-

L’information sur la santé en Algérie. Étude d’une expérience réussie mais isolée

26 Mar, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Merah Aissa, « L’information sur la santé en Algérie. Étude d’une expérience réussie mais isolée », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°10/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2009/varia/05-linformation-sur-la-sante-en-algerie-etude-dune-experience-reussie-mais-isolee

Introduction

Si l’état de santé et les indicateurs sociosanitaires des populations sont les indices de l’évaluation du niveau de vie des sociétés, la thématique de santé devrait non seulement figurer dans l’agenda médiatique mais surtout l’animer. D’ailleurs, les sujets de santé ont toujours constitué des moments de discussions politiques et scientifiques. Leur importance les a fait sortir du sous-espace clos et intime caractérisé par la discrétion pour s’approprier un nouvel espace : l’espace public. Un espace où les médias, traditionnels et nouveaux, consolident leur statut d’animateur. C’est ainsi que les «questions de santé ont connu dans l’espace médiatique une double transformation, quantitative dans leur degré de visibilité sociale et qualitative dans leur politisation» écrit Jacques Gerstlé (1999, p. 63).
Le développement de cette thématique dans plusieurs pays où elle constitue un champ médiatique à part et un objet de recherche en sciences de l’information et de la communication nous pousse à nous interroger sur sa réalité en Algérie. L’ampleur de la crise sécuritaire et économique a engendré une situation sanitaire critique caractérisée par la détérioration de l’état de santé des populations. En effet, «la réalité sociosanitaire est définie par une double transition, démographique et épidémiologique, qui bouleverse le champ de la santé. » explique Abdelkrim Soulimane dans un article sur la promotion et l’éducation pour la santé. (2008, p.35-38) Une simple visite d’un «profane» dans un hôpital suffira pour constater que l’accès aux soins n’est pas toujours garanti et la qualité de la prise en charge n’est pas à envier. C’est aussi l’avis de spécialistes qui émettent un avis négatif et que l’apparition de nouvelles maladies chroniques et mentales ne fait que confirmer. Dans leurs écrits portant sur la santé, les journalistes confirment cette impression négative. De leurs articles sur la santé dans ses différents aspects se dégage une impression négative. Tous ces indicateurs sociosanitaires, au rouge, démontrent la gravité de la situation aboutissant à l’élargissement des catégories et des zones de vulnérabilité sanitaire. La santé peut donc fournir une thématique et une matière à traiter en priorité et en toute urgence. En découvrant l’expérience et la pratique actuelles des médias algériens dans le domaine, l’exploration du champ médiatique et le dépouillement des produits qui y sont diffusés et publiés, ont permis de faire des constats et de formuler des hypothèses convergeant sur l’état embryonnaire de ce désormais champ journalistique « à part » pour emprunter le qualificatif de Dominique Marchetti (2007, p.71-90).

Problématique

«Au moment où les enjeux de la santé pèsent lourdement sur les choix de société, la presse va se trouver sollicitée de plus belle par tous ceux qui interviennent dans le domaine de la santé», Jean-Daniel Flaysakier présente ainsi le rôle croissant de la presse dans la santé. Un rôle qui ne se résume pas à l’information s’appropriant un nouvel espace qui n’était pas le sien il y a quelques années. Selon toujours cet auteur «la presse, surtout depuis l’irruption du sida, est devenue l’un des acteurs de la santé publique. À elle de savoir le rôle qu’elle a envie de jouer» (1997, p.142). Ces passages insistant sur le lien entre santé et médias correspondent à l’enjeu que devait présenter cette thématique en Algérie. En effet, la situation sanitaire qualifiée de critique devrait occuper une place prépondérante dans l’espace public, surtout avec l’expression de nouveaux besoins d’information sur la santé. La médiatisation de certaines questions de santé publique en Algérie a permis de soulever des problèmes sanitaires, de sensibiliser les populations sur des épidémies et de dévoiler des affaires comme le sida, le tabagisme, la négligence médicale, …etc. Mais «certains problèmes aussi graves sur le plan de la santé publique ne sont jamais constitués en crises ou en affaires…», comme le précise Emmanuel Henry, auteur d’une enquête sur les « difficultés des médias d’information à se saisir de la question de l’amiante» (2003, p.237-272). C’est le cas en Algérie de la santé mentale, de l’éducation sexuelle et des maladies chroniques. Le problème qui nous intéresse ici est l’information sur la santé destinée au large public et non pas le diagnostic de l’état du système sanitaire. Nous nous interrogeons sur la couple santé/médias en Algérie en nous intéressant particulièrement aux traitements journalistiques des sujets de la santé dans la presse écrite algérienne d’information générale. C’est une mission que la presse quotidienne nationale (PQN) est censée assumer en offrant une présence et une visibilité suffisantes des sujets sur la santé dans leurs productions journalistiques. Les productions journalistiques peuvent susciter plus d’intérêt et de débat chez les lecteurs, les journalistes et les sources médicales professionnelles et les tutelles concernées, et ainsi faire de la santé un thème déterminant de l’espace public.
Quelle est la réalité du traitement journalistique des sujets sanitaires par la presse quotidienne nationale en Algérie?
Pour répondre à cette question, nous envisageons plusieurs éléments journalistiques qui sont liés soit aux pratiques professionnelles, soit aux aspects rédactionnels. L’étude des thématiques de santé dans la PQN nous a permis de dresser la liste des thèmes abordés. C’est à cette occasion que nous avons retenu les écrits de Djamil Kourta. Cette journaliste, reconnue par ses confrères, les professionnels de santé et les lecteurs, publie régulièrement dans le quotidien de langue française, El Watan. Ses écrits journalistiques sont présentés par plusieurs professionnels de la presse et de la santé comme «une expérience réussie mais isolée». Compte tenu de ces appréciations élogieuses, le traitement et l’analyse de ces écrits nous semblaient indispensables Notre objectif ici est plutôt découvrir la nature du traitement journalistique des sujets de santé en Algérie.
Pour étudier la thématique de la santé dans les médias algériens, il nous faut revenir sur le système médiatique algérien et le triangle sensible médias/santé/politique. Notre enquête ne prétend ni dénigrer le professionnalisme des journalistes ni envisager une opération Hitting the headline, (Ducol, 2006, p.102) à l’algérienne visant la surveillance des Une de quotidiens d’information de large public. Elle a pour but de dépouiller un corpus par le moyen d’une analyse thématique catégorielle des contenus des articles tout en focalisant l’analyse sur les techniques rédactionnelles et les tournures de style journalistiques utilisées. Si « les relations entre sciences et médias sont loin d’être pacifiées» (ibid), et que les procédés d’écritures à mi-chemin de la communication scientifique spécialisée et l’information grand public, alors, comment la journaliste est-elle parvenue à combiner ces deux aspects ? Comment se manifestent dans la presse les deux aspects antagonistes que représentent l’hégémonie scientifique et la vulgarisation journalistique ?

