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Engagement civique et participation politique : controverses sur les TICs et le déclin du capital social

24 Mar, 2009

Le présent article présente une recherche en cours, menée en coopération avec le GRESEC, et financée par le CAPES (Brésil).

Résumé

L’article analyse la conceptualisation de capital social à partir de Bourdieu et, postérieurement, de Putnam. Le concept, qui apparaît comme attribut individuel et comme composant de l’action collective, fait fonctionner les réseaux sociaux, les niveaux de confiance et l’engagement civique. L’article récupère aussi la controverse provoquée par Putnam, qui  soutien la thèse selon laquelle la télévision et l’Internet auraient pour conséquence le déclin du capital social aux États-Unis. Cet article aborde donc les auteurs critiques de Putnam à savoir: Hooghe, Norris, Shudson, Uslaner, Wellman et Skocpol. Quelques contributions récentes sur le capital social, l’engagement civique et les technologies de l’information et de la communication en France sont également prises en considération.

In English

Abstract

The article analyzes the conceptualization of social capital as it was developed by Bourdieu and, subsequently, by Putnam. The concept, which seems like an individual attribute and a component of collective action, gives rise to social networks, to various degrees of confidence and civic engagement. The article also recovers the controversy caused by Putnam’s thesis that television and Internet would have a ruge impact on the decline of the social capital degree in the United States. This article brings back to the discussion some of the critics about Putnam’s perspective made by Hooghe, Norris, Shudson, Uslaner, Wellman and Skocpol. Some recent contributions on social capital, civic engagement and technologies of communication and information are also taken into account.

En Español

Resumen

El artículo analiza el concepto de capital social como fue desarrollado por Bourdieu y, posteriormente, por Putnam. El concepto se muestra como una calidad individual y aun  un componente de la acción colectiva, y  da lugar a  la formación de  redes sociales, a los varios grados de la confianza y del contrato cívico. El artículo también recupera la controversia de  la tesis de Putnam segundo la cual la televisión y la Internet tuvieran un grande impacto en el declino  del nivel  del  capital social en los Estados Unidos. Y, aun., aborda  la  discusión de  algunos  críticos sobre la perspectiva de Putnam (Hooghe, Norris, Shudson, Uslaner, Wellman y Skocpol ) y algunas contribuiciones recientes sobre el tema:  las tecnologías de comunicación y información y vínculos cívicos.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Matos Heloiza, «Engagement civique et participation politique : controverses sur les TICs et le déclin du capital social», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/varia/06-engagement-civique-participation-politique-controverses-tics-declin-capital-social

Introduction

Quand la télévision a surgi en Amérique dans les années 1950, il y avait une expectative selon laquelle le nouveau support allait favoriser la croissance de l’engagement civique et de la conscience politique des citoyens. Pour la première fois dans l’histoire, tous les citoyens pourraient avoir la même opportunité d’être les témoins de faits politiques importants et d’accompagner les débats au parlement (Hooghe, 2002).
Il était alors possible de remarquer chez les auteurs une conception utopique selon laquelle la reconnaissance de la centralité des médias et de l’amplification du flux d’information avait la possibilité de nourrir la capacité critique des citoyens en les rendant plus attentifs aux questions politiques institutionnelles.
Un demi-siècle après, la tendance a changé: la diffusion de la télévision a commencé à être vue comme la cause du déclin de la vie publique et de la cohésion sociale. Cependant, quand R. Putnam (1995) a considéré la télévision comme principale responsable de l’érosion graduelle du capital social dans la société américaine, il a argumenté que le maléfice était lié au genre télévisé, et surtout au divertissement. Il soulignait aussi comme cause de ce déclin l’attitude cynique des citoyens envers les événements politiques.
La réflexion développée dans cet article, considère la politique dans un sens plus vaste, c’est-à-dire au delà des élections et de la participation politique tournée vers l’influence directe sur le pouvoir et les processus institutionnels de prise de décisions. L’expression « engagement civique » doit être comprise non seulement dans un sens institutionnel, mais principalement dans une conception liée aux actions visant le bien-être de la communauté, soit-elle locale ou globale, en apportant des bénéfices pour l’individu et la collectivité.
Sous cette perspective, deux considérations doivent être présentées. Premièrement, l’engagement civique ne se donne pas uniquement dans des contextes formels ou dans des groupes organisés. Il est aussi le résultat des relations établies entre les individus dans leurs réseaux quotidiens de solidarité et coopération. Deuxièmement, on considère actuellement dignes de valeur deux façons de s’engager dans des mobilisations politiques : l’engagement formel dans des associations ou mouvements sociaux institutionnalisés, et aussi celui lié aux conversations quotidiennes qui invitent le citoyen à prendre la parole devant les autres en s’exprimant et en définissant collectivement une question publique. Dans ces deux dynamiques d’interaction entre les individus – formelles et informelles – des réseaux sociaux sont crées en même temps que le capital social.
En ce qui concerne la diminution du capital social, c’est l’Internet qui, dernièrement alimente le débat au sujet de la culpabilité des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TICs).

