Il se trouve que depuis la fin des années 80, ces technologies forment un ensemble (TIC) alors qu’auparavant l’informatique et la télématique étaient déconnectées. Le terme de dispositif communicationnel et informationnel commence à apparaître (Mayère & Vacher, 2005) en lien avec les paradoxes de la rationalisation poussée des organisations (ERP, Assurance Qualité, etc.).

L’organisation est communication

L’approche agency

Prenant au sérieux ce que font les objets dans l’activité de travail, une grande partie des recherches canadienne en communication organisationnelle postule que l’organisation émerge de conversations (Groleau & Taylor, 1996 ; Taylor, 2000 ; Groleau & Cooren, 1999 ; Van Vuuren & Cooren, 2008 ; Grosjean, Bonneville & Huët, 2008). C’est en partageant des expériences et des conversations ordinaires, ancrées dans des circonstances sociales, que se construisent des interprétations réciproques. Le corps joue un rôle important au même titre que les objets ou outils dont la tendance est de se faire oublier tant qu’ils « fonctionnent ». Cette construction de l’organisation à travers la communication apparaît lorsque les repères du travail changent et que les personnes doivent s’adapter, ou ne réussissent plus à travailler, et doivent reconstruire de nouvelles compétences, de nouveaux repères (Groleau & Taylor, 1996). L’information est ici un élément de contexte au même titre que la situation de travail et l’expérience des personnes. La problématique proposée est d’insister sur la recherche de ce qui fait sens en portant une grande attention aux objets ordinaires du travail. Interpréter et faire sens sont ici équivalents et s’actualisent dans la communication en tant que narrations.
Cette approche est aussi nommée agency pour marquer l’importance des imbrications d’objets marqueurs de la culture et influençant les attitudes et comportements . Cette influence n’est généralement pas consciente, elle est profondément intériorisée. Mark Van Vuuren et François Cooren (2008) insistent sur l’importance de la reconnaissance de cette influence pour que les individus retrouvent la parole dans l’organisation, c’est-à-dire se constituent en tant que sujets et s’offrent ainsi des possibilités de choix. Cela suppose de considérer la culture, non seulement comme l’ensemble des comportements hérités des générations précédentes, mais également comme ouverture potentielle sur des comportements autres. Les valeurs associées à la culture offrent alors autant un ancrage traditionnel et rassurant qu’une source de créativité déstabilisante et enrichissante.

Les communautés de pratiques et le knotworking

Nicole Giroux (2006) apporte des précisions à cette approche grâce à une revue de littérature sur les communautés de pratique : comment l’organisation contemporaine, fluctuante, soumise aux alliances ou désengagements, aux mouvements souvent imprévisibles des projets, est considérée comme un tissu de communication. Cette communication vue sous l’angle de la conversation est aussi (et surtout) la capacité d’écouter de façon attentive, de savoir garder le silence.

Dans le même esprit, Yrjö Engestrom (2008) propose de penser les reconfigurations permanentes de l’organisation contemporaine comme un nouage, knotworking, où les lieux d’initiative ne sont pas fixes, où les contrôles, responsabilités et confiances demandent à être régulièrement redistribués et où les nœuds, départs d’activité, ne sont pas définis a priori mais potentiellement présents. Moins que de conversations, ce type de reconfiguration requiert la négociation : « Il s’agit au fond de la construction d’un ordre négocié dans lequel les participants peuvent poursuivre les activités qu’ils partagent » (Id., 26).

Information et communication en miroir

Partant d’objets qualifiés (document, corps, technologie), non spécifiques à l’organisation, les SIC ont élaborées des théories tenant compte à la fois de l’information et de la communication. Ces théories ne sont pas toujours compatibles entre elles mais toutes s’accordent sur le fait que l’objet n’a d’existence qu’à partir d’une interprétation humaine. L’objet est à la fois un signe et un support, une inscription et une forme, il est à la fois sémiotique et technique. Ce point commun théorique justifie le terme d’objet qualifié : une chose, une matière, devient un objet grâce au regard, au façonnage ou simplement au souvenir d’un événement.

La communication est comprise dans l’information

Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier (2002) par exemple, explicitent les liens entre information et communication en partant des objets TIC ou document. Ils proposent un point de vue communicationnel sur ces objets, à savoir décrypter les rôles et légitimités d’auteurs à travers une analyse énonciative (qui parle, de quoi, comment l’exprime-t-il), médiatique (par quel média, sur quel support) et éditoriale (à quel moment, en direction de qui, avec quelle type de traduction). Ce type d’analyse demande de tenir compte des contextes institutionnels et rhétoriques tout en partant d’éléments a priori triviaux. La communication est ici comprise dans l’information, celle-ci étant « une relation, unissant des sujets par l’intermédiaire de médiations matérielles et intellectuelles » (Jeanneret, 2004, 42). Il est alors impossible « de séparer les circuits documentaires, les valeurs culturelles et les pouvoirs politiques » (Jeanneret, 2000b, 25). L’information n’existe qu’à travers l’interprétation et ne circule donc pas. Elle peut être active (« mettre en forme ») mais aussi passive (« prendre forme ») lorsqu’un objet, fortement marqué socialement, influe directement sur le comportement.

La communication comprend l’information

Position que ne partagent pas Daniel Bougnoux ni Bernard Miège pour qui la médiation reste une question politique où l’intervention humaine est incontournable. Ils partent tous deux d’une question de communication pour emporter l’information dans son sillage.
Pour Bernard Miège (2004), l’information est le contenu cognitif et symbolique de la communication. Il précise l’importance de distinguer information et communication par le fait que les SIC cherchent à articuler les techniques et les productions de sens, pas à les confondre (Miège, 2005). Il considère infructueuses les oppositions que drainent encore les métiers : entre l’information journalistique, documentaire, informatique et la communication interactive, de masse, publicitaire ou institutionnelle. Il rejoint Yves Jeanneret sur ses propositions d’appréhender l’information et la communication dans ses manifestations marquantes comme l’écriture, le processus éditorial, la relation entre médiation et dispositifs, etc. (Miège, 2000, 562-563).
Pour Daniel Bougnoux (2001), l’information est aussi un contenu dont il précise qu’il est chargé de signification, la communication étant une relation, seule à même d’apporter du sens. Il insiste sur l’importance du corps, notamment dans la communication phatique, lorsque le problème principal est de « s’assurer de la relation, indépendamment du contenu du message […, de] faire la causette » (Bougnoux, 2001, 23). La relation est invisible et agissante, elle est de l’ordre de l’énonciation. L’information est quant à elle de l’ordre de l’énoncé qui « creuse une distance et introduit un rapport (adéquat ou non) entre le signe et la réalité qu’il décrit » (Id., 41). Énoncé et énonciation ne sont pas détachables, ils font « corps avec leur auteur […] Les signes de l’énonciation reposent largement sur les indices corporels, une équivalence se dessine entre communication et comportement » (Ibid., 46-48). L’information – énoncé est ici enchâssée dans la communication – énonciation. S’il peut y avoir dissonance entre énoncé et énonciation comme dans l’injonction paradoxale (« sois autonome »), il y a toujours interprétations multiples, parfois divergentes. Ces interprétations (par le travail d’information) produisent des significations mais pas du sens (que rajoute le niveau communication). Daniel Bougnoux précise alors que l’information offre une ouverture à la société à travers son potentiel d’interprétations alors que la communication permet la clôture sur une culture grâce à l’obligation de ménager autrui.

