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La politisation de l’Internet en Afrique en question

16 Avr, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

N’tambwe Tshimbulu Raphaël, « La politisation de l’Internet en Afrique en question« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°10/3, , p.63 à 73, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2009/supplement-a/06-la-politisation-de-linternet-en-afrique-en-question

Dimension politique de l’Internet comme objet d’étude

Les analyses du phénomène politique de l’Internet datent des années 2000-2001 aux Etats Unis et en France. Elles ne sont d’ailleurs ni nombreuses ni approfondies pour oser une typologie indispensable à leur intelligence. Ce qui ne nous empêche pas d’imaginer les directions vers lesquelles elles s’orientent, à savoir l’ébauche de la méthodologie de l’analyse de l’activité politique en ligne, l’analyse des usages des réseaux par les partis politiques ou par les candidats aux mandats politiques, l’évolution de la communication politique à travers les actions en ligne, l’étude des implications politiques de l’insertion de l’Internet dans la société et l’observatoire des politiques publiques des nouvelles technologies de l’information et de la technologie (NTIC), en général, et de l’Internet, en particulier.
Dans ce travail, nous nous proposons d’analyser l’Internet comme une ressource politique ou comme un outil éminemment politique, dans ce sens qu’il est soumis au débat de gestion globale des sociétés et au pouvoir institutionnel ou médiatique ou d’un groupe. Par exemple, le refus implicite, à l’époque, de certains gouvernements (en l’occurrence tunisien et chinois) de promouvoir l’Internet sous prétexte de sauvegarder la liberté et la culture de leurs peuples, les manœuvres américaines de garder la mainmise mondiale des réseaux Internet via l’ICANN, la censure politique des sites web et les interdictions d’exploitation des fournisseurs d’accès Internet pour avoir hébergé lesdits sites, l’interception des messages électroniques sous prétexte de sécurité d’état aux États-Unis ou lutte contre le terrorisme, les propositions de gestion multilatérale de l’Internet émanant des gouvernements tiers, la constitution des discours politiques autour des enjeux socio-économiques de l’Internet, la participation des hommes politiques aux célébrations des fêtes de l’Internet, l’attribution des noms des hommes politiques aux programmes de déploiement mondial des réseaux télématiques, les débats parlementaires sur la démocratisation de l’Internet, les financements par les Etats des rencontres relatives aux enjeux de l’Internet, etc., sont autant d’illustrations de ce que nous appelons la politisation de l’Internet.
Il nous faut examiner ce qu’il en est de cette politisation dans le contexte africain, c’est-à-dire du processus de passage de l’Internet à la sphère politique où il est pris en charge par des acteurs influents capables d’en faire soit un objet de débat pour des intérêts avoués ou non, soit une motivation de l’action politique. Dès lors, la répartition territoriale inégale des réseaux télématiques ainsi que les initiatives locales des accès collectifs, de formation ou d’insertion de l’Internet dans les textes législatifs, reflète des degrés divers de politisation ou de volonté politique. Ce qui annonce une nouvelle façon de comprendre la dynamique de l’insertion de l’Internet en Afrique. Il s’agit ainsi de rechercher les facteurs politiques de la diffusion et de l’appropriation de l’Internet dans le contexte africain.
Dans cette analyse, la dimension politique de l’Internet ne se réduit ni aux discussions entre partis politiques, ni aux manœuvres en coulisse de prise ou de partage de pouvoir. Elle renvoie plutôt à la gestion du bien public, aux politiques de planification et de coordination des NTIC, aux formes que prennent les enjeux politiques de l’Internet en Afrique, à la façon dont s’obtient le consensus politique autour des projets Internet, aux idéologies politiques et aux paroles ou débats qui confèrent un crédit politique aux défenseurs de l’insertion de l’Internet dans différents secteurs de la vie nationale ou internationale. La politisation de l’Internet concerne dès lors toutes les manœuvres politiques, non seulement de mise à la disposition de la société du réseau des réseaux, mais aussi de la préparation de cette société à l’intégration progressive de l’Internet dans ses différents secteurs d’activité. L’Internet devra donc apparaître comme effet et cause du contexte politique qui l’assume, relativisant ainsi le caractère a-politique des projets de la coopération au développement en matière des NTIC.
L’hypothèse implicite de cette étude stipule que l’invisibilité des actions et discussions politiques nationales sur le phénomène socio-technique Internet ne signifie guère l’absence totale du politique local, mais reflète au contraire l’ignorance et les intérêts privés de la majorité des politiciens en Afrique.
Sur le plan méthodologique, en vue de mener à terme cette étude et dans le but de trouver les traces de la volonté politique d’insertion de l’Internet dans la société, nous avons d’abord procédé à l’identification des origines et à l’analyse de contenu des discours et projets de la coopération au développement. Nous avons en outre examiné les actions qui portent la marque du politique en nous limitant à celles qui sont initiées ou relayées par les politiciens. Nous avons, enfin, procédé à des interviews des hommes politiques limités à des questions brèves dans des rencontres internationales. Des présidents Wade et Obasandjo lors du SMSI Tunis (2005) au président roumain à l’occasion de la visite de courtoisie des participants de la conférence de Bucarest, en passant par A.O. Konaré, Président de la commission de l’Union africaine alors président du Mali, lors de Bamako 2002 et plusieurs autres personnalités politiques au Mali (2002), en R.D. Congo (2003), au Sénégal (2004), au Gabon (2005) et au Maroc (2006), il s’était agi de les écouter directement répondre à des questions personnelles ou à celles d’autres intervenants. Dans tous les cas, le temps fort de notre recherche reste l’analyse critique de la dimension politique des projets d’insertion des NTIC en Afrique.

