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La communication stratégique : de l’appui au « développement » à la promotion du « changement social ». Une communication de connivence ?

16 Avr, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Misse Misse, « La communication stratégique : de l’appui au « développement » à la promotion du « changement social ». Une communication de connivence ?« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°10/3, , p.14 à 35, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2009/supplement-a/03-la-communication-strategique-de-lappui-au-developpement-a-la-promotion-du-changement-social-une-communication-de-connivence

Introduction

La communication pour le « développement », comme champ d’investigation, existe depuis plus de 60 ans. Cependant sa véritable institutionnalisation s’est effectuée depuis le milieu des années 1960, notamment depuis la vulgarisation des lignes de force des travaux de chercheurs nord-américains, commis pour la plupart par des services du gouvernement américain, et reçus par des organisations internationales. A travers leur méthodologie pratique, ces agences sont devenues des lieux importants de définition des identités remarquables dans le procès de socialisation et d’instrumentalisation des outils et dispositifs de communication pour la mise en acceptabilité du « développement ». Le temps semble venu, non pas d’un bilan, mais d’un questionnement sur l’évolution de cette pratique de communication dominée par le nominalisme et le pragmatisme qui structurent le phénomène du « développement » comme domaine de pensée et d’intervention dans le système de production et de reproduction dans l’Afrique contemporaine. Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Quels en sont les référents et la pertinence sociale ? Les enjeux et les défis sont–ils si évidents ?

Abordant ces questionnements au Colloque international réuni à Douala en avril 2006 (1), les participants ont dégagé un consensus fort : la communication pour le « développement » est marquée par les lacunes et les insuffisances conceptuelles de son objet. De ce fait, sa performance ne dépend seulement ni des ressources propres des Sciences de l’Information et de la Communication ni des dispositifs d’information- communication, mais bien des difficultés insurmontables de la notion de « développement ». Ils ont alors posé les principes de la communication pour les changements sociaux, dont il sera question ici.

Communication du « développement » : origine des théories et mise en œuvre des concepts

La recherche de solutions à l’impasse du « développement » et la nécessité de constituer un discours de légitimation politiquement correct au « Nord » et dans certains cénacles au  « Sud » sont probablement, à l’origine de deux évolutions dans ce champ : l’intérêt renouvelé pour la communication du « développement » d’une part, la prise en compte de la puissance des questions sociales et anthropologiques, en terme de comportements, d’autre part. Ces nouvelles tendances lourdes restent fondées sur la croyance messianique que les appareils de communication peuvent réduire le rejet des innovations et promouvoir des comportements favorables aux objectifs des programmes de « développement », sans qu’il soit utile de s’appesantir ni sur les mots utilisés ni sur leur sens. D’origine multidisciplinaire, la communication du « développement » puise une partie de ses concepts et référents théoriques dans le vocabulaire des sciences sociales et humaines, de l’ingénierie des technologies d’information et de communication, de la science politique, de l’administration publique, de l’entreprise, du marketing, de la publicité… Au niveau théorique, en prenant en charge la question du « développement » des nations, dont les modèles et la terminologie changent à un rythme vertigineux, notre champ de problématisation est pris au double piège de la méthodologie pragmatique de son objet et du nominalisme.

Éléments de définition

La communication pour le « développement » est une composante d’une politique nationale de communication publique. Alibert, De La Haye et Miège (1982) proposent les premiers éléments théoriques de cette modalité de la communication dans la tradition de recherche française au début des années 1980: « l’expression communication publique désigne un ensemble plus vaste, plus englobant » et qui, par conséquent, éclaire beaucoup mieux les caractéristiques principales des rapports entre les politiques publiques et l’information (1982, p.13). Elle « est directement au service de l’appareil d’État » (ibid. p.15), c’est-à-dire, des services administratifs et des démembrements de l’État bénéficiant de la décentralisation fonctionnelle ou territoriale.

La communication publique peut être définie comme étant « la communication formelle qui tend à l’échange et au partage d’informations d’utilité publique, ainsi qu’au maintien du lien social, et dont la responsabilité incombe à des institutions publiques multiples et variées » (Zémor, 1995, p.5). Au plan conceptuel ce mode de communication institutionnelle des administrations publiques émerge d’un souci de cohérence, face au caractère très général des schémas et des plans de « développement », peu mobilisateurs pour pouvoir capter l’attention du citoyen moyen. La communication publique émerge pour tenter de réduire les ambiguïtés lexicales et la grande confusion d’ordre théorique découlant de la variété des expressions utilisées pour désigner les rapports des activités administratives avec l’information. Elle répond cependant à une préoccupation plus pragmatique, la visibilité et la lisibilité de l’action publique, aux niveaux interne et international. Elle n’a point vocation à occuper totalement l’espace public d’un pays, même si elle se situe sur la place publique et s’y déroule sous le regard du citoyen.

Bien menée, cette modalité de la communication est une véritable activité de veille dans la relation des autorités publiques avec les populations. En effet, sur le mode de la persuasion, de la séduction ou de la prévention, sa mission est de service public : informer, écouter, assurer le lien social et accompagner le changement des comportements individuels, collectifs et organisationnels. La communication publique s’inscrit donc dans le domaine du changement social général. Tout en étant dans une certaine mesure une composante de la « communication publique », cette forme de la communication est récupérée dans le champ du « développement », s’en distingue à plus d’un titre. Elle s’inscrit notamment dans une perspective plus large, qui intègre de nouveaux acteurs : des organisations internationales, des entreprises privées industrielles et commerciales, des associations à but non lucratif telles que les Organisations intergouvernementales, les Organisations Non Gouvernementales (ONG) nationales et internationales, les associations et les organisations de la société civile, les groupements communautaires et villageois, les syndicats, les institutions religieuses, etc. Jean-Pierre Ilboudo (2001) définit « la communication pour le développement » comme étant « à la fois un cadre de référence pour les partenaires de la coopération (internationale) et un guide d’action pour les acteurs nationaux du « développement ». Elle définit les objectifs généraux et spécifiques à atteindre, ces derniers devant être intimement liés aux grandes options et orientations du « développement » économique, politique, culturel et social du pays » (2)

La communication en appui aux programmes, qui en est la variable opérationnelle, est une forme de communication organisationnelle, à la fois normative et pragmatique. Elle désigne pour nous (Misse Misse, 2005) un dispositif (3) stratégique de rationalisation de la mise en œuvre des programmes de « développement » social, économique et culturel à travers l’intégration de la communication dans la planification stratégique, l’appui à l’identification des problèmes de comportement, la définition des objectifs de communication clairs, spécifiques, mesurables, appropriés, réalistes et datés, la formulation des résultats à atteindre en terme qualitatif (objectifs de comportement). Visant la réussite technique d’un programme, elle comprend un ensemble varié de stratégies, de techniques et d’actes de communication : techniques d’argumentation (plaidoyer), de sensibilisation, de persuasion (Information, Éducation, Communication) et de mobilisation sociale destinées à produire des identités et à convaincre des publics divers de s’impliquer et de soutenir les initiatives entreprises dans divers secteurs des mutations sociales.

Son objectif est, in fine, d’organiser la conduite, les attitudes, les comportements et les pratiques des populations en vue de l’adoption des normes souhaitées par les programmes et projets de  « développement », généralement en rupture avec les compétences de vie locales, tout en assurant le marketing des organisations émettrices, dont s’occupent leurs chargés de la Communication extérieure. Dès la fin des années 1980 des concertations internationales sont organisées soit au siège desdites agences, soit dans différents continents pour réfléchir sur le paradigme  « communication et développement » (4). Ces assises regroupent, en dehors des agences de l’ONU, des organisations de coopération bi et multilatérales, des ONG, des universités. Tout en louant cette approche, F. Mezzalama (1994) relève, citant un rapport interne de l’ONU, que chacun de ces fora est « a club of people from industrialized countries ».

Même si la participation à ces rencontres a ensuite été élargie à des personnalités du Tiers-monde, cet expert onusien s’interroge sur le degré d’ouverture de ces grandes messes pour spécialistes occidentaux. Même si l’absence du Programme des Nations Unies pour le Développement à toutes les rencontres tenues jusqu’en 1994 a suscité beaucoup d’interrogations, cette forte implication de l’ONU situe de facto le schéma étudié dans la perspective de l’internationalisation de la  « communication pour le développement ». Ce marquage confirme la prégnance du productivisme dans le champ, dont il met en évidence la dimension politique et géopolitique. Parmi les produits de ces réunions, les agences proposent une approche unitaire de la communication pour accompagner la mise en œuvre de leurs activités de développement économique, social et culturel. L’information, le partage des connaissances (l’éducation et la formation) sont les stratégies retenues pour le transfert, d’un pays ou groupe de pays industrialisés à un autre groupe de pays « sous-développés », d’un certain nombre de technologies et de pratiques administratives et culturelles.