Capital Social : perspectives conceptuelles

L’analyse du capital social a eu recours à l’œuvre « La Démocratie en Amérique » de A. de Tocqueville, pour analyser les standards de participation civique et politique; ainsi qu’à l’œuvre « L’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme » de M. Weber, pour comprendre les possibles rapports entre les modalités associatives en Amérique (religieuses, commerciales, sociales).
Néanmoins, la première analyse systématique du concept de capital social se trouve dans un article de Pierre Bourdieu, qui l’a défini comme « l’ensemble de ressources actuelles et potentielles qui sont liées à la détention d’un réseau durable de rapports plus ou moins institutionnalisés de connaissance et reconnaissance mutuelle » (Bourdieu, 1980, p. 2); autrement dit, le capital social serait un attribut de l’individu dans un contexte social.
Ainsi que Bourdieu, Coleman (1988) met en avant l’intangibilité du capital social si on le compare, par exemple, au capital économique et/ou physique en biens matériaux et financiers. Coleman réalise ainsi une analyse du capital social sous le point de vue économique et sociologique, afin de transposer le concept de rationalité de l’économie à la sociologie. Il développe l’idée que le capital social est productif, car il rend possible la réalisation de certains objectifs qu’il ne serait pas possible d’atteindre sans sa présence.
De façon générale, la publication de l’article « Making Democracy Work » de R. Putnam, en 1993 (publié en 1995), a été le point décisif pour le développement de nombreuses études mettant en rapport l’indice de capital social avec les niveaux éducationnels, nutritionnels, de santé et d’emploi. Dans cet article, Putnam définit le capital social comme les « caractéristiques des organisations sociales au moyen desquelles les réseaux et les normes de confiance facilitent la coordination et la coopération au bénéfice du bien collectif » (1993, p.36).
D’autres auteurs le prennent pour un composant de l’action collective: être socialement inséré dans un groupe signifie, pour l’individu, la recherche de profits matériels et symboliques et, entre les membres, cela a pour conséquence la transformation des rapports occasionnels (voisinage, travail, degré de parenté, nécessaires et choisis), impliquant des obligations durables subjectivement accompagnées de sentiments de reconnaissance, de respect, et d’amitié, ou garanties institutionnellement (Ponthieux, 2006).
A. Portes identifie le capital humain avec la connaissance et les capacités gagnées par l’individu, alors que le capital social se rapporterait à la dimension et à la qualité des rapports sociaux. « Pour posséder du capital social, un individu a besoin de se faire des relations avec les autres, et ce sont ceux-ci – et non lui-même – la vraie source de ses bénéfices. » (Portes, 2000, p. 139). Dans la pratique, le ‘volume’ de capital social serait identifié par le niveau d’engagement associatif, en ce sens que l’individu appartient à une communauté civiquement engagée, participant à divers réseaux d’interaction (Bévort et Lallement, 2006).
Il est important de préciser que l’engagement civique mentionné par Portes ne peut pas être compris comme ce qui relève de la participation politique (influence directe dans les institutions et prise de décisions), ou comme la simple filiation à des groups ou mouvements organisées. L’appartenance à divers réseaux sociaux mobilise la participation de l’individu en fonction de la nature du sujet en cause et de la disponibilité des acteurs pour s’impliquer dans le débat de façon coopérative et critique (Degenne et Forsé, 2004).
Une autre caractéristique mise en évidence par F. Granjon et B. Lelong (2006), est que le capital social peut désigner un ensemble de sociabilités ou de configurations relationnelles spécifiques. Ce serait, en même temps, un recours et un instrument de pouvoir, qui s’appliquent autant à l’individu qu’à une collectivité (famille, voisinage, groupes d’affinités, ethnies, localités, région, nation). Le capital social serait le résultat d’un choix rationnel ou l’effet naturel de la vie sociale, pouvant être d’ordre public ou privé. Cependant, le capital social n’est pas uniquement le résultat d’actions stratégiques, mais aussi de celles tournées vers la compréhension réciproque d’une question d’intérêt public.
En ce sens, P. Norris (1996), souligne que le capital social peut être compris comme représenté par les denses réseaux de normes et de confiance sociale donnant la capacité aux participants de coopérer dans la recherche d’objectifs partagés. Selon l’auteur, R. Putnam développe l’idée que plus nous nous connectons avec d’autres personnes, dans une interaction en face-à-face à travers de la communauté, plus nous avons confiance en elles.