Malaise du discours a-politique de la coopération internationale sur l’Internet

L’Internet est généralement présenté, de façon a-politique, comme un simple outil de communication dont il faut connaître la manipulation non seulement pour charger et recueillir des données, obtenir et faire circuler des informations, vendre et partager le contenu ou le contenant, mais aussi pour promouvoir sa culture et son identité sur des sites « perso » ou dans des « fora ». Il s’agit ainsi de la manière la plus aisée de motiver, sans couleur politique, l’acquisition de cet instrument et de justifier des programmes de coopération internationale qui en facilitent l’appropriation locale au Sud. L’« outilité » de l’Internet constitue, dès lors, une des raisons essentielles d’élaborer une diversité de projets de développement allant de courtes sessions d’initiation à son usage au déploiement des équipements de télécommunication souvent vétustes en passant par des formations de longue durée généralement dépourvues des projets industriels, et par l’élaboration des politiques nationales d’appropriation des NTIC en l’absence de tout budget réaliste, mais dans l’espoir d’attirer des investisseurs ou de déclencher des initiatives internationales de coopération au développement.
En outre, l’Internet est présenté comme une des solutions de dernière chance aux problèmes de sous-développement de l’Afrique, notamment aux failles des services postaux, à l’insuffisance et à l’archaïsme de documentation universitaire et médicale, aux misères de l’enseignement présentiel, aux lenteurs d’échange entre les institutions du Nord et du Sud, aux problèmes de fuite de cerveaux et d’exode rural, aux failles diverses des systèmes de santé, aux besoins du processus démocratique (bonne gouvernance, transparence, Etat de droit), etc. Il est question ici des raisons qui motivent des projets de coopération au développement comme ceux de campus numériques de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), de centres multimédia de formation (GDLN) et d’université virtuelles africaines de la Banque Mondiale, de formations ouvertes à distance (FOD) du RESAFAD, de télémédecine au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et au Burundi, de médiation d’usage (mail ou navigation) pour les analphabètes, etc. L’Internet est compris ainsi comme un instrument d’humanisation de la société, comme une « passerelle de développement », et comme une occasion de témoigner une certaine solidarité internationale entre info-pauvres et info-riches par delà les clivages politiques.
La rhétorique sur la chance et les enjeux de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) au Sud a essayé d’habiller ou de colorier ces représentations de l’Internet jusqu’à tourner au ridicule toute société qui oserait s’en écarter ou qui ne fournirait pas suffisamment d’efforts pour se connecter (1). Le discours de l’appropriation de l’Internet et les projets concrets qui y sont liés, propagent ainsi l’image d’un nouveau système technique susceptible d’être à la portée de tous, du plus démuni financièrement au plus analphabète, à condition de s’en saisir par des usages progressivement sophistiqués avec ou sans appui de la coopération au développement.
On en arrive ainsi au discours qui chante, curieusement, les merveilles, l’inventivité et l’ingéniosité des usages africains de l’Internet. L’affluence dans les rares cybercafés, la livraison à domicile des mails, l’envoi par médiation des messages électroniques par des analphabètes, les caravanes de sensibilisation aux bienfaits de l’Internet, l’augmentation des cybercafés privés, le réseau d’informations sur les prix des produits agricoles, les centres de téléchargement des téléphones portables, etc., deviennent des usages géniaux. Pourtant, on sait qu’ils amusent la galerie, satisfont la curiosité anthropologique au Nord, renforcent aussi bien les inégalités au Sud que l’engrainage de la pauvreté en s’inscrivant dans la logique du respect du statu quo, de la consommation, de la science faite, de la « natte des autres ». Entre-temps, ils deviennent des arguments pour poursuivre une certaine forme d’action de la coopération au développement, notamment celle des petits projets pilotes qui laissent intacts les gros problèmes du secteur concerné. Ces usages servent même à illustrer les hypothèses sociologiques occidentales de « charge émancipatrice des NTIC en Afrique » et confortent les thèses d’une certaine sociologie des usages Internet qui y trouvent des logiques d’appropriation déterminées par des contraintes politiques et économiques (2) marquées par la pénurie et la recherche des opportunités. Ce qui nous amène à penser que l’Afrique invente ainsi une logique moribonde d’instrumentalisation de l’Internet qui sert son sous-développement.
