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La « société de l’information » au service du développement : analyse critique de la démarche de l’ONU

16 Avr, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Kiyindou Alain, « La « société de l’information » au service du développement : analyse critique de la démarche de l’ONU« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°10/3, , p.48 à 62, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2009/supplement-a/05-la-societe-de-linformation-au-service-du-developpement-analyse-critique-de-la-demarche-de-lonu

Introduction

La démarche initiée par l’Organisation des Nations unies (ONU) a abouti à un certain nombre de résolutions dont la plupart sont orientées vers le développement durable (1). En effet, pour les différentes parties prenantes (multistake holder), il s’agit avant tout de mettre les nouveaux outils de la communication au service du développement. Pour les pays du Sud qui se sont d’ailleurs fait remarquer par leur activisme, c’était l’occasion rêvée de combler la fracture qui les sépare des pays du Nord. Toutefois, la démarche de l’ONU a été accompagnée de promesses qu’il convient, dans le cadre de la recherche, d’approcher avec une vision critique. En effet, si, au fur et à mesure de leur émergence et dans toutes leurs applications, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) ont pu donner l’impression que l’avenir de l’humanité dépendait de leur généralisation auprès des populations de tous les continents (Mathien, 2005), il s’agit de rappeler que leur efficacité dépend avant tout d’un ensemble d’éléments contextuels.

Point sur le sommet mondial sur la société de l’information

La dynamique du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI) a été amorcée par une résolution présentée par la Tunisie et adoptée par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) à sa Conférence de plénipotentiaire de 1998. En 2001, le Conseil de l’UIT a approuvé la tenue du sommet en deux phases, décision qui, par ailleurs, a été approuvée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 décembre 2001(2). Le Sommet est organisé en deux phases :

La première phase, accueillie par le gouvernement suisse, a eu lieu du 10 au 12 décembre 2003 à Genève. Elle a été consacrée à l’examen d’un large éventail de thèmes concernant la société de l’information et a adopté une Déclaration de principes(3) ainsi qu’un Plan d’action portant sur l’ensemble des questions liées à la société de l’information. Le processus officiel de préparation du SMSI pour la phase 1 a comporté trois conférences préparatoires principales (PrepCom -1 , du 1 au 5 juillet 2002, PrepCom – 2 , du 17 au 28 février 2003, PrepCom – 3 , du 15 au 26 septembre 2003) à Genève, une rencontre intersessions à Paris (du 15 au 18 juillet 2003) et six conférences régionales(4) ainsi qu’une conférence organisée par la Ligue des états arabes (le Caire, juin 2003).

La deuxième phase du Sommet mondial, accueillie par le gouvernement tunisien, a eu lieu du 16 au 18 novembre 2005 à Tunis. Elle a été consacrée essentiellement à des thèmes relatifs au financement, à la gouvernance, au développement. Elle a donné lieu à deux documents officiels : L’engagement de Tunis, et l’agenda de Tunis pour la société de l’information.

Ce qui était attendu du sommet relevait d’un double objectif :

  • organiser une rencontre internationale d’un genre nouveau, supposée préfigurer la « nouvelle gouvernance mondiale du XXIe siècle » en associant les acteurs politiques, du secteur privé et de la Société civile dans la prise de décision, à travers « le partenariat multi-acteurs » (5) ;
  • définir les contours de la « société de l’information que nous voulons » et, mettre les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication au service du développement afin de « réduire le fossé numérique » existant entre les pays industrialisés et les pays en développement.

C’est donc ce dernier objectif qui se rapporte à notre étude.

Les résultats officiels du Sommet

A la fin de l’année 2005, l’UIT considère que le total mondial des activités déployées dans le cadre du SMSI pour promouvoir le développement d’une société de l’information accessible à tous se chiffre à 2240(6). Environ 45% de ces activités (7) ont une portée nationale et près d’un tiers ont un caractère international. Plus de 70% de ces activités se rapportent directement aux objectifs du millénaire pour le développement définis par les Nations unies. L’UIT classe ces différentes activités en onze catégories à savoir : « cyberstratégies » nationales, projets multipartenaires(8), projets d’infrastructures, élargissement de l’accès aux TIC(9) , coopération internationale et régionale, accès à l’information (10), politiques générales et réglementation, renforcement des capacités (11), formation en ligne, sécurité et culture (12). Au delà de ces activités, le SMSI a permis la rencontre de plus de 11 000 personnes dans sa première phase et de plus de 20 000 personnes dans sa deuxième phase, autour des objectifs cités plus haut. En ce qui concerne la réduction de la fracture numérique considérée comme maillon essentiel de l’usage des TIC au service du développement, nous pouvons noter un certain nombre d’innovations dont celle de la société taiwanaise VIA qui a lancé, en juin 2005 Terra, un ordinateur pour 250 dollars. La société californienne SolarPC a présenté en février 2005, à la Linux Expo de Los Angeles, son SolarLite, le premier ordinateur à 100 dollars destiné à lutter contre la fracture numérique. Il s’agit d’un ordinateur basé sur le système d’exploitation Linux, livré avec des dizaines de logiciels libres (Firefox, OpenOffice, etc.), SolarLite est conçu pour être vendu par millions dans les pays en voie de développement. Monté dans un caisson d’aluminium recyclable, sans ventilateur ni pièces mobiles, ce PC léger, sans plomb, ne consomme que 10 Watts et peut fonctionner avec une alimentation en 12 volts, raccordé à un allume-cigare ou un panneau solaire.

On ne saurait oublier l’ordinateur à 50 dollars du Massachusset Institute of Technology (MIT). Ce projet dénommé « One Laptop Per Child » (un ordinateur par enfant) a pour ambition de permettre à chaque enfant du monde de disposer d’un portable, en particulier dans les pays pauvres (13). Lors d’une intervention donnée au salon LinuxWorld, qui s’est tenu à Boston du 3 au 6 avril 2006, Nicholas Negroponte, a annoncé son intention de réduire les coûts de développement du projet One Laptop Per Child pour parvenir à 50 dollars l’unité (au lieu de 100 précédemment annoncé) d’ici 2010.