Le Capital Social chez Robert Putnam

Bien que chaque auteur ait contribué à enrichir la base théorique et méthodologique, le concept de capital social ne s’est diffusé et n’est devenu une référence pour la recherche qu’à partir des travaux de R. Putnam.
Le travail initial de R. Putnam sur le capital social a, rappelons-le, été publié en 1995; c’est le résultat d’une longue recherche réalisée dans des provinces italiennes, tentant d’établir un rapport entre les formes d’organisation sociale et la formation du capital social. Cependant, l’œuvre qui a rendu R. Putnam connu, débattu et critiqué a été « Bowling Alone », publiée en 2000. Dans cet ouvrage, R. Putnam envisage le déclin de la vie associative et met en rapport ce fait avec une chute de participation civique par une série d’indicateurs. Putnam affirme que la génération d’individus grégaires est en train de disparaître, et que serait en train de lui être substituée une génération de baby boomers qui n’ont pas le même instinct. Bref, il observe un déclin dans les niveaux du capital social. Pour l’auteur, quelques possibles explications à ce phénomène de baisse de la participation civique seraient: la libération professionnelle progressive des femmes; la mobilité physique du lieu de travail et d’habitation; des changements démographiques avec des répercussions sur la famille américaine; la migration des contacts de la sphère réelle vers la sphère médiatique et, plus tard, virtuelle.
P. Norris et J. Davis observent que, pour R. Putnam, beaucoup de sociétés post-industrielles ont connu « (I) un déclin général de la filiation massive dans des institutions traditionnelles qui rassemblent; et aussi (II) l’augmentation simultanée de formes de connexion sociale plus informelles, fluides et personnelles, qui possèdent une orientation plus individualiste. » (2003, p. 410).
En ce qui concerne la télévision, R. Putnam (2002, p. 295), en comparant les générations des années 30 avec celle des années 60, fait remarquer que ce qui serait en train de diminuer ce n’est pas seulement la lecture de journaux, mais l’intérêt pour les nouvelles en soi. Le nombre de personnes qui regardent les nouvelles à la télévision ou qui recherchent l’information dans les médias imprimés serait en déclin. Et, plus que cela, au fur et à mesure que se multiplie le nombre d’appareils de télévision au sein de la famille, il deviendrait plus difficile de regarder la télévision ensemble. R. Putnam indique aussi que la télévision détruit le capital social de manière plus évidente, remplaçant les activités sociales et de loisir hors du foyer. Mais il suggère aussi que la télévision peut avoir produit une vision plus cynique du monde de la part des téléspectateurs. Regarder plus intensément la télévision signifierait réduire toute forme de participation civique et d’engagement social: « chaque heure additionnelle de télévision signifie une réduction de 10% approximativement dans la majorité des formes d’activisme civique: moins de réunions publiques, moins de membres pour des comités locaux, moins de lettres envoyées au congrès, etc. » (Putnam, 2002, p. 306). En Amérique, la consommation de télévision réduirait, aussi, quelques activités individuelles (entre 10% et 15%), telles que communications écrites, orales et électroniques.
Bien qu’il montre le besoin de considérer d’autres variables (âge, pauvreté, scolarité), et la nécessité d’affirmer que « la corrélation ne démontre pas l’existence de causes », pour R. Putnam rien « n’est associé de façon aussi ample à l’abandon de compromis civique et à la déconnexion sociale que la dépendance de la télévision pour le divertissement » (Putnam, 2002, p. 310). D’un autre côté, des études ont constaté que regarder la télévision cultiverait l’insécurité et mènerait au sentiment de méfiance, ce média étant accusé, par le format et le contenu de sa programmation, de renforcer des attitudes cyniques par rapport à la politique et à la société. (Hooghe, 2002)
En ce qui concerne Internet, R. Putnam (2002, p. 297) considère les américains technologiquement avancés comme socialement plus isolés, tendent à être moins impliqués civiquement quand on les compare à d’autres qui recherchent l’information dans la presse, la radio et la télévision. Cependant, il affirme: « Ceci ne prouve pas que le réseau soit socialement démotivant ». Á un moment donné R. Putnam se demande si Internet se convertira en un moyen actif et social, ou en un divertissement passif. Des données préliminaires d’une recherche de 1999 indiquent que 42% des utilisateurs d’Internet affirmaient regarder moins la télévision, alors que 19% affirmaient lire moins de revues, et que 16% affirmaient lire moins de journaux. (Kraut et alii, apud Putnam, 2002, p. 688)
R. Putnam rappelle également que quand Internet a atteint 10% des Américains, en 1996, le déclin des liens sociaux et de l’engagement civique en Amérique avait déjà, au moins, 25 ans d’existence. Ainsi, il ne serait pas possible d’affirmer que les rapports sociaux se déplaceraient simplement de l’espace physique vers le virtuel. Pour lui, « Internet pourrait participer de la solution du problème civique ou encore l’exacerber, mais la révolution cybernétique ne l’a pas provoqué. » (Putnam, p. 227) Plus avant, il affirme qu’il est trop tôt pour évaluer les effets sociaux d’Internet à long terme.
En fin de compte, quels seraient les effets (s’il y en a) des TICs sur les liens sociaux et l’engagement civique? Autant l’histoire du téléphone et de la télévision, que les premières données sur l’utilisation d’Internet constituent un indice que la communication médiatisée par l’ordinateur va finir par compléter (et non remplacer) les communautés face-à-face. Mais, au sujet du capital social virtuel, R. Putnam conclut: « Ce qui peut être dit, avec assurance, sur le lien entre le capital social et la technologie d’Internet est moindre. » (Putnam, 2002, p. 226)