Ces discours sur les enjeux et les usages de l’Internet en Afrique véhiculent une certaine
« idéologie du salut » (Ellul, 1988, p.12). Mais, elles ne nous font pas part des réseaux de savoir et de pouvoir qui font d’Internet tantôt un outil docile et redoutable, tantôt une solution particulière aux problèmes particuliers d’une société particulière, tantôt une marchandise négociable, tantôt le produit d’une aventure scientifique locale, tantôt un exutoire des problèmes d’immigration (Scopsi, 2004), bref comme un problème à résoudre.
De même, on oublie de présenter l’Internet comme la résultante d’un processus de développement socio-cognitif encadré politiquement dont le Sud doit apprendre à s’approprier l’esprit. L’Internet est ainsi emprisonné dans une conception de la science a-politique déjà faite destinée à être consommée et non à faire consommer, faisant davantage l’objet de la classique coopération au développement que de la coopération techno-scientifique à l’innovation locale.
Enfin, les initiatives locales d’appropriation d’Internet sont triomphalement présentées comme des réussites alors que, pour la majorité de cas, elles s’inscrivent dans une logique de sous-développement en créant des activités censées disparaître dans un environnement économique assaini. Les centres de recharge de téléphone portable ou de PC portables, les téléradiographies du système de télémédecine rurale au Mali, au Burkina Faso et au Burundi, etc., sont souvent montrés comme des exemples réussis d’appropriation locale des NTIC. Pourtant ils témoignent d’un modèle de développement de suppléance au plus pressé et d’intégration forcée à un système socio-technique auto-contrôlé et non d’un projet de société qui donne aux autochtones les moyens consistants de leur développement. De même, l’adresse électronique et/ou le numéro de téléphone portable sont interprétés avec satisfaction comme tenant lieu de carte d’identité pour une population non enregistrée à l’office d’Etat civil. Pourtant ils témoignent d’un dysfonctionnement administratif et d’une irresponsabilité politique létale.
La rhétorique de l’Internet en Afrique limite ainsi les capacités de retrouver les problèmes fondamentaux de l’Afrique, notamment ceux relatifs à la mise en place d’un Internet intégré dans les structures socio-économiques de développement. Ainsi, ceux qui font le choix des projets du genre télécentres communautaires, de formation ouverte à distance par Internet, etc., font par la même occasion, sans mauvaise foi et comme les « messieurs Jourdain » du sous-développement, le choix de garder provisoirement le statu quo, de suspendre ou de ralentir le progrès des sociétés assistées. L’Afrique a besoin des hôpitaux qui fonctionnent, de l’électricité dans tous les foyers, des écoles physiques qui forment, des infrastructures et services performants de communication, d’un Internet articulé au fonctionnement adéquats des services et réseaux performants, bref des systèmes qui s’auto-contrôlent et auxquels l’Internet apporte une valeur ajoutée. Ce qui est le contraire des projets pilotes de la coopération au développement en matière des NTIC où l’on adapte l’Internet aux défaillances du système réputé sous-développé et où les projets sont obsolètes ou désarticulés par rapport aux problèmes fondamentaux.
L’Internet ne s’exporte pas au hasard et ne s’insère pas paisiblement dans un nouveau réseau de savoir et de pouvoir. En tant que système socio-technique, il bouscule des mœurs tantôt de façon inattendue, tantôt en fonction du pouvoir de son financement. Des projets de son insertion dans des milieux autres que ceux qui le produisent et le diffusent en tant qu’outil ainsi que des programmes de son appropriation locale en fonction des mécanismes de pauvreté, sont, entre autres, tantôt des causes, tantôt des effets de décision et de débat politiques soumis à des intérêts. Par exemple, en France, le déploiement de l’ADSL, l’attribution des licences d’exploitation des services de télématique, le choix des technologies (câble, satellite), etc., sont soumis à des avals politiques souvent tacites et s’inscrivent généralement dans la ligne des politiques publiques d’industrialisation et de télécommunications. Ce qui ne veut pas dire que toute initiative en matière des NTIC est forcément politique, parce que certains projets du genre cybercafés privés ou centres de recharge des téléphones mobiles restent avant tout économiques bien qu’ils portent déjà la marque d’une certaine politique d’incitation ou de laisser aller, tout comme certains projets de mise en ligne de contenu demeurent purement philanthropiques ou auto-promotionnels bien qu’ils reflètent souvent des idéologies politiques de liberté.
Ré-examinons dès lors l’histoire de l’insertion de l’Internet en Afrique sous l’angle politique et à partir des initiatives de la coopération au développement.