Approches anthropologiques et historiques

L’anthropologie de la communication (Winkin, 2001 ; Olivesi, 2006) a quant à elle un rapport plus ambigu à l’articulation entre information et communication. Elle s’intéresse de plus près encore au lien entre communication et culture, la première étant considérée comme une performance (un accomplissement) de la seconde : l’étude de la communication « s’avère solidaire d’une certaine conception de l’homme et de la société » (Olivesi, 2006, 181). Les objets sont intégrés à la communication comme membres de la culture, « comme autant d’événements communicatifs » (Winkin, 2001, 102). En référence à l’ordre de l’interaction d’Erwin Goffman (1988) et à l’approche orchestrale de Birdwhistell, l’anthropologie de la communication remarque que les règles du jeu, à la fois institutionnelles et rhétoriques, offrent des cadrages aux situations, les structurent en laissant un espace de liberté et de créativité.

Dans une visée intégratrice, Philippe Breton et Serge Proulx (2002) insèrent l’information comme un des trois pôles de la communication : elle est un contenu, le plus objectif possible, une description des faits au plus près du réel, une représentation fidèle. Autant dire qu’elle n’existe pas. Elle est d’ailleurs peu traitée par les auteurs qui se consacrent aux deux autres pôles, l’argumentatif et l’expressif. Argumenter, c’est l’art de débattre en mobilisant la rhétorique telle qu’elle était enseignée dans l’antiquité. S’exprimer, c’est d’abord se mettre en scène pour parler de ce que l’on ressent. La communication est donc principalement une question de registres à ne pas confondre : manipuler c’est faire croire que l’opinion est la vérité, faire de la propagande c’est défigurer les faits sans le dire et la désinformation est le mensonge organisé. L’intérêt d’un tel découpage est le repérage d’idéaux types de la communication et de l’information qui permettent d’en saisir la complexité au sein des organisations marquées par la culture. En effet, il n’y a pas plus de vérité que d’argumentation sans interprétation, mais penser la quête d’objectivité, la sobriété de l’argumentation, la chaleur de l’expression et la combinaison de ces trois idéaux, permet de repérer avec finesse les caractéristiques marquantes de telle ou telle organisation.

Croisements conceptuels

D’autres travaux en SIC prennent en compte de façon complémentaire les contraintes de l’organisation, de la communication et de l’information. Ils combinent un regard sur le travail et ses objets, les dispositifs, les interactions et les discours.

L’organisation vue par le document

L’approche de l’organisation par le document adopte un point de vue interdisciplinaire pour rendre compte du principe organisateur puissant du document. Ce point de vue prend en considération à la fois les contextes institutionnels et idéologiques pour rendre compte du processus d’interprétation inhérent au travail.
Par exemple, à partir des interactions entre professionnels de la documentation et utilisateurs, l’accent est mis sur travail d’indexation considéré comme une médiation (Pédauque, 2006 ; Courbières, 2002 ; Béguin-Verbrugge, 2002) : il « implique le recours au langage […qui] conduit à s’interroger sur les limites et contraintes des interactions possibles entre documentaliste et usage non pas comme un transfert mais comme un processus communicationnel complexe qui engage à la fois la dimension sémiotique des objets et la dimension cognitive et sociale des interactions » (Béguin-Verbrugge, 2002, 334). Les normes de la documentation s’interprètent et sont détournées, contournées, pour donner à voir les enjeux culturels.
Moins spécialisée, la question des différents statuts du document montre comment se déplacent les articulations entre relations individuelles et action collective (Guyot & Al., 2007 ; Vacher & Le Bis, 2006 ; Guyot, 2007) : évolution des rapports aux normes (ce qui doit être conservé non seulement pour l’action mais également pour la preuve) ; frontières de plus en plus floues entre auteur, lecteur et éditeur ; nuances fondamentales entre l’écrit pour soi et l’écrit pour autrui ; mise en évidence de l’activité de lecture, encore souvent négligée malgré l’importance qu’elle prend dans le quotidien de travail. Étudier ainsi l’usage et la circulation des documents montre comment ces derniers cristallisent « des négociations et des décisions, [identifient] des accords, des divergences et des conflits » (Guyot & Al., 2007, 183). A la suite des travaux du groupe Langage & Travail, est ici reposé le lien indéfectible entre le dire et le faire qui renvoie à l’écoute et au regard que l’on pose sur l’organisation.
Dans cette approche, l’information est la relation au document et la communication est une confrontation d’interprétations.