Critiques adressées au concept de Capital Social et à Putnam

Cependant, la sociabilité n’apporte pas toujours seulement des résultats positifs. Le capital social peut avoir, ainsi, un côté obscur. Certains auteurs ont étudié les groupes du narcotrafic en Amérique Latine, les familles de la mafia, les cercles de jeu et de prostitution, et les gangs juvéniles pour montrer comment le cloisonnement dans certaines structures relationnelles peut entraîner des résultats socialement non désirés. (Portes, 2000, p. 146-149)
La sociabilité peut avoir des effets contradictoires: être source de biens publics, et conduire aussi à des ‘maux publics’. Des études récentes ont identifié pour le moins quatre conséquences négatives du capital social: exclusion des non-membres, exigences excessives à des membres du groupe, restrictions à la liberté individuelle et normes de nivellement descendant.
E. Uslaner (2000) considère que le cercle vicieux entre l’engagement civique, la confiance et la socialisation est une question mal posée par R. Putnam. Pour lui, cela n’aurait pas de sens d’avoir aveuglement confiance en un inconnu. La confiance serait, au contraire, un résultat de partage progressif et appris de valeurs.
À son tour, T. Skocpol (1997) affirme que Putnam applique un même outil (le capital social) comme panacée pour comprendre tous les problèmes (civiques, politiques, et communicationnels). Elle affirme même ne pas utiliser l’expression de capital social, parce qu’elle n’est pas d’accord avec la théorie qui considère « que les associations au niveau local engendrent la confiance qui est le lubrifiant et le mécanisme permettant la démocratie et le fonctionnement du gouvernement. » (Van Rooy, 2001) Du point de vue historique, T. Skocpol voit la thèse de R. Putnam comme superficielle et innocente parce qu’elle contient des erreurs sur le développement du volontariat en Amérique. Pour cette auteure, pour expliquer le déclin de la vie associative américaine, il ne suffirait pas de remarquer qu’actuellement les citoyens américains désertent les associations pour la raison qu’ils restent chez eux devant la télévision. Le problème serait d’ordre institutionnel: il manquerait un leadership adéquat pour défendre les organisations modelées pour la politique.
À son tour, Ficher (apud Welmann et alii, 2001) voit deux problèmes aux interprétations de R. Putnam. Premièrement, la baisse du capital social ne serait pas constante dans toutes ses mesures. Bien que la majorité des indicateurs d’engagement politique montre un déclin constant, les indicateurs de socialisation et de visites (aux ami(e)s, parents et voisins) seraient inconsistants. Pour cet auteur, cette inconsistance des mesures questionnerait la validité et la fiabilité de la thèse de R. Putnam. Le second problème serait lié à la question de savoir comment interpréter le quantum de baisse observé. La décroissance que R. Putnam voit comme substantielle, Ficher la considère comme négligeable et de court terme.
M. Shudson (1996, p. 19) suggère que le travail de R.Putnam n’a pas pris en compte quelques évidences-clefs dans son analyse du déclin civique. Il écrit: « Si nous pouvions mieux mesurer la participation civique, le déclin serait moins important et le patchwork moins déconcertant. Si nous regardons avec plus de prudence l’histoire de la participation civique et les différences entre générations, nous devrions abandonner la rhétorique du déclin. Et si nous examinions l’histoire récente de la télévision de plus près, nous ne pourrions pas accuser la télévision de la déconnexion de l’engagement civique. » Et il conclut: « Les mesures de Putnam doivent avoir pris en compte superficiellement divers types d’activité civique. »
Mais même si, pour R. Putnam, le temps passé devant la télévision diminue ou empêche les activités civiques et la participation politique, l’évidence empirique relative à la télévision ne serait pas aussi claire que cela (Gomes, 2006). La majeure partie des études ne montrerait pas d’effets significatifs et forts. Cependant, selon l’analyse de bi-variables il y aurait vraiment un rapport entre regarder la télévision et l’engagement civique. Quand est introduite une variable de contrôle, les effets seraient modérés – ce qui suggèrerait des effets de sélection individuelle, au lieu d’effets résultant de la sociabilisation.
Une étude dans une communauté néerlandaise (Hooghe, 2002) montre que la télévision peut même avoir un effet positif; autrement dit, regarder la télévision serait associé positivement (et non négativement, comme le veut R. Putnam) à l’intérêt porté au système politique. Ainsi, s’exposer à des informations politiques à la télévision pourrait augmenter (et non diminuer) la connaissance des sujets politiques et l’engagement civique.
D’un autre côté, dans ces cas, le type d’émissions et la nature de la chaîne feraient la différence: des émissions de divertissement auraient des effets négatifs, alors que des émissions d’information génèreraient un résultat positif; une chaîne publique pourrait stimuler les attitudes civiques, alors que les chaînes commerciales engendreraient des valeurs moins civiques dans l’audience. Cependant, dans ce résultat, il serait nécessaire de considérer que la communauté offrait quelques particularités au-delà du cas néerlandais: à l’époque à laquelle l’étude a été réalisée, il y avait un équilibre entre l’offre de chaînes publiques et privées, condition qui rend difficile la généralisation des données trouvées quand on les compare avec d’autres communautés qui disposent majoritairement de chaînes privées, ce qui augmente la probabilité d’offre d’émissions de divertissement et d’un contenu politique moins analytique, dirigé vers une audience différenciée.
Enfin, Woolcock (2001), en soulignant les critiques qui étaient faites au capital social, montre que le concept de capital social se sert de vieilles idées sous de nouveaux vêtements, manquant de substance alors qu’il se présente comme « la dernière mode des sciences sociales ».