L’accent est mis sur l’utilisation systématique de techniques de communication appropriées susceptibles de favoriser la participation des communautés de base au développement et la prise de décisions responsables. En réalité, si sur le plan des représentations symboliques ou dans le discours toutes les agences mettent en évidence « the importance of communication as a prerequisite for any development programme to succeed » (Francesco Mezzalama, p 23), au niveau conceptuel l’appui de la communication aux programmes de « développement » ne fait l’objet d’aucun consensus au sein de l’O.N.U. et de ses agences spécialisées. Ainsi, Mezzalama (p. 23), montre que, sur le plan des théories, il n’existe aucune convergence entre les agencies : « each agency has its own distinct approach and is rarely aware of what other agencies are trying to achieve in the same field » (5). On retrouve ce babélisme sur le plan opérationnel, avec l’absence d’une référence claire à la communication comme un pré requis au succès des programmes de « développement ». La nécessaire homogénéité entre l’argument employé et l’opinion défendue, dont les dispositifs d’Information – Communication ne devraient finalement qu’assurer la mise en forme, n’est pas avérée dans ce contexte de relations publiques généralisées.

Caractéristiques théoriques

Entre productivisme…

Nous inscrivons notre réflexion sous l’angle de l’analyse du rapport entre les appareils et processus de communication et le « développement ». La « communication pour le développement » est dominée par la logique productiviste et s’inscrit ainsi dans le temps court. En effet, pris par une véritable frénésie les commanditaires et les « experts », habitués de résultats « quantifiables et mesurables » dans l’industrie manufacturière, en démographie ou en épidémiologie, ne cessent de rechercher ou de réclamer, contre tout bon sens, que l’apport des activités de communication soit quantifié et mesuré ici et maintenant. Le productivisme, écrit Alain Lamarée in « communication, vol.18, 1997 » « conçoit les activités de communication comme étant des moyens au service des fins de productivité, d’efficacité et de contrôle des activités de production de l’organisation, ces fins étant décidées selon une hiérarchisation du processus décisionnel ». Cet auteur confirme ainsi, en même temps que la nature stratégique et opérationnelle de la communication pour le  « développement », sa filiation forte avec la dimension normative, à l’œuvre par exemple dans la communication des organisations internationales de « développement ». Le lien de causalité entre tel moyen de communication et les innovations proposées est le modèle structurant de la problématique « communication et développement ».

Cette perspective, qui situe par exemple les médias de masse au centre de tout processus de modernisation, est repérable au niveau de la production « scientifique » de l’époque. La communication est ainsi, chez Lerner (1958, p. 342), un analyseur de la forme des sociétés humaines. Pour Willbur Schramm (1964, p. 231) le manque de réussite des programmes de « développement » s’explique par un partage insuffisant de l’information. Cet auteur accrédite le postulat du transfert (6), selon lequel le « Tiers-monde » pourrait sortir du  « sous-développement » en bénéficiant des innovations, des connaissances théoriques, des savoirs et des savoir-faire et des technologies occidentales aux formations sociales destinatrices de l’industrie du « développement ». Cela vaut à la communication étudiée ici son galvaudage et son instrumentalisation. En effet, le finalisme semble border et borner les discours du « développement », de sorte qu’ils ne puissent pas prendre la distance critique pour parler du manque de cohérence interne des théories, des contradictions entre elles et de l’impasse qu’elles font sur les questions liées à une approche politique du « développement » dans le monde. L’approche institutionnelle du premier, comme la théorie des transferts du second, situent donc les médias de masse au centre du procès de transformation sociale, par leurs effets multiplicateurs et amplificateurs de l’information, qui accélèrent la réalisation de tout programme de « développement » économique, social et culturel.

Ces deux pionniers avaient fondé leur grande foi aux medias dans le processus de « modernisation » à pâtir des succès apparents de la radio et du cinéma dans les activités de propagande durant la seconde guerre mondiale et de la télévision pendant la guerre froide qui a suivi. Il s’agissait de rééditer le même exploit pour introduire des changements fulgurants dans les pays du « Tiers-monde ». En bon militant, Lucian Pye, politologue de l’Institut de Technologie du Massachusetts (M.I.T.) élargit le projet de Lerner en soutenant que tous les aspects de la communication et pas seulement les médias dits de masse peuvent être considérés comme des agents de participation dans les pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie y compris dans le champ politique et sur le modèle occidental (Bella, p 22). En véritable prédicateur, Ithiel de Sola Pool du même Institut, s’associe à la vision technologique du « développement » lorsqu’il soutient que « la culture technique et scientifique ayant aujourd’hui une dimension mondiale, tout pays qui se trouve coupé de la circulation du savoir le paiera cher »( Hoselitz et als, 1963, p.287). Même s’il doute que les médias de masse aient quelque effet direct sur le processus de changement de comportements, ses travaux mettent en évidence la dimension commerciale de la communication dans le modèle de la modernisation.

D’autres penseurs (7) ont, à des époques plus anciennes, épousé cette vision idéologique et interventionniste fondé sur l’idée de la suprématie des valeurs et façons de faire de l’Occident. La bureaucratie, la rationalisation sont déjà présents dans les travaux de Max Weber (1964, p.8-9, Avant-propos). Pour lui, relève Jan Servaes (1991, p. 11), il n’y aurait de « développement » que celui dont les effets se mesurent en dollars :« India, China, Persia and Egypt were old, old centers of civilisations…Their rich cultures had in fact provided the basis of contemporary western cultures…their family life displayed a warmer intimacy…that was not development. It could not be measured in dollars and cents » (8). La réflexion de cet auteur inspire largement les premières études d’Everett Rogers (1962) sur la diffusion des innovations, qui préconisent des réponses technologiques à des questions sociales et culturelles (alphabétisation, planification familiale, agriculture). Les « analyses » diffusionnistes en vogue sont reprises dans de nombreux paradigmes de l’assistance technique : « presse et développement » ou « information et développement » (décennies 1960) ; « technologie et développement » (décade 1970), mis en œuvre par les agences de coopération bilatérales et multilatérales dans le système onusien, en appui au modèle dit de la  « coopération technique ».

La précarité de la communication, observée dans la mise en œuvre des programmes, se retrouve également dans le vocabulaire et les argumentaires de la communication pour le « développement ». Les sages de la communication opérationnelle en viennent donc à oublier que, contrairement à l’approche épidémiologique, les données comportementales sont plutôt qualitatives, qu’elles s’accommodent mal de toute dérive quantofrénique et qu’elles devraient être observées dans le temps long du changement social.

… et… nominalisme

La question du « développement » des nations est caractérisée par des modèles qui changent à un rythme vertigineux. En la prenant en charge sans critique, les sciences sociales de la communication sont prises au piège du productivisme, dont nous venons de parler. Les SIC ne peuvent, pas non plus s’affranchir du nominalisme, qui enferme leur objet. Le nominalisme naît, pour nous de la confusion que toute « absence de balisage méthodologique » peut faire courir à l’analyse, et contre laquelle Michel Foucault (1969, p. 31) prévient. Ce laxisme consiste à aborder le singulier, en termes de totalité culturelle, à définir par les synonymes, bref à faire bon marché de l’esprit critique. A titre d’illustration, même s’il présente les apparences et la puissance d’un concept, le terme « développement » ne désigne pas les mêmes phénomènes et il ne renvoie pas immédiatement aux mêmes référents pour tout le monde. Par la logique nominaliste, les approches utilisées tendent, toutes, à faire du « développement » un simple synonyme d’expressions comme la « modernisation », la « croissance », le « progrès », « l’industrialisation », termes par ailleurs jamais définis. Lorsque par contre l’on revendique une définition de ce mot, les experts, depuis Alfred Sauvy, restent très embarrassés et ambigus. Ils tentent alors de répondre par des formules qui expriment tantôt ce que le « développement » n’est pas comme le « sous-développement » , tantôt un groupe de pays du « Tiers-monde « , « en voie de développement », peu, moins ou non industrialisés et depuis peu, « pauvres ».

Ces énoncés ne sont jamais précisés, ni au-delà de leur simple invocation, ni autrement que par l’érection des pratiques ethniques occidentales en finalités universelles. Même s’ils cachent des maux, tout se passe cependant comme si ces mots sont connus de tous. Ils s’imposent d’ailleurs avec un succès surprenant bien qu’ils portent toujours les stigmates des approximations de l’expérimentation sociale à l’œuvre, qui aboutissent, de décennie en décennie, à un cul de sac, c’est-à-dire au mieux à la « croissance sans développement ». Ces formules ont une fonction de légitimation de la thèse du retard que, par exemple, les pays africains doivent (et peuvent ?) combler. Ce vocabulaire mystificateur tiré de l’encyclopédie différentialiste est familier au seul public restreint, mais sociologiquement important des « crisocrates » qui se recrutent dans les administrations publiques nationales, dans le système onusien et dans les institutions financières internationales. Pour leur part, les communicologues, anthropologues et autres sociologues du  « développement » participent à l’amalgame créé et entretenu par ces véritables « experts » du « développement du sous développement », dont les schémas consistent en transferts de modèles d’organisation et de pratiques sociales, en dons et prêts destinés à renforcer l’extraversion durable de l’Afrique, l’Amérique du sud et l’Asie. Une théorie du transfert de l’information, mais pas seulement, serait une piste intéressante à explorer en dehors de la présente production. Le réalisme nous amène à reconnaître que la configuration des rapports de force rend illusoire pareille évolution qui aboutirait à un modèle de changement plutôt créé que plus souvent subi et qui se situerait dans la durée. Ainsi, ils ont intégré sans distance critique ce lexique dont les nouveaux mots clés sont le Plan d’Ajustement Structurel, la « société civile », la « participation communautaire », la « communauté internationale », les médias internationaux, la fracture numérique, les pays pauvres très endettés, etc.