Ce qui est, à notre avis important à ce stade, c’est de rappeler que la fracture numérique est avant tout une fracture sociale et nous ne pouvons prétendre la combler sans que nous nous soyons préalablement occupés de la question de la formation, du développement industriel qui repose d’ailleurs sur le développement de la recherche. Nous pouvons d’ailleurs ajouter à ce tableau non exhaustif, l’équilibre des dépenses publiques, la diversification des recettes de l’Etat, la gestion rationnelle des ressources, une réglementation adéquate. Loin de croire à l’égalité par les NTIC, ces différentes formes de fracture nous rappellent l’existence de classes ou de différences sociales. Même si les nouvelles technologies ont souvent fait penser à la possibilité d’un monde où les inégalités entre les pauvres et les riches, les hommes et les femmes seraient réduites, tout cela reste du domaine du rêve. La réalité est celle d’une insertion sociale des technologies qui épousent les formes actuelles de la société. Arrêtons donc de rêver, la « société de l’information » n’est pas un nouveau monde qui se substitue à l’actuel que nous savons rempli d’imperfections. Les injustices, la pauvreté, les inégalités, la criminalité ne s’effaceront pas par un simple coup de clic. La fracture existe parce qu’il y a des inégalités de revenus, parce que près de 2 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité. Le résultat, c’est que 82% de la population ne représentent que 10% des connexions dans le monde.

Lorsqu’on parcourt les différentes contributions présentées dans le cadre de la préparation du SMSI, force est de constater que la question du financement du Plan d’action n’est pas abordée de front. Elle est seulement effleurée par le biais d’autres questions, notamment des infrastructures, des questions réglementaires et des partenariats publics/privés. L’écrasante majorité des contributions évitent le sujet en s’appuyant sur le paradigme suivant :

  • les infrastructures sont essentielles pour le développement mais leur installation et leur maintenance coûtent cher ;
  • des financements privés sont nécessaires ;
  • afin d’attirer les investisseurs privés, les pays en développement doivent libéraliser leur marché et mettre en place un système de régulation attractif pour les entreprises étrangères.

Les solutions de financement

Les principales propositions consistent donc à soutenir les Etats à mettre en place des cadres réglementaires attractifs qui répondent aux exigences des entreprises privées pour que les télécommunications deviennent un commerce rentable. La propriété des réseaux doit passer du public au privé afin de créer de la concurrence, baisser les prix et ainsi, permettre une augmentation de la demande, notamment chez les consommateurs les plus pauvres. Le principe est de combiner « libéralisation du marché » avec « accès universel » (la baisse des prix devant permettre de rendre les télécommunications accessibles aux plus pauvres) en misant sur leur complémentarité. Ce paradigme est d’ailleurs le même dans les autres discours actuels dans les instances internationales, dont l’ONU et la ICT-Task Force.

Création d’un Fonds de Solidarité Numérique

Après de nombreuses tergiversations, a été mis en place un Fonds de Solidarité Numérique (FSN). Ce dernier a pour but la résorption du fossé numérique grâce à des contributions individuelles. Il repose sur l’engagement volontaire des autorités publiques et/ou des entités privées qui décident de mettre en œuvre un nouveau mécanisme de financement du développement. Il s’agit d’une contribution de 1% sur les marchés publics relatifs aux technologies de l’information, payée par le vendeur sur sa marge. Le but recherché ici est donc de dépasser le stade institutionnel pour faire en sorte que chacun de nous, où qu’il se trouve, contribue de façon responsable à l’édification de cette société nouvelle. En effet, chaque individu, chaque famille, chaque organisation, chaque institution, comme le précise d’ailleurs la charte, a un rôle primordial à assumer.

Cette dernière définit quatre types d’objectifs :

  • assurer un accès équitable et abordable aux NTIC et à leurs contenus à toutes les personnes et, en particulier, celles marginalisées telles que les femmes, les personnes handicapées, les personnes âgées, les populations indigènes et les pauvres des zones urbaines et rurales, avec un effort tout particulier vers les pays et les collectivités les plus défavorisés ;
  • promouvoir cet accès, en tant que droit fondamental qui doit être réalisé tant au niveau du domaine public que privé indépendamment des fluctuations du marché, de la croissance et des questions de rentabilité dans le respect d’une société de l’information socialement, culturellement, économiquement, financièrement et écologiquement durable ;
  • garantir l’accès à l’information et aux savoirs à tous pour contribuer à l’autonomie et à l’épanouissement de chaque personne et renforcer l’engagement des collectivités locales sur le plan social, politique, économique et culturel ;
  • réduire effectivement les inégalités économiques, sociales et culturelles entre les info-riches et les info-pauvres à travers l’identification et la mobilisation de ressources résultant de nouveaux mécanismes de financement.

Si les fonds collectés restent insuffisants au regard des objectifs prédéfinis, à Tunis, pendant et après la cérémonie d’inauguration, de nombreux donateurs se sont engagés à fournir un appui et des contributions. C’est notamment le cas du Nigeria, de l’Algérie, du Maroc, de la France, de la Guinée équatoriale, du Kenya, du Ghana, de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie, de la ville de Paris, de la région italienne du Piémont, de la Région française de Rhône-Alpes, de la Communauté urbaine de Lille, de la Région basque, de Curitiba (Saint-Domingue), de Dakar (Sénégal), de Genève, de Delémont (Suisse)…

Concernant l’implication du secteur privé, notons la promesse de Microsoft de verser plusieurs millions de dollars au FSN, mais à l’issue du Sommet de Tunis, celui-ci n’a récolté que huit millions d’euros de promesses de dons, alors que ses promoteurs espèrent à terme canaliser chaque année des dizaines de millions. En tout cas, à la grande déception des pays en voie de développement, les pays riches ont refusé de se lier les mains par une contribution obligatoire à un Fonds de solidarité numérique. Le texte final se contente de se « féliciter » de la création de ce dispositif purement facultatif. Plus d’une dizaine de projets sont déjà en cours de réalisation et beaucoup d’autres à l’étude. Ils relèvent du domaine de la santé, de la gouvernance, de la formation et sont principalement situés en Afrique et en Asie. Voici en exemple les projets menés au Burundi et en Inde.