Articulation entre le quotidien, le projet et l’organisation

L’approche de l’organisation par l’articulation entre communication au quotidien, communication à des moments sensibles des projets et communication d’entreprise (Bouzon, 2002 ; Gramaccia, 2007 ; Delcambre, 1997 ; Mayère & Vacher, 2005 ; Lacoste, 1998, 2000a) montre à quel point la routine constitue encore la plus grande part, en durée, du travail. Cette attention pour le quotidien relativise les approches qui considèrent que l’organisation est communication (un nœud de conversation ou de négociation) et qui se centrent entièrement sur les questions d’innovation et de créativité : « Nos discours sophistiqués sur les limites de l’efficacité nous font oublier que les organisations ne peuvent fonctionner que si les tâches très ordinaires sont effectuées correctement et de manière routinière » (Mayère & Vacher, 2005, 76 – citant March, 2000, 45).
Si cette approche pose la question de l’articulation entre routine et innovation, elle creuse encore peu celles de la place du corps éprouvé (Martin-Juchat, 2008 ; Kogan, 2010) et du bricolage organisationnel (Vacher, 2004), deux points d’entrée éclairant les conditions d’apprentissage pour faire évoluer les routines (Saint-Laurent-Kogan, 2004 ; Kogan & Durampart, 2007). L’apprentissage, n’est pas seulement technique mais en relation aux usages, aux conditions de travail, aux structures organisationnelles et aux normes professionnelles, quatre contraintes qui ont la particularité d’évoluer en permanence. La problématique de l’évolution des routines dans l’organisation est plus proche de ce que les sciences de gestion et la sociologie nomment l’apprentissage organisationnel (Argyris & Schön, 1978-2001 ; March, 1991 ; Charue, 1991). A partir du constat qu’il existe toujours un décalage entre les « espoused theories » et les « theories in use » , Chris Argyris et Donald Schön ont mis en évidence trois types d’apprentissage possibles : l’apprentissage simple (simple loop learning) qui consiste à détecter ce décalage et à tenter de le corriger, l’apprentissage en double boucle (double loop learning) qui revoit les normes institutionnelles pour réduire ce décalage (ce qui veut dire poser un regard non seulement sur les objets de l’action mais aussi sur ses règles, ce qui est moins courant) et enfin, le « deutero learning » où l’organisation est dans un processus d’apprentissage permanent (apprend à apprendre et à oublier) pour conserver un décalage supportable entre ce qui doit être fait et ce qui peut être fait.
C’est à travers l’activité et le nouage que les SIC attrapent cette question d’apprentissage (Guyot & Al., 2007 ; Giroux, 2006 ; Delcambre, 2007 ; Engeström, 2008), avec quelques limites importantes. Considérer l’objet, qu’il soit TIC, document ou règle, comme marqueur de l’organisation permet de relativiser la toute puissance concédée historiquement à la volonté humaine. Toutefois, le considérer comme unique point d’attention pose un problème d’ordre pratique qu’a déjà soulevé Madeleine Akrich (1989) dans son esquisse pour une anthropologie des techniques. En effet, si l’objet tient ensemble la technique l’organisation, l’histoire, l’économique, le social et le culturel, c’est bien par une dénégation de ce qui le fonde. Lorsqu’il s’agit de comprendre comment il en est arrivé là, il a besoin de portes paroles avec tous ses non-dits, mensonges, histoires à dormir debout, statistiques à l’appui, sincérités naïves, etc. Il ne peut en effet à lui seul conter comment se sont faites et défaites les alliances à son propos, comment se sont articulés les micros et macros mondes qui l’ont construit, comment se sont passées les épreuves (techniques, d’usage et économiques) qu’il a du subir pour devenir ce qu’il est, bref comment l’humain a mis son grain de sel dans ses rouages. La confrontation de paroles, avec également toutes ses limites, reste un détour incontournable (Latour, 1992).

Cette approche fait référence, de façon plus ou moins approfondie, au travail d’articulation (Lacoste, 1998 ; Grosjean & Lacoste, 1999), là où se concentrent les problèmes de communication, à la jonction des questions d’intégration de l’information. L’articulation demande un travail, souvent invisible, qui produit les nécessaires fonctionnements transversaux. C’est à ce niveau que se voit « la nature des activités des différentes catégories professionnelles, les interdépendances, les hiérarchies » (Lacoste, 2000a, 26). L’objet est entendu dans ses aspects matériels ou sémiologiques mais aussi socio-organisationnels et sociopolitiques : « L’essentiel se passe dans la confrontation entre l’objet comme ensemble de potentialités et les pratiques dans lesquelles il est pris » (Id., 28).

Conclusion – Information, communication et organisation : interpréter et prendre ensemble des potentiels

D’une façon générale, l’ambition des SIC est de penser des objets qualifiés, des pratiques situées et des contraintes, rhétoriques (la manipulation du langage), institutionnelles (techniques, sociales, économiques, etc.) et culturelles (chargées d’histoire et de potentiel). A propos de l’organisation, les SIC mettent surtout l’accent sur les questionnements autour des articulations de points de vue et de pratiques : entre les projets et les métiers, l’urgence et la routine, l’écrit pour soi et pour autrui, les situations de travail quotidiennes et la communication vers le public, etc. Cela oblige à spécifier l’objet caractéristique de l’organisation, à savoir l’outil de gestion : à la fois normatif, personnalisé, matériel et chargé de valeur (Vacher, 2007).

Médiation humaine ou actantielle ?

Le concept de médiation est central mais défini différemment selon la façon dont sont considérés les statuts respectifs des objets et des personnes. Pour certains, la médiation est nécessairement humaine (approches par les métiers, par la communication organisationnelle et par le document, théories à partir de la communication comme relation), pour d’autres, elle est encastrée dans l’objet (théories à partir de l’information comme relation et l’approche agency).

Interprétation et/ou compréhension ?

Les différences entre interprétation et compréhension sont plus ou moins mises en valeur selon que la médiation est humaine ou seulement comprise dans l’objet. Dans ce dernier cas, comprendre et interpréter sont utilisés indistinctement. Il s’agit de donner du sens à cet objet dont l’influence est immense malgré son « invisibilité ». L’objet est considéré comme le marqueur de la culture et, à ce titre, se fait oublier tant qu’il fonctionne. Y porter attention permet de révéler les rôles et légitimités des personnes investies par lui (auteur, concepteur, éditeur, lecteur, locuteur, auditeur, etc.). Ce point de vue est particulièrement intéressant pour les organisations en reconfiguration permanente où la question du nouage entre contrôle, confiance et responsabilité, se pose de façon récurrente. Les conversations offrent alors un potentiel de reconfiguration très efficace.
Les tenants de la médiation humaine différencient interpréter et comprendre : interpréter est une action consciente d’un sujet en relation à un objet et qui produit une ou plusieurs significations. L’influence de l’objet n’est pas occultée mais l’attention est portée sur l’action humaine. L’interprétation permet une appropriation, qui peut être de l’ordre du bricolage (imaginer) ou du braconnage (détourner). La compréhension nécessite quant à elle de tenir compte du corps de l’autre et de la direction que prend la relation entre au moins deux personnes. Comprendre produit du sens en tenant compte de l’énonciation, invisible et agissante.

Communication et information : instrument ou langage ?

