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Les représentations du téléphone mobile : des imaginaires aux pratiques

15 Nov, 2007

Résumé

Article inédit faisant suite à une communication au colloque MEOTIC, à l’Institut de la Communication et des Médias (Université Stendhal), les 7 et 8 mars 2007.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Renaud Lise, « Les représentations du téléphone mobile : des imaginaires aux pratiques« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°08/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/20-les-representations-du-telephone-mobile-des-imaginaires-aux-pratiques

Introduction

Du fait de leur fonction sociale (information, culture et communication), les TIC ont une propension particulière à être le support de rêves et de fantasmes faisant de ces objets techniques des outils révolutionnaires. L’expression de cet imaginaire technique passe notamment par les discours d’accompagnement (Breton, 2002). Au-delà de leur dimension utopique, ces productions discursives mettent en scène ces dispositifs techniques, les présentent et re-présentent. Elles contribuent ainsi à leur donner du sens et, de fait, participent à la construction de leur identité.

Dans une réflexion sur l’insertion sociale des objets techniques contemporains, s’attarder sur ces représentations sociotechniques, chercher à les analyser, et essayer d’en comprendre le fonctionnement et les enjeux, parait donc fondamental. Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les images du téléphone mobile, entre 1996 et 2006, dans deux genres de discours d’accompagnement : les spots publicitaires et les modes d’emploi. Nous avons interrogé les modèles d’usages et d’usagers construits par ces discours et leurs évolutions. Cette analyse diachronique nous a conduit à faire un double constat. D’une part, nous avons relevé la présence d’invariants dans les modalités de représentation du téléphone mobile. D’autre part, nous avons constaté une évolution de l’imagerie sociotechnique associée au portable. De surcroît, les variations relevées ne semblent pas sans liens avec la trajectoire sociale de cet objet technique. Notre propos consiste donc ici à montrer l’importance et la complexité des relations entres les imaginaires, les représentations et les usages du téléphone mobile. Il semblerait, en effet, que si les discours d’accompagnement par l’imaginaire qu’ils expriment, participent à l’insertion sociale des téléphones mobiles, ces productions discursives soient d’un autre côté, contraintes par les pratiques effectives des usagers.

Après avoir présenté notre positionnement sur l’imaginaire technique, nous nous attacherons à présenter nos résultats d’analyse. A partir de ces derniers, nous questionnerons ensuite les relations entre les imaginaires, les représentations et les pratiques.

Émergence d’un questionnement sur l’imaginaire technique

Les principaux travaux sociologiques sur les usages des TIC (modèles de la diffusion, de la traduction, de la configuration sociotechnique et approches de l’appropriation) soulignent le rôle primordial des imaginaires et représentations sociotechniques dans l’insertion sociale de ces objets techniques. Plus précisément, à partir de ces études, nous pouvons considérer qu’ils jouent trois rôles principaux.

  1. Tout d’abord, ils sont une ressource pour l’innovation. Rappelons, en effet, la position de Patrice Flichy concernant la constitution d’un cadre socio-technique : « aux origines d’un cadre socio-technique, on trouve donc toute une série d’imaginaires techniques qu’il paraît nécessaire d’étudier, non pas en les considérant comme la matrice initiale d’une nouvelle technique, mais plutôt comme l’une des ressources qui se trouvent mobilisées par les acteurs pour construire un cadre de référence » (Flichy, 1995, p. 179). Les représentations sont ainsi envisagées comme permettant de donner du sens au processus d’innovation et aux actions techniques.
  2. Ensuite, l’imagerie développée autour d’une technique est considérée comme essentielle lors de la diffusion. Elle devient pensée comme participant à la stratégie argumentative de légitimation et de mobilisation. Tout en militant pour une approche sociopolitique des usages, Thierry Vedel souligne la volonté des offreurs d’influer par leurs discours, sur les représentations sociotechniques des usagers : « en même temps qu’elles produisent de nouveaux outils, les grandes firmes industrielles conçoivent également des stratégies symboliques d’accompagnement pour orienter, légitimer ou justifier les types d’usage les mieux à même de soutenir leurs objectifs commerciaux ou financiers » (Vedel, 1994, p.14). Ainsi, l’imaginaire technique paraît aussi être un enjeu pour les offreurs lors de la diffusion.
  3. Enfin, les imaginaires peuvent être considérés comme un cadre de référence pour la formation des premiers usages. Josiane. Jouët précise que les représentations des TIC dans les discours médiatiques jouent « un effet de déclencheur d’une part dans l’adoption des TIC (décision d’équipement et apprentissage) et, d’autre part dans l’élaboration des formes d’utilisation » (Jouët, 2001). En effet, les images et représentations que l’utilisateur se fait d’un objet technique – ce qu’il imagine – sont essentielles lors de son appropriation de cet objet (Mallein et Toussaint, 1994).