Articuler l’effort de la lutte contre la fracture numérique à la lutte contre le VIH/SIDA

Ce projet vise à faire contribuer les TIC dans la lutte contre le VIH/SIDA au Burundi à travers les actions d’échange d’expérience, de renforcement des capacités et de suivi évaluation, dans le cadre du plan d’action nationale de lutte contre le SIDA au Burundi. Il couvre trois provinces du Burundi : Bujumbura, Bururi, Gitega et Ngozi. Il est basé sur le renforcement des capacités dans les structures participantes. La stratégie consiste à se concentrer sur le renforcement des capacités en ressources humaines existantes. Un accent particulier a été mis sur la maintenance de l’équipement des centres participants.

Rétablissement de la gouvernance et de la démocratie locale

Le projet du FSN à Banda Aceh, en Indonésie s’inscrit dans la reconstruction de la Mairie de cette ville, détruite par le Tsunami de décembre 2004. Il s’agit d’aider la Municipalité à se doter d’outils informatiques et bureautiques nécessaires au fonctionnement de l’administration des services publics essentiels à travers la reconstitution des données sur la population et sur les services publics. Les 10 divisions administratives de la Mairie de Banda Aceh et les antennes de la mairie près des camps de réfugiés ont été équipées avec une centaine d’ordinateurs et d’imprimantes en réseau. Le projet prévoit également la formation du personnel à l’utilisation des nouveaux équipements informatiques (150 personnes) et la reconstitution des archives essentielles pour le fonctionnement des services administratifs et publics de base.

La société de l’information : un concept flou

L’expression « société de l’information » est, sans conteste, celle qui a le plus marqué ces dix dernières années, tout simplement parce qu’elle caractérise notre époque, et qu’elle exprime un changement, souvent entendu comme entrée dans une nouvelle ère. Mais que recouvre cette expression, que cache-t-elle, quelles pourraient êtres ses origines, comment a-t-elle évolué ?

Si la question de la circulation des idées, et donc des informations, ressort très clairement dans l’œuvre de l’encyclopédiste Condorcet (14), les prémices d’une intégration universelle datent de 1865 avec la mise en place de l’Union télégraphique internationale (15). En reliant le monde, l’Union télégraphique (16) pose les bases d’une société mondiale dont nous savons qu’elle ne s’est véritablement ancrée dans les esprits qu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Il faudra ensuite attendre les années 1940 pour que soit évoquée l’idée d’une société organisée autour de l’information, idée généralement attribuée au mathématicien Norbert Wiener, père de la cybernétique et auteur de Cybernetics or control and communication in the man and the machine. Pour Wiener, être homme c’est participer à un large système mondial de communication (Wiener, 1953). C’est donc lui qui évoque le premier la « société de la communication », vue comme une alternative à l’organisation sociale et politique existante. La nouvelle société dite de l’information, largement inspirée de la « société de la communication, est donc placée sous le signe de l’efficacité rendue possible grâce à la puissance technologique des dispositifs de communication.

Pour ce qui est du concept de société de l’information, notons qu’il serait apparu dans les années 1960 au Japon sous le nom de Joho Shakaï (Bouissou et al, 1997, p.48). Si la notion de Joho renvoie à celle d’information, elle reste toutefois une notion très japonaise assez différente de l’acception occidentale de l’information. Dans la conception du Joho Shakaï, le Kagaku, c’est-à-dire la participation reste la question fondamentale car, le Joho, c’est ce qui fait l’homme. Mais, le débat sur la « société de l’information » a connu un étonnant renouveau avec notamment la National Information Infrastructure (NII) lancée en 1993 par le Vice-président américain Al Gore. Le discours est à l’origine porté par une ambition de redéploiement industriel. En effet, quelques années auparavant (1991), le sénateur Al Gore proposait « une autoroute nationale des données » pour relier les centres d’excellence en informatique. En 1992, il étend le projet au delà du secteur de l’éducation. En 1993, la NII est lancée par le Vice-président américain dans le but de déclencher une révolution de l’information. Al Gore posait alors comme condition à la reprise de la productivité, la réforme de l’Etat, la restructuration des services de santé et surtout l’ « accès universel à l’information ». Al Gore disait à l’époque, que la NII allait changer pour toujours la façon dont les gens vivent, travaillent et communiquent les uns avec les autres. Un an après, la NII deviendra la Global Information Infrastructure (GII).