Les différences entre communication et information se situent plutôt sur le registre de l’inscription dans un champ institutionnel. En effet, en France, les SIC sont censées penser ensemble information et communication. Or, les séparations persistent selon ce que chacun souhaite valoriser : des métiers, des approches, des écoles, etc. Si la séparation due au découpage historique des métiers disparaît, si le paradigme instrumental, qui a influencé le début des SIC, laisse une très large place au paradigme interprétatif  depuis les années 90, les conflits d’écoles de pensées sont encore très présents.
Rappelons que le paradigme instrumental assimile l’information au formatage de représentations et la communication au processus de mise en commun de ces représentations. Ce paradigme ne différencie pas le langage de la langue parlée, il se place dans une perspective universaliste et volontariste. S’il est justement critiqué par les auteurs présentés ici, il n’est jamais totalement rejeté, notamment pour penser la routine ou l’apprentissage. Le paradigme interprétatif considère quant à lui que la communication est mise en relations et l’information, une mise en forme ou une prise de forme, chacune étant située. Pour le paradigme interprétatif, le langage n’est pas seulement la langue, code commun à une culture, mais aussi des situations d’énonciations, des cadres contraignants et des contextes plus ou moins énigmatiques. Les auteurs relativisent la portée universelle des techniques et de la volonté humaine pour proposer de descendre dans « l’arène » et de rendre ainsi compte d’interprétations locales plus ou moins compatibles entre elles (Vacher, 2008a). La différence entre information et communication est alors plus subtile car elle est pensée dans l’articulation. Elle dépend de la façon dont les auteurs souhaitent défendre telle ou telle école de pensée souvent associée à un leader charismatique ou à un groupe qui cherche le leadership.
Sans entrer dans ce débat, nous remarquons que l’information comme mise en forme est plus proche de la conception de la médiation humaine avec l’exception de l’information entendue comme un contenu. De même, l’information comme prise de forme est revendiquée par l’approche qui part de l’objet comme médiation (en dehors de l’agency qui ignore l’information). Enfin, l’information comme quête d’objectivité ressemble à l’information assimilée à un contenu ayant une signification, approche à la fois de la médiation humaine et de la culture.
La communication est en revanche presque toujours considérée comme une relation qui produit du sens (à l’exception de l’approche qui considère que c’est l’information qui est relation). Elle est alors soit une confrontation d’interprétations, soit une performance de la culture. Dans les deux cas, elle donne à voir les règles du jeu de l’organisation autant qu’elle offre un espace de liberté. Elle peut être une quête de compréhension par l’intermédiaire du débat sur ces règles ou encore une construction d’organisation par l’intermédiaire de récits. L’approche par le knotworking a ceci d’intéressant qu’elle combine ces deux visions : elle replace la communication comme argumentation dans un nœud de conversations, elle met l’accent sur la responsabilité humaine entre les contraintes identifiées de contrôle et de confiance, elle insiste sur le jeu de représentations plurielles et elle montre l’importance de prendre en considération les potentialités d’évolution à travers le concept d’activité.

Culture : un concept central

La culture est présente dans toutes les approches et renvoie autant aux contextes institutionnels que rhétoriques. Plus ou moins explicitement, elle est présentée avec ses deux acceptions possibles : celle de partage conventionnel par le plus grand nombre et celle de pratique artistique qui peut être irrévérencieuse. Les deux s’appuient sur l’histoire et les habitudes mais la première « conserve » alors que la seconde « renouvelle ». Elles sont donc aussi vitales l’une que l’autre et complémentaires, au point parfois qu’elles semblent incompatibles.
Cette référence à des valeurs qui dépassent les personnes et les situations peut se décliner sur au moins six registres de légitimité : économique, technique, politique, hiérarchique, social et créatif (Boltanski & Thévenot, 1991). Elle pose la question de concilier échange et équité, partage et gratitude, valeurs qui offrent plus ou moins de prise à la mesure et à la reconnaissance mutuelle.
L’équilibre de ces valeurs au sein des organisations est délicat et pose la question de la responsabilité, au cœur des problèmes de management (Girin, 1995) : éviter de sombrer dans l’anarchie (à la suite d’une confiance aveugle dans les capacités des individus laissés libres de toute action) ou la dictature (liée au contrôle tatillon de toute action par méfiance vis-à-vis des capacités humaines à vivre ensemble).

L’organisation : un agencement routinier et émergeant ? Propositions

L’organisation, dans ces théories SIC, est présente à travers le passage délicat entre innovation et routine, grâce aux concepts d’intelligence collective, de dispositif et de nouage.
Le concept d’intelligence collective est mis en avant comme la possibilité de rassembler des questionnements à partir d’articulations de points de vue et de pratiques. Ce terme ne rend peut-être pas suffisamment compte de l’importance de ces questionnements. Il nous semble que celui de reconnaissance des capacités mutuelles est plus exigeant et permet de concilier les apports de la communication organisationnelle et de l’organisation comme nœud de conversations (agency) ou de responsabilités négociées (knotworking).

Le dispositif a été défini comme un ensemble de techniques et d’usages inscrits dans des discours, des règles de travail et des pratiques. Concrètement, c’est une combinaison de rituels de communication, d’outils de gestion à bricoler (Vacher, 2004) et d’activités d’information à intégrer pour cerner les contraintes économiques et sociales de l’organisation (Vacher, 2001). Le terme d’agencement rend peut-être mieux compte de la relation entre éléments de natures différentes, matériels, humains et symboliques. Il est moins ambitieux mais plus opérationnel que la construction systémique, car il spécifie ses éléments. Il est plus ciblé que le nouage, car il insiste sur le fait que chaque élément est ressource pour les autres (Vacher, 2008a). En effet, si personne ni aucun objet n’est purement matériel, symbolique ou corporel, chaque élément a besoin des autres et a un savoir sur les autres : l’objet est chargé d’humanité et de représentation, l’humain bricole en permanence du symbole et des artefacts, le symbole ne peut pas se passer de support matériel ni d’utilisateur. C’est cet agencement qui agit, ce que nous pouvons schématiser de la façon suivante :

L’organisation comme agencement de Ressources humaine, matérielle, symbolique (Vacher, 2008d)

« Reconnaissance de capacités mutuelles » et « agencements » mobilisent les apports des SIC pour donner prise sur l’organisation et percevoir ces passages entre innovation et routine.

Il reste que peu de recherches insistent sur les prescriptions, proscriptions et jugements qui forment les règles du jeu de l’organisation et qui sont inscrits dans ses outils de gestion (Vacher, 2004 ; de la Broise & Lamarche, 2006 ; Vacher, Le Bis & Hassanaly, 2007) . Les outils de gestion sont le plus souvent des abrégés de valeurs comme le vrai et le bon dans l’organisation traditionnelle occidentale. Ils sont nécessaires et non signes de vertu. Pour devenir des abrégés du pertinent et du souhaitable dans l’organisation innovante, ils doivent alors être éphémères et incomplets pour évoluer rapidement. Passer du vrai et du bon au pertinent et au souhaitable n’a rien d’automatique et dépend principalement de la capacité de poser des questions et du degré d’ouverture du regard et de l’écoute portés sur l’organisation. Position dont l’étude nous semble résolument SIC.

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Réactions

Après évaluation, le comité éditorial des Enjeux de l’Information et de la Communication, a pris la décision de publier l’article ci-dessus de Béatrice Vacher car cet article nous a paru traduire un effort notable pour dresser un bilan argumenté des travaux articulant communication, information et organisation en SIC (surtout dans la dernière période). Nous sous sommes cependant interrogés sur des limites, des absences et certaines interprétations.
Sur cette question sensible, et après en avoir parlé à l’auteur, nous avons choisi de faire appel à trois contributeurs à qui nous avons proposé de  rédiger une courte réaction (un feuillet par exemple, ou un peu plus) à ce texte, et si possible dans les meilleurs délais. Pierre Delcambre, Christian Le Moënne et Brigitte Guyot ont accepté bien volontiers notre offre. Ils inaugurent ainsi ce qui devrait trouver encore plus de place dans une revue numérique: l’interactivité des échanges. Nous sommes bien sûr ouverts à la prolongation dans la revue du débat scientifique ici engagé.