Ainsi la dimension symbolique d’un objet technique, le sens qu’on lui donne, les images qu’on lui associe, paraissent primordiaux au cours des différentes phases de son insertion sociale. Lors de l’étude d’un objet technique contemporain comme le téléphone mobile, l’analyse de l’imagerie qui accompagne son développement, prend donc tout son sens. Cela dit, afin de questionner ces représentations, nous devons dans un premier temps les localiser.

En considérant que les imaginaires techniques recouvrent ce qu’on imagine d’une technique, de ses usages, de ses usagers et de son fonctionnement, alors les publicités et les modes d’emploi du téléphone mobile sont un support d’imaginaires techniques En effet, ces discours expriment et cristallisent dans une forme propre ce que les offreurs imaginent des usages, des usagers, etc. … Ils mettent en scène, représentent le téléphone mobile, ses usages et ses usagers. Une analyse de ces discours peut nous permettre de repérer et d’identifier les imaginaires, et les imageries associées par les offreurs au téléphone mobile. Toutefois, nous ne pouvons pas nous contenter d’une description de cette imagerie. Adopter une approche diachronique de ces images nous paraît, en effet, beaucoup plus pertinente. Elle peut nous permettre d’interroger les rapports entre ces images et l’insertion sociale du mobile. Quel est le devenir de cet imaginaire quand la masse critique est atteinte ? Comment la stabilisation du cadre sociotechnique se traduit-elle dans ces discours d’accompagnement ? Finalement, comment ces représentations sociotechniques évoluent-elles au cours de l’insertion sociale du téléphone mobile ?

Dix ans de représentations du téléphone mobile dans les spots publicitaires et les modes d’emploi

Pour répondre à ce questionnement, nous avons étudié les images du téléphone mobile entre 1996 et 2006 dans les spots publicitaires et les modes d’emploi de trois constructeurs (Nokia, Motorola et Sony Ericsson). Une grille d’analyse a été élaborée pour chacun de ces genres discursifs afin de prendre en considération leurs spécificités. Précisons que ces grilles ont des entrées thématiques communes (objet technique, usage, usager, fonctionnement) dépendantes des objectifs de notre analyse. Elles traitent aussi de questionnements exclusivement induits par le genre discursif (stratégie publicitaire, structuration des modes d’emploi, etc. …).
Suite à cette analyse diachronique, nous avons constaté la présence d’invariants mais aussi d’évolutions des représentations sociotechniques dans ces deux productions discursives.

Des invariants

Dans les spots publicitaires

Entre 1996 et 2006, certaines modalités de représentations du téléphone mobile dans les spots publicitaires sont constantes. Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de limiter notre présentation à deux catégories principales : celle des ellipses et celle des modes de valorisation.

Des ellipses récurrentes

Dans l’ensemble des spots publicitaires de notre corpus, nous avons constaté la récurrence de deux types d’ellipses. La première concerne la mise en images des opérations à effectuer pour telle ou telle utilisation. Que ce soit pour passer un appel ou prendre une photo, la procédure suivie par l’utilisateur se résume généralement à deux ou trois plans. L’intégralité des manipulations nécessaires n’est donc pas montrée.

La deuxième ellipse concerne le contenu des communications téléphoniques « classiques » (hors SMS et MMS). Majoritairement, les entretiens verbaux ne sont pas détaillés. Leur mise en scène se limite à un « hello » ou à la monstration d’une émotion (sourire).

Nombreuses sont les interprétations possibles de ces ellipses. Elles peuvent, en effet, être envisagées comme une mise en avant de la facilité d’utilisation ou induites par les contraintes de production (format, variations culturelles, etc.). Toutefois, l’intérêt nous semble surtout de relever leur persistance au cours de l’insertion sociale du mobile.