Sortir du paradoxe

Conceptualiser le champ du « développement », c’est-à-dire sortir du pragmatisme et du nominalisme, suppose des ruptures avec les postulats de départ, formulés par la théorie des écarts ou plus généralement par la logique évolutionniste : la corrélation des innovations et du changement (par exemple les médias et les technologies), la différenciation et la diffusion des innovations, le transfert et le changement d’origine exogène (par exemple l’aide et la coopération au « développement»). Ces modèles complexifient, chacun à leur manière, le thème du  « développement ». De ce fait la communication du « développement » est particulièrement vulnérable aux effets de mode dans la construction même de ses paradigmes et de ses schémas d’analyse. La seconde dimension ontologique de cette modalité de la communication est implicite dans la critique du causalisme finaliste. La position des « théoriciens » du « développement » est en effet aussi critiquée par des membres du clan. Ainsi, depuis le début des années 1980, Rogers lui-même reconnaît les limites du paradigme de la seringue hypodermique et la nécessité : « to move beyond the proven methods and models of the past, to recognize their short-comings and limitations and to broaden their conception of the diffusion of innovations » (9). Il propose, dans la relecture qu’il fait de ses travaux antérieurs, un schéma de convergence en 5 étapes bien connu (10), mais peu appliqué, qui considère la communication comme un processus relationnel de construction mutuelle du sens et de la réalité par les acteurs sociaux. Cet auteur nous donne des éclairages sur les conditions de possibilités de l’adoption des innovations (11). Même si cette approche vise en réalité des effets de démonstration, elle tend « à susciter la prise de conscience » de l’intérêt des innovations préconisées par les populations et les décideurs.

Herbert Schiller dans son analyse politique et économique de la structure du système de communication américain, Lee Ruggles, tout comme Seymour Lipset Martin, remettent en question la chaîne d’interaction causale entre les diverses composantes de la « modernisation » proposée par Lerner mais non confirmées par des données de la recherche. Bella Mody (1991, p. 22) estime ainsi que « subsequent events did not support Lerner’s expectations » (12). Josiane Jouët (1992, p. 11) écrit, à propos du modèle causal, que « les résistances rencontrées à l’effet, supposé tout puissant, des médias comme agent de « développement» m’ont peu à peu amenée à réviser cette perspective et à aborder les phénomènes de communication avec une plus grande modestie, voire un scepticisme alimenté par l’état de sous-développement chronique des pays du Tiers-monde ». Ce faisant, ces auteurs rejoignent une partie de l’école critique des communications de masse, pour qui : « what is central for mass communication is not message-making or sending and not even messages themselves, but the choice, reception and manner of response of the audience. In turn, an attention to the audience requires a sensitivity to the full range of meanings of that experience and thus to its diversity and fragility » (McQuail, 1991).

La faute principale de ces auteurs est d’avoir pensé ou au moins implicitement cautionné l’idée que la seule diffusion des innovations dans les pays tiers pouvait y provoquer le « développement » durable, au mépris de nombreuses dynamiques sociales du « dedans et du dehors ». Nous trouvons leur démarche et leurs conclusions un peu trop simplistes, car elles font l’impasse sur la dimension symbolique ou culturelle de l’innovation, sur les obstacles structurels au changement social tels que les structures de pouvoir, les relations sociales (économiques, de genre, d’âge, de résidence, professionnelles), dans les formations sociales, qui sont des stipulations non négociables. Bref, par leur raisonnement perfide, ils occultent la question du sens.

Pour nous, on peut difficilement faire des propositions différentes sans sortir de la camisole de force. Il est admis, depuis les travaux de Paul Lazarsfeld, que des effets limités sont possibles, en fonction des questions abordées. Nous discutons également les fondements de la position critique de ces auteurs qui, même s’ils trouvent inacceptables les préconisations de l’approche communicationnelle du « développement » ainsi décrite, comme celles de la perspective développementaliste de la communication, restent pour la plupart, enfermés dans la logique nominaliste. Ils manquent une problématisation plus consciente et plus explicite de la notion de  « développement » et de la pertinence de la communication comme solution hypothétique des problèmes majeurs de changement dans une formation sociale.

Ces penseurs restent prisonniers des mots, qui désignent les maux pour lesquels on cherche des réponses à travers des phénomènes aux significations multiples et vagues pour la plupart. Par exemple, ils rejettent le modèle impressionniste des effets des médias simplement par défaut, c’est-à-dire uniquement du fait de son manque de réussite et non pour l’indigence conceptuelle et l’inacceptabilité du schéma du « développement » et du  « sous-développement », que les médias et les « non médias » véhiculent. Leur posture parfois chargée d’idéologie (13) diffuse ou de condescendance inconsciente est irrecevable pour notre part, car elle tend à autonomiser les moyens de communication dans le processus de « développement », voire à les rendre responsables de la crise pluridimensionnelle du « développement » de la société et de son incapacité à apporter des réponses satisfaisantes à ses déséquilibres et à ses mutations structurelles (14). Nous pensons que l’impérialisme technologique et le messianisme communicationnel, à l’œuvre dans notre champ de recherche, ne peuvent pas assurer un changement social durable sur le continent africain, en Amérique du Sud et en Asie, à partir de politiques publiques et des pratiques quotidiennes de  « développement » qui consistent essentiellement en dons et en prêts, destinés à y renforcer l’extraversion durable. Cette tendance lourde repose sur une base quasi impossible à opérationnaliser car elle va contre le sens de l’histoire. Il convient de substituer au causalisme une problématique interrogeant la dimension cachée de la philosophie occidentale du « développement », dont la critique de la raison instrumentale montre les limites. Parlant spécialement des appareils communicationnels, on observe qu’aucun investissement des stratégies narratives ou discursives propres de ces dispositifs n’est entrepris. Les discours situent toujours la formulation et la pratique du « développement » dans la logique de la linéarité et du transfert des technologies administratives, culturelles, économiques et communicationnelles. Les outils et dispositifs de communication sont alors nécessaires pour appuyer la diffusion du modèle prométhéen.

Ainsi, pour Kirk Johnson, l’idée de base sous-entend que « global forces of interaction and increased interdependence of national institutions and national economies give rise to social processes that are evident the world over…Yet, it remains mass communication, that channels many of those forces» (15). Ce rôle de la communication figure déjà dans la référence, visionnaire, de Mac Luhan au modèle du « village global » comme espace de mise en résonance des médias de masse, de la consommation et du divertissement à l’échelle mondiale. Ce penseur canadien a développé l’idée que les technologies électroniques provoquaient des progrès rapides dans les pays non industrialisés. C’est la même perspective qui fait, par exemple, que les partisans des TIC et, notamment de l’Internet, soutiennent que ces dispositifs peuvent jouer un rôle de catalyseur du changement social. La réfutation de cette vision causaliste, par trop réductrice pour la communication est probablement à la base du questionnement de Bernard Miège dans « La société conquise par la communication ».

Pour faire quelque progrès dans la compréhension de la problématique de la communication du  « développement », la recherche devrait en viser l’intelligibilité de son objet, au-delà des discours et des comportements, des croyances et des pratiques apparemment soit rationnelles, soit irrationnelles. A notre avis, le manque de performance des appareils d’InfoCom s’explique probablement par un conflit latent mais durable entre l’imaginaire des énonciateurs et les croyances des énonciataires des discours sur le « développement ». L’objet de cette tension est le contenu des messages, et non la forme de leur transmission comme une tendance majoritaire des analyses  « critiques » des médias et du « développement » voudrait le faire croire. Cette opposition entre le sens et le non dit se traduit par un rejet silencieux du modèle de « développement » prescrit, par des populations considérées à tort comme formant une audience passive. Il est par exemple l’expression des angoisses, des inquiétudes, des incertitudes et des peurs des populations, au « Nord » comme dans les « Suds », face à certains changements préconisés par l’idéologie modernisatrice. Il conviendrait alors de sortir du domaine de la pétition de principe, qui consiste à tenir pour vrai, unique et universel, le modèle de « développement » occidental. Déjà, dans les années 1970, de façon prémonitoire, le Club de Rome recommandait, contre l’argument fallacieux : Halte à la croissance. Une stratégie efficace de communication pourrait alors partir d’une analyse de situation sérieuse, qui dégage les besoins d’information et d’éducation non satisfaits, traduits en « missions de communication ».

La rhétorique du « développement » adossée sur un ensemble de démarches « épistémologiques » erronées du rôle des innovations et des moyens de communication, ignore généralement toutes ces multiples zones de « bruit ». Avec de nombreuses questions « oubliées », le discours aboutit alors à une présentation idéologiquement biaisée du « développement », caractérisée par la censure et par la domination des nouvelles formes de rapports de pouvoir. Cela fait apparaître le champ du  « développement » comme un espace public éminemment politique, dans lequel le pouvoir et le  « développement » s’articulent dans un mode complexe de rapports. On observe un jeu entre des logiques sociales contradictoires ou convergentes entre les pouvoirs publics et leurs partenaires institutionnels, les populations considérées comme étant les « bénéficiaires » du «développement ». Enfermée dans la logique causale, la communication stratégique part, non pas d’une volonté de résolution des ruptures de communication clairement identifiées entre les parties prenantes, mais d’une stratégie de message destinée à la mise en acceptabilité forcée du « développement ». Ilboudo reconnaît ainsi l’utilisation de la communication surtout « pour faire comprendre à la population les « bénéfices » que promet le « développement» et les « sacrifices » qu’il exige, et pour lui inspirer le désir de suivre les leaders » (op. cit.).