Eléments de méthode

Notre étude est divisée en deux parties. Dans un premier temps, nous avons analysé qualitativement le discours journalistique portant sur la santé à travers un échantillon d’articles de quatre journaux d’information générale : El Watan, El Khabar, El Moudjahid, El Chaab. Dans un deuxième temps, nous avons procédé à une étude de cas de l’information sur la santé et ce, à travers les écrits d’une journaliste exerçant dans l’un des quatre quotidiens : El Watan. La première partie de l’étude s’attache à analyser qualitativement des contenus journalistiques et ce, en examinant plusieurs éléments et facteurs du métier de l’information de presse : sujet, fréquence, genre, placement et taille. L’analyse a été réalisée sur un corpus constitué de quatre titres de PQN durant la période du 2 janvier au 31 mars 2008. Trois facteurs ont été retenus pour la constitution d’un échantillon représentatif : la langue, la propriété et la tendance politique. Pour la langue, nous avons retenu deux titres arabophones et deux titres francophones. Quant à la propriété, nous avons retenu deux quotidiens publics et deux autres privés. S’agissant de la tendance politique, deux titres progouvernementaux et deux autres plutôt critiques. La période de l’étude retenue a coïncidé avec les mouvements de grève de la corporation de la santé et la célébration de plusieurs occasions ou journées (nationales et mondiales) dédiées à des catégories sociales ou de lutte contre des maladies. Il est aussi à signaler le caractère périodique de plusieurs manifestations médicales. Certes les grèves et les célébrations des événements médicaux donnent lieu à des sujets qui perturbent le caractère régulier de l’échantillon et de la période de l’étude, mais il n’en reste pas moins qu’il est intéressant d’examiner la réaction de la presse à des événements où la santé figure dans l’agenda médiatique.
S’agissant de la deuxième partie, elle est donc consacrée à l’analyse qualitative des écrits d’une journaliste du quotidien El Watan. L’analyse a porté surtout sur les éléments de l’écriture journalistique. Nous avons insisté sur le côté technique de l’information médicale et de la rédaction. L’examen s’est focalisé sur les procédés rédactionnels ayant permis aux articles une interaction réussie de deux dimensions difficiles à agencer : le journalisme et la santé.