Des modalités de valorisation constantes

Tout d’abord, nous avons constaté que la valorisation ne repose pas sur la mise en exergue de la scientificité de l’objet. A l’instar des conclusions de Josiane Jouët ou de Jean-Claude Soulages dans leurs travaux sur les représentations des TIC, nous avons, en effet, pu relever une évacuation de la dimension scientifique dans les publicités de notre corpus (Jouët, 2001 ; Soulages, 2002). La phase de conception du téléphone mobile est rarement mise en images. Dans une logique promotionnelle, la représentation par l’usage, lui est vraisemblablement préférée. De surcroît, les rares publicités faisant référence à la conception, ne mettent pas en images les laboratoires ou les bureaux d’étude. Les ingénieurs ou autres concepteurs ne sont pas non plus l’objet d’une mise en scène. Seul l’objet technique, hors de tout contexte spatiotemporel, est visible (Motorola Startac, 1997 ; Nokia 8800, 2005).

Ensuite, la valorisation du téléphone mobile exploite deux logiques. Elle passe soit par l’impact relationnel, soit par le « pouvoir-faire ». En effet, régulièrement, les spots publicitaires sur les mobiles mettent en scène des relations interpersonnelles, des communications affectives réussies. Le mobile est associé aux rapports de séduction (Motorola V, 1999 ; Nokia 9210, 2001 ; Sony Ericsson K700i, 2004) voire aux déclarations d’amour (demandes en mariage chez Nokia). Il peut aussi être mis en scène comme un moyen pour créer du lien social, relier une communauté ou fédérer une tribu (Motorola T191, C330, 2002 ; Nokia Series 7260, 2004 ; NSeries, 2006 ; Sony Ericsson T610, 2003). L’autre mode de valorisation constaté est celui que nous avons appelé du « pouvoir-faire ». Dans les spots publicitaires de notre corpus, le mobile est, en effet, souvent montré comme un outil permettant de se libérer des contraintes de sa vie privée et/ou professionnelle (Nokia 9210, 2001). En outre, il est généralement associé à l’idée de performance. Il peut lui-même être présenté comme un exploit (Nokia 6600, 2003 ; 8800, 2005) ou être mis en scène dans des situations exceptionnelles (prouesses sportives (Nokia N90-Nseries, 2006), événements incroyables (Nokia 7650, 2002 ; Sony Ericsson K750i, 2005) ou situations héroïques (Sony EricssonWalkman, 2005).

Dans les modes d’emploi

Dans les modes d’emploi d’une même marque, le constat le plus frappant reste la reproduction à l’identique, d’une année à l’autre, d’un ensemble d’énoncés linguistiques voire de la structuration des documents techniques. A ce propos, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, les signes iconiques et la mise en page sont vraisemblablement plus susceptibles de changer que les signes linguistiques. Ensuite, en élargissant l’écart temporel, les modifications entre les manuels sont beaucoup plus importantes. Autrement dit, les changements sont progressifs. Nous sommes plutôt face à des évolutions qu’à de véritables ruptures.

Des représentations sociotechniques qui évoluent

Entre 1996 et 2006, nous avons aussi relevé des changements dans les modes de représentations du téléphone mobile, de ses usages et de ses usagers. Les stratégies publicitaires ainsi que la composition des modes d’emploi se sont aussi modifiées. Voyons donc successivement la nature de ces évolutions.

L’objet technique

Dans notre corpus, une hésitation terminologique a pu être mise en évidence concernant la désignation de l’objet technique promu. Entre 1996 et 1998, le téléphone mobile est tour à tour désigné par les termes suivants : portatif, cellulaire, mediaphone, etc. … L’appellation « mobile » s’impose après 1998. En effet, à partir de cette période, elle devient commune à l’ensemble des publicités de notre corpus.

Les usagers représentés

Dans les spots publicitaires analysés, jusqu’à la fin des années 90, les usagers représentés occupent des professions diverses : artistes et amateur d’art (1996), ouvriers du bâtiment (1997), employé de bureau(1998), etc. … Plusieurs images d’usagers cohabitent sans qu’aucune ne soit plus prépondérante qu’une autre. A la fin des années 90, des figures de référence s’imposent et deviennent récurrentes : le cadre nomade, la « fashion victim » ou personnage branché (de préférence mannequin, styliste ou créatif) et le jeune urbain pratiquant des sports extrêmes. Ces références imagées semblent ainsi être devenues communes aux discours des trois constructeurs.
Concernant l’âge et le genre des utilisateurs représentés, nous avons pu constater que majoritairement l’usager est un homme d’une trentaine d’année. Les utilisateurs ont parfois moins de 20 ans mais leurs âges n’excèdent jamais 40 ans. Quant à la répartition sexuée, notre analyse nous a permis de remarquer que les femmes sont sous représentées. De surcroît, elles ont, bien souvent, le statut d’appelé plutôt que d’appelant. Toutefois, elles sont de plus en plus présentes depuis 2003. Cette tendance est transversale aux discours des trois marques étudiées.