Participation politique, TICs et Capital Social

Les politistes ont introduit un tournant conceptuel en posant l’équivalence entre le capital social et le niveau de ‘civisme’ dans des communautés comme des villages, des villes, ou même des pays (A. Portes). Cette vertu civique serait présente dans les villes dans lesquelles les habitants votent, obéissent à la loi et coopèrent entre eux, et dont les dirigeants sont honnêtes et investis dans le bien commun (Putnam, 1993; 1995). À la limite, la vertu civique serait le facteur qui différencierait les communautés bien gouvernées de celles qui sont mal gouvernées.
Le revers de la médaille serait le ‘vice civique’: des citoyens déconnectés, qui ne se réunissent pas, qui ne se sociabilisent pas, qui n’ont pas confiance les uns dans les autres, qui ne débattent pas et ne votent pas, qui ne respectent pas la loi et qui valorisent la sphère particulière plus que l’intérêt public. Pour R. Putnam, les principaux responsables de cette corrosion du caractère citoyen (donc du déclin du capital social) seraient la télévision et Internet (Uslaner, 2000).
Il convient donc d’analyser plus en détail l’impact des technologies de l’information et de la communication (TICs) sur la participation politique dans les communautés, en cherchant à comprendre ce que sont les interfaces entre télévision et Internet, plus spécifiquement, par référence aux niveaux du capital social.

Télévision et Capital Social

P. Norris et J. Davis (2003) considèrent que les informations télévisées sont fortement associées à l’engagement politique. M. Hooghe (2002) défend la thèse que regarder la télévision sur des chaînes commerciales est positivement associé à l’affaiblissement de l’intérêt politique. À son tour, le rapport avec les nouvelles serait inverse, c’est à dire, serait négativement associé : par conséquent, cela fortifierait l’intérêt politique.
Autant pour Norris (1996) que pour Hooghe (2002) il n’y a pas de certitude d’un rapport négatif entre l’utilisation des médias pour rechercher des informations politiques et l’intérêt politique; au contraire, le rapport tend à être positif. Cependant, ce rapport positif ne doit pas impliquer que la télévision peut amener à un fort engagement civique ou à une plus grande connaissance des thèmes politiques. Selon les termes mêmes de l’auteur, la « recherche démontre que ceux qui regardent les news télévisées sont mieux informés sur la politique et, qu’alors ils seront plus enclins à participer à la vie sociale et politique. » (p. 15)
M. Hooghe cite des études de H. Milner qui tentent de mettre en rapport l’exposition médiatique de jeunes de 14 ans avec une future propension à voter, c’est à dire, avec une future tendance à la participation politico-électorale.
G. Gerbner et alii (1980:16) cité par M. Hooghe, argumentent que, du fait que les téléspectateurs sont plongés dans des informations et des images violentes et criminelles, ils se sentiraient plus menacés dans la vie quotidienne et, par conséquent, ce sentiment pourrait éroder leur désir de participer à des actions collectives, et parmi celles-ci à des actions politiques. Un mécanisme d’isolement pourrait être en jeu: beaucoup de temps passé devant la télévision aliènerait la vie sociale, et cette démesure de l’observation réelle serait compensée par des spéculations sur la vie dans la communauté. Le rapport opposé est également soutenable: parce que les personnes ont peur de la criminalité dans le voisinage, elles préfèrent rester chez elles en regardant la télévision.
De toute manière, il conclut que, en « offrant divertissement léger et formules simples, les chaînes commerciales contribuent à cultiver une culture du cynisme politique, de l’insécurité et de l’isolement » (Hooghe, 2002, p. 19).
De manière particulière, les valeurs journalistiques tendraient à assumer un angle anti-politique, et même sceptique, au sujet des principales institutions de la société. La presse valoriserait trop le changement, au lieu de la continuité, en adressant des critiques inépuisables à ceux qui sont positionnés dans l’administration politique, et en donnant de la valeur aux questions à caractère personnel au détriment du débat politique. Les partis tendraient à être traités sous une lumière extrêmement négative. Auprès du public, cela produirait une vision excessivement cynique, mal informée et négative des politiciens, conduirait à un éloignement entre candidats et électeurs, et augmenterait le manque de confiance par rapport au processus électoral (idem Hooghe).
Cependant, des études démontrent que les citoyens confiants ne sont pas ceux qui prétendument votent plus, qui s’engagent dans des activités de campagne, ou qui sont intéressés par la politique (Citrin, Rosenstone et Hansen, cité par Norris, 1996). Théoriquement, ces facteurs peuvent ne pas être interdépendants. Ainsi, dans ce cas, les médias pourraient produire un public plus sceptique sans causer des conséquences signifiantes pour l’activisme politique.