En Afrique notamment, la communication pour le « développement » aboutit à une communication essentiellement symptomatique, qui suit une courbe asymptotique. Deux cas nous permettent d’illustrer notre propos : au cours de la Conférence Internationale sur Population et Développement (CIPD) tenue au Caire en 1994, et après ce forum, le concept de « Santé sexuelle et de la reproduction, proposé par les pays occidentaux, a été rejeté par les pays africains et d’autres, qui lui ont préféré la notion de « Santé de la reproduction». Cet échec de la tentative d’imposer la sexualité (les orientations sexuelles) parmi les droits humains fondamentaux, qui banaliserait l’homosexualité, tout comme la santé reproductive des adolescents, qui continue à susciter des réticences pour certains gouvernements, montrent que malgré le besoin de « développement » , tous les discours ne sont pas acceptés, notamment lorsque le « développement » pose à ses destinataires un problème de l’ordre de l’imaginaire, avec ses idées absurdes, ses préjugés, ses mirages, ses mythes, ses fictions.

La dimension symbolique qui se manifeste par les résistances observées s’explique probablement, du côté des populations africaines, par la contradiction perçue entre les pensées et les pratiques du « développement » : Face à une stratégie du développement fondée sur la parenté, la planification familiale est irrecevable. Ces lignes de conflit, qui valident la thèse des arrière-pensées du  « développement », instituent une relation de méfiance des « receveurs» vis-à-vis des « donneurs» ou des « donateurs ». Cela rend plus intelligible la déception des publics, qui porte à la fois sur les systèmes de communication et sur le contenu du « développement » et partant, l’impératif d’une nécessaire articulation du discours médiatique du « développement » aux attentes des publics partenaires du  « développement ». Cette mise en discours ne saurait se réduire à la production méta discursive des représentations publiques du « développement ». Pour les masses populaires également, 60 ans de modèles de « développement » successifs sont probablement perçus comme la chronologie d’une exploitation et d’un appauvrissement sans fin. C’est probablement dans ce sens que, selon Ilboudo, « on reconnaît aujourd’hui et maintenant que ce modèle, dans les pays « en développement », a profité à ceux qui étaient déjà privilégiés au sein de la communauté plus qu’aux marginaux et que le fossé qui existe entre les riches et les pauvres ne se réduit pas ».

Sur le terrain, On retrouve alors une filiation forte entre communication du « développement » et communication politique. L’approche par projets, caractérisée par le cloisonnement entre les projets et l’absence totale de coordination des interventions en communication prédomine, en particulier dans le système des Nations Unies. Les activités dites de communication se situent, pour les énonciateurs, au niveau macro social et elles se limitent en réalité à la simple transmission indifférenciée de l’information, des gestionnaires du projet vers la communauté. L’observation de ce nouveau mode de fonctionnement fait penser à une situation de babélisme, du fait de l’absence de cohérence des actions des partenaires au « développement», dont les logiques sociales et les cadres programmatiques diffèrent, voire sont antagonistes. Cette absence d’un mécanisme de coordination sera à la base de nombreux dysfonctionnements : gabegie, duplication d’efforts et de moyens, faible impact des actions menées, gaspillage des ressources financières, refus de considérer la communication comme une composante à part entière des programmes et projets, absence subséquente de fonds alloués à la communication en appui aux programmes. Comme le relève Servaes, l’approche communicationnelle du  « développement » par les instances chargées de la coopération au « développement » dans les pays occidentaux et les Agences de l’ONU reste une approche paternaliste et idéologique. Elle ignore les réalités de leurs zones d’intervention ou les considère avec condescendance.

L’instrumentalisation des outils et dispositifs de communication de masse et les technologies à des fins de promotion du « développement » est permanente. La diffusion des messages doit amener les populations à comprendre l’intérêt qu’elles ont à soutenir ces initiatives. Ces contraintes institutionnelles obéissent également aux dynamiques internes, comme le montre la recherche de Kirk Johnson sur l’influence de la télévision dans le monde rural en Inde (2001, p.165) : « Access to information has been an important avenue by which the village elite has traditionally maintained his position in the community. By monopolizing the information the elite has been able to manipulate the masses. With the arrival of television this strategy has been removed » (16). De nombreux auteurs établissent également une corrélation forte entre télévision et changement social : Agrawal (1980; 1986), Kent (1985), Singhal et Rogers (1989), Vilanilam (1989), Kottack (1990), Salzman (1993), Unnikrishnan et Bajpai (1996). Nous avons souligné dans « Télévisions internationales et changements sociopolitiques en Afrique subsaharienne » (Mattelart, 2002) que ce contrôle exclusif des sources d’incertitude par l’élite est mis à mal par l’arrivée des médias sans frontières. En réalité, comme explique Himmelstrand dans sa critique du processus de médiatisation du « développement », à travers les médias de masse, « la diffusion des innovations nées en Occident dans la sphère des idées, de l’organisation et de la technologie était censée faire évoluer les sociétés des régions peu développées en les rendant plus modernes, c’est-à-dire plus proches du modèle occidental » (Ulf, 1981, p.248). Cette approche assimilationniste préconisée et la démarche prescrite privilégient le modèle de communication hiérarchique, entre un prescripteur de comportements, d’attitudes et de bonnes pratiques (l’agence de « développement » ou une entreprise de presse) et un récepteur supposé passif (la population). La démarche a été peu opératoire et critiquée par de nombreux auteurs.

Dans le continent sud-américain, par exemple, la production doctrinale sur le paradigme information et société est le fait de deux courants antagonistes : le modèle de l’information, la théorie de la modernisation et le schéma de la dépendance. Comme le relève Jésus Martin Barbéro (1998, p.155-156), analysant la décennie 1960, « la modernisation, liée au « développement», propage un modèle de société qui inscrit la formation comme un domaine de pointe de la diffusion des innovations et en modèle de la transformation des sociétés ». Cette construction, adossée sur l’ambiguïté entre communication et société, s’identifie avec les appareils et dispositifs de socialisation. Elle oublie la relation et tend à instrumentaliser les médias de masse. La seconde perspective voit dans les stipulations du premier paradigme la marque de l’impérialisme culturel, qui est abondamment critiqué. Ce courant refuse toute spécificité, toute autonomie aux médias considérés à la fois comme espace des constructions idéologiques (17) et en tant qu’espace des processus et des pratiques de reproduction symbolique. Pour le modèle de la dépendance, l’impérialisme culturel n’accorde aune place aux représentations sociales des messages et de leur impact. Le contrôle exercé sur le fonctionnement des médias et sur celui des innovations par les institutions politiques est dénoncé et les dispositifs communicationnels sont assimilés à des  « appareils idéologiques », selon la formule d’Althusser. Barbéro et l’école sud américaine s’insurgent contre le biologisme, qui tendrait à accréditer l’idée selon laquelle la communication est une norme de comportement destinée à assurer la reproduction du groupe. Également opposé à tout idéalisme, cet auteur défend la nécessité d’une articulation du développement des pratiques de communication autour de celui des pratiques productives et de l’organisation conflictuelle des rapports sociaux.

En Afrique, des auteurs (par exemple Famé Ndongo, Charles Okigbo, Misse Misse, etc.) posent un regard africain sur la communication, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Famé Ndongo. On s’est progressivement rendu compte, d’un projet de « développement » à l’autre, que l’information diffusée par les médias de masse a peu d’effets sur le changement de comportements en faveur du «« développement ». La performance des différents supports utilisés est donc remise en cause sur le terrain du « développement »: “mass medias are important in spreading awareness of new possibilities and practices, but at the stage where decisions are being made about whether to adopt or not to adopt, personal communication is far more likely to be influential ” (Servaes, Patchanee, Malikhao, 1991, p.3) (18). Les modèles de communication, instrumentalisés par les agences de « développement », se voient donc ouvertement reprocher de n’avoir pas su provoquer les changements attendus par diverses institutions en charge d’améliorer le sort des populations. Toutefois, l’expérience nous autorise à dire que, en réalité, la communication dans notre champ d’investigation repose encore sur la ruse. En effet, les décisions et les choix stratégiques ne s’inscrivent pas dans l’ordre des dialogues rationnels (19). Elles ne sont souvent ni le résultat d’un processus dialogique, ni le fait de la volonté de diffuser de l’information objective. Ce déficit de communication ne permet ni d’aplanir les différences d’interprétation, la peur, l’émotion, les perceptions et la tolérance ou le rejet ni d’améliorer l’interface entre les diverses parties prenantes. Cela explique probablement l’incapacité de gérer le changement (20).