Ressources théoriques relatives à l’information sur la santé

Développement d’un champ journalistique

Nous ne pouvons pas revenir ici sur l’historique de la consécration de ce champ journalistique car le thème a fait l’objet de plusieurs colloques et productions en ouvrages et en revues scientifiques. (Mathien, 1999 ; Ogrizek et ali, 1996). Notre travail porte surtout sur le processus de passage de la médecine comme sujet réservé à une élite de scientifiques et de professionnels médicaux pour devenir un sujet journalistique dans de pages de la presse d’information générale à la portée «des profanes». La visibilité de la thématique santé dans les médias et leur agenda montrent que tout malade/usager réel ou potentiel du système de santé est à la recherche de la guérison et de la prévention mais aussi d’une «bonne» information. «S’interroger sur la place des malades dans l’espace public et sur les modalités de visibilité et de construction des «maladies» nécessite d’opérer un déplacement. En mettant l’accent sur les «malades » plutôt que sur les autres acteurs du secteur de la santé (les scientifiques, les chercheurs, les médecins, les spécialistes…)» précisent Benoit Lafon et Isabelle Pailliart (2007, p.7).
Les auteurs ont mis l’accent sur la reconnaissance du malade et sa transformation en acteur de «sa santé» et la professionnalisation de sa situation de patient avec ses témoignages, son intervention dans le champ du journalisme spécialisé en santé. Cette posture d’acteur acquise par le patient a contribué au passage des problèmes de santé du registre et du coin de l’intimité, de la discrétion et de la vie privée à l’espace public. Selon ce point de vue confirmant les transformations des champs et des pratiques journalistiques, une grande plume française de la presse spécialisée en santé, É. Favereau résume ces mutations dans un article de grande valeur scientifique : «De l’information médicale à l’information santé» (2005, p.21). L’auteur et journaliste revient sur l’historique de la naissance et l’instauration d’un champ journalistique de la presse d’information à large public en précisant: «Au commencement, le journaliste était volontiers médecin et parlait aux médecins. Puis (on a observé) l’apparition successive du mouvement féministe (années 70), de l’épidémie de sida (années 80) et des grands scandales de santé publique (années 90)» (Ibid).
Dans un dossier spécial Information et santé, l’éditorialiste de la revue Les Tribunes de la santé, écrit que « La société de l’information submerge le système de santé. Les digues édifiées sur le secret médical et le colloque singulier menacent de céder sous le déferlement de l’information sanitaire» (Les Tribunes de la santé, 2005, p.3).Autrement dit, la thématique de la santé qui n’est plus le monopole d’une corporation s’est élargie et est devenue accessible au citoyen ordinaire. L’importance de la thématique de santé s’est imposée dans l’agenda médiatique et rivalise désormais avec le politique et le social dans la PQN d’information générale. Le développement de ce champ journalistique est visible avec le fait que « la santé est mise en scène chaque jour sur la place publique par les médias » (Ogrizek et ali, 1996, p.5) et avec « l’évolution de la notion de la santé définie comme un état de bien-être physique, mental et social et comme une ressource tant pour l’individu que pour la collectivité » selon la définition de l’OMS.
Michel Mathien insiste sur la visibilité des sujets portant sur la santé dans les médias. Pour lui, « constater que la santé est devenue un secteur particulièrement privilégié dans les champs d’observation et d’investigation des grands médias, signifie qu’elle est sortie, par bien des aspects, des milieux professionnels et spécialisés» (1999, p.16). C’est aussi le constat de Patrick Champagne qui « observe, au cours des années 1980 et 1990, un fort développement de l’«information médicale » dans les médias d’information générale, dans la presse médicale et dans la presse spécialisée» (1999, p.51). Il faut aussi reconnaître que d’autres facteurs ont suscité l’intérêt des lecteurs pour la santé : l’avènement de la société de communication et celui de l’implication citoyenne active et exigeante. Après de longues années de sacralisation de la médecine et des médecins, le temps des scandales médicaux est venu avec une multitude d’affaires et d’enquêtes où la presse, essentiellement généraliste, a révélé les limites de la médecine moderne et les insuffisances de la corporation et d’un métier.
Deux études importantes sont à citer ici, celle de Marchetti et Champagne « L’information médicale sous contrainte » (1994, p.40-62) et de celle de Marchetti et Poupeau « Les révélations du « journalisme d’investigation » » (2000, p.30-40). En effet, les sujets de la santé même, avec la seule perspective médicale et scientifique, sont traités comme les autres thématiques. Dans un article sur la santé publique et la responsabilité des médias, J.D. Flaysakier indique que « cette médecine tant adorée est devenue vile, ses acteurs des vampires assoiffés d’argent, des criminels, des assassins. Les hôpitaux sont devenus des machines à bavures, la suspicion a remplacé la confiance» (1997, p.135). Face à cette situation « inquiétante », les usagers du système de santé s’organisent et surtout dénoncent. C’est ainsi qu’un nouvel aspect du couple santé/médias s’impose à savoir les préoccupations du malade et de son rôle revendiqué. A ce sujet, Janine Barbot précise qu’« aujourd’hui, les malades et leurs associations « ont changé » au point que «l’activisme thérapeutique a eu pour enjeu et pour conséquence de participer à la redéfinition des frontières entre science et espace public» (Barbot cité par Lafon et Pailliart, 2007, p.9).
Ces avancées dans la conception de la santé et de son traitement médiatique ont engendré de nouvelles rubriques thématiques et de nouveaux sous- champs journalistiques : information médicale et information sur la santé. Pour Annick Zappala, ces deux types d’information cohabitent dans deux espaces intimement liés, en complémentarité et en concurrence : un espace public sociétal pour l’information sur la santé et un espace spécialisé pour l’information médicale. Pour cet auteur et journaliste, «le thème de la santé présente deux types d’espaces : un espace public sociétal et un espace spécialisé et offre, de ce fait, l’opportunité d’étudier leur confrontation. Le premier est, en grande partie, animé par les médias et la presse d’information générale, le second l’est par les médias spécialisés propres à la communauté scientifique» (Zappala, 199, p.182). Le journalisme, considéré comme le descripteur d’une situation donnée, devrait être non seulement l’informateur mais surtout le prescripteur. Certes le binôme médias/santé est toujours difficile à gérer, mais leur interaction et leur complémentarité sont à rentabiliser en matière d’information et de médiation. L’émergence d’une nouvelle forme de culture générale sur la santé puisée des médias est d’ailleurs indéniable. Ce constat est aussi fait par Olivier Laügt qui considère que « depuis les années 1980, marquées par l’apparition et l’identification du sida, les pays développés semblent avoir acquis une nouvelle forme de culture épidémique, garantie par le discours médiatique» (2006, p.87).
Pour terminer cette présentation d’un champ journalistique dont l’enjeu est grandissant notamment lors des scandales sanitaires et des échéances politiques, nous insistons sur la logique journalistique, à la fois dramatisante, et qui s’oppose souvent à celle des pouvoirs publics, et rassurante. Ce qui transforme les sujets de santé de problèmes de santé publique en problèmes publics. Les travaux sur la construction médiatique des problèmes publics confirment ce processus dans le domaine de santé avec les nombreuses «affaires »: la vache folle, l’amiante, le sang contaminé et la canicule de 2003.

L’écriture journalistique sur la santé

Le binôme santé/médias sollicite des compétences rédactionnelles spécifiques puisées dans la vulgarisation scientifique et ses procédés explicatifs. (Reboul-Touré, 2000 ; 2004). C’est une particularité due à la complexité de ce champ rassemblant les sujets de santé avec des visions et des sources disparates. La santé c’est du sérieux : improvisation et légèreté sont inadmissibles. En raison de la complexité des sujets, le journaliste, même spécialisé, recourt toujours dans sa production, à la médecine et aux médecins. Ce rôle central des médecins dans la production médiatique a été d’ailleurs signalé dans un article sur le cancer et ses récits dans lequel ses auteurs ont mis l’accent sur «la sphère médicale qui structure la production d’articles, autour de figures centrales, celles du scientifique et du médecin pour l’essentiel. La production médiatique s’organise autour de cette prédominance de la sphère médicale» (Azeddine, Balicco, Pailliart, 2008, p.4). Ces caractéristiques rédactionnelles interviennent toujours dans un contexte offert par un système médiatique et un état des lieux du secteur de la santé. Dans tout traitement journalistique de santé, se pose en premier lieu le problème du choix des sujets. En réalité, traiter un sujet implique d’avoir effectué un choix. La question du choix du sujet est fondamentale, bien que cet aspect soit méconnu du public. Le journalisme occidental a réglé cette question par la combinaison de deux principes liés, celui de la proximité des attentes du public et celui de la sélection dépendant des priorités du journaliste et du rédacteur. (Agnès et Croissandeau, 1979, p.73)
Compte tenu de la spécificité de la thématique, ce sont souvent des médecins ou scientifiques médicaux qui sont prescripteurs. C’est pourquoi la production journalistique spécialisée présente une combinaison de deux logiques exclusives : la première est médicale, caractérisée par son exactitude scientifique, et la seconde est journalistique, caractérisée par son souci de médiatisation.