Internet et le Capital Social

Pour les États-Unis et l’Europe, Norris (2003, p. 223) a observé qu’Internet n’a pas mobilisé des groupes qui étaient antérieurement inactifs (à l’exception partielle des jeunes), mais, au contraire, a renforcé les tendances déjà existantes en participation politique.
Wellman et Hogan (2006, p. 46) argumentent qu’Internet contribuerait à toutes les formes de contact: interpersonnel, intra- et inter-organisationnel. Loin d’éloigner les personnes, Internet favoriserait leur proximité. Et l’utilisation d’un support médiatique induirait l’utilisation d’autres supports médiatiques: plus les personnes communiquent au moins par un quelconque support médiatique, plus elles communiquent par Internet. Ainsi, des communications médiatisées augmenteraient le réseau de rapports.
Pour eux, l’individualisme sur Internet aurait des effets profonds sur la cohésion sociale. Plutôt que de faire partie d’une hiérarchie de groupes chaque fois plus intégrés, l’individu maintenant fait partie de communautés multiples et partielles (p. 52). Malgré les réseaux sociaux moins denses, les liens sociaux paraissent avoir augmenté. Ceci aurait pour conséquence des contacts interpersonnels plus nombreux et plus fréquents qu’auparavant. Liée à ce changement en direction de l’individualisme du réseau, c’est la nature même de la citoyenneté qui change.
Cette transformation aurait commencé avant Internet, mais c’est la présence de celui-ci qui accélèrerait et remodèlerait le processus. De toute façon, les effets d’Internet ne seraient ni technologiquement déterminés ni sociologiquement prédestinés.
Stromer-Galley (Howard e Jones, 2004, p. 6) a trouvé des indices du rapport existant entre la familiarité à l’utilisation d’Internet et la propension à voter on-line: d’un côté, plus il y a de gens qui utilisent Internet, plus il y a de gens disposer à voter on-line; d’un autre côté, la familiarité avec la technologie paraît avoir peu de rapports avec le sens du devoir et l’intérêt politique des personnes. Par conséquent, l’utilisation des médias et la motivation pour participer politiquement paraissent être déconnectées; ainsi, la technologie paraît-elle plus disposer les personnes à accepter un processus on-line de votation que de provoquer spécifiquement un sentiment de devoir de participer en votant.
Pour B. Wellman et al. (2001), il y a différentes formes selon lesquelles les effets d’Internet sur le capital social peuvent être conceptualisées: 3 modalités se présentent: (a) Internet transformerait le capital social; (b) Internet diminuerait le capital social; et (c) Internet compléterait le capital social.
L’Internet transformerait le capital social quand en raison de son ample diffusion (bas coût et facilité d’utilisation), il rétablirait un sens de la communauté en connectant des ami(e)s, en fournissant des sources d’information dans une ample variété de sujets et en engageant divers groupes dans la participation politique et organisationnelle. Conduisant à de nouvelles formes de communauté, Internet fournirait un espace de rencontre à des personnes aux intérêts communs, indépendamment de notions telles que lieu, temps, situation économique, religion et race. Ainsi, le désengagement observé par R. Putnam pourrait être, plutôt la migration de l’engagement de communautés physiques et traditionnelles vers des communautés virtuelles. Une étude à NetVille a montré que l’utilisation d’Internet a promu plus et mieux les rapports sociaux et la participation réelle autant dans la communauté locale que dans celle on-line (Hampton ; Welmann, 1999).
Internet diminuerait le capital social si à travers ses capacités d’informer et de divertir, il éloignait les personnes de la famille et des amis. Dans ce cas, il contribuerait à réduire l’intérêt pour la communauté locale et son fonctionnement politique. Une étude longitudinale a montré comment les utilisateurs les plus intensifs d’Internet voient baisser leurs contacts sociaux et augmenter leur solitude et même leur dépression.
Internet complèterait le capital social quand il s’ajouterait à la configuration existante de la communication et des médias, pour faciliter les rapports sociaux courants et les contacts suivis d’engagement civique et de socialisation. Ainsi, c’est Internet qui s’allie par exemple au contact téléphonique et au contact en face-à-face pour renforcer et même élargir les contacts sociaux et l’engagement civique déjà existants (Quan-Haase; Wellman, 2002).