Dans le domaine de la recherche et de la science, l’idée de « société de l’information » a déjà fait l’objet de débats et de controverses aux alentours de 1970 (Miège, 2002). Qualifiée de société post-industrielle, de société de communication, la « société de l’information » a été au centre des préoccupations des auteurs comme Alain Touraine (1969), Zbigniew Brzesinski (1971), Daniel Bell (1976), Yoneji Masuda (1980). Pour l’essentiel, les critiques ont souligné la surestimation du rôle des dispositifs technologiques dans la constitution et le développement des sociétés. Ces auteurs insistent, en effet, sur le fait que le changement social n’est pas uniquement le fait d’activités de communication et rappellent la complexité des faits sociaux. Communiquer, ce n’est pas uniquement produire de l’information et la distribuer, c’est aussi être attentif aux conditions dans lesquelles le récepteur la reçoit, l’accepte, la refuse, la remodèle en fonction de son horizon culturel, politique, philosophique et y répond à son tour. Dominique Wolton rappelle d’ailleurs qu’avec la communication, le plus compliqué reste l’autre. Plus il est facile d’entrer en contact avec lui, d’un bout du monde à l’autre, à tout moment, plus nous nous apercevons rapidement des limites de la compréhension (2005). Dans cette perspective, communiquer c’est être, c’est-à-dire chercher son identité et son autonomie. C’est aussi faire c’est-à-dire reconnaître l’importance de l’autre. Cette prise en compte de l’autre est importante puisque la façon de communiquer n’est guère la même au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest. En effet, si les outils y sont identiques, les modèles culturels et sociaux sont différents. La communication n’est donc pas une sorte de substance que l’on pourrait doter d’attributs précis, mais plutôt un ensemble de pratiques sociales diversifiées, une constellation de processus sociaux. Elle inclut la création de sens qui, elle, est essentiellement culturelle. La communication suppose donc l’appartenance au même univers socioculturel et le partage des mêmes valeurs, quand il ne s’agit pas de souvenirs, de références, d’expériences, de langues ou de stéréotypes identiques. Abraham Moles, aborde la question en expliquant que la communication est « l’action de faire participer un organisme ou un système situé en un point donné R aux stimuli et aux expériences de l’environnement d’un autre individu ou système situé en un autre lieu et à une autre époque E, en utilisant les éléments de connaissance qu’ils ont en commun » (Moles, 1986, p.25). L’auteur explique, à ce sujet, qu’il y a deux extrêmes d’ordre dans l’arrangement des éléments d’un ensemble. Dans l’ordre proche, un élément influence d’autant plus un autre élément que ceux-ci sont voisins. Les relations entretenues, qu’elles soient d’hostilités ou de sympathies, sont plus intenses que ceux-ci sont proches. Dans l’ordre lointain, les éléments sont influencés relativement à leur position dans le schéma général.

Cette réflexion sur la communication nous amène à nous interroger sur la possibilité qu’auraient les Nouvelles technologies à construire la cité globale. Dans quelle mesure les contenus qui alimentent la société de l’information sont-ils porteurs de sens pour le citoyen du Sud ?

Se révèle donc ici la question de la fracture numérique que nous percevons à plusieurs niveaux : décalage dans les contenus, décalage dans les usages, décalage dans la connectivité, décalage dans les décisions. Au premier niveau, nous tenons à relever la question du sens et de l’inutilité des informations diffusées. Nous y trouvons également l’absence des contenus propres aux pays du Sud, notamment les savoirs locaux. Au deuxième niveau, il s’agit de considérer les questions de formation à l’usage des TIC. Nous faisons ici allusion à ces compétences nouvelles que nécessite une bonne utilisation des nouvelles technologies. Parmi elles se trouve la serendipité entendue comme la capacité à découvrir, créer, inventer ou imaginer quelque chose de non trivial sans l’avoir délibérément cherché. On pourrait ajouter à cela d’autres capacités comme l’abduction, l’induction ou la déduction.

Sur le plan conceptuel, la « société de l’information » met en évidence des glissements sémantiques, mais aussi, des superpositions de sens. Le sentiment qui s’en dégage est que les expressions « société de la communication », « société des données », « société de l’information », « société de la connaissance », « société des savoirs » signifient toutes la même chose. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’existe pas une seule et unique société de l’information, de la communication ou du savoir. De multiples sociétés sont possibles, à l’échelle locale, nationale et mondiale (17). Prenons l’exemple de la conception libérale de la société de l’information qui s’oppose à celle étatique. On pourrait d’ailleurs ajouter à ces deux conceptions, celle citoyenne. Pour la première, la réalisation de la société de l’information se fait au carrefour de la libéralisation en ce sens que c’est la libre entreprise qui garantie au mieux la circulation de l’information. Cette vision partagée par l’UIT et la Banque mondiale a conduit, dans plusieurs pays, à la dérégulation du secteur des télécommunications. Pourtant, la mondialisation des télécommunications n’est pas sans conséquence sur le système global que celles-ci constituent. Ses effets se font sentir sur les fonctions de service public des télécommunications, sur les opérateurs publics et sur la régulation du système. Ce qui est sûr, c’est que la privatisation brise les équilibres sociaux dans la mesure où les télécommunications jouent un rôle de lien social qui repose sur des services accessibles à toutes les catégories (Kiyindou & Mathien, 2007). La péréquation tarifaire qui en est la base se heurte à la logique libérale de vérité des prix. Elle ignore les équilibres géographiques au détriment des zones défavorisées à l’intérieur des nations et, des pays du Sud au niveau mondial. Jean Paul Fitoussi et Patrick Savidan nous rappellent d’ailleurs à ce sujet que les théoriciens de l’économie de marché avaient eux-mêmes attiré l’attention sur le fait que « le marché n’assure pas spontanément la survie de toutes les populations » (Fitoussi & Savidan, 2003, p.10). Pour les tenants de l’action étatique, le marché ne peut, à lui seul, garantir l’intérêt du citoyen, ce qui relève du rôle de l’Etat. La mission de ce dernier est donc de garantir et d’assurer le respect des équilibres. Pourtant la main mise de l’Etat sur les activités de communication pose la question du monopole et du contrôle de l’information par les dirigeants politiques qui, au delà de la censure, disposent d’un certain nombre d’outils pour utiliser l’information en leur faveur. C’est la liberté de l’information qui est encore une fois mise en cause. La question de la liberté d’expression ne concerne pas uniquement les pays du Sud, bien entendu, mais les entorses qu’elle subit sont sans aucun doute plus visibles dans les régimes non démocratiques qui sont légion dans le Sud. Avec la montée de la société civile, apparaît une nouvelle vision, celle de l’action citoyenne directe sur la vie de la cité. Cette vision a été en partie adoptée par les organisations internationales et a orienté les travaux du SMSI. En effet, celui-ci a fonctionné sur un modèle tripartite associant le secteur étatique, le privé et la société civile.