Le déploiement des réseaux pré-Internet et Internet, comme acte politique

Le déploiement des réseaux pré-Internet de la fin des années 1988 et du réseau Internet après 1996 en Afrique est généralement présenté comme une action émanant de décisions techniques et isolées des institutions scientifiques, des agences internationales de développement, ou des volontés des individus inspirés. Ainsi les différentes présentations du réseau RIO de l’ORSTOM, qui fut parmi les premiers à déployer des réseaux pré-Internet, en Afrique de l’Ouest, en diffusant des technologies en voie de disparition au Nord, précisément les protocoles UUCP, tout comme les présentations du réseau Healtnet qui s’en tenait au protocole Fidonet en plein essor du TCP IP, font souvent fi des enjeux et des obligations politiques de ces institutions. Pourtant, il est inconcevable que la décision de RIO de se déployer en Afrique de l’Ouest n’aient pas fait l’objet de discussion budgétaire interne en fonction des prérogatives du gouvernement français. De même son initiative de partager ou de « fusionner » ses réseaux avec d’autres réseaux comme Healtnet, tout comme celle de servir de plate-forme pour la diffusion populaire locale, en 1992, de la conférence internationale de Rio sur l’environnement, sont des actes à connotation politique, émanant des décisions politiques précédées d’un débat interne et d’une consultation des politiciens locaux. Egalement, le choix des pays où déployer des réseaux a dû respecter les zones d’influence des Etats donneurs, faisant ainsi des réseaux pré-Internet l’objet d’un choix politique et l’instrument politique de marquage de territoire et d’appartenance à un espace politique. Dans tous les cas, le fonctionnement quotidien de ces réseaux, d’une part, et le changement des objectifs et des appellations de RIO, d’autre part, relevait de la vision de la politique de la recherche en France, pour RIO, et de la politique en matière de développement du secteur de la santé pour les bailleurs occidentaux de fonds de Healtnet. Enfin, le déploiement des réseaux pré-Internet est sous l’initiative des acteurs internationaux qui dictent leur volonté politique dans certains secteurs, ne fût-ce qu’au niveau de la coopération technique et de la formation supérieure et universitaire.
Sur le plan local et malgré l’absence d’une législation claire de ce secteur, ces réseaux étaient soumis à des autorisations politiques qui en prescrivaient des limites et en surveillaient, certes sans compétence, le fonctionnement. De même, l’utilisation par des sociétés d’Etat des réseaux locaux de télécommunications, pour des connexions internationales, exigeait des négociations politiques dépassant donc des considérations techniques. Surtout, lorsque ces réseaux ont été amenés à définir les domaines nationaux d’Internet avec l’appui ou l’aval des institutions universitaires locales. L’action de RIO dans la définition de ces domaines pour des pays d’Afrique de l’Ouest a été précédée des atermoiements liés aux avals politiques. Il en est de même du déploiement des réseaux Internet initiés par l’USAID dans le cadre de la politique américaine d’infrastructure globale de communication traduite concrètement dans l’Initiative Leland. L’Etat n’a donc pas été absent lors du déploiement des réseaux pré-Internet. Il a plutôt servi les intérêts des acteurs internationaux et locaux porteurs de projets sans avoir su mesurer au préalable les enjeux pour son territoire.
Remarquons cependant que le débat politique autour de ces réseaux pré-Internet restait restreint et ne dépassait pas la vision politique des Etats pourvoyeurs des fonds faisant ainsi de ces réseaux un domaine réservé, non démocratisable, abandonné aux loisirs politiciens. Et quand bien même ce débat a concerné les Etats africains, à l’occasion de l’attribution des noms de domaine nationaux, il n’était guère animé par les instances démocratiques locales, et pourtant il formulait des recommandations qui s’appliquaient aux Etats africains. De même, les réseaux pré-Internet n’apparaissent pas, aux yeux des locaux, comme un instrument politique de mainmise sur la politique nationale de la recherche et de la communication, mais s’imposent au politique local comme pourvoyeurs des services et des ingénieurs locaux appelés par la suite à diriger des politiques nationales du secteur. Ce qui constitue une certaine façon d’avoir la main sur des territoires étrangers.
La phase du déploiement du réseau Internet proprement dit, celle qui va de 1996 à ce jour, n’a fait que radicaliser le caractère politique de l’Internet en Afrique. D’abord l’Internet débarque en Afrique en tant qu’illustration d’une politique du secteur des bailleurs de fonds. L’agence américaine de coopération internationale, l’USAID, ne le finance pas partout. Elle choisit des pays où la situation économique présente des indices de sa pérennisation ou de sa prise en charge locale après financement de la coopération. Des pays suivants bénéficient ainsi de la largesse de son Initiative Leland, forte de 15 millions de dollars : Sénégal, Mali, Nigeria, Rwanda, etc. Des pays qui ne répondent pas aux critères politico-économiques de ce programme, comme la R.D. Congo, bénéficient des projets humanitaires du secteur, précisément la prise en charge pendant six mois des abonnements Internet pour des cybercafés communautaires avec l’obligation de se prendre en charge après la période de « perfusion » (Ntambue-Tshimbulu, 2004). Pour sa part, le groupe de la Banque Mondiale, après ses hésitations des années 1990 sur la nécessité de financer des projets NTIC dans le contexte où il y a priorité pour l’éradication du Sida, pour la lutte contre la sous-alimentation et la famine, et pour l’assainissement des situations causées par bien d’autres calamités, a ciblé des pays en voie de stabilité, faisant ainsi bénéficier des pays suivants de ses programmes InfoDev et Université virtuelle africaine : le Sénégal, le Mali, le Bénin, etc. Le choix du Bénin et du Sénégal pour y implanter des centres multimédias de formation (GDLN) est lié au préjugé de stabilité politique et de convenance. Les programmes de déploiement d’infrastructures Internet s’inscrivent dans les intentions hégémoniques des ténors politiques du moment, Al Gore en tête, qui misent sur l’avance numérique de leurs pays pour asseoir leur pouvoir via des programmes de coopération au développement. Il s’agit chaque fois des choix aux allures diplomatiques, dans tous les cas stratégiques, respectant les intérêts politiques du moment.
Ce serait donc réducteur d’interpréter ces initiatives comme de simples résultats des réunions techniques des administrations. Si en France, les connotations politiques des projets Internet dans les Suds ne sont pas liés au nom d’un politicien, aux Etats Unis, par contre, les initiatives ont porté le nom d’un politicien, Leland, qu’un politicien, Al Gore, a imposé. Les projets Leland de l’USAID sont donc mieux compris en les liant aux ambitions politiques d’Al Gore et à l’hégémonie politique américaine.