Rice et Katz (idem Howard et Jones) montrent comment les personnes utilisent Internet pour enrichir leur vie politique – en participant à des groupes de discussion on-line, en faisant des recherches sur des candidats et des options politiques, et même en suivant les nouvelles de la politique.
Plusieurs campagnes politiques récentes ont compris la puissance d’internet dans La mobilisation des sympathisants. L’exemple le plus actuel est la campagne de Barack Obama dans le cadre de la dernière élection présidentielle américaine. Les outils Internet ont été utilisés dans cette campagne avant tout pour recruter et organiser massivement les sympathisants, moins pour communiquer aux électeurs. Ses électeurs, pour la plupart des jeunes américains, habitués aux ordinateurs, portables et consoles, ont été mobilisés pour mettre en marche une inhabituelle collecte de fonds : des petites sommes d’argent ont été versées par de milliers d’américains grâce à l’action des réseaux d’amis et de connaissances en commun. Dans la campagne, les réseaux sociaux ont été utilisés comme terrain de recrutement; autrement dit la campagne d’Obama a privilégié la logique selon laquelle il faut aller aux supporters. Ainsi, si les gens sont sur les réseaux sociaux d’internet (Facebook, MySpace et Youtube, par exemple), il faut lancer un appel électronique pour les envoyer militer sur le terrain de manière coordonnée. Cependant le site web officiel de la campagne a été responsable du recueil de la somme de US$500 mil. En outre, une enquête réalisée par l’institut de recherche « Pew Research Center for People and the Press » et publiée en décembre 2008 (voir le journal Folha de S. Paulo, 30/12/2008)montre que 59% de tous les électeurs qui ayant voté pour Obama ont participé de la campagne en ligne, soit en envoyant des messages par courrier électronique, soit en lisant des blogs politiques ou en participant de listes de discussion. L’enquête a été réalisée entre le 20/11/08 et le 04/12/08 auprès de 2.254 adultes concernant leur usage de l’Internet avec une finalité politique.
Le discours d’Obama sur la question raciale a été le point fort de la campagne. Pourtant, la télévision n’a pas été le moyen choisi pour diffuser l’opinion du candidat concernant cette question : un discours de 37 minutes a été vu et revu sur Youtube par plus de 6 millions de fois sur les ordinateurs et portables (Almeida, 2009). Il est important de mentionner que la technologie mobile et des dossiers de données contenant le numéro téléphonique de portables rendus disponibles par les électeurs eux-mêmes ont permis aux stratèges de la campagne d’investir massivement dans des messages (SMS). Les diffusions via le web de visioconférences et débats ont été aussi notifiées par messages électroniques sur Internet et sur les portables. Ainsi, ont peut dire que la campagne d’Obama a profité des rapports établis par le moyen des réseaux sociaux en utilisant le capital social construit dans le contexte de formation d’une sociabilité qui invite les gens à agir collectivement pour atteindre un objectif précis et vu comme capable de favoriser le bien commun. En ce sens, il faut souligner qu’Obama a utilisé le marketing viral, c’est-à-dire, que les électeurs ont diffusé leurs idées entre les participants de leurs réseaux particuliers à travers des textes, photos, fragments audiovisuels, etc. (Esperidião et Renó, 2008). Cette façon d’agir ensemble et de façon coopérative donne des résultats concrets, surtout quand elle est liée à des tâches spécifiques comme rassembler des fonds, des signatures, des soutiens, etc. Bref, il s’agit de conjuguer des actions en ligne et des interventions de terrain.
Néanmoins, il faut souligner que l’engagement civique ne se réduit pas à la mobilisation électorale ou au rassemblement des individus dans des groupes organisés. Ce type d’engagement se produit aussi dans des réseaux informels de conversation et d’échange de points de vue où les citoyens apprennent à s’exprimer et à se positionner devant une question d’intérêt public. Je soutiens ainsi l’idée selon laquelle la mobilisation électorale n’est pas le seul critère valide pour mesurer l’engagement civique. Au lieu de cela, j’affirme qu’être engagé civiquement requiert l’activation de réseaux sociaux dans lesquelles se réalisent des conversations quotidiennes et le perfectionnement d’habilités expressives et communicatives, contribuant à la constitution du capital social.