Bernard Miège

 

Christian Le Moënne (Université de Haute Bretagne, Rennes 2), 11 octobre 2009

Il s’agit d’un article à l’ambition forte = tirer un bilan de 20 années de recherches sur les communications organisationnelles en France à partir d’une question ou d’un angle d’attaque à savoir : comment s’articulent les catégories d’information, de communication et d’organisation dans ces travaux de recherches?
Il vient après plusieurs autres – cités en bibliographie – consacrés au  bilan des recherches en communications organisationnelles en France  (Delcambre, D’Almeida/Andonova, Bouillon/Bourdin/ Loneux…), ce qui pourrait être analysé comme une tendance ou un effet de mode.  Mais cet article ne tient pas ses promesses car il n’effectue pas non plus une analyse rigoureuse de l’ensemble des résultats de recherches et travaux publiés depuis 20 ans et se réclamant explicitement de ce champ de recherches spécifiques en SIC.
Les références de l’auteur sont d’ailleurs plus larges que les SIC et que la situation proprement française, puisque sont fortement mobilisées les références en anthropologie des sciences et des techniques, en sociologie de l’action située, de la conversation, en ethnométhodologie, comme les travaux canadiens de ce courant centré sur les approches des processus organisationnels en termes de processus langagiers qui est appelé « école de Montréal ». Les classifications en vigueur au Canada sont au demeurant mobilisées ici (paradigme interprétatif, etc.).
Un grand nombre de travaux développés en France dans les dix dernières années ne sont pas pris en compte, et il n’est pas sûr que ceci ne donne pas une vision déformée de l’état des questions et des débats. Enfin, toute une série de travaux qui ont joué un rôle dans le champ de l’analyse des processus informationnels engagés dans les logiques organisationnelles dans le contexte de la numérisation générale des traces (le courant représenté par la revue « Solaris » pour aller vite),  ne semblent pas pris en compte.
Quelques remarques et questions pour prolonger le débat ouvert par cet article :

1 – La question de la relation Communication/information/organisation semble réglée depuis plus de 15 ans autour de ce qui peut être considéré comme le « noyau dur »  du programme « communications organisationnelles » au fondement de la dynamique du groupe « org & co » = la mise en équivalence information – communication et organisation.
Pour autant évidemment, les recherches et travaux peuvent avoir développé des perspectives partielles ou qui ne revenaient pas en permanence sur cet aspect, le considérant implicitement comme réglé. Ainsi l’articulation entre contexte communicationnel et formes organisationnelles me semble être sous jacente à la plupart des travaux récents, sous réserve évidemment de les situer dans la genèse des problématiques développées en France.

2 – L’article semble prisonnier d’une conception objectiviste, structurale et spatiale des « organisations » et ne prend pas en compte les travaux et débats récents sur les formes organisationnelles comme formes processuelles modulées selon des normes techniques permettant la « gestion par les instruments » et la cristallisation des procédures dans des formes organisationnelles, des objets et lieux et dans des traces extrêmement diverses.

3 – Il ne prend pas en compte l’articulation entre formes et normes : il est typique que la catégorie de normes (anthropologique ou technique) n’est pas mentionnée alors qu’elle irrigue les travaux sur les formes sociales confrontées aux dispositifs informationnels et aux logiques info -communicationnelles à l’œuvre dans la recomposition générale des entreprises et des diverses institutions sociales.
L’article s’aligne sur l’implicite idéologique et épistémologique selon lequel l’essentiel de l’activité humaine serait réductible à des « faits de langage », ou plus précisément, réduit l’ensemble des processus d’information – communication organisationnels à des faits langagiers ou, pour le dire autrement à des formes sémiotiques. Les objets dans l’action sont ainsi réduits à des éléments des contextes de signification. La question cognitive, qui concerne au premier chef la question des mémoires cristallisées dans les lieux, les objets, comme dans les formes organisationnelles institutionnalisées, n’est pas aperçue dans les travaux récents. Ceci interroge évidemment les fondements « paradigmatiques » (pour reprendre ce terme abondamment utilisé) de l’article et des typologies proposées.
A l’évidence pourtant la question de l’information – communication organisationnelle renvoie, dans l’analyse des processus de changement ou d’adaptation, à une prise en compte de l’articulation des formes organisationnelles, objectales et sémiotiques dans les processus de conservation et d’altération des formes sociales ou des institutions (pour reprendre le débat entre Durkheim et Simmel)

4 – Enfin l’analyse des fondements épistémologiques des travaux menés depuis 20 ans, et notamment cette mode créationniste du « constructivisme » mis à toutes les sauces, mais constituant un indicateur intéressant de relativisme et de réduction des recherches sur les pratiques sociales à des recherches (ou des discours) sur des « discours »,  serait certainement une des perspectives intéressantes ouverte implicitement, « en creux », par cet article.

 

Pierre Delcambre (Gériico, Lille 3), Pour continuer à réfléchir avec Béatrice Vacher (« Articulation entre communication, information et organisation en SIC »), 9 octobre 2009