Nos critiques se fondent sur de nombreuses tentatives qui se sont soldées par des échecs retentissants, généralement remarquées par des « forêts » dominées par une « faune » (les réalisations économiques et industrielles surdimensionnées ou sans rapport avec les besoins du pays) très riche en « éléphants blancs» (métaphore utilisée pour désigner les usines et autres projets clés en mains abandonnés dans la brousse par l’assistance technique étrangère, mais régulièrement facturés dans les dettes extérieures des pays africains). Dans ce chapitre, nous pouvons par exemple rappeler que l’histoire de la télévision en Afrique, en Amérique du sud et en Asie est intimement liée à des initiatives verticales de « développement » sectoriel : l’implantation du satellite de télécommunications Intelsat favorise l’émergence de la télévision. En Côte d’Ivoire, elle est créée au début des années 1960 dans le cadre d’un projet d’éducation scolaire. La seconde a échoué dès ses débuts et la première est mise à mal par les télévisions transfrontalières. Probablement du fait de l’aveuglement de l’obsession de la réussite, et de la concurrence entre agences, on tend à faire l’impasse sur les échecs et, sur les questions liées à une approche globale, c’est-à-dire politique, du « développement ». Les critiques récentes des pratiques des ONG pendant le tsunami en Asie du sud-Est en sont une preuve éloquente supplémentaire. La « communication pour le développement » apparaît, à partir de ses deux pôles antagonistes, comme un champ politique. La temporalité est l’élément structurant de la tension, entre le temps court et le temps long.

Nous pensons que le problème posé ici est celui de la mesure de l’impact du « développement ». Le temps court est celui du causalisme et des habiletés techniques et instrumentales à transférer ; temps de l’actualité, il est caractérisé par des évaluations à la va vite, commandées par des bailleurs de fonds à fin de bilan et de levée des ressources financières nouvelles. Le temps long est celui du changement de comportements individuels, collectifs et organisationnels, qui permet une appréciation qualitative de la participation communautaire et de l’appropriation des innovations ; c’est aussi, naturellement, celui de l’esprit critique et de l’histoire.

Ce que devrait être la communication pour les changements sociaux

Vers de nouvelles approches méthodologiques ?

La communication pour les changements sociaux, dont nous posons ici les jalons de la discussion, naît sur le terreau de la critique des modèles pragmatiques dominants de la communication pour le « développement ». Les stratégies contemporaines de communication sociale promettent de développer de nouvelles dynamiques de communication pour expliquer les mutations sociales.

Everett M. Rogers et après lui, plusieurs auteurs critiques légitiment la logique participationniste, qui « se préoccupe de la place, du droit et des intérêts des différentes catégories d’acteurs relativement aux stratégies de communication ». Cependant cette proposition est restée une simple construction intellectuelle. Le « développement » apparaît comme un projet politique, qui rend problématiques les conditions de possibilité du changement de comportements ou de l’adoption d’attitudes favorables aux modèles d’innovation préconisés à partir d’un mode de fonctionnement qui ne laisse aucun espace de dialogue. Parler, dans ces conditions, de dialogue et de communication participative relève de la fourberie. Dans la pratique, la communication est toujours pensée et utilisée comme un simple ensemble de processus fonctionnels, où l’interlocuteur est ravalé au rang de « récepteur » , de « cible marketing » . Plutôt que de convaincre, elle se réduit à l’utilisation d’une panoplie de techniques, affirmant le primat de l’efficacité des actions au dépend du principe de symétrie entre les acteurs. Pourtant, la parole argumentative authentique s’inscrit dans un choix humaniste clair, contraire à la logique cartésienne, qui consiste à convaincre l’autre en respectant sa liberté d’adhésion.

Le « développement » ne peut être ni une évidence, ni un contrat d’adhésion. L’évolution du vocabulaire doit être mise à profit, pour envisager le changement. Par exemple, la nouvelle terminologie met en exergue le dialogue, l’approche participative et les principes du processus délibératif comme composantes essentielles de la communication dans notre champ de problématisation. Notre propos est ici de faire le pont entre la théorie et la réalité opérationnelle, en vue de nous interroger sur les conditions de possibilité d’un modèle générique de communication pour les changements sociaux, qui est encore à construire. Cette nouvelle modalité de la communication apparaît d’abord comme la voie de sortie de la crise de la communication et des discours auto réalisateurs du « développement ». Nous la proposons ensuite comme le moyen d’assurer la mise en cohérence du dire et du faire.

Pour ses bases théoriques, nous reprenons, en les adaptant pour notre argumentation, les quatre éléments clés du modèle d’Ortwin Renn : le marché des biens symboliques, l’expertise (les compétences en communication), les régimes de réglementation de la prise de parole et le mode d’organisation du dialogue avec les publics. Ces composantes font appel à différents modes d’action communicationnelle : l’analyse des coûts-avantages de la situation de communication, la médiation, la participation et la prise de décision proprement dite. La démarche participative fait partie des méthodes interactives qui consistent à impliquer effectivement les communautés partenaires à toutes les phases du programme et de chaque cycle de projet. Le tout premier défi de cette perspective est d’instituer l’approche par réseaux, qui consiste à faire travailler ensemble des groupes d’acteurs caractérisés par des logiques sociales très différentes, voire opposées pour susciter l’adoption de nouveaux comportements. Le but du « réseautage » est donc de construire du relationnel et du lien pour amener divers partenaires (21) à adhérer aux schémas théoriques et à les opérationnaliser. A titre d’illustration, l’offre de services, la demande de prestation et la communication stratégique sont des composantes qui ne doivent pas être conçues et mises en œuvre séparément. La communication suscite la demande de prestations, elle ne peut être pertinente dans un contexte de déficit de l’offre, y compris au niveau symbolique. Les performances ou les échecs de l’une des composantes ont une incidence sur les autres. L’approche du changement consiste donc en une vision holiste et résolument dialogique.

Les thèmes du dialogue et de la participation, sont en effet situés en amont des processus de communication sociale et au centre du changement social. Penser la communication en terme de participation c’est aussi se situer au niveau micro social, sur le plan des sujets individuels et des institutions. Les stades informatif et associatif, sont des moments préparatoires de partage et de formation qui obligent à accepter la pluralité et une auto-remise en question réciproque, des partenaires au « développement ». Les médiations de communication, les identités et la subjectivité des populations sont indépendantes des modèles de masse technologiquement diffusés. Nous pensons que l’opérationnalisation et les chances de succès des nouvelles technologies communicationnelles en appui aux changements sociaux passent aussi par les médias communautaires et alternatifs. Alors, quelle place pour le paradigme de la circularité dans un champ structuré par le pouvoir, soumis à des « pressions externes comme aux forces (internes) de changement les plus opérantes ?».  Si la finalité du changement social est de rendre meilleur l’avenir des peuples et des nations, le modèle de la circularité doit dominer notre champ d’investigation, afin d’y créer des interstices pour l’émergence d’une véritable philosophie politique du développement, dont la base est le dialogue des cultures et des civilisations.

Dans ce contexte, comment penser la vitalité des programmes de communication dans la perspective de la négociation, du partenariat et de l’implication effective des communautés ? La question étudiée ici dépasse à notre sens le type des médias et les formes de la communication. Nous avons montré que le concept même de médias de masse peut faire problème (22). Notre thèse est que la problématique de l’innovation sociale par les médias paraît bien peu efficiente dès lors qu’elle occulte l’angle de l’historicité des sociétés et de la spécificité de leurs pratiques de communication. Elle est peu féconde du point de vue des investissements symboliques et des usages sociaux des moyens de communication de masse considérés, des logiques sociales et de leur construction en réaction à l’innovation elle-même. Autrement dit, les approches planificatrices, intégrées et participatives préconisées actuellement, doivent se départir de la brutalité et du nominalisme, pour être d’une meilleure efficacité. Elles devraient répondre à la question du sens, c’est-à-dire le conflit entre mémoire et énonciation du « développement ». De même, la communication de proximité et les techniques de communication interpersonnelle, les médias endogènes ne sont pas des panacées de quelque docteur en communication miracle. Le comportement des populations, que l’on stigmatise, est ambigu. Expression probable d’une angoisse, il oscille donc entre soumission apparente, acquiescement, autonomie et résistance, parfois acceptation. Ces êtres humains refusent probablement d’être traités comme de simples consommateurs d’idées, de modèles et de pratiques « importées » qui leur paraissent destinés à mettre leur culture en péril, à nier leur existence en tant que personnes. Compte tenu de la situation qui vient d’être décrite, les performances des outils et dispositifs de gestion sociale restent généralement incertaines et souvent peu pertinentes malgré la multiplication des efforts.

Les médias ou les technologies de l’information et de la communication ne sont donc pas seuls à l’origine de la non-acceptation ou de la non occurrence des effets du « développement », attendus ou prédits. Nos travaux en communication pour la santé nous ont permis de mettre en évidence différentes modalités de la communication sociale, les critères d’acceptabilité sociale des messages et des supports, à partir des pratiques de communication des populations. La réflexion de Yves Ardourel (2002, p.115-117) sur ce thème, bien que portant davantage sur les techniques nous sert pour développer une réflexion de type anthropologique sur l’adhésion, qui implique autant les populations que les développeurs et sur les conditions de l’acceptabilité des contenus du  « développement » par un public donné. Pour des raisons à la fois théoriques, politiques et empiriques, les conditions de succès des appareils communicationnels en contexte de « développement » sont irréalisables, à moins d’un changement, peu probable, de ou dans l’ordre mondial, qui permette aux médias de prendre en charge une demande de « développement » humain durable forte, qui transparaît à travers les vicissitudes des appareils de communication coincés entre des logiques contradictoires. La voie de sortie de crise est probablement l’approche participative véritable.