Internet comme sujet du débat démocratique

Jusqu’en 1995, l’Internet est dans les couloirs des bureaux des administrations des Etats africains, se négociant à l’abri des oreilles indiscrètes et en marge des consciences nationales sur son rôle pour le développement global. Il s’installe une clandestinité complice du projet élitiste de l’Internet et de l’usage politique au service d’une petite portion de la population. Il faut attendre 1996, à l’occasion non seulement de la conférence internationale qui a eu lieu à Genève sur NTIC et développement, mais aussi de la rencontre des ministres africains de développement économique et de la planification initiée par la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (CEA), et malgré l’absence des réseaux numériques dans la majorité des États africains, pour que l’Internet fasse l’objet d’un débat public et s’ouvre plus tard aux débats ministériels régionaux, parlementaires et populaires. Les politiciens, les entreprises privées et la société civile d’Afrique commencent à débattre ensemble pour arriver à des consensus globaux sur les enjeux de l’Internet dans la société. Certains politiciens, comme l’ancien président de la république de Mali, Alpha Oumar Konaré, en sortent revalorisés et redorent leur image ou leur leadership sur le continent africain. Des personnalités occidentales, comme monsieur Segond, deviennent plus visibles en Afrique et peuvent désormais conseiller les politiciens africains. C’est dans cette fièvre qu’une rencontre au sommet des ministres africains de développement économique et de la planification est organisée par la CEA en 1996 pour aboutir à une plate-forme régionale connue sous le nom de l’AISI (Initiative sur la société de l’information en Afrique). Celle-ci revigore désormais la conscience politique des gouvernements pour le développement de ce secteur, obtient l’aval des chefs d’État membres de l’OUA et sert de référence régionale ou de leitmotiv aux engagements des États. La rencontre dite « Bamako 2000 », organisée par le réseau Anaïs en partenariat avec le gouvernement malien et le Canton de Genève, remit l’Internet sur l’espace public avec comme thème « Internet passerelle de développement ». Bamako 2002, une rencontre régionale africaine préparatoire du sommet mondiale sur la société de l’Information confirma ce statut de l’Internet comme bien public finançable par l’effort de tous et consommable sans concurrence. Il s’y pose la question de savoir ce que l’Afrique peut apporter à la promotion du numérique. A l’occasion des deux phases du SMSI qui ont eu lieu respectivement à Genève (2003) et à Tunis (2005), l’Internet atteint son apothéose politique en réunissant autour de lui des déclarations de principe, des plans d’action, des discours politiques et des participations des hommes politiques africains. La création du  « fonds de solidarité numérique » (FSN) y prend des tournures politiques en fédérant autour d’elles plusieurs présidents de la république africains. Certains parlements africains, comme ceux du Sénégal et du Mali débattent de la nécessité d’apprendre et de faire de l’Internet un instrument de la démocratie. Au Mali, l’Internet est discuté, présenté puis utilisé comme outil de transparence électorale, après informatisation des fichiers électoraux en 1997. En 2003 en Éthiopie, fut organisé un séminaire d’information et de formation à l’usage de l’Internet à l’intention des parlementaires éthiopiens, suscitant des demandes dans d’autres pays comme l’Ouganda.
Le caractère technique de ces assises n’a pas dissipé les intérêts politiques des participants envahis par la peur de laisser aux populations africaines le choix des informations politiquement dangereuses sur le Web. Mais au fur et à mesure des temps, des gouvernements se sont engagés à s’équiper d’Internet. Les projets d’Intranet gouvernemental se sont multipliés partout en Afrique. Sortie d’une longue guerre, la RD Congo s’est mis sur cette voie sans jamais arriver au bout par manque, entre autres, d’une politique claire en la matière et des choix technologiques précis. Elle continue à hésiter entre un Intranet sans fil à sa portée mais qu’on lui présente comme stratégiquement indiscret et non fiable et un Intranet filaire dont elle n’a pas les moyens de son action à court terme. Dans l’entre-temps, le Sénégal est parvenu à déployer une infrastructure télématique qui supporte le projet d’Intranet gouvernemental en attendant qu’il organise et achève les services en ligne d’une e-administration indispensable à la lutte contre la corruption des agents, les lenteurs administratives, le manque de transparence, etc.
L’Initiative dénommée « fête de l’Internet », en cours depuis 1998 en Afrique, avec comme centre d’amorce le Gabon, participe à mettre l’Internet sur la place publique. Dégagé de toute intention politique explicite au départ, elle arrive à réunir autour de la table des politiciens nationaux de haut rang, des entrepreneurs influents, des personnalités académiques reconnus, des associations, la jeunesse active, etc. Le cas de la République démocratique du Congo est indicatif pour avoir fait parrainer sa première et deuxième édition de la Fête de l’Internet en 2003 et 2004 par la présidence de la République qui s’y est fait représenter par le conseiller politique du chef de l’État.
Le débat purement politique à l’échelle régionale du continent sur les NTIC eut lieu à l’occasion de l’élaboration du document sur le NEPAD. Il s’est soldé sur des recommandations explicites qui ont donné lieu à une sous commission chargée d’élaboration et de suivi des projets dans ce secteur.
L’analyse de ces initiatives révèle que le débat démocratique sur l’Internet est généralement sous-tendu par les injonctions et l’espoir que suscite le système de la coopération au développement ainsi que par la visibilité nationale et internationale des acteurs politiques. Les thèmes débattus, au niveau national, tournent autour des enjeux des accès et des usages des NTIC. Ils portent rarement sur les injustices et la liberté d’expression que peut provoquer l’Internet. Ce qui arrange fort bien le politique qui en profite pour augmenter son crédit. De même, pour être crédible au niveau international, le politique africain s’est contenté d’adhérer aux programmes internationaux de coopération au développement, définis dans les agences multinationales de développement. Ils font par la suite le refrain ou les échos de ces programmes dans leurs pays. C’est le cas en R.D.Congo où le discours au second SMSI (Tunis) de la ministre aux postes et télécommunications s’est focalisé sur l’apologie d’une gouvernance mondiale de l’Internet. D’autres politiciens, dans d’autres pays, ont vite commencé l’élaboration des politiques nationales des NTIC sans pour autant les faire suivre des plans d’action applicables à court, moyen et long terme.