Pour revenir à la société de l’information, disons qu’elle est une notion floue qu’il convient de replacer dans son contexte à savoir, démission progressive de l’Etat notamment dans les pays du Sud, montée de la Société civile, échec des politiques de développement mises en place jusque là. Dans ce contexte, la croyance en la « société de l’information » apparaît comme un véritable élément fédérateur autour d’un objectif commun : l’éducation pour tous, l’éradication de la pauvreté, la protection du patrimoine, l’égalité des sexes, la liberté d’expression, la santé pour tous, autrement dit, le développement humain(19). Soulignons ici le fait que les acteurs, de la Société civile, du privé, du secteur étatique, qui militent en faveur de la société de l’information, ne pensent même pas à expliquer les modalités de sa réalisation. Tout semble acquis, ce n’est qu’une question de temps et de volonté individuelle ou politique, l’information, plutôt la technologie est la clé de tout. Pourtant, la « société de l’information » est éminemment paradoxale. Elle est à la fois surabondance et absence. Elle est communication et incommunication, inclusion et exclusion, diversité et homogénéité, dialogue et monologue. C’est aussi une société de souffrance due à la boulimie d’informations largement entretenue par des stratégies marchandes. C’est une « société malade de ses communications ».

Autant dire que le paradoxe devient encore plus grand lorsqu’il s’agit de mettre la « société de l’information » au service du développement. Il y a plusieurs raisons à cela, tout d’abord parce que celle-ci est liée à des « valeurs » comme le progrès, l’universalisme, la maîtrise de la nature, la rationalité quantifiante, qui ne correspondent pas forcément à des aspirations universelles profondes. Mais aussi, parce que les pratiques qui accompagnent le développement sont souvent contrecarrées par nombre d’éléments relevant à la fois du contexte historique, politique, économique dans lequel ces pratiques s’exercent.

Comprendre le développement

Le concept de développement rappelle le mouvement naturel des êtres vivants, à l’instar d’une graine qui se développe, réalise toutes ses potentialités en devenant un grand arbre, explique Kombe Oleko (20). Pour une société, le développement signifie alors la réalisation progressive d’un double potentiel : celui constitué par la collectivité humaine et les individus qui la composent, et celui constitué par le milieu physique où elle vit, riche de certaines ressources. C’est donc un phénomène global, qui s’étend nécessairement à toutes les branches. Dans son acception générale, le développement est avant tout une notion économique, c’est un « processus continu d’amélioration quantitative, qualitative et durable du bien-être social, économique et culturel des populations d’une Nation ». Il faut dire que le mot de « développement » est chargé d’une valeur entièrement positive puisque dans notre imaginaire, il ne peut être que le Bien. Le développement est donc le contraire de la tradition, il se situe à l’opposé de la culture locale, il est inscrit dans le changement c’est à dire dans la migration vers un nouveau style de vie moderne auquel nous pouvons accéder grâce à la diffusion des innovations.

Du point de vue historique, c’est Ibn Khaldun (1332-1406) qui, dans un ouvrage intitulé Muqaddimah (Khaldun, 1968), fait apparaître le premier, le concept de développement. Ibn Khaldun fait appel à la notion de développement pour décrire les causes essentielles de transformation historique, causes qui selon lui résident dans la structure économique et sociale de la société. Ensuite, le développement comme cadre théorique pour l’étude d’un certain nombre de changements prend de l’ampleur à partir des années quarante, avec un accent sur les facteurs économiques, technologiques, institutionnels et mobilisant à la fois sociologues, anthropologues, économistes, politologues…

La notion de développement connaîtra par la suite, de nombreuses interprétations qui vont varier au fil du temps. En effet, les premières théories sur le développement assimilaient le développement à la croissance et considéraient le Tiers-monde comme un bloc homogène pour lequel étaient préconisées des solutions identiques, oubliant que le développement est un processus global qui intègre aussi bien les aspects politiques, économiques, sociaux que culturels d’une société. Mais, dès la seconde moitié des années soixante-dix, la baisse des termes de l’échange, le surenchérissement du crédit, la « dollarisation » des emprunts ont provoqué une récession généralisée. Le bilan qu’on peut faire aujourd’hui est celui d’un déséquilibre injuste de l’accroissement matériel, à l’intérieur des groupes humains et entre les groupes ; les inégalités augmentent entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres (l’écart entre les PIB – produit intérieur brut – a doublé en vingt ans (21)) et entre le milieu rural et urbain au sein d’un même pays. Pour Gilbert Rist (1994), le principal défaut de la plupart des pseudo-définitions du développement tient au fait qu’elles sont généralement fondées sur la manière dont une personne (ou un ensemble de personnes) se représente (nt) les conditions idéales de l’existence sociale. Pour le monde occidental, le concept de développement fait référence au « décollage» de l’économie qui a lieu dans quelques pays à partir de la révolution industrielle anglaise (fin XVIIIe s.). Il renvoie à la croissance économique, dans le cadre d’un État centralisé, et dans des sociétés où règnent des valeurs spécifiques : le Progrès, le scientisme, la maîtrise de la nature par les techniques, une conception mécaniste de la vie.

« Société de l’information » et développement

Le rapport « société de l’information » et développement apparaît dans la plupart des discours officiels, reconnaissant du coup la nécessité de la mise en place d’un service universel en matière de technologies de l’information et de la communication. En effet, le déploiement sans précédent de l’informatique a donné aux NTIC, un rôle essentiel dans la conception et la gestion des systèmes techniques économiques ou sociaux, ce qui a conduit tous les grands organismes internationaux, à revoir leurs politiques sous l’angle d’une priorité à accorder aux NTIC. Cette vision a été diffusée à travers les différentes conférences qui se sont multipliées : L’agenda 21 (plan d’action pour la mise en œuvre d’un développement durable), le sommet mondial pour le développement social (1995), la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995), le sommet mondial de l’alimentation (1996), la réunion du G7 à Midrand (en 1996), l’atelier « société de l’information et développement durable « organisé à Ouagadougou dans le cadre des travaux préparatoires de la francophonie sur le SMSI, le plan d’action de Johannesburg, le Sommet mondial sur la société de l’information…