Pour échapper à la logique absurde, les moyens de communication devraient se situer en rupture par rapport à la logique même du « développement ». L’étude scientifique des phénomènes de communication devrait aller au-delà de l’information et du rôle des dispositifs d’Information-Communication, pour analyser les considérants, les soubassements et l’enracinement des approches communicationnelles utilisées dans l’histoire des théories, la façon dont elles s’inscrivent dans les débats contemporains. Les Sciences de l’Information et de la Communication pourraient par exemple réinterroger les modèles utilisés depuis plus de 60 ans, dont la puissance a longtemps dominé notre champ de recherche. Les principes essentiels sous-jacents à cette démarche sont la compréhension mutuelle et l’établissement d’un consensus vérifiable entre les parties prenantes. Ces préalables permettent d’aborder les dimensions valeurs et équité de la prise de décisions sur les changements sociaux. Cela pose comme condition, la construction de la confiance du public dans les institutions chargées de l’organisation du devenir collectif. Dans ce contexte, la participation du public ne saurait uniquement faire partie des stratégies discursives du « communicationnellement » et politiquement correct.

La communication publique pour le changement social pourrait devenir un des éléments structurants des politiques publiques ». En théorie, la performance de la communication pour les changements sociaux passe donc par le partage d’une même compréhension des référents, des problèmes, des priorités, des options de gestion et des enjeux. Cette dynamique émerge de la conciliation des points de vue des scientifiques, des planificateurs, des décideurs politiques et administratifs, mais aussi des leaders sociaux. Le problème de la nouvelle démarche est celui de la conciliation de la participation et de la conformité de ses objectifs affirmés avec la communication stratégique, en dehors de l’autorité et de l’encadrement idéologique des processus. Le champ du changement social peut effectivement permettre l’articulation de trois instances de médiation au moins : l’Information, l’Éducation (assimilation des connaissances) et la Communication. Les données de la recherche suggèrent qu’en dépit de la puissance des médias de masse classiques, les médias alternatifs et diverses techniques de communication puissent contribuer à l’offre et à la performance globales des activités de communication pour le changement social. Nous relevons, avec un intérêt tout particulier, que les vicissitudes des « anciennes » approches ont eu l’avantage d’introduire dans le processus un ensemble de concepts pertinents, de problématiques et de pratiques centrales de la communication sociale qui étaient délaissés ou insuffisamment pris en compte dans le champ du « développement ».

Le but de la communication pour les changements sociaux est de promouvoir l’analogie entre sphères historiques différentes, à partir de valeurs socialement datées. Ces questions inscrivent dans le débat trois phénomènes clés liés à la « réception » du changement social : l’usage (entendu comme construction faite à posteriori par des acteurs sociaux), l’acceptabilité (qui marque le choix du dialogue entre les innovateurs et la communauté) et l’appropriation (qui doit évaluer dans le temps long). Au-delà des différentes stratégies des acteurs, nous estimons que ces trois niveaux sont inséparables du point de vue de la réception des messages par les acteurs de l’espace public du changement social. Dans la perspective anthropologique, la recherche d’un accord préalable dans le public situe la communication pour les changements sociaux dans le champ de l’argumentation. Ainsi, des déterminants sociaux et anthropologiques sont présentés comme essentiels pour mieux faire comprendre et accepter les décisions stratégiques des partenaires institutionnels : la participation des intervenants, la prise en compte des croyances comme des résistances des populations, de leur circulation et de leur contagion dans le champ, leurs pratiques et modalités alternatives de communication pour pouvoir appuyer les efforts des programmes et projets de  « développement » (23) . La communication pour les changements sociaux représente alors une alternative au modèle de la violence séculaire qui prédomine dans notre champ d’investigation. Elle interpelle les partenaires institutionnels, y compris les ONG et Associations à agir de concert et à ouvrir le dialogue avec les communautés, pour s’assurer que les pratiques de communication et de consultation entreprises sont intégrées dans les modèles de l’organisation sociale. Cela pose le problème de la volonté politique des décideurs, des aptitudes et de l’engagement des prestataires et celui de l’adhésion des populations à la norme proposée.

La faiblesse des approches basées sur la pleine implication des parties prenantes dans toutes les phases du cycle d’un projet, observée sur le terrain, trahit probablement une indifférence, dans les deux sens du terme, à l’historicité donc à des demandes sociales spécifiques et précises. Pour ce qui est du contenu du « développement », nous souscrivons à l’analyse de Balandier (1981, p.201) pour qui toute solution aux problèmes du « développement » « exige une transformation des structures internes, requiert tout autant un réaménagement des relations internationales » avec de nouveaux rapports de pouvoir. Cela souligne la nécessité pour les acteurs institutionnels du « développement » de dépasser le cadre de la formulation des politiques et stratégies de communication pour développer en priorité leur sens de l’humilité, leurs qualités propres d’écoute et de négociation afin de pouvoir susciter puis organiser la communication des communautés. Cette restructuration de type politique, à la base de la communication pour les changements sociaux, doit avoir pour finalité l’acceptabilité socioculturelle des projets de « développement ». L’acceptabilité sociale d’une innovation, entendue comme « engagement des acteurs face à un choix » qui ne correspond pas toujours à un besoin non satisfait explicite, « se construit à partir de données mesurables et d’actions de communication qui ont pour objet d’établir une relation de confiance » entre les publics et les innovateurs. Elle se fonde sur « des valeurs de respect et d’éthique », qui mettent en œuvre un certain nombre de conditions socioculturelles et institutionnelles que nous avons précisées par ailleurs (24).

L’acceptabilité d’une innovation n’appartient pas au même champ d’intervention que son « utilisabilité ». Cependant, les deux concepts sont articulés et s’influencent lorsque l’innovation implique en même temps un dispositif technique. A titre d’illustration, dans le cadre de la lutte contre le paludisme, la moustiquaire imprégnée d’insecticide peut avoir un niveau élevé d’utilisabilité, mais des coûts d’accès élevés peuvent en limiter l’accès. De même, l’accouchement en milieu hospitalier ne pose pas de problèmes aux femmes enceintes interrogées; cependant, l’éloignement de la formation sanitaire, la qualité de l’accueil par le personnel du centre de santé, le prix de l’accouchement, sont des déterminants qui expliquent de nombreux cas d’accouchement à domicile ou chez l’accoucheuse traditionnelle. Nous pensons que les changements de comportements appartiennent au temps long du changement social. Ils doivent être validés au cas par cas.

La recherche en SIC se doit, dans cette perspective, de considérer les dynamiques sociales internes et externes, par lesquelles divers acteurs sociaux s’approprient le contenu du « développement » diffusé par les média, l’insèrent ou le rejettent dans leurs pratiques de chaque jour et que l’on a tendance à traiter de manière simpliste et à situer dans le temps court du pragmatisme et de la communication spectacle. Nous mettons en doute et en débat ici le problème de l’élaboration d’un modèle unique de communication qui s’appliquerait à tous les types de situations (depuis le simple rappel de la conservation et de la cuisson d’aliments en contexte de grippe aviaire, jusqu’à la gestion de dossiers chauds prêtant à la controverse comme les Organismes Génétiquement Modifiés, les orientations sexuelles, la protection de l’environnement, etc. et qui engloberait tous les aspects de la stratégie de communication (depuis la transmission d’information jusqu’à la promotion, l’éducation et le dialogue). Ces situations exigent chacune des messages clairs, appropriés et cohérents. La réception par le public, comme toujours, dépendra en grande partie de la confiance que lui inspire l’auteur du message et de la crédibilité de l’argumentation, de la cartographie de la vulnérabilité de la formation sociale mais surtout du prix à payer. En effet, comme le relève Balandier, « la diffusion de la civilisation technicienne et des connaissances qu’elle véhicule pose également la question de l’adaptation (des populations considérées comme réceptrices) à des tâches nouvelles, à de nouveaux outils et de nouvelles façons de penser et de faire » (1981, p.146). Ces considérations rappellent l’urgence de la question du niveau de participation des différentes parties prenantes au débat sur le changement. Notre point de vue est que la communication rend visibles les politiques publiques qui sont proposées, mais l’acceptation ou le rejet des innovations assorties par les sujets singuliers est  en fonction de la perception de leur contenu.

Les SIC : entre autonomie et instrumentalisation des dispositifs

Les sciences sociales de la communication et les dispositifs de mise en lecture du changement sont structurées par deux logiques sociales : leur autonomisation et leur instrumentalisation. La première tendance lourde, qui suppose la neutralité des dispositifs, tend par exemple à occulter le contenu du « développement » véhiculé par les outils techniques. Les données de l’économie politique de la communication, notamment l’industrialisation des médias, nous autorisent à la contester. Les résultats de nos recherches, essentiellement en population et « développement », notamment dans le domaine de la Santé Publique, nous permettent de soutenir le doute. Pour valider son autonomie, le système général des médias a une double contribution au changement social : d’une part, faire du thème changement un sujet d’investigation pour les appareils d’information-communication et d’autre part, mettre en agenda des questions pertinentes sur la philosophie et le contenu du changement. Ce travail professionnel pourrait porter, par exemple, sur la critique des modèles de « développement » parachutés en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Cette perspective est généralement frappée d’ostracisme dans les médias de masse qui, plutôt que d’informer le public, font de la communication publicitaire et des relations publiques.