La santé et les médias en Algérie

Période coloniale

L’introduction de la médecine scientifique ou moderne en Algérie a eu lieu avec la colonisation française bien que des ouvrages d’histoire parlent de l’existence de la pratique médicale bien avant 1830. Cette pratique « est très ancienne et plusieurs écrits témoignent de cette activité bien avant la colonisation française» lit-on dans un site Internet de Santé en Algérie, «www.santemaghreb.com»(1). L’animateur de ce site indique que la médecine moderne a été introduite par l’armée française avec l’installation des premiers hôpitaux dès 1833 et surtout avec la création d’écoles de médecine. La première a été installée par l’armée française en 1931 et la seconde, l’école de médecine et de chirurgie d’Alger, a été créée en 1855. Le développement de cette dernière a donné naissance à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie d’Alger en 1909. Cette Faculté a formé l’élite du corps médical algérien. Malgré l’existence d’hôpitaux et de la Faculté de médecine, l’accès a été pour longtemps réservé aux français puis modestement ouvert à quelques algériens privilégiés.
S’agissant de la presse spécialisée dans la santé, «La gazette médicale» est le premier mensuel créé par un médecin militaire en 1856. La dernière revue à avoir été créée est le Sahara médical. Un inventaire de ces organes spécialisés fait état de 22 périodiques de différentes périodicités et dont la majorité a disparu après l’indépendance (Sif Islam, 1982, p.40). Certes, les rédacteurs et les propriétaires étaient des français mais les sujets traités étaient souvent puisés dans la réalité des populations et surtout traitaient des maladies et d’épidémies infectant les larges populations. Le traitement était strictement scientifique et médical portant sur les études et les recherches empiriques et les expériences réalisées sur ces populations.
Quant à l’information sur la santé produite par les quotidiens français de l’époque, la recherche bibliographique effectuée lors de l’exploration ne nous a offert aucune étude ou enquête. Toutefois, les historiens de la presse coloniale en Algérie ont souligné que la presse française a toujours ignoré les préoccupations des populations «indigènes». (Ihedadene, 1991, p.9-92). Les « rares » traitements ont été donnés sous forme de faits divers. En effet, toute enquête de fond sur l’état de santé des populations autochtones aurait été une remise en cause de la colonisation, notamment en matière de l’égalité dans l’accès aux soins entre la minorité de colons et la majorité d’indigènes.

Période post-indépendance

A l’instar de tous les pays en voie de développement, beaucoup d’efforts de l’Etat ont été consentis pour l’amélioration la santé des populations. Ces efforts ont abouti à l’élargissement de l’accès aux soins, à l’encouragement de la santé de proximité, à la gratuité de la médecine, aux compagnes de vaccination et de dépistage et à la couverture sociale. L’examen des graphes comparatifs des indicateurs sociosanitaires des populations et des maladies et des épidémies à déclaration obligatoire nous permet de confirmer que des évolutions significatives ont réalisées (2). C’est aussi l’évaluation effectuée par l’OMS qui classe l’Algérie en 81ème place en matière de qualité des soins dans le monde. Dans un document définissant la stratégie OMS de coopération avec l’Algérie 2002-2005, cet organisme décrit l’état sanitaire et les conditions de santé en mettant l’accent sur plusieurs évolutions. «L’Algérie est dans une phase de « transition épidémiologique », caractérisée par une diminution des maladies transmissibles endémiques, des maladies contrôlables par la vaccination et des anthropozoonoses» (OMS, 2002-2005).
Certes des avancées considérables en matière de santé publique ont été réalisées, mais celles-ci se heurtent toujours à des difficultés liées au contexte de la mondialisation et à « des contraintes, exogènes et endogènes, qui altèrent l’efficacité et les performances de son système de santé » estime Abdelkrim Soulimane avant d’expliquer que «les perturbations que connaît le pays sur les plans politique et socio-économique exercent une influence de plus en plus grandissante sur l’état de santé des populations et notamment les plus défavorisées »(Soulimane, 2008). Le même constat est souligné par le docteur Mohamed Boudarene qui fait une évaluation de la situation sanitaire. Pour lui, « l’état de santé de notre système sanitaire, est mauvais. Nous ne savons pas si la médecine est gratuite ou pas dans ce pays. Le service public est obsolète et ne répond pas aux normes élémentaires pour une prise en charge digne du malade. L’accès aux soins est quelques fois impossible, notamment pour tout ce qui a trait à la chirurgie. La presse en a justement largement parlé en particulier en ce qui concerne la gestion des médicaments» (3) .
A propos de la presse spécialisée, une étude de valeur mérite d’être citée ici. Il s’agit d’un mémoire de magistère sur le journalisme spécialisé en Algérie (Bouchama, 2002, p.70) dans lequel l’auteure revient sur le parcours de la presse médicale, de la presse de large public et de la presse professionnelle. La période post-indépendance a été divisée en deux moments dont les repères sont la constitution de 1989 et le code de l’information de 1990. Le premier moment a connu la création de 17 périodiques spécialisés destinés aux professionnels de la médecine de différentes périodicités. Les sujets traités sont strictement médicaux. Les rédacteurs diffusent essentiellement les études et les enquêtes médicales réalisées dans les différentes spécialités médicales et chirurgicales. Tous les titres ont été créés et financés par des institutions sanitaires publiques sous couverture du ministère de tutelle. L’étude citée n’évoque pas le tirage, mais vu le niveau des contenus et la taille des effectifs de la corporation médicale, le nombre des exemplaires tirés ne saurait être important.
Le deuxième moment commence en 1990 et se continue jusqu’à nos jours. Si cette période a bouleversé le système médiatique, la presse médicale n’a pas tiré profit de ses changements. Bien que cette phase ait connu la création de 25 périodiques spécialisés en santé, en comparant ce chiffre au nombre total des titres publics ou privés, l’acuité de la situation nécessiterait plus d’intérêt et de professionnalisme. La nouveauté de la période est marquée par la naissance d’une presse spécialisée en santé mais destinée à un large public. Actuellement, le nombre des périodiques publiant se monte à 24 périodiques sur un nombre total de 74 créés depuis 1956, c’est-à-dire depuis la création de « La gazette médicale » jusqu’à celle de «La Nouvelle revue médicale» créée en 2008. Ces revues sont confrontées à des problèmes de financement en raison du nombre réduit de ventes et de l’absence de publicité. Ces contraintes financières ont influencé négativement la périodicité de l’édition, la qualité des supports et la stabilité des équipes, surtout de la presse privée.