Internet comme instrument de démocratie

Depuis 2001, l’usage de l’Internet comme moyen de communication politique avec la population gagne progressivement le terrain. Les gouvernements créent leurs sites officiels dont le défi actuel est l’interactivité. Le site du gouvernement sénégalais réserve des espaces de dialogue de la population avec le gouvernement et la présidence pendant que celui du gouvernement congolais se contente de livrer des informations générales relativement stables. Les candidats aux élections locales se saisissent du Web pour faire leurs campagnes, comme on vient de le voir entre juillet et octobre 2006 en R.D. Congo pour les deux challengers à la présidence de la république. Ces sites regorgent des messages de campagne des candidats, des projets respectifs de société, des fora, mais restent peu interactifs. Dans l’entre-temps, des réseaux humains se constituent sous forme de liste de discussion où s’échangent des informations et se débattent divers sujets politiques, du plus frivole au plus républicain. La liste de discussion des congolais de l’étranger se présente même comme l’agora politique où toutes les affirmations et études politiques sur la RD Congo sont décortiquées dans tous les sens. Et malgré les injures, les partis pris et les fanatismes qui s’y expriment, cette liste devient un lieu public, certes encore élitiste, qui non seulement répercute, dans des langages simples, les opinions politiques de la R.D. Congo, mais surtout concourt à l’édification d’une certaine conscience nationale congolaise. On y apprend, certes, à dénigrer les opinions politiques des autres, mais aussi à élaborer un raisonnement politique fondé sur les faits ou l’histoire politique du pays. Les opinions des politicologues africanistes (comme celles de la belge Colette Braeckman) n’y ont plus la valeur des versets de la bible et y sont fort controversées. Il reste à voir maintenant comment élargir cette agora à davantage des congolais, dont la grande majorité vit encore à l’écart et dans l’ignorance de l’Internet. Mais c’est là un nouveau défi que le politique doit lever dans la définition et la mise en œuvre d’une politique nationale des NTIC aujourd’hui en cours d’élaboration avec le soutien de la CEA.
Ces politiques nationales font partie du processus démocratique à l’Occidental. Elles sont préparées par des travaux techniques des ministères concernés, arrivent à la primature qui les soumet aux assemblées parlementaires pour les traduire en termes de lois applicables à l’échelle de la nation et promulguées par la présidence de la république. Mais nombreux sont des pays dont la charge d’élaboration stratégies nationales des NTIC est restée entre les mains de la présidence de la République, comme au Rwanda. Ces politiques bénéficient, pour la majorité des pays africains, de l’assistance technique du Centre de recherche pour le développement international (CRDI), du PNUD et, surtout, de la Commission économique des nations unies pour l’Afrique (CEA) (3) qui œuvre, en même temps, à l’intérieur d’une structure de coopération internationale dénommée PICTA (Partenariat pour les technologie de l’information et de la communication en Afrique).
L’impératif de formuler des stratégies politiques nationales d’insertion des NTIC dans les projets de développement est dicté surtout par le souci de disposer d’un cadre juridique permettant des facilités de financements extérieurs. Mais il permet ainsi de mettre l’Internet sur la scène politique. Dans ce cadre, le Bénin, le Tchad, le Burundi, la RDC, par exemple, ont soumis en 2002 leurs stratégies respectives à la Conférence afro-asiatique pour le développement, le TICAD III, à Cotonou. Le Bénin a même franchi le cap en soumettant à la discussion électronique élargie son document. Par contre, le projet de la RDC, inconnu en mai 2003 de la présidence de la République, lors de notre mission officielle dans ce pays, est resté curieusement dans les tiroirs d’un agent du ministère de télécommunication jusqu’en 2006 où l’esquisse d’un nouveau projet vient d’être élaboré sous l’impulsion de la CEA en attendant sa discussion au parlement. Quoi qu’il en soit, l’Internet n’est plus l’affaire des coulisses ministérielles et présidentielles et s’inscrit dans un débat de société porté par le politique.