Des réactions de lecture une fois lu ce texte ? D’abord, je le lis comme un texte de positionnement personnel, fait d’un « état de l’art » et de propositions personnelles pour développer une voie propre. Ce texte tente de travailler dans l’embarras ordinaire qui est aussi le mien : comment « penser », non pas seulement ses propres travaux, mais les collectifs de chercheurs et leurs devenirs « dans la discipline », ici plus particulièrement les travaux SIC en « communication organisationnelle » ? Le dialogue avec cette pensée, j’ai pour ma part envie de le construire en prenant du temps pour le respect, mieux penser les moments « malins » et les bonheurs de formule, et bien sûr la discussion de fonds et les désaccords. Alors, arrêter là et refuser l’offre qui m’est faite ? Ne rien dire d’une simple lecture de trois jours ? Non : je prends le parti de revenir sur la partie « état de l’art », un moment délicat pour lequel celui qui s’y commet se risque et ose interpréter de manière cavalière les travaux de collègues en séries organisées. Je pense que nombre de ces interprétations seront discutées… Pour ma part je ne me suis pas senti « maltraité » et mon propos n’est pas une demande de réparation, et je ne réagirai pas non plus comme un porte-parole qui saurait mieux qu’un autre « de quoi on parle ». Plutôt, dans ce moment où je suis amené moi aussi à « faire des bilans », proposer des histoires, faire retour sur des aventures épistémiques, je voudrai noter deux choses et me poser une question.
Noter d’abord que cet état de l’art est fait sous une double contrainte de cadre que se donne Béatrice Vacher. D’une part c’est une « approche SIC » ; d’autre part  c’est un questionnement SIC sur un état des travaux en « communications organisationnelles ». Dès lors, il y a dans ce texte une définition de corpus qui me semble faire symptôme de la difficulté –partagée- à construire ce double cadre. Je m’explique. L’approche « SIC », qui est à mon sens une approche « disciplinaire » (donc française, Boure 2007, Delcambre 2008), induit ici –dans ce travail -je conjecture !- très lié à une HDR, donc à la qualification disciplinaire- une réflexion au moins sur deux des trois notions du titre (« information » et « communication ») et, classiquement, reprend la question de leur « articulation ». On trouve donc ici l’évocation du positionnement que j’appellerai « initial » des SIC, qui faisait de l’information le contenu et de la communication le processus. Bernard Miège est ici évoqué, et l’interprétation langagière de Daniel Bougnoux est aussi signalée (contenu=énoncé ; processus=énonciation). C’est là qu’intervient ma première remarque : par l’évocation de ces auteurs (mais encore Jeanneret-Souchier) l’analyste quitte un point de vue compréhensif des acteurs se constituant comme « communications organisationnelles » et l’ethnométhode glisse en analyse -évaluation. Normal, dira-t-on, dès lors qu’un collègue se doit de « penser la discipline » à son tour, il doit situer et se situer disciplinairement. Dans ce texte, je crois lire qu’une partie du projet de l’auteur est de « réinjecter une pensée informationnelle » dans les approches de « communications organisationnelles », projet auquel je suis sensible de longue date : Béatrice Vacher rappelle donc l’intérêt des travaux de Metzger, Pédauque, pour prendre les auteurs qui ne se situent pas dans le sous -champ disciplinaire auto -affirmé ici étudié. Miège, Bougnoux, Jeanneret, Metzger, Pédauque… Belles lectures certes… mais aussi, par ces références mêmes, on pourra repérer la première série de « débordements SIC du corpus ». Si je le pointe, c’est pour préparer mon interrogation : est-ce que les collègues en « communications organisationnelles » se sont effectivement donnés comme contrainte de penser « information » et « communication » et leur articulation ». Qui, précisément ? –je n’ai pas la réponse, mais ce travail est faisable et amènerait à refaire un tri dans la très belle bibliographie qui fait ici le tiers de l’article.
Seconde remarque, la démarche de Béatrice Vacher l’amène à faire appel à un autre corpus qui donne de la qualité à son travail : le corpus que l’on dira « Canadien », pour aller vite. Or, -et je le dis d’autant plus que je viens de devoir travailler cette question (quelle histoire des « communications organisationnelles » au Canada et en France?) en confrontant mes analyses avec celle de J.R.Taylor (un handbook sur la communication organisationnelle sous la direction de Luc Bonneville et Sylvie Grosjean qui sera édité chez G.Morin l’an prochain)-, ouvrir ainsi le corpus additionne deux approches institutionnelles qu’il me semblerait préjudiciable de confondre, pour qui voudrait penser avec rigueur la construction des « disciplines » : le corpus canadien vise à affirmer une « discipline » -le projet est affirmé explicitement- qui articulerait les notions d’organisation et de communication ; en revanche, en France, on ne peut dire, bien évidemment, que « communications organisationnelles » soient une discipline –au sens institutionnel que Boure et moi lui donnons, mais il faut effectivement rappeler que les chercheurs français qui construisent ici cette appellation collective et s’en réclament –parfois- comme d’un sous -champ disciplinaire, sont quasi tous les « membres » de la discipline SIC. Dès lors, si l’on accepte de ne pas « importer » trop vite la manière canadienne d’articuler « organisation » et « communication »  … alors on fera le travail pour « comprendre » (sans l’évaluer aussitôt en fonction d’une norme SIC qui imposerait de traiter « aussi bien » l’information que la communication –or, je l’avoue, c’est ainsi que j’ai lu la première partie de l’article-) ceux qui contribuent au travail « com des orga sous les SIC ». Ce n’est pas simple. Je crois lire chez Béatrice Vacher l’idée que et la réflexion et le travail théorique de ces chercheurs se sont plus interrogés sur « communication » que sur « information », et qu’elle regrette notamment l’enchâssement » de la seconde dans la première. Cette analyse –si ce n’est pas une approche normative de sa part donc un reproche- n’est pas fausse dans sa globalité (les moments collectifs ont privilégié comme retour sur soi l’auto-analyse de ce que les chercheurs français des communications organisationnelles « faisaient de la communication »). Mais précisément faut-il conduire une évaluation « globale, ou le faire « par paradigmes » (Delcambre 2007) pour comprendre (avant d’évaluer) ? La position que j’essaie personnellement de construire est qu’il faut « ouvrir la boite » du sous -champ disciplinaire et aller voir précisément les approches pour comprendre le travail conceptuel qui fait « retour » sur la discipline.
Je m’explique en finissant par ma question : si l’on admet que les chercheurs français en communication des organisations ont tous un cadre disciplinaire qui met un jour ou l’autre à leur agenda (HDR, congrès de l’association française liée à leur discipline, formation des jeunes chercheurs, ouvrages) la question de « l’information » et de la « communication » et de leur « articulation souhaitée », et si l’on admet que les approches scientifiques des uns et des autres (ce que j’ai appelé paradigmes), dans leur diversité, n’avancent pas de la même manière, alors… ne peut-on penser qu’un certain nombre de chercheurs n’ont pas traité de « information », d’autres pas de « communication » à juste raison et comme une bonne manière d’avancer. Que certains ont pensé différemment et donc avec d’autres articulations, sans forcément aller jouer une articulation « à la canadienne » entre « organisation et communication », tentation du moment pour une génération de chercheurs. Je précise… -en tentant une hypothèse sur mon propre travail- : et si certains chercheurs, par exemple parce qu’ils avaient une perspective centrée non sur l’organisation (communicante) mais sur l’activité (communicationnelle ou informationnelle), ne pensaient plus -d’abord- avec les termes d’ »information » et de « communication », ces mots abstraits qui rendent difficile la pensée et la discussion parce qu’ils amalgament deux abstractions en même temps : tantôt en renvoyant par l’abstraction ordinaire du suffixe français « –tion » à des actions -processus, tantôt en renvoyant par une autre abstraction, construite elle par des acteurs sociaux et des chercheurs, à des catégories (que je dirai catégories de « formes » : données, textes, documents, articles de presse, produits médiatiques d’un côté, interactions, interactions cadrées, formes d’échanges pilotées, formes d’échanges appuyées sur des machines et redéfinissant les « acteurs »)… et s’ils pensaient plutôt les opérations  ? Quelle différence ? Dès lors que nous décrivons « informer/s’informer », dans les univers de travail, et toutes les opérations de l’activité individuelle et collective que les acteurs associeront à cette « classe d’opération », et « communiquer », et toutes les opérations de l’activité individuelle et collective, dans les univers de travail, que les acteurs associeront à cette « classe d’opération », alors, la charge de pensée qui est la nôtre –chercheurs- change : nous n’avons plus à penser l’articulation entre deux « natures » de produits et/ou de processus (une supposée information, une supposée communication à définir toutes deux) mais des combinaisons. Des combinaisons ? De fait, ces « classes d’opération » sont d’abord « vécues » et « pensées » par les univers de travail eux-mêmes comme manière de formaliser la multitude d’opérations que les acteurs sociaux et leurs machines « font », auxquelles ils « contribuent ».
Mais alors, fait-on encore des SIC ? Certes ! S’intéresser ainsi aux activités, c’est bien chercher à analyser la part informationnelle et communicationnelle des activités de travail des uns et des autres. Des recherches nécessairement situées, bien sûr (selon les « organisations » -au sens de structure sociale employant un « personnel » et à l’activité « orientée vers… »-, en fonction des dispositifs et de leur interprétation organisationnelle locale, selon les métiers et la distribution du travail, selon les charges que le travail et l’activité collective induisent…). Il nous reste aussi à étudier comment, dans leurs formalisations de leurs opérations de travail, les acteurs pensent pour identifier la puissance de ces constructions et continuer à nous en étonner dans l’effort qui nous fait suivre, comme chercheurs, plusieurs mondes à la fois.
Je ne peux que m’excuser, face à un travail ambitieux et d’ampleur, face à des interrogations pertinentes, informées de pans de littérature trop peu souvent signalés, face à des risques évaluatifs pris, forcément âprement discutables, de proposer ainsi des remarques et une question faites à chaud et à toute allure ! J’aimerai que l’on ne prenne pas ces propos comme « objection », mais comme « réouverture des conditions de discussion ». Ce que je viens de dire s’énonce sous forme de question (« Et si… ?), et tente d’ouvrir à une réflexion sur ce que nous développons épistémiquement par nos recherches, sur ce que nous faisons bouger des cadres disciplinaires hérités.