Tous reconnaissent l’importance des technologies de l’information et de la communication dans le processus du développement. Mais le développement, dont il est question, aussi bien dans les textes que dans les débats, est une notion floue. Il s’agit à la fois de développement des technologies, développement de la société de l’information, développement des entreprises du secteur de l’information, développement des hommes et des communautés. L’analyse du contexte d’utilisation du terme, dans les documents du SMSI, montre une forte corrélation avec les TIC, puisqu’il s’agit de subordonner le développement aux extraordinaires possibilités qu’offrent ces outils. Il s’agit, comme le rappelle l’Engagement de Tunis, d’utiliser le potentiel des TIC pour atteindre les buts et les objectifs de développement arrêtés à l’échelle internationale, notamment les Objectifs du Millénaire pour le développement (ODM) (22). Le développement est donc la conséquence de l’usage des TIC, mais il est compris en référence aux ODM. Il s’agit de réduire l’extrême pauvreté et la faim, d’assurer l’éducation primaire pour tous, de promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes, de réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans, d’améliorer la santé maternelle, de combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies, d’assurer un environnement durable, de mettre en place un partenariat mondial pour le développement. La problématique qui en découle est la suivante. Le SMSI a-t-il posé les bases d’une société de l’information dans laquelle les gens, vont pouvoir créer, obtenir, utiliser et partager l’information et le savoir pour réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement ? Face à cette question, nous ne pouvons que souligner la complexité de la tache assignée à la société de l’information.

Voici quelques indications tirées du rapport 2005 des Nations unies sur les ODM (23) :

  • depuis 1990, des millions de personnes se sont ajoutées aux affamés de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud, où la moitié des enfants de moins de 5 ans sont mal nourris ;
  • il meurt tous les ans 1 million d’enfants – 30 000 par jour – pour des raisons que l’on aurait pu éviter ou à cause de maladies que l’on aurait pu soigner ;
  • plus d’un demi million de femmes meurent chaque année pendant la grossesse ou l’accouchement;
  • le sida est devenu la première cause de décès prématurés en Afrique subsaharienne, la quatrième dans le monde ;
  • la tuberculose est en hausse, en partie en conséquence du VIH/sida.
  • Voilà en quelques mots, la situation actuelle des ODM, mais que nous comptons améliorer grâce à la société de l’information. Ce tableau, bien entendu, contraste fortement avec l’enthousiasme, voire la sérénité, qui se dégage de la lecture des différents textes de cadrage politique sur la société de l’information.

Une nécessaire prise en compte des éléments contextuels

La question du développement, au sein de la société de l’information, ne peut en aucun cas être envisagée en faisant fi de la mémoire, ni en s’abstenant de considérer toutes les questions liées à la dette, au droit international…

Comment peut-on en effet parler de développement sans tenir compte du poids de la dette, de la « coopération de papa » (24), de l’héritage colonial, de la structuration du monde. Ces différents éléments sont, à notre avis, un préalable à l’accélération du processus de développement par les NTIC.

C’est donc une erreur que le SMSI ait préconisé de mettre les NTIC au service du développement sans approfondir la réflexion sur les conditions de cet usage et les problèmes auxquels il peut être confronté. Il nous semble peu réaliste de concevoir le développement sans nous appuyer sur le groupe et la complexité de son univers de pensée, puisque si en Occident, nous cherchons avant tout le bien-être de l’individu (25), dans beaucoup d’autres cultures, il s’agit de restaurer le bien commun, de renforcer le lien entre le sujet et le groupe. Mais avons-nous seulement réfléchi à ce que pourrait être le bien-être ?

En avons-nous au moins une conception universelle ?

Si tel n’est pas le cas, comment pouvons-nous envisager d’œuvrer pour le bien-être si dès le départ nous n’en saisissons pas les contours ?

Rien de plus simple que le dialogue pour éclairer les différentes visions du bien-être et dégager la substance commune à toutes les cultures, si toutefois, celle-ci existe. Par bien-être, nous entendons, évidement, « la qualité de l’existence » (Sen, 2000, p.65), l’accomplissement individuelle qui comme on peut l’imaginer n’est pas aussi simple à évaluer. Nous croyons réellement que nous ne nous sommes pas suffisamment interrogés sur la complexité de tous ces concepts qui sont au cœur de nos dispositifs de communication. Concernant l’idéal de vie qui nous est proposé, nous aurions pu, par exemple, nous poser la question de savoir en quoi un modèle qui repose sur la compétition économique et technique effrénée, serait-il un modèle de sagesse ?

Sagesse, évidemment, c’est de cela qu’il s’agit, ce fondement de la vie sociale africaine qui au delà même de l’information, de la communication, de la connaissance et du savoir, régit nos sociétés.

Société irrationnelle a-t-on l’habitude d’entendre dire, mais en quoi le comportement dit rationnel de l’homme moderne à la recherche du profit maximum, en manipulant la nature sans limite, serait-il le modèle à suivre ?

Non, le modèle est celui de l’étroite communication avec la nature, ce souffle des ancêtres, ce tison qui s’enflamme, ce feu qui s’éteint, ce rocher qui geint, ces herbes qui pleurent, la forêt… (Diop, 1961, p.173)

L’ignorance de tous ces éléments est l’expression de notre incompréhension des autres et finalement de nous-mêmes. La vérité est que la « société de l’information » et l’espace de débat qui la construit (l’ONU), devraient renouer avec les valeurs de l’irrationnel. En n’ignorant qu’il y a une forme de rationalité dans toute forme de civilisation, nous étalons, au grand jour, notre incapacité à concevoir une vision différente. Nous dévoilons le fondement de notre supposée rationalité un amas de préjugés auxquels Montesquieu tenta d’ailleurs de donner une caution pseudo-scientifique. La « lâcheté des peuples des climats chauds » qui les a rendu esclaves « le courage des peuples des climats froids » qui les a maintenus libres (Montesquieu, 1777). Quant à Lévy Brühl (1922), il a échafaudé une théorie sur la distinction entre « l’homme occidental » doué de raison et les peuples et races non occidentaux enfermés dans le cycle de la répétition et du mythe. Pourtant, la raison n’est pas hellénique (de nombreux philosophes égyptiens ayant été élèves d’Égyptiens et de Chaldéens). Il y a dans toute société à la fois une pensée rationnelle, technique et pratique. Mais le monde, à l’instar de l’homme qui n’utilise qu’une partie infime de son cerveau, n’utilise que « l’hémisphère occidentale », laissant les autres zones dans l’hypertrophie la plus totale.