Internet et crédit politique personnel

Il s’agit d’examiner comment le discours politique sur l’Internet augmente le crédit politique de ses orateurs en Afrique. Les faits suivants sont révélateurs : les discours et actions en matière d’insertion d’Internet en Afrique, de l’ancien président du Mali et Président actuel de l’Union africaine, monsieur A.O. Konaré, lui valent en coulisse l’appellation informelle de « monsieur l’Internet » . L’organisation de Bamako 2000 et Bamako 2002, sa participation en 1996 à « Genève 1996 » ont fait de lui un partenaire politique international indépendamment de sa gestion politique, parfois controversée, du Mali. Ses discours politiques sur l’Internet en Afrique sont cités et relayés par plusieurs études africaines (4). Son partenaire privilégié en matière de la politisation de l’Internet en Afrique, ancien président du canton de Genève, monsieur Segond, a acquis une notoriété politique en Afrique qui fait de lui un conseiller politique de la région. La recherche des solutions au problème de financement de la lutte contre la fracture numérique en Afrique, remit en scène de nouvelles personnalités politiques, dont entre autres A. Wade, président de la république sénégalaise pour son initiative financièrement discutable au niveau international mais politiquement populaire et éthiquement défendable du « Fonds de solidarité numérique » (FSN). Des promesses africaines de participation financière à cette initiative témoignent davantage de la politisation intéressée. Les présidents de la république d’Algérie, monsieur Boutelfika, du Nigeria, monsieur Obassandjo, etc., ont promis et apporté leur participation financière sans, certes, préciser s’il s’agissait de la dotation présidentielle ou des subventions répertoriées dans le budget de l’Etat. Dans l’entre-temps, ils ont joui d’un crédit politique lié à l’idéologie de la renaissance africaine. La géopolitique de l’adhésion au FSN (5,5 millions d’euros en 2006) est aussi significative et annonce des alliances politiques : 9 États dont 8 africains et la France ; 12 villes ou régions du monde dont Paris, Dakar, Lyon, Lille, Genève, Santa Domingo et autres italiennes, espagnoles et brésilienne (Curitiba). On peut aussi se poser des questions sur le choix apolitique ou non du Burkina Faso et du Burundi pour bénéficier des premiers financements issus du FSN et destinés aussi bien au lien satellitaire entre hôpitaux qu’au télédiagnostic et formation relatifs au traitement du Sida.
D’autres personnalités politiques africaines qui ont chapoté des organisations internationales relatives à la société de l’information en général, comme le malien Sammaseku, ont vu s’inscrire leur nom sur le palmarès des personnalités politiques du Continent. Pour avoir pressenti le rôle important des réseaux télématiques dans le développement des pays africains dans les années 1980, l’ancien président de RSA, monsieur Mandela, a laissé également son nom. Là où, en Afrique, le discours en faveur de l’Internet s’est affermi, des gros projets de coopération internationale semblent suivent. C’est le cas du Rwanda où le président Paul Kagame, surnommé par la CEA « champion/défenseur national des TIC » (5), malgré les incursions militaires de son armée en RDC, est resté politiquement crédible pour avoir mis en route et mené à son terme le processus de formulation et de mise en œuvre d’une politique rwandaise des TIC, bénéficiant de l’installation des services commerciaux de Microsoft. En Afrique du Sud, l’annonce de Président Thabo Mbéki de la mise en place d’un Task Force (constitué des attachés des multinationales du numérique dont Oracle, Hewlett Packard, Edventure Holdings, Teledisc, Alcatel, NIIT India, etc.) chargé d’éclairer le gouvernement à remédier à la fracture numérique, lui a valu une attention mondiale. Les discours et l’action politique autour de l’Internet constituent ainsi un des socles du pouvoir en Afrique. Les politiciens qui en ont fait des outils de communication avec la population savent ce qu’ils leur apportent. Reste à savoir ce que cette politisation de l’Internet apporte concrètement aux nations africaines.