Références évoquées en cours de texte par Pierre Delcambre, autres que la bibliographie de travail de l’article commenté :

Boure, R., Les sciences sociales en France, E.M.E éditions
Delcambre, P., 2008, « Un état des recherches sur les « communications organisationnelles » en France (2000-2007) : l’âge de la transmission ? », Sciences de la société n°74, p.11-25
Etudes de communication, n°32, « L’activité aux prises avec les systèmes d’information », décembre 2009.
Giroux, N., 1994, “La communication interne: une définition en évolution”, Communication & Organisation n°5 « La communication interne, approches croisées », p.17-46
Taylor, J.R., Delcambre, P., (à paraître) « La communication organisationnelle : histoire, enjeux et fondements », in Bonneville, L., Grosjean, S., Communication organisationnelle :Approches, processus et enjeux, Gaëtan Morin Ed.

 

Brigitte Guyot, (DICEN, CNAM, Paris), A propos de l’article de Béatrice Vacher, 19 octobre 2009

L’initiative de B. Vacher ne peut qu’être saluée, comme entreprise visant à dresser un état de l’art des relations entre trois notions problématiques en SIC information–communication- organisation, ce qui semble d’autant plus important lorsqu’on s’intéresse aux échanges en milieu professionnel. Et comme toute initiative qui cherche à développer une vision globale sur la question, les commentaires ne peuvent que se multiplier.
Certes, vouloir repérer les définitions données par les chercheurs sur les termes information et communication paraît légitime dès lors qu’on s’attache à une vision surplombante des SIC, et l’on peut souscrire au besoin de fonder sa légitimité au sein de la communauté SIC en se retournant vers des notions fondatrices souvent reléguées dans la communauté « com-orga  » et considérées comme allant de soi. Par delà le fait de ranger les chercheurs en catégories, ce qui semble de bon ton dans une section disciplinaire qui, pourtant, affirme haut et fort l’importance de les travailler ensemble, je m’interroge sur le bien-fondé scientifique qui consiste à creuser cette opposition info/com, sauf à établir des distinctions commodes sur le plan méthodologique qui constitueraient alors un développement intéressant. Dès lors il est difficile d’échapper au risque de définitions par exclusion, ce que n’ont pas manqué de faire de nombreux auteurs cités.
Appartenant au champ de la « communication organisationnelle  » ou de l’ »approche communicationnelle des organisations « ,  ce qui inclut bien évidemment l’information, j’aimerais m’arrêter sur les relations infocom / organisation plutôt qu’entre information / communication. Sans critiquer le fait que Béatrice Vacher tienne à établir la différence entre ces dernières, il me semble intéressant de travailler le lien du couple info-com avec l’organisation qui me paraît somme toute moins travaillé dans cet article, alors même que nombre de ses écrits prouvent le contraire. On pourrait commencer par substituer à ces deux termes ceux de modes d’échanges, ceux qui existent entre des individus et des collectifs au travail, qui prennent des formes variées (tant orales qu’écrites), et qui mobilisent des objets (méthodes, règles, documents, techniques) devenus alors médiateurs dans l’action collective organisée, autre formulation de l’organisation. Cela a le mérite d’enlever l’ambiguïté de ce dernier terme, en distinguant l’organisation comme opération organisante de l’organisation comme entité – projet.
Or, étonnamment, l’auteur ne donne guère de définitions de ce concept, alors qu’elles figurent chez de nombreux auteurs (notamment chez Le Moënne), ce qui me paraît révélateur d’un certain malaise. Citons alors plusieurs travaux et interrogations récentes qui nous éclairent sur cette difficulté en rapportant ce qui peut paraître anecdotique mais qui traduit tout de même la perplexité des chercheurs à propos de ces termes et leurs propositions pour y échapper. Lors des préliminaires indispensables à la mise en place d’un groupe de réflexion – en l’occurrence sur la thématique document et organisation – ce dernier terme a été rejeté du fait de son ambiguïté – parle-t-on de l’organisation comme façon d’organiser, ou de l’organisation comme projet ? Il a été rejeté au profit du terme univoque d’entreprise (en insistant cependant sur le fait qu’il s’agit d’un ensemble de moyens orientés vers un but et qu’une administration est une entreprise c’est-à-dire qu’elle se traduit par des actes). L’organisation est alors ici l’opération d’organiser.
Dans la même ligne, un groupe de travail du CNRS avait travaillé lui aussi sur la relation organisation et information, mais il a abandonné très vite ce dernier terme au profit de celui de document auquel il a associé le terme d’action, parlant de document-action, afin de se dégager des ambiguïtés propres à ces concepts fourre-tout. Enfin, les réflexions du groupe RTP-doc dont Pédauque (et surtout JM. Salaün) s’est fait le porteur avec le concept de « redocumentarisation « , a résolument abandonné le terme d’information, considéré  comme trop vague et trop ambigu, au profit de celui de document. Il y a donc bien, dans notre champ, plusieurs détours, revendiqués, pour contourner ces expressions et en trouver d’autres qui semblent plus adaptés à la thématique organisationnelle.
Par delà le fait de devoir décider si l’information est un signal transformant les connaissances, une norme ou encore une forme (mais est-ce exclusif ?), il semble en effet intéressant de s’appuyer sur un « observable  » lorsqu’on veut saisir les dynamiques, individuelles et collectives, donc sociales, mais aussi « organisationnelles « , puisque cet objet est pris dans des processus de création de règles et de mises en formes, notamment sémiotiques, structurelles et techniques. C’est bien l’une des activités d’une entreprise que d’organiser ses moyens en fonction des buts qu’elle poursuit. Cette démarche d’empirisme méthodologique constitue l’une des tendances de notre champ selon laquelle, si l’on veut travailler les articulations, il convient de porter attention aux objets qui permettent de mettre en relation, voire en tension, ce qui gouverne les individus et ce qui est érigé en mode de management. C’est dans ce sens que j’interprète les termes d’articulation puis de « croisements  » de la partie 4. Quant aux deux approches relevées – l’une par le document et l’autre par le projet, elles me semblent procéder de la même logique, qui s’appuie sur des observables pour approcher les activités ordinaires et, surtout, les mettre en lien avec le facteur organisant.