Aujourd’hui encore, de fausses représentations subsistent dans la vision du développement. Le développement serait propre aux pays du Nord, berceau de la justice, la paix, la démocratie. Certains pays sont allés jusqu’à se déclarer pays des droits de l’homme, pays de la liberté… Pourtant, l’Occident n’a pas le monopole du bien être, de la démocratie ou de la croissance. Les théories sur la culture anti développement en Afrique ou l’explication par Max Weber de l’éthique protestante comme facteur de la croissance réussie des économies capitalistes ne tient pas debout. Des pays comme le Japon la Corée, la Thaïlande enregistraient aussi à cette époque des taux de croissance record. Le Japon a réussi à développer son économie en s’inspirant de valeurs culturelles différentes : loyauté envers l’entreprise, responsabilité, confiance humaine…Les théories sur l’échec de l’Afrique qui s’appuient uniquement sur la culture oublient souvent que l’Afrique a aussi une histoire et un contexte géopolitique communs. Sur le plan des valeurs, il s’agit de reconnaître que l’occident n’a pas le monopole de la démocratie ou de la tolérance. Take Akbar a prêché la tolérance religieuse en Inde au XVIe siècle, au japon le prince Shotoku a introduit au VIIe siècle une constitution ou Kempo (connue sous le nom de la Constitution au dix-sept articles) qui insistait sur le fait que « les décisions portant sur des questions importantes ne devraient pas être prises par une seule personne » …

Si les conséquences de cet aveuglement peuvent être nombreuses dans les pays du Nord, elles se traduisent, dans les pays du Sud, par un pessimisme sur l’avenir dont la fuite des cerveaux, le flux des immigrés dans les mégalopoles du Nord sont l’expression la plus médiatique.

Mais, est-ce rationnel de considérer comme démocratique des États qui consacrent une partie considérable de leur richesse à la fabrication des armes qui causent des millions de morts dans le monde, des bombes capables d’anéantir l’humanité toute entière, et qui n’ont pas hésité à les tester à Nagasaki, à Hiroshima ?

Peut-on être démocratique en soutenant les régimes dictatoriaux, en faisant et défaisant les pouvoirs dans les pays les moins armés ?

Ces quelques exemples constituent des preuves irréfutables de la négation des droits de l’homme, de la soif de domination qui caractérise les antidémocrates. En s’auto-proclammant démocratiques, la plupart des pays riches se livrent à une énième escroquerie du monde. Le problème c’est que tout le monde finit par y croire, trouvant des justifications à la prolifération du nucléaire. « Il faut qu’il y ait des grands pays, forts et puissants, mais il n’en faut pas trop » se plait-on à dire. Le monde fait ainsi confiance aux » grandes nations » , qui ont déjà précipité l’humanité dans deux terribles guerres, qui ont déjà étalé le degré de leur « inhumanisme » en faisant usage de l’arme atomique, du Napalm, en colonisant, en soutenant un système économique qui maintient les pays pauvres dans l’esclavagisme.

Semblables à des moutons, les peuples du monde suivent ce chemin dont chacun sait qu’il conduit immanquablement à la destruction de l’humanité. Quel serait le motif inavoué de la prochaine guerre, les richesses de l’antarctique, le gaz, le coltan, le pétrole, l’eau ?

Il faut changer de voie, non pas par vil intégrisme ou pour se désolidariser de l’Occident, mais par pur bon sens, celui qui nous fais croire que dans chaque société, il y a le meilleur et le pire. C’est le devoir de prudence et de vigilance, la première vertu requise pour bien agir dans le monde humain, ce qui fait de nous des citoyens responsables. Il faut ouvrir ces yeux que les Lumières, trop fortes, ont aveuglé au point que nous ne percevons plus de la réalité que des scintillements.

Cette analyse nous amène à penser que la « société de l’information » doit être une société d’ouverture, où les différents peuples se croisent, échangent, dialoguent. La base de tout ceci est bien entendu la connaissance de l’autre, mais aussi et surtout le respect : le respect de sa personne, de sa culture, de son système de pensée. C’est aussi la connaissance de soi, de ses atouts et de ses faiblesses, de ses besoins et de ses apports. Il serait peut être temps que les pays du Sud se préoccupent du contenu de leur panier au rendez-vous du donner et du recevoir. Il serait peut être aussi temps que les pays du Nord apprennent à tendre la main au Sud, non pour donner, mais pour recevoir. Toutefois, cela n’est possible que si le Sud prend conscience du rôle qu’il peut jouer dans la cité globale et si le Nord se rend compte de son propre sous-développement, peut-être moral, social…

Prendre conscience de ses insuffisances, n’est ce pas le début de la sagesse ?

Notes

(1) C’est en 1983 que la Commission des Nations unies pour l’Environnement et le Développement (CNUED) ou Commission Brundtland (du nom de l’ancien Premier ministre de la Norvège, Gro Harlem Brundtland) introduit la notion de développement durable défini comme « un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements, l’orientation des techniques et les changements institutionnels se font de manière harmonieuse et renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux répondre aux besoins et aspirations de l’humanité » . C’est donc « un développement qui satisfait les besoins du présent sans compromettre les capacités des générations à venir à satisfaire les leurs » qui est prôné ici.

(2) Source, Yoshio Utsumi, Président du SMSI, Rapport sur les activités de préparation du Prepcom3, Genève, 2005, 15 pages.

(3) SMSI, Construire la société de l’information : un défi mondial pour le nouveau millénaire, Déclaration de principes, SMSI, Genève, 2003, 11 pages.

(4) Afrique (Bamako, du 28 au 30 mai 2002), Europe (Bucarest, du 7 au 9 novembre 2002), Asie (Tokyo, du 13 au 15 janvier 2003), Amériques (Bavaro, du 29 au 31 janvier 2003), Asie occidentale (Beyrouth, du 4 au 6 février 2003).