Effets de la politisation de l’Internet

Quel type de société africaine de l’information a créé ce processus de politisation de l’Internet ? Le débat politique sur l’Internet en Afrique a-t-il induit significativement des projets d’accès et d’usage Internet sur terrain ? Quel type d’homme trouve-t-on au terme de ce processus ? Autant de questions qui attendent des réponses.
En attendant, il faut d’abord reconnaître que ce processus de politisation de l’Internet a participé à la dédramatisation de l’Internet. De dangereux qu’il fut pour certains politiciens, l’Internet est de plus en plus perçu comme un outil « légiférable » dont le politique peut aussi se servir et un enjeu pour le développement des nations africaines. Son défi politique concerne désormais sa démocratisation et l’e-gouvernance combien indispensables pour aiguiser les consciences politiques nationales, augmenter la participation citoyenne et palier les failles de l’administration traditionnelle (guichet ouvert et fermé à volonté, réception des citoyens par affinité, documents administratifs trafiqués, mouvement de l’administré vers l’administration, etc.). Le politique a ainsi l’occasion d’élaborer de nouveaux projets de société qui tiennent compte des facilités et problèmes que soulèvent les innovations numériques : incitation à la mise en place des technologies haut débit au Sénégal, couverture des zones blanches par le WIMAX au Maroc (Sawira), etc.
La politisation de l’Internet permet aussi de pérenniser le débat des enjeux socio-politiques de l’Internet. Ce qui favorise les prises de décisions sur l’aménagement d’un territoire qui concilie les besoins populaires et les solutions proposées par les innovations numériques. Les retombées socio-économiques de la politisation de l’Internet au Sénégal ne sont pas négligeables : création et dynamisation de l’agence nationale de régulation, réglementation des actions économiques des opérateurs de télécommunication, regroupement d’intérêts des intervenants du secteur, entrées dans les statistiques nationales des activités des cybercafés et des fournisseurs d’accès Internet (FAI), etc. Dans la majorité des pays africains, le politique devient de plus en plus sensible aux initiatives d’insertion de l’Internet dans la société, même s’il est encore loin de proposer des encadrements technologiques indispensables à l’essor du secteur et qu’il est généralement devancé par les initiatives privées, surtout en République démocratique du Congo.
Il ressort de cette étude que la politisation de l’Internet en Afrique, bien que lente et à la traîne des initiatives privées ou de celles de la coopération internationale, participe modestement à la dédramatisation de cet outil et à la constitution des crédits politiques des personnalités qui en font l’objet de leurs actions et discours. De par la conceptualisation des cyber-stratégies nationales, elle donne une caution « morale » à une multiplicité de projets financés par le système de la coopération au développement, apporte une certaine sérénité aux initiatives locales, sensibilise à l’intégration des politiques NTIC dans les plans de développement nationaux, et élargit la compréhension de l’Internet à l’infrastructure des télécommunications, à la réglementation de ce secteur, aux ressources humaines et à l’environnement socio-économique de l’innovation numérique. En Afrique du Sud, la politisation de l’Internet a permis au gouvernement de se rapprocher de ses universités pour les créations des centres d’innovation et des villes NTIC (le Cap)
Toutefois, à l’étape actuelle, cette politisation n’arrive pas encore à booster les exportations africaines, à renforcer les capacités locales, à articuler l’Internet à l’expansion du marché, à impulser et à encadrer des initiatives de participation à l’innovation numérique locale. Elle se contente davantage soit d’observer, soit de cautionner l’adoption ou l’adaptation des solutions disponibles aux failles du système local, plutôt que de tracer de nouvelles directions à prendre. Ses enjeux pour la société ainsi que son statut scientifique sont encore loin d’être élucidés et nous somment à en faire un futur objet d’étude.
Quoi qu’il en soit, la politisation de l’Internet inscrit ce dernier dans un contexte politique de son exploitation et offre l’occasion d’articuler son déploiement à la volonté ou à la responsabilité politique de ses acteurs.

Notes

(1) Le PNUD parle des « opportunités sans précédent que nous n’avons pas le droit d’ignorer » (PNUD, Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain, Bruxelles, De Boeck, 2001. Pour une analyse critique de cette rhétorique, voir THORNDAHL, M., « La promesse d’une prospérité virtuelle », in Annuaire suisse de politique de développement. Société de l’information et coopération internationale. Develpment.com, IUED, Novembre 2003, pp. 3-26.

(2) A propos des logiques d’appropriations déterminées par des contraintes sociales et économiques, lire DO-NASCIMENTO, « Jalons pour une théorie de l’appropriation des NTIC en Afrique » , in Société numérique et développement en Afrique. Usage et politiques publiques, Sous la direction de J.J. GABAS, Paris, GEMDEV-Karthala, 2004, pp. 228-254.

(3) Cf. CEA, Politiques et plans pour la société de l’information. Situation et impact, Octobre 2003, « www.uneca.org » ; voir aussi CEA, Stratégies électroniques en Afrique : politiques, stratégies et plans nationaux, sectoriels et régionaux en matière des technologies de l’information et de la communication (TIC), E/ECA/DISD/CODI.3/3

(4) Voir son Editorial de la publication scientifique Volume 22, n° 2, Annuaire suisse de politique de développement, Société de l’information et coopération internationale. Development.com, 2003.

(5) CEA, Politique et…, p.32.

Références bibliographiques

Ellul, Jacques (1988), Le bluff technologique, Paris : Hachette.

Ntambue-Tshimbulu, Raphaël (2004), « Surmonter les contraintes spatiales et politiques du déploiement et de l’appropriation de l’Internet en République démocratique du Congo », in CHENEAU-LOQUAY, A., Mondialisation et technologies de la communication en Afrique, Paris : Karthala-MSHA, pp.145-168.

Scopsi, Claire (2004), « Apport de la diaspora africaine à la problématique des usages de l’Internet », in Revue des problématiques africaines, Vol. VI, n° 1-2.

Auteur

Raphaël N’tambwe Tshimbulu

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