Mais alors, si l’on s’intéresse l’activité de travail et donc à l’action collective située, on ne peut la réduire à des oppositions comme « médiation humaine/actancielle, interprétation/compréhension ou encore communication instrument / information langage « . Le souci de lier l’organisation et communication, tout en maintenant la distinction information et communication, a pour une autre conséquence, celle de laisser de côté les aspects proprement gestionnaires. Il est intéressant de les approcher en tant que facteurs organisateurs de cette activité info -communicationnelle propre à l’univers de travail : peut-être faut-il décrypter ainsi ce creux, qui serait finalement l’une des acceptions des termes d’organisation ou d’organisations fréquemment utilisés dans le texte. Partir de l’activité de travail, qui est en effet croisement et agencement de moyens, tout comme l’est celle qui consiste à informer, à s’informer, à échanger, oblige à considérer les places et les rôles dévolus ou choisis par les acteurs, ce qui est bien un effet organisationnel ; cette démarche montre une interaction permanente entre règles et formes info -communicationnelles, entre des règles prescrites et l’activité même qui s’appuie sur elles, les transforme et en crée de nouvelles. Cette activité « communicationnelle  » est tout autant organisante qu’organisée. D’où l’intérêt de travailler sur les processus de création de formalismes et de normes.
D’où l’intérêt, également, de préférer l’expression de communication organisante à celle de communication des organisations, qui paraît induire une partition et une réduction de l’organisation à un contexte surplombant. J’ai été surprise, à cet égard, de ne trouver à aucun moment le terme d’acteur, (au profit du sujet et de l’individu). Or celui-ci a, me semble-t-il, le mérite de mettre l’accent sur deux points : sur une capacité individuelle à agir et à se doter de moyens pour agir en contexte orienté et encadré, ainsi que sur le rôle des personnes, ce qui permet de qualifier leurs actions les unes sur les autres. Dans notre champ, il s’avère très fréquemment utilisé afin de signaler que l’activité est organisée. Il l’est aussi dans l’ensemble de la littérature SIC, ne serait-ce qu’avec le concept de stratégies d’acteurs.
Enfin, l’une des caractéristiques des chercheurs d’Org&Co est de travailler aux marges d’autres disciplines, notamment des sciences de gestion, d’autant que Béatrice en est issue et s’intéresse au « nouage  » conceptuel. J’ai pu regretter ici l’absence de références aux emprunts qui sont faits de nombreux concept et aux façons dont les auteurs s’en démarquent. Il serait bien intéressant de s’y consacrer dans un autre article.

Références :

Document et organisation, 2005, Action spécifique CNRS, RTP-doc, http://rtp-doc.enssib.fr/IMG/pdf/AS-Doc_Org.pdf
Holzem, Maryvonne, Labiche, Jacques, eds., 2004 Document et Organisation : semaine du document numérique, Paris : Europia 101p. ISBN
Le Moënne, Christian, 2004, présentation du dossier Systèmes d’information organisationnels ?, in  Sciences de la Société n° 63.

 

Béatrice Vacher, réponse partielle aux critiques de l’article « Articulation entre communication, information et organisation en SIC », 2 novembre 2009

Je remercie mes collègues qui ont du réagir en peu de temps à ce travail de synthèse forcément incomplet. Bernard Miège m’avait en effet précisé qu’il demanderait à d’autres membres de la discipline de réagir à cet article avec un droit de réponse pour moi. Je crois que les remarques, questions et critiques sont des ouvertures à la discussion. Je n’y réponds donc pas tout de suite, laissant ainsi réagir d’autres lecteurs qui le souhaiteraient.
Je relève toutefois immédiatement un élément, celui du positionnement de la communication organisationnelle. Le travail que j’ai tenté ici était plus large et disciplinaire comme le remarque un de mes lecteurs. J’ai intégré les recherches canadiennes, comme je l’ai fait d’autres références n’appartenant pas à notre discipline, pour préciser des concepts dont les fondements avaient d’autres origines que les SIC françaises mais que ces dernières mobilisent de plus en plus. C’est le cas des concepts d’action située, d’activité, d’actant, d’agency (c’est-à-dire que l’acteur n’est pas seulement humain), d’apprentissage organisationnel, de communautés de pratiques, de projets, de routine, de travail d’articulation.
Je précise également que j’ai entrepris cette recension d’abord pour moi, pour clarifier les concepts que je mobilise dans mes recherches. Ma seule contribution conceptuelle arrive en toute fin d’article où je propose de parler d’agencement et de reconnaissance de capacités mutuelles qui me paraissent des termes plus précis et adaptés à nos recherches en Sciences Humaines et Sociales que les termes de dispositifs et d’intelligence collective que mobilisent aussi, en les travaillant différemment de nous, nos collègues en Sciences de l’Ingénieur et en Sciences Cognitives.
En remerciant à nouveau la revue de nous permettre ces discussions,
Gijón, le 2 novembre 2009.

Auteur

Béatrice Vacher

.: Chercheur associé au CHERPA, IEP Aix-Marseille. Ses recherches portent sur l’agencement organisationnel et communicationnel des activités d’information pour rendre compte de la puissance de la parole ordinaire au travail. C’est une posture interprétative qui articule pratiques et théories à partir de questions de terrain (rôles et statut des tâches de manutention de l’information, places respectives des TIC et des instruments de gestion au niveau de l’action collective.