L’information sur la santé : La santé dans l’espace public médiatisé

Tout d’abord, il nous faut revenir sur le système médiatique, les pratiques informationnelles et l’interaction du trinôme médias/santé/politique. Ensuite, pour traiter du thème de la santé dans l’espace public médiatisé en Algérie, post-indépendance, nous recourons à un passage sur l’histoire du champ journalistique spécialisé en santé en France et en occident en général afin d’insister sur un dénominateur commun qui le caractérise : le parcours mouvementé. C’est ce que souligne aussi Éric Favereau «Le traitement des questions de santé dans la presse généraliste quotidienne a connu une histoire mouvementée» (2005, p.21).
La période d’avant 1989 est caractérisée par un discours triomphaliste pointant sur l’augmentation des infrastructures réalisées, et sur l’amélioration de la situation sanitaire. L’exploration bibliographique de cette période ne nous a pas offert de sources fiables en matière d’archives ou d’études antérieures. Les institutions sanitaires ne disposent pas d’archives officielles ou de revues de presse. Le même constat est fait dans les rédactions de journaux où les services d’archives et de documentation journalistiques n’ont pas consacré des dossiers de presse pour les sujets de santé. Toutefois, quelques études ont été réalisées sur la communication sociale dont les thématiques sont liées à la santé. C’est le cas de la planification familiale et de l’hygiène alimentaire. La scène médiatique de cette période a été muselée par la nature hybride du régime de presse, dont les caractéristiques sont puisées aux régimes totalitaire et communiste. Devant la spirale du silence imposée par les orientations politiques et la rétention de l’information officielle et réelle, la difficulté d’accès au terrain, les journalises ont hésité de traiter les questions épineuses telles que la santé. Pour l’Etat, la santé a été et demeure toujours un sujet médiatique névralgique et toute information sur un problème de santé et sa médiatisation le déplacent du domaine sanitaire à celui du politique. Ce glissement vers le politique, l’Etat et ses institutions l’ont appréhendé avec méfiance et l’ont considéré comme une remise en cause de choix stratégiques des pouvoirs publics dans un domaine élémentaire.
En présence de toutes ces données structurelles et professionnelles du système informationnel, il est impossible de qualifier d’espace public une scène où la liberté, le traitement de fond et les perspectives contradictoires sont inexistants. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas parler d’espace public en raison de l’absence de deux de ses conditions et critères élémentaires : la liberté d’expression et l’ouverture médiatique. Le dépouillement d’une vingtaine de numéros de deux quotidiens nationaux datés de 1987 et 1988 n’a offert aucun exemple d’article évoquant «négativement» la santé. D’ailleurs, s’ils traitent d’une épidémie ou d’une difficulté, les articles sont relégués aux pages internes et réduits à des brèves. Le sujet de la santé, traité comme étant un problème, n’est qu’un prétexte pour justifier une décision sur la gestion du système ou pour mettre en avant une réalisation, voire seulement des projets. Par exemple «l’ouverture d’une maternité dans une zone rurale vient pour réduire les dangers des complications lors des accouchements.» Ici, la presse n’a jamais parlé de l’inexistence de maternité et du calvaire des accouchements. Ou encore «les nouveaux spécialistes affectés dans les cliniques renforceront le principe de la santé de proximité» alors qu’aucun titre n’a évoqué auparavant un quelconque problème de déficit.
Certes, l’ouverture politique et médiatique instaurée par la constitution de 1989 et le code de l’information de 1990 ont changé les données et surtout la vision du lien entre la santé et les médias. Mais des facteurs politiques, journalistiques et médicaux, ralentissent l’émergence d’un champ journalistique sur la santé en Algérie. Toutefois, l’accélération de l’actualité politique, les mutations sociales et les transformations du journalisme ont offert beaucoup de dénominateurs communs avec le processus de naissance et de consécration d’un nouveau journalisme portant sur la santé. Toutefois, si en France c’est avec « les impulsions de la télévision des années 1960, que la santé est devenue un domaine banalisé d’intervention des médias » (Romeyer, 2007, p.51), en Algérie, ce mérite revient à la presse privée. En effet, cette presse qui a refusé d’intégrer l’appareil médiatique de l’Etat, a «osé» critiquer système sanitaire en insistant sur ses limites, ses erreurs et ses scandales. C’est ainsi que de plus en plus nous assistons à la confrontation de deux visions -une gouvernementale rassurante et l’autre médiatique dramatisante- souvent diamétralement opposées. Cette confrontation de logiques est visible dans les appréciations sur la réalité du secteur et dans les perceptions des problèmes liés à la santé faisant l’actualité et ce, surtout quand il s’agit d’épidémies dont la genèse est «gênante» pour l’Etat comme l’insalubrité, la pauvreté, et la malnutrition. C’est le cas des maladies disparues ou des maladies des pauvres comme la tuberculose, la typhoïde,…etc.
Si «la presse cesse d’être ce qu’elle fut exclusivement pendant les décennies 1950 et 1960, le simple porte-parole du progrès médical» (Favereau, 2005, p.24), en Algérie elle est passée directement à l’information sur la santé sans transiter par la communication médicale, et ce faute de recherche en médecine et de publications scientifiques spécialisées. Il est aussi à souligner que le manque de données empiriques et de statistiques sur les sujets de santé permettant des traitements de fond, dans un genre rédactionnel travaillé et documenté, contraint les journalistes à recourir à des genres limités en information. Le traitement souffre d’un déficit en matière de données empiriques et de résultats scientifiques médicaux, et il ne peut pas offrir de bons exemples d’écrits journalistiques sur la santé. C’est pourquoi souvent, les sujets liés à la santé sont donnés dans des genres courts et «réduits» : la brève pour la presse publique et «parapublique» et le fait divers pour la presse privée critique.
Quant à l’audiovisuel qui connaît une profusion de productions sur la santé, il demeure toujours et exclusivement public et assure le relais des orientations et des visions officielles, dont celles liées au discours de l’Etat sur la santé. Les questions, les interprétations et les voix discordantes sont interdites à l’antenne contrairement à la presse où une fenêtre étroite de débat est imposée par les journaux privés que les pouvoirs publics ont fini par tolérer. En effet, les produits diffusés liés à la santé sont préalablement contrôlés, qu’il s’agisse des sujets à traiter, de la façon de traiter les contenus ou des intervenants à citer. Les traitements sont souvent des mises en scènes « orientées » où la question de la santé n’est qu’un prétexte pour accompagner un discours politique. C’est une pratique qui remonte bien avant 1988. La consultation des grilles des chaînes de télévision et des stations radiophoniques, nationale et locales, ou thématiques, nous permet de constater une présence de programmes consacrés à la santé. Il s’agit essentiellement d’émissions médicales, de conseils et de vulgarisation dont le thème est générique et dont le niveau de traitement est « nivelé ». Les produits diffusés sont de type question-réponse, ou émission d’animation dont des consultations par téléphone ou par courrier. Les thématiques les plus envisagées sont les maladies chroniques et l’observance médicale qui intéressent un public hétérogène, les dangers domestiques et les questions de beauté qui intéressent un public féminin, disponible et fidèle. D’ailleurs, la majorité des auditeurs et téléspectateurs intervenant dans les émissions sont des femmes. Malgré le traitement de sujets diversifiés, nous pouvons les regrouper dans trois thèmes où l’animateur est un professionnel, surtout épidémiologiste ou multipraticien, domaines voisins qui se conjuguent à la première personne du singulier : « Ma santé, mon corps, ma beauté» et ce contre le malheur, la tragédie, la misère «des autres» (Tanriover, Engindeniz, 2006, p.139), surtout présents dans la presse écrite. Certes, ces émissions fournissent des moments de discussion et d’interactivité, mais aucun débat car elles ne dépassent pas le cadre et le but de l’éducation sanitaire. L’examen des programmes relatifs à la santé nous permet, malgré les insuffisances et les contraintes connues, de repérer deux éléments positifs à valoriser.
Le premier élément consiste en l’interactivité entre le présentateur et les publics. Cette interactivité qui s’élargit et s’intensifie de plus en plus mérite d’être encouragée. Elle s’exerce dans une société «conservatrice» où les représentations sur la santé sont floues et influencées par des facteurs extra médicaux : destin, malédiction, médecine traditionnelle. Il convient aussi de noter que le public intervenant est féminin. Une intervention en public sur des questions de santé, souvent intimes, brise les tabous et surtout les clichés sur la femme. Le deuxième phénomène communicationnel est l’intensification de l’usage de l’audiovisuel dans des compagnes de communication de prévention médicale entrant dans le cadre de la communication sociale dont les thématiques sont liées à la santé.