L’enjeu sous-jacent au manque de performance des modèles de communication utilisés en appui au « développement » ouvre sur un des problèmes majeurs des sciences de l’information et de la communication, appelées à discuter les modalités de l’appropriation culturelle et symbolique des logiques du changement social et à introduire le débat dans l’espace public en rendant compte des différentes places et identités qui s’y définissent par la résistance. Il est clair que c’est d’abord le modèle de « développement » et ses composantes qu’il convient de revisiter afin de répondre à l’exigence globale du renouvellement des logiques sociales et des pratiques de « développement » dans les formations sociales. La seconde logique sociale, est notre hypothèse forte. De nombreuses recherches mettent en évidence que les dispositifs techniques sont des instruments que différents pouvoirs sociaux utilisent pour essayer d’orienter le processus de changement social. Les médias ne sauraient donc tenir un discours autonome sur eux. Ils sont toujours apparus comme des instruments travaillant généralement dans la connivence avec les pouvoirs sociaux prescripteurs du « développement ».

Pour nous, les SIC courent un risque épistémologique de s’arrêter aux médias de masse. Changer seulement de paradigme en communication, ce serait traiter les symptômes sans s’attaquer à l’origine du mal, qui se trouve à la fois dans la conception du rôle des « médias de masse » et dans le contenu du « développement ». Nous pensons que la question de la performance des médias dans ce champ ne saurait être résolue ni par l’occultation du processus de la temporalité, ni par les « effets de démonstration » (Balandier, 1981, p.189) construits à partir de « l’efficacité accrue des communications intellectuelles établies par les médias de masse » (ibid., p.188). Dans la perspective du changement social, les SIC quittent l’angle des théories routinières et messianiques du « développement » et de l’innovation sociale, pour l’explication scientifique du changement comme passage d’un état initial à une situation nouvelle et meilleure, choisie par les bénéficiaires.

La question de l’acceptabilité socioculturelle des programmes de « développement », que l’on tend à sortir de l’histoire, est un véritable appel à l’éducation et à l’argumentation, qui pourrait représenter le moment fort de la « nouvelle » communication pour les changements sociaux. Le renversement des inversions existantes, qui est entrepris ici est fondamental pour la performance des initiatives de « développement» participatif et des interventions en communication sociale. L’effectuation du renforcement des capacités, des habiletés en communication et la formation en général, le lien avec les communautés, l’écoute des sans voix, l’ouverture des espaces de dialogue doivent aller au-delà des mots. Au niveau pratique, les compétences et récits de vie des populations seront intégrés aux curricula de formation. Les énoncés des moyens de communication de masse ne fonctionneront plus à partir de la seule idéologie des pays qui ont élaboré le « développement » ; les pratiques sociales des communautés de destination seront intégrées dans le paquet minimum de communication pour les changements sociaux. Le résultat attendu des appareils de communication est de concevoir un nouveau langage, de traduire le procès en cours pour susciter l’adhésion, sur le modèle du contrat social, à l’innovation proposée.

Les tendances lourdes du « développement » des outils et dispositifs de communication en appui au changement social épousent alors celles qui sont déjà à l’œuvre dans différents modèles singuliers de changement social en Afrique et probablement en Amérique du Sud et en Asie. S’ils se libèrent de la logique du lit de Procuste, les médias peuvent alors accompagner le changement social durable. L’échec du rattrapage du « Tiers-monde » par la publicisation et la médiatisation des actions de « développement » depuis plus de 60 ans doit faire réfléchir les chercheurs en communication sociale. Le concept de médiation, à la base de la communication pour les changements sociaux, rend intelligible la manière dont la communication sociale opère dans l’espace public, comment et pourquoi les médias sont au cœur des problèmes et des dynamiques d’information et de communication dans la gestion sociopolitique de cet espace public. Le modèle de la médiation a pour projet de créer les conditions de partage du sens, à partir de la circulation de la parole, des attentes et des compétences spécialisées, émanant des usagers, des citoyens et du public, ainsi que des partenaires institutionnels au « développement » . Il permet d’interroger l’usage public de la raison et la participation des citoyens aux expériences de changement social. Pour échapper à la logique de la camisole de force, inhérente au « développement durable du sous-développement », les moyens de communication pourraient donc se situer résolument en rupture par rapport à l’approche diffusionniste du changement, dont les logiques sociales dominent encore la coopération internationale. Il peut être envisagé que ces dispositifs puissent se muer en véritables espaces publics de médiatisation, qui donneraient la voix non seulement aux médiateurs mais aussi à toutes les parties prenantes dans le nouvel espace public du changement social, en construction.

Les travaux de Jean Gagnepain sur la médiation montrent que la raison se diffracte. Autrement dit, pour cet auteur la rationalité recouvre chez l’homme plusieurs formes : la raison est à la fois logique (25), technique (26), ethnique (27) et éthique (28), sans la moindre hiérarchie entre ces différents paliers venant tous rendre compte d’un aspect de la vie sociale et psychique. À chacun de ces quatre niveaux, explique cet auteur, l’homme parvient à prendre une certaine distance par rapport à ce que ses seules capacités physiologiques immédiates lui permettent d’en saisir. Il situe, ce faisant sa relation au monde dans un processus de « médiation ». Il est alors loin d’appréhender son univers sur le mode immédiat. On peut dire que l’homme construit la réalité sociale dont il participe en l’élaborant à partir de ses propres compétences et en les mettant en perspective avec celles des autres.

Pour reprendre une métaphore et un vocabulaire kantiens, nous dirions que dans le domaine du changement social, à travers le paradigme médiatinniste, l’homme passe « de la description de la raison constituée à l’explication de la raison constituante ». La médiation permet de rendre compte de ce qui, en l’homme, lui permet, probablement à son insu, de poser le monde, à partir de quatre capacités rationnelles distinctes. L’anthropologie clinique nous révèle l’autonomisation possible de ces quatre registres de rationalité. En effet, chaque niveau a sa pathologie spécifique, qui n’empêche pas celui qui en est atteint de continuer à fonctionner correctement aux autres plans (29). Autrement dit encore, elle offre une véritable analyse, c’est-à-dire un découpage du psychisme. Jean Gagnepain pose dès lors comme règle méthodologique de « n’admettre et de n’imputer au système d’autres dissociations que celles qui sont pathologiquement vérifiables ». De notre point de vue, la pathologie la plus répandue est la volonté de puissance.

L’adoption progressive d’un modèle de communication fondé sur le dialogue suppose une véritable thérapie, à la fois pour les organismes gouvernementaux, intergouvernementaux, du secteur public à but lucratif ou associatif, impliqués dans le « développement ». Toutes les parties prenantes devraient se départir de toute volonté de domination, de tout égoïsme et de tout conservatisme, pour devenir des partenaires effectifs. En dialectisant l’usage combiné des niveaux macro et micro social, le modèle de la médiation permet de relever la qualité du débat citoyen autour des questions de société et d’expliquer la double dimension de la communication pour les changements sociaux, à partir de l’interface entre la communication interpersonnelle (ou singulière) et les pratiques sociales, institutionnelles, culturelles et de la communication médiatée. Après ce changement de paradigme (ou d’histoire) on pourra valablement interroger les conditions de l’efficacité de la communication sociale dans notre champ d’investigation. Il serait peu sérieux de continuer à confondre la cause (le manque de succès des systèmes de communication) et le problème (le contenu du « développement»). Il convient de partir, non pas du « sous-développement » et de ses succédanés lexicaux, mais du problème lui-même, qui est celui du rapport de forces qui tend à imposer le mode de production occidental comme l’étalon. Selon Balandier, le projet développementaliste tend à « briser les tabous, les frontières socioculturelles » (p. 188), à suggérer aux populations « une modalité de l’existence qui n’aurait pu être imaginée par ces derniers » (p. 189). Pour les appareils de communication, le nouveau mandat est également d’exprimer également les dissonances dans la production et la réception du modèle de « développement » proposé, d’en révéler les desseins et les illusions.

L’urgence du changement ne se trouve donc pas dans les modèles et pratiques de la communication sociale. Le manque de consistance des approches du « développement » sur le continent africain est de notoriété publique. La capacité des organisations à gérer le changement est le tout premier défi. Elle commence par la critique du « développement » lui-même. Nous pensons par conséquent que le « sous-développement chronique des pays du Tiers-monde », la persistance de nombreuses fractures socioéconomiques, ne sauraient seuls invalider les performances des outils et dispositifs de communication sociale en appui au « développement », à supposer même que « les pays du Tiers-monde » existent comme identité historique, politique, idéologique, sociale et culturelle. Nous ne sommes donc pas de l’avis de Francesco Mezzalama (1994, p.23) pour qui le faible impact des programmes de « développement » menés par l’Organisation des Nations Unies et d’autres est dû au fait que ce modèle n’a pas suffisamment intégré la communication comme une composante des programmes opérationnels. Cette position tend à autonomiser les moyens de communication de masse, dont le discours du « développement » ne marque pourtant que peu de distance critique par rapport aux différents « modèles » de « développement » entrepris en Afrique et ailleurs depuis plus de 60 ans. Cette posture critique nourrit notre réflexion à propos de la raison instrumentale et notamment la colonisation du monde vécue à travers l’industrie du  « développement » à marche forcée, que nous observons comme une tendance lourde dans notre champ de recherche. Après avoir trop bien échoué dans le transfert, hic et nunc des concepts utilitaires qu’elles ont su trop bien endosser, les sciences sociales de la communication et les dispositifs d’information-communication doivent retourner à leurs fondements critiques. La nouvelle communication pour les changements sociaux doit s’inscrire dans le champ de la culture, de la subjectivité, de la croyance. A travers la notion de participation, conduisant ensuite à l’appropriation observée dans le temps long, son objet est d’accroître l’adhésion des publics aux innovations qu’on leur présente.