Communication Politique et Capital Social

H. Matos, en étudiant les interfaces entre communication politique et communication publique (2006), ainsi qu’entre communication publique et capital social (2007), a effectué récemment une étude à propos du rapport entre TICs et capital social (en cours de publication 1). Nous pensons qu’il serait opportun d’aborder quelques questions, de manière à susciter le débat sur les impacts des TICs et les conditions de l’engagement civique et de la participation politique. Et, dans ce but, comment définir les interfaces entre la communication politique et la communication publique?
En ce qui concerne le rapport entre communication politique et communication publique, Matos (2006) considère qu’il est nécessaire de rechercher dans la communication politique (aujourd’hui un domaine bien identifié scientifiquement) et dans la science politique le référentiel théorique et méthodologique pour élucider le concept de communication publique – invoqué soit comme utopie, soit comme un concept renouvelé de la communication gouvernementale, ou encore comme le prochain pas dans les rapports communicatifs entre l’État (non le gouvernement) et la société.
En résumé, nous pourrions dire que la communication politique a fondamentalement affaire aux rapports de pouvoir. Ainsi, les processus communicationnels qui sont mêlés à la recherche, à la légitimation ou au maintien du pouvoir économique, social ou politique dans la vie de la polis seront, par nature, de l’ordre de la communication politique.
Une seconde question mettrait en jeu le fait de se demander si la communication publique est inclue dans la communication politique: si toute communication publique est politique, toute la communication politique ne serait pas forcément publique. Du point de vue des auteurs, pour ce qui est de l’origine et de la destinée des thèmes abordés et de l’intérêt des agents, des bénéfices et coûts engagés dans les mesures adoptées et des processus spécifiques et stratégies relationnelles, la communication politique déborde la communication publique.
Une troisième tâche serait de rechercher les liens entre communication publique et capital social. H. Matos (en cours de publication 2) confirme ainsi que l’existence de la communication est un facteur nécessaire à la création de capital social, mais ce n’est pas un facteur suffisant. Le capital social est le produit d’un genre particulier de communication : c’est seulement une communication ayant un rapport avec l’intérêt collectif (à l’origine) et avec le bien public (comme objectif), qui présuppose l’accès, la participation, la négociation, la prise de décisions universelles et conjointes (comme règles procédurales) et qui implique l’ouverture, la transparence, la visibilité, la libre expression, le respect du pluralisme et l’interactivité (comme normes déontologiques), qui peut générer du capital social.
Ainsi, la communication publique est aussi un genre spécifique de communication politique : le pouvoir, les intérêts, les thèmes, les sujets, les bénéfices, les coûts, les processus (engagement et participation), les supports, tout cela se réfère à l’ensemble des acteurs sociaux. Si d’un côté la communication publique paraît d’une grande ampleur (par l’universalité de l’accès), d’un autre côté elle est restrictive du point de vue politique: il s’agit en effet de privilégier l’intérêt public. Le capital social, comme
comme engagement civique, sens de la coopération et de la participation,
culture associative, confiance et réciprocité est vraiment la cause, et paradoxalement aussi la conséquence, de la communication publique – ce genre très exigeant et « restrictif » de communication politique.
Cependant, nous devons nous interroger à propos du rôle réservé aux TICs vis-à-vis non seulement du point de vue du capital social (ce qui a été relativement mis en évidence antérieurement dans l’argumentation relative à la télévision et à Internet), mais principalement par rapport à la communication publique et à la communication politique. En ce sens, H. Matos (2007) rappelle que : « La reconnaissance de la Sphère Publique comme diversité de lieux d’expression exige, par anticipation, l’intériorisation des droits du citoyen, comprise sous des prismes différents. Par exemple: la capacité de l’agent de se reconnaître comme participant social, d’élaborer une opinion de soi et de s’exprimer de manière à mettre en valeur son opinion (et celle de son groupe de référence). (…) Ce qui est à la base de ce débat c’est l’élaboration d’une culture (civique et communicationnelle) de ce qui est public et de la valeur du domaine public. Une culture qui rende capable les agents de s’instituer comme communicateurs publics dans la Sphère Publique ».
Dans une Sphère Publique comprise comme « ensemble d’espaces physiques et immatériels où les agents sociaux peuvent rendre effective leur participation dans le processus de communication publique » (idem), le rôle réservé aux TICs est celui d’être plus que « l’infrastructure qui matérialise la Sphère Publique ». Ainsi, les nouveaux médias pourraient servir de supplément aux contacts interpersonnels en face-à-face ou selon une autre modalité, instituant un réseau matériel possible pour les flux d’information, via des inforoutes construites sur une série de recours immatériels préalables: confiance, réciprocité, et engagement dans les questions publiques, maintenant et renouvelant les conditions d’existence du capital social.
L’engagement en direction de certaines valeurs civiques de cohabitation, c’est à dire vers un (nouveau) genre de contrat de vie sociale, donnerait ainsi une définition du capital social, un capital social engagé dans la communication – politique et publique. La communication politique (et la communication publique en tant que lui appartenant) pourrait être l’accomplissement de ce contrat social, la mémoire et la confirmation des règles du jeu. La question à laquelle il faut répondre maintenant, est la suivante: est-il à la charge et de la responsabilité de la communication publique de chercher à produire une culture civique qui institue l’engagement et la participation politique, ou faut-il attendre cela de la communication politique non publique ?

Conclusions

L’analyse présentée suggère que le rapport entre l’engagement civique et la consommation de télévision est plus complexe que ce qui a été certaines fois suggéré. Alors que la quantité d’écrans et leur consommation paraît corroborer la thèse de R. Putnam, d’autres évidences concernant ce que les téléspectateurs américains regardent suggèrent que les nouvelles, et particulièrement les émissions d’information et les magazines visant à explorer les questions actuelles, ne paraissent pas être une atteinte à la santé démocratique de la société, et elles peuvent même être bénéfiques. Bref, l’accusation selon laquelle la télévision serait la source causant le manque de confiance et de croyance en la démocratie américaine paraît, sous cette base (dans la version faible), manquer de preuves, et peut même (dans la version forte) paraître profondément improbable. (Hooghe, p. 7-8)
Pour A. Portes, le chercheur devrait prendre certaines précautions dans son approche du capital social: en premier lieu, il devrait séparer la définition du concept, théoriquement et empiriquement, de ses effets supposés; en second lieu, il devrait établir des contrôles du sens de la relation, de manière à démontrer que la présence du capital social est antérieure aux résultats que l’on attend qu’il produise; en troisième lieu, il devrait contrôler la présence d’autres facteurs qui peuvent expliquer autant le capital social que ses effets supposés; et en quatrième lieu, il devrait identifier les origines historiques du capital social de la communauté d’une manière systématique.
Après tout ce qui a été dit, on n’est pas fondé à affirmer que le réseau Internet est bon ou mauvais. Mais certainement, Internet n’est pas une réserve de capital social. Il n’y a pas de preuves qu’Internet soit en train d’éloigner les personnes des liens sociaux traditionnels ou de les faire devenir moins confiants. En lui-même, Internet n’est ni une menace ni la panacée pour la société civile et la sociabilité (Uslaner, 2000).

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Auteur

Heloiza Matos

.: Professeur du Programme de Troisième Cycle de la Faculdade Cásper Líbero (Brésil), Heloiza Matos est chercheuse Associée au GRESEC, Université Stendhal – Grenoble 3.