Dans la PQN

Tout lecteur attentif et régulier de la presse écrite peut constater une augmentation, et ce au sens numérique, d’articles journalistiques et d’espaces qui sont consacrés à la santé. Le dépouillement manuel des journaux papier combinée à une recherche informatique effectuée sur les éditions électroniques des quatre quotidiens de notre corpus nous a permis de calculer le nombre d’occurrences des sujets contenant les mots-clés santé, médecine, hôpital, malade. La recherche par navigation sur Internet dans les archives électroniques des journaux a confirmé la tendance à la hausse des articles et des couvertures journalistiques des questions de santé. Les pages interactives des archives des journaux du corpus nous ont aussi permis de constater que la fréquence de la présence du thème santé est en constante augmentation. Une comparaison des chiffres récents de la période de l’étude à la même période des années 2005 et 2006 confirme cette hausse. Le journal El Watan est le titre de presse comportant le plus d’occurrences, en fréquence absolue. On obtient 153 articles qui contiennent 224 occurrences du mot « malade », 118 pour « hôpital » et 158 pour « médecine ».
Nous avons également constaté des transformations et des mutations dans leur emplacement. Les sujets qui ont été longtemps éparpillés dans des pages de moindre importance éditoriale « Société », « Local », « Social » sont placés désormais en page de premier plan « Une », « National », « Actualité », « La Dernière », « Chronique » et même au sein de rubriques « Santé ». Cette rubrique spécialisée désormais régulière comprend un travail journalistique de fond : dossier thématique avec enquête, reportage, entretien d’expert et statistiques. Toujours pour le même journal concernant le placement des articles, nous avons repéré trois rubriques principales : 40% des articles en rubrique Pages locales « Infos de… »; pour la rubrique « Actualité » réservée à l’agenda, nous trouvons 35% des articles. Et le reste, soit 25%, apparaissent essentiellement dans la page Santé, rubrique hebdomadaire et désormais régulière et en page « Epoque », rapportant souvent des faits divers sur la santé.
Nous relevons dans la nature et l’angle du traitement, le caractère occasionnel de l’information sanitaire. La date de publication de la majorité des articles, surtout en « Actualité » et en page spécialisée « Santé » correspond à des journées célébrées et à des manifestations médicales organisées. L’autre traitement dominant est celui de l’événementiel avec les brèves et les faits divers. C’est un traitement qui ne favorise pas l’information médicale mais l’enjeu du sujet et son attrait par les procédés de dramatisation et de critique du secteur. D’ailleurs, la presse algérienne a été dénoncée par des membres de la corporation journalistique, surtout ceux occupant des responsabilités. Cette critique a été formulée par de nombreux professionnels (4). Les premières remarques qui se dégagent des lectures, de l’analyse documentaire et de la comparaison documentaire avec des études similaires en France, indiquent l’existence de plusieurs traits de ressemblance. On note des convergences dans la pratique journalistique, dans la diversité du discours sur la santé, dans la coexistence d’enjeux socio-économiques, dans les influences politiques. Ces ressemblances sont dues à l’imitation par les journalistes algériens de la pratique journalistique française et ce, pour des raisons historiques puis linguistiques.