(5) Forme de collaboration volontaire entre des acteurs de nature différente (gouvernements, organisations internationales, entreprises, ONG).

(6) UIT, « SMSI, où en sommes nous ?» In Nouvelles de l’IUT, septembre 2005, pp.8-10.

(7) Ces activités sont visibles sur le site : www.itu.int/wsis/stocktaking

(8) Il s’agit de projets dans lesquels s’engagent ensemble le secteur privé et le secteur public. Parmi les projets SMSI, 47% peuvent être classés dans cette catégorie.

(9) Les télécentres et centres multimédias communautaires relèvent de cette catégorie.

(10) Figurent dans cette catégorie, la création de bibliothèques en ligne, l’accès aux informations du domaine public…

(11) Il s’agit de projets visant à familiariser les populations à l’utilisation des NTIC

(12) Projets d’élaboration de logiciels et de contenus locaux.

(13) Un prix inférieur à 100 dollars, un processeur à 500 Mhz fourni par AMD, 1 Go de mémoire flash pour stocker les informations, un module Wi-Fi, 4 ports USB, un écran LCD qui peut passer de la couleur au monochrome pour consommer moins d’énergie. Le portable est équipé de logiciels libres et d’une manivelle pour charger la batterie. Ce projet largement médiatisé bénéficie du soutien financier de grands groupes tels AMD, Google, News Corp et Red Hat. La production de ce portable, de la taille d’un livre, a commencé en 2006. Son lancement a eu lieu au mois de mai de cette même année dans six grands pays du Sud, dont deux en Afrique subsaharienne, deux en Amérique latine et deux en Asie.

(14) L’idée d’une gratuité d’accès à la culture a été portée par tout un courant des Lumières, avec, au premier rang, Condorcet qui défendait la libre circulation des idées. Lors de son discours d’introduction de 1782 devant l’Académie française, il rappela aussi la possibilité d’appliquer les gains d’une science à une autre.

(15) Suivie de l’Union postale en 1878.

(16) Le 17 mai 1865, après deux mois et demi de négociations serrées, la première Convention télégraphique internationale était signée à Paris par les 20 membres fondateurs et l’Union télégraphique internationale était créée pour permettre d’amender ultérieurement ce premier accord. C’est donc essentiellement pour des raisons techniques et de droit international que la création de cette institution s’est imposée.

(17) Société civile, Définir des sociétés de l’information centrées sur les besoins des êtres humains, Déclaration de la Société civile au Sommet mondial sur la société de l’information, Genève 2003.

(18) La Société civile est un concept ambigu qui a souvent varié avec le temps. En effet, nous rappelle Dominique Colas, chez Aristote, la Société civile est synonyme de Cité ou Etat, en opposition avec le peuple. La Société civile ou Etat d’Aristote désigne la forme la plus élevée de communauté ou d’association. Elle surpasse la famille (oikos), et le peuple (ethnos). Cette identité conceptuelle et lexicale, qui surprend au regard des usages actuels, est usuelle jusqu’au XIXe siècle. Chez tous les théoriciens de l’époque classique, Société civile s’entend par opposition à l’état de nature, un usage du terme que l’on retrouve de Hobbes à Rousseau, de Spinoza à Fichte. Pour Hegel, la Société civile n’est pas dans une contradiction antagoniste avec l’Etat, mais elle en est une partie, et ne peut exister sans lui. En tout cas, l’influence de la Société civile mondiale est facilitée par la désorganisation de l’appareil étatique dans certains pays du Sud, ou l’incapacité des Etats en général à faire face aux multiples besoins des citoyens. L’encyclopédie de l’Agora définit d’ailleurs la Société civile comme « ce qui reste d’une société quand l’Etat se désengage complètement ».

(19) Le concept de développement humain (DHD) a été introduit dans le Rapport Mondial sur le Développement Humain (RMDH) publié pour la première fois en 1990 par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). Après en avoir défini la portée et la finalité humaine, le PNUD a élaboré un indicateur pouvant servir à la fois comme instrument d’analyse et comme aide à la décision politique. Cet indicateur de développement humain (IDH) est un outil composite qui mesure l’évolution d’un pays selon trois critères de base du développement humain : santé et longévité (mesurée d’après l’espérance de vie à la naissance), savoir (mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes et le taux brut de scolarisation combiné du primaire, secondaire et du supérieur) et un niveau de vie décent (mesuré par le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat PPA).

(20) Kombe Oleko, op.cit.

(21) 20% de la population mondiale la plus riche consomme 87% des richesses mondiales,
alors que plus de 1,3 milliard de personnes vivent encore avec moins d’un Euro par jour.

(22) Ces derniers sont des buts globaux que les dirigeants du monde entier ont fixés lors du Sommet du Millénaire en septembre 2000 à New York. Les États membres des Nations unies sont, à cet effet, convenus de huit objectifs essentiels à atteindre d’ici à 2015.

(23) Nations unies, Objectifs du Millénaire pour le développement, Rapport 2005, Nations unies, New York, 2005.

(24) « Enfermée dans les survivances de la colonisation et dans la logique du néo-colonialisme, attentive aux intérêts économiques à court terme, convaincue de la persistance très durable du statu quo entre le Nord et le Sud, adhérant dans les meilleurs des cas aux théories de l’évolution linéaire et identique de toutes les sociétés, « la coopération de papa » s’était montrée particulièrement habile et active à soutenir là-bas des clientèles dont les pratiques politiques et les comportements économiques s’opposaient tout à la fois au crédo démocratique et aux préceptes les plus élémentaires de l’économie politique. Cette coopération a longtemps refusé de prendre en compte les acquis des sciences sociales et à fonder ses stratégies sur les avancées que celles-ci ont connues au cours des trois dernières décennies » ( Elikia Mbokolo, Développement, de l’aide au partenariat, La documentation française, Paris, 1993, p.12).

(25) Opposition entre société moderne et société traditionnelle où le lien solidaire serait beaucoup plus marqué.

 

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Auteur

Alain Kiyindou

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