Communiquer dans notre champ de problématisation vise alors, avant tout, à rechercher et à obtenir auprès des populations un point d’accord préalable relativement aux innovations technologiques et sociales que l’on souhaite les voir adopter, abandonner ou conserver. Sans cette entente il est difficile de construire et de mettre en œuvre des activités de communication pertinentes. Cette modalité de la communication, sur le modèle argumentatif proposé par Charles Perelman, devrait intégrer les particularités psychologiques et sociologiques des publics que l’on voudrait amener à changer leurs comportements, attitudes et pratiques. Des théories partielles et transversales des techniques de la communication pour les changements sociaux restent à construire, ou à systématiser à partir de savoirs existants.

La communication pour les changements sociaux est une science complexe qui vient à peine de voir le jour et qui continuera donc d’évoluer à mesure que la recherche critique débouchera sur de nouvelles connaissances. Toutefois, il est bon de souligner qu’aucune forme de communication pour les changements sociaux ne saurait satisfaire tout le monde. Très peu en empathie avec les théories générales et, nous inspirant des paradigmes humanistes et des sciences du comportement, nous pensons que c’est la situation de communication et son environnement socioculturel qui déterminent dans une large mesure les stratégies à suivre dans toutes les expériences de gestion du changement. Les phénomènes contemporains de la propagande, de la commercialisation de l’information, du développement-spectacle ou de l’instrumentation médiatique dans le champ peuvent être interrogés dans ce cadre.

L’intérêt est grand, de distinguer – au moins en théorie – la communication pour les changements sociaux de la manipulation, des relations publiques et de la propagande. Lorsque les acteurs du changement social argumentent, en principe ils « produisent » du politique, de la démocratie participative. On peut alors se demander si, les institutions chargées du « développement » sont elles-mêmes, source de démocratie ? Leur rôle n’est-il pas plutôt d’assurer la mise en œuvre des projets et programmes ? Cela peut être l’aveu d’un abandon ou d’un refus de démocratie. Sous cet aspect, de nombreux secteurs du champ du « développement » apparaissent comme fragiles sur le plan éthique et de la gouvernance, d’autant plus qu’ils s’affranchissent des « chiens de garde » qui garantissent le débat contradictoire. A l’éthique relativiste du « développement », cette modalité de la communication se doit d’opposer l’éthique et la déontologie des moyens et techniques de communication mis en œuvre pour promouvoir le changement social. Cela suppose un tri draconien entre les arguments recevables, au sens aristotélicien, et ceux qui ne le sont pas.

Notes

(1) 1945-2005 : 60 ans de communication pour le développement ; politiques, approches, acteurs, stratégies, pratiques ; 26-30 avril 2005.

(2) « Les politiques nationales de communication pour le développement à travers sept années d’expérience de la FAO en Afrique francophone et lusophone: méthodologie et leçons apprises.» in Document de la politique nationale de communication pour le développement au Burkina Faso- Tome 2, Annexe 1. Disponible sur: http://www.fao.org/ [Accédé le 24 mars 2003] Ilboudo est spécialiste de la communication pour le développement, SDRE, au siège de la FAO à Rome.

(3) Nous utilisons ici la notion de dispositif au sens de Michel Foucault (2003, 7) comme renvoyant « à l’agencement d’un ensemble d’éléments hétérogènes tout à la fois technique et technologiques, humain, organisationnel, procédural, énonciatif, communicationnel, idéologique» mis en œuvre pour « orienter les conduites des acteurs» du « développement ». Il participe à la production dans le corps social, d’effets tantôt normaux et tantôt anormaux.

(4) UNICEF, 1989; Ottawa, 1990; FAO, 1991; Lima, 1993; Sri Lanka, 1994

(5) Notre traduction : Chaque agence a son approche spécifique de la communication et le seul dénominateur commun est la reconnaissance des dispositifs de la communication comme condition de succès des projets spécifiques.

(6) Par exemple, l’importation et l’implantation des appareils et dispositifs de communication occidentaux

(7) Auguste Comte, Ferdinand Toïnies, Georges Simmel, etc.

(8) Notre traduction : L’Inde, la Chine, la Perse et l’Egypte sont d’anciens centres de civilisation et de rayonnement culturel dont les performances ont inspiré les cultures occidentales contemporaines. Leur vie familiale était plus conviviale, plus intime et plus chaleureuse…Tout cela n’était pas du développement car on ne pouvait le mesurer ni en dollars, ni en centimes.

(9)Diffusion of innovations, 1983, p. xix). Notre traduction: Rogers recommande de dépasser les méthodes et modèles expérimentés dans le passé, d’en reconnaître les imperfections et les limites et d’en élargir la perspective.

(10) Identification d’un problème ou d’un besoin, perception de la nécessité du changement, décision de changer, mise en œuvre de la décision de changer, confirmation du changement de comportements.

(11) l’intérêt personnel de l’adopteur potentiel vis à vis de l’innovation, la connaissance de l’innovation, le temps de l’innovation, le coût de l’innovation (temps, apprentissage, changement de pratiques, représentation de l’innovation, etc.)

(12) Notre traduction : Des événements ultérieurs n’ont pas validé les thèses de Lerner.

(13) Une contre idéologie, qui n’en est pas mois idéologie est observée dans les positions manichéennes comme celles des auteurs sud-américains. Nous pensons qu’il convient de dépasser cette dichotomisation pour repenser les médias en contexte de développement.

(14) « Modèles de développement et modèles de communication », Articles publiés, volume II, p. 251 (repagination, p. 19)

(15) Kirk, Johnson : « Media and social change : the modernizing influence of television in rural India» , in Media, Culture & Society, Sage Publication, vol. 23 n°2, mars 2001, p.149. [Notre traduction : des forces globales d’interaction et l’interdépendance croissante des institutions et des économies nationales favorisent l’émergence de processus sociaux qui sont évidents partout et c’est la communication qui facilite la circulation ou la diffusion de ces forces.]

(16) Notre traduction : L’accès à l’information a toujours été le levier à travers lequel l’élite du village conserve ses positions de pouvoir dans la communauté et parvient à manipuler les masses rurales. Les médias de masse et la télé vision ont par exemple mis fin à cette hégémonie.

(17) L’idéologie est considérée ici comme un dispositif totalisateur et intégrateur des discours, à la fois dispositif de l’effet, du contenu et du texte, pour reprendre les catégories de la sémiotique structuraliste.

(18) Notre traduction : Les moyens de communication de masse jouent un rôle dans l’éveil des consciences (la sensibilisation, l’information) sur les nouvelles pratiques et possibilités, mais ils s’avèrent incapables de provoquer la prise de décision sur l’adoption de nouveaux comportements. Les communications interpersonnelles sont probablement plus aptes à influencer les acteurs sociaux.

(19) Dialogue rationnel : forme spéciale de dialogue dans lequel toutes les parties prenantes ont les mêmes droits et devoirs de présenter des arguments discutables par tous, dans un contexte exempt de rapports de force.

(20) On observe également la persistance d’une tendance à dire ce que l’on ne fait pas, et à faire ce que l’on ne dit pas.

(21) Les décideurs, les administrateurs de programmes et les planificateurs, les ONG, etc.

(22) Les apories de l’universalité du concept de médias de masse

(23) On peut ajouter l’importance des perceptions ou des évaluations des comportements préconisés; le degré de tolérance du public à l’égard du changement proposé; la capacité de pro action des communicateurs pour mieux faire comprendre au public les avantages des mécanismes retenus et leur gestion; la nécessité de gagner et de conserver la confiance du public, et l’incidence de ce facteur sur la crédibilité des messages des partenaires institutionnels au développement.

(24) Recherche qualitative sur le tétanos maternel et néonatal. Evaluation du matériel IEC produit et diffusé par l’UNICEF.

(25) L’homme se donne le monde à travers les mots qu’il produit ; à partir d’eux, en désignant l’univers, il se l’explique, et ceci définit sa capacité logique

(26) L’homme se donne également le monde à travers son outillage ; il le fabrique et ceci rend compte, cette fois, de sa capacité technique.

(27) Le monde de l’homme est en outre à la mesure de son histoire ou, en mots plus clairs, de son inscription sociale ; c’est à présent sa capacité ethnique qui se trouve en jeu.

(28) Enfin, dernier aspect, l’homme se donne tout autant le monde à travers ses désirs réglementés et ceci relève de sa capacité éthique

(29) La pathologie spécifique du plan de la logique est l’aphasie, celle du niveau de la technique est l’atechnie, celle du palier de l’ethnique est la psychose (et la perversion), enfin celle du pôle de l’éthique est la névrose (et la psychopathie).

Références bibliographiques

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Auteur

Misse Misse

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