Une expérience d’écrits journalistiques liés à la santé

Lors de l’exploration des produits médiatiques sur la santé, nous avons découvert une expérience journalistique de grande valeur informative et professionnelle. Il s’agit des écrits de la journaliste Djamila Kourta du quotidien francophone El Watan. Cette expérience incarne un archétype de communication sur la santé reconnu par les journalistes, les praticiens de la santé et les lecteurs. La journaliste qui capitalise 14 ans d’expérience utilise les caractéristiques discursives propres à la vulgarisation scientifique. En la définissant (Reboul-Touré, 2000 ; 2004), cet auteur indique que «le discours de vulgarisation scientifique possède comme caractéristiques formelles une activité de paraphrase qui se cristallise autour de termes scientifiques. Le vulgarisateur cherche à expliciter les termes en proposant des désignations ou en utilisant des définitions afin de rendre l’objet de la science plus accessible» (2000, p.199). D’ailleurs, la journaliste algérienne a été nominée pour le premier prix international des médias du laboratoire danois Novo Nordisk, pour un article sur le diabète, la prévention et ses complications(5).
L’analyse de ses écrits publiés lors de la période de l’étude a confirmé le respect de plusieurs éléments rédactionnels caractérisant les écrits de vulgarisation scientifique. D’abord des éléments professionnels ayant permis d’octroyer aux articles une combinaison réussie de deux dimensions difficiles à agencer : le journalisme spécialisé et le social. Dans ses écrits, malgré le caractère dominant d’articles scientifiques répondant aux critères de l’exposition et de la vulgarisation, la journaliste reprend les critères de l’article traditionnel d’information, notamment la règle de la pyramide inversée. Dans ses articles, les informations sont à chaque fois vérifiées auprès de différentes sources spécialisées et habilitées. Les articles, bien qu’ils s’agissent de brèves, sont accompagnés de sources, émanant souvent de spécialistes de la médecine. Réside là un élément qui confirme la proximité entre les journalistes scientifiques et les scientifiques. Pour s’informer et se documenter, la journaliste reconnaît faire recours à des sources médicales : des entretiens d’experts, des revues médicales et de sites Internet spécialisés.
Pour le choix des sujets et des moments de publication, l’analyse d’une trentaine d’articles, essentiellement de fond publiés dans les rubriques « Actualités » et « Santé », a permis de confirmer le caractère occasionnel et cyclique du traitement. En effet, toutes les occasions observées ont été des occasions pour écrire. Mais la caractéristique de ses écrits se situe dans le dépassement du caractère protocolaire. Pour elle, l’occasion est saisie pour fournir des statistiques ou un état des lieux de la question, et réaliser des entretiens. D’ailleurs, les manifestations occasionnelles et événementielles sont traitées dans deux papiers. Le premier est une couverture publiée dans la rubrique « Actualité » et le deuxième un retour sur la question déjà couverte avec un dossier détaillé, documenté et accompagné d’outils iconographiques.
Dans ses écrits, elle utilise une forme d’énonciation expositive permettant une accumulation d’informations et une progression thématique favorisant la compréhension. Elle recourt aussi aux techniques de reformulation et d’explication, en oscillant entre deux niveaux d’écriture et de contenu: celui de l’information médicale spécialisée et celui de l’information vulgarisée et généraliste. On trouve là une technique informative mais aussi pédagogique. Le terme médical est toujours suivi par une expression explicative à la portée des lecteurs; il en est de même pour les explications des éléments de la médecine. La journaliste fait appel aux procédés de la vulgarisation scientifique fondée sur une technique rédactionnelle désignée par Mortureux (1988): la mise en scène discursive autour du sujet de santé traité.
Ce travail d’écriture s’exerce en enchaînant et accumulant des reformulations selon deux modes d’explication appelés paradigmes désignationnel et définitionnel. Dans le premier paradigme, pour désigner le terme médical, la journaliste utilise de nombreux synonymes, mêmes proches, des équivalences ou des substituts lexicaux. C’est un procédé qui permet d’un côté l’explication grâce aux rapprochements de sens, à l’accumulation des connaissances et à leur enrichissement et d’un autre côté permet d’éviter les répétitions. Quant au deuxième paradigme, il se réalise en enchaînant des définitions portant sur les caractéristiques et les indicateurs du terme médical autrement dit, l’origine et les symptômes de la maladie et ses effets non seulement individuels mais sociaux. Un autre élément intéressant réside dans la capacité de la journaliste à la contextualisation des thèmes, et des données et ce, en accordant aux textes des enjeux sociaux. En effet, même en exploitant des documents étrangers, la journaliste arrive à les situer dans l’environnement sanitaire local. C’est le cas des grandes questions et épidémies de la santé dans le monde, auxquelles elle a attribué un caractère d’agenda national en faisant référence à des situations vécues.

Conclusion

Pour reprendre l’expression d’Alain Supiot qui correspond à la situation de la presse en Algérie, non seulement le « social n’a pas bonne presse » (Levèque, 1986, p.11) mais la santé n’a point de presse. En effet, malgré une profusion de pages, de rubriques et d’émissions consacrées à la santé, la qualité des contenus demeure insuffisante, en informations médicales, en traitement journalistique et en capacités d’effet. Le dépouillement des quatre quotidiens a permis de constater que les sujets et la fréquence qui sont réservés à la santé sont importants bien que l’analyse quantitative et qualitative indique les différences dans l’importance accordée en espace, en genre et en angle et perspective de traitement. Ici il est à signaler que si les journalistes ont souvent insisté sur le droit d’informer et la garantie de l’accès à l’information sur les sujets sécuritaires et politiques, ce n’est pas le cas pour le domaine médical.
Ce retard qu’accuse la presse algérienne, en général, n’est pas à faire endosser aux journalistes uniquement mais la responsabilité est partagée par tous les acteurs. Les rédacteurs d’abord qui cherchent le scoop et la médiatisation; pour eux, la science n’est pas un sujet à enjeux. Quant aux éditeurs, ils privilégient les sujets qui font vendre à ceux de la vulgarisation ou de la prévention. La tutelle également, qui applique la stratégie de la rétention de l’information «gênante», car parler de la santé est une remise en cause du système sanitaire et donc de l’Etat. C’est pourquoi devant cette absence de données permettant de traiter le sujet et de lui donner une forme dans un genre travaillé et documenté, les journalistes recourent aux écrits limités en information, souvent les brèves pour la presse publique et «parapublique» et le fait divers pour la presse privée critique. Notre objectif en rapportant une expérience «réussie» était en tout cas de valoriser des compétences et des potentialités pour promouvoir ce champ journalistique qui peut présenter un espace de débat pour le citoyen, le scientifique et le décideur politique.

Notes

(1) Les sites cités offrent une bibliothèque électronique de grande valeur sur la santé en Algérie pour les professionnels, pour les internautes et surtout pour les journalistes : www.santemaghreb.com.

(2) L’Institut National de la Santé Publique (INSP) offre une série d’études, d’enquêtes et d’articles scientifiques portant sur la santé en Algérie accessibles sur le site http://www.sante.dz/insp.

(3) M. Boudarene, entretien réalisé, juillet 2008 sur internet. M Boudarene est docteur en sciences biomédicales et député RCD. Il est l’auteur de nombreux articles sur le stress dans des revues internationales et d’un livre « le Stress entre bien-être et souffrance ». En lui on trouve trois figures sociales qui incarnent le trinôme Santé/politique/médias.

(4) Lors d’un entretien, M Hamici, directeur d’un hôpital dans la région de Béjaïa, docteur épidémiologiste et animateur d’émissions radiophoniques sur la santé, a critiqué ces traitements journalistiques dramatisants.

(5) La journaliste qui n’est ni médecin ni journaliste de formation mais licenciée en langue et littérature françaises, pratique la vulgarisation médicale sans le savoir. Elle déclare: « Mes articles font souvent référence à des situations vécues par des citoyens dans la prise en charge de leur maladie. Les articles font référence à des situations données ou bien à des informations portant sur des décisions politiques ayant trait à la santé. Les articles sont plutôt informatif, explicatif …etc. » (ibidem).

Références bibliographiques

Azeddine, Leila ; Balicco, Marie-Paule ; Pailliart, Isabelle (2008), «Le cancer et ses récits : quelles places des malades et des maladies ? » in  Les Enjeux de l’information et de la communication [en ligne] http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux | 2008, site consulté le 12 juin 2008.

Agnès, Y ; Croissandeau, J.M, (1979), Le Monde, Lire le journal, Saint Julien du Sault, Editions F.P.Lobies.

Bouchama, Djazia, (2002), Le journalisme spécialisé en Algérie : l’expérience des périodiques médicaux, (mémoire de magistère non publié), SIC-Université d’Alger, juin 2002.

Ducol, Claudine, (2006), «La science en trois dimensions : tentative de lecture «habermassienne» des enjeux liés à la médiatisation scientifique », in Les Cahiers du journalisme, Numéro 15- Hiver, pp. 82-101.

Favereau, Éric, (2005) «Le journalisme, de l’information médicale à l’information santé», Les Tribunes de la santé, Presses de Sciences Po. Numéro 9 2005/4, pp. 21-26.

Flaysakier, Jean-Daniel, (1997), «La santé publique et la responsabilité des médias», Hermès Numéro 21, pp. 135-143.

Gerstlé, Jacques, (1999), «La santé dans l’agenda. Le médiatique, le public et le politique», in Mathien Michel. (dir.), Médias, Santé, Politique, Paris, L’Harmattan Communication, pp. 63-74.

Henry, Emmanuel, (2003), «Des difficultés des médias d’information à se saisir de la question de l’amiante», in Réseaux 2003/6, Numéro 122, pp. 237-272.

Ihedadene, Zouhir, (1991), Introduction aux sciences de l’information et de la communication, OPU, Alger.

Lafon, Benoit ; Pailliart. Isabelle, (2007), «Malades et maladies dans l’espace public», Questions de communication, Numéro 11, pp. 7-15.

Laügt, Olivier, (2006) «Le SRAS dans Le Monde : un agent double ?», Les Cahiers du Journalisme, Numéro 15-Hiver, pp. 86-101.

Levèque. Sandrine, (1986), Les journalistes sociaux, histoire et sociologie d’une spécialité journalistique, Presses universitaires de Rennes, Rennes.

Marchetti. Dominique, (2007) « Une rubrique “à part”. L’information médicale de l’après guerre au début des années 80 », Questions de communication, Numéro 11, pp. 71-90.

Marchetti, Dominique ; Champagne, Patrick, (1994), «L’information médicale sous contrainte », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Année 1994, Volume 101, Numéro 1, pp. 40-62.

Marchetti, Dominique; Poupeau, Franck, (2000), «Les révélations du « journalisme d’investigation », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Année 2000, Volume 131, Numéro 1, pp. 30-40.

Mathien, Michel, (1999), « La santé dans la quête du bonheur dans la cité », in  Médias, Santé, Politique, Paris, L’Harmattan Communication, pp. 9-35.

Mortureux, Marie Françoise, (1988), «La vulgarisation scientifique. Parole médiane ou dédoublée». in Vulgariser la science, Seyssel, Editions Champ Vallon (Milieux).

Ogrizek M. et alii, (1996), La communication médicale, coll. «Que sais-je ?», Paris, PUF.
Organisation Mondiale de la Santé, Stratégie OMS de coopération avec l’Algérie  2002-2005.

Reboul-Touré, Sandrine, (2000), «Le transgénique et le citoyen dans la presse écrite : diffusion de termes spécialisés et discours plurilogal», Les Carnets du Cediscor 6, pp. 99-130.

Reboul-Touré, Sandrine, (2004), Ecrire la vulgarisation scientifique aujourd’hui, SYLED/CEDISCOR, Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, pp. 195-212.

Romeyer, Hélène, (2007), «La santé à la télévision : émergence d’une question sociale», Questions de communication, Numéro 11, pp. 51-90.

Sif Islam, Zouhir, (1982), Histoire de la presse en Algérie, SNED, Alger.

Soulimane, Abdelkrim, (2008), « Des programmes de promotion de la santé et d’éducation pour la santé en Algérie : situation actuelle et perspectives »,  Promotion & Education, Vol.15, Numéro1, pp. 35-38.

Tanriover, Hülya Ugur ; Engindeniz, Idil, (2006), «La communication médicale dans la presse turque», in Les Cahiers du Journalisme, Numéro 15-HIVER, pp. 126-142.

Zappala, Annick, (1997), «La médecine médiatisée : entre la médicalisation du social et la socialisation de la science», Hermès, Numéro 21, pp. 181-190.

Auteur

Aissa Merah

.: Maître-assistant à l’Université de Béjaïa (Algérie), Aïssa Merah est également membre associé au Cemic (Bordeaux). Doctorant, son travail doctoral porte sur «la construction médiatique des problèmes publics : cas d’un problème de santé » Ses centres d’intérêt en recherche : espace public médiatisé, médias et société et usage des Tic.