Dans les modes d’emploi, l’usager représenté c’est-à-dire l’image qu’en donne le rédacteur, évolue. Il acquiert des compétences (savoirs et savoir-faire) face au mobile. Une observation des glossaires et définitions des termes techniques illustre ce phénomène. En effet, certains mots (PIN, renvoi d’appel, verrouillage du clavier…) ne sont plus définis alors qu’ils l’étaient auparavant. C’est comme si l’utilisateur avait acquis un savoir à leur propos. De même, certains composants ne sont plus légendés dans les schémas de présentation. C’est notamment le cas des touches numériques. Enfin, les manuels des mobiles récents détaillent moins certaines procédures (chargement de la batterie, passer un appel, …). Celles-ci comportent moins d’étapes et d’illustrations.

Les usages représentés

Dans les spots publicitaires, sur la période étudiée, les usages téléphonés sont de moins en moins représentés au profit de la mise en scène d’autres usages plus ou moins prépondérants par périodes (1996-1998 : usages téléphonés ; 1999-2001 : WAP ; 2002 : jeu, photo, lecteur de musique, vidéo, etc. …). L’usage téléphoné n’est plus mis en images. Il devient simplement énoncé par la voix off. Parallèlement, un changement dans la représentation de la sphère d’application est constatable. Si entre 1999 et 2001, les applications professionnelles sont récurrentes, depuis 2002, le mobile est surtout associé au domaine du loisir. Enfin, les lieux d’utilisation représentés évoluent. Les usages du mobile sont, certes, majoritairement mis en scène en extérieur (parc, jardin, rues, restaurant, etc.) ou dans des moyens de transport (aéroport, taxi, métro). Toutefois, depuis 2004, les mises en scène d’utilisations au domicile de l’usager deviennent de plus en plus fréquentes. Ce constat peut conduire à s’interroger sur la mise en valeur de la mobilité de l’objet. N’est-il plus nécessaire d’insister désormais sur cette particularité ?

Dans les modes d’emploi, la nature et la catégorisation des usages représentés se modifient. Cette évolution suit assez logiquement l’ajout de fonctionnalités dans les mobiles. Rappelons que les radiotéléphones sont devenus en dix ans de véritables terminaux multimédias. Le contenu des manuels a donc intégré les nouvelles possibilités d’usage (prise de photo, enregistrement vidéo, …). De plus, une analyse de la hiérarchisation des usages souligne un phénomène moins prévisible : l’évolution des représentations de leur statut. Certaines utilisations présentées dans les modes d’emploi comme optionnelles à la fin des années 90 sont maintenant classées au rang des fonctions basiques. Enfin, une rapide analyse lexicale à l’aide du logiciel Tropes, tend à montrer une évolution du champ lexical de référence. Dans la plupart des modes d’emploi, ce dernier est celui des télécommunications. Or, dans les manuels d’utilisation de mobiles récents, l’univers lexical principal relève de l’informatique. Ce glissement terminologique peut, certes, être interprété comme induit par la sophistication des terminaux. Toutefois, il peut aussi découler d’une volonté des offreurs d’entretenir une confusion entre les catégories de terminaux (PDA, Personal Digital Assistant, et téléphone mobile par exemple).

Des évolutions propres au genre discursif

A travers notre analyse, nous avons aussi pu constater des changements spécifiques à chaque genre discursif.
L’argumentaire publicitaire évolue. La valeur d’usage laisse place à la valeur d’image. Trois périodes peuvent ainsi être distinguées en fonction de la stratégie publicitaire adoptée :

  1. Entre 1996 et 1999, les spots publicitaires mettent majoritairement en avant l’utilité et l’ergonomie (sa taille, sa forme) du téléphone mobile (Nokia 8110, 1996 ; Motorola Startac, 1997 ; Ericsson GF788, 1997).
  2. Entre 1999 et 2002, l’argument récurrent est celui de la multiplicité des usages et de la polyvalence du mobile. Les spots publicitaires mettent en scène les « nouveaux » usages et adoptent une logique d’énumération des autres possibilités d’usage (Nokia 9110, 1999 ; 6210, 2000 ; 7650, 2002 ; 3650, 2003).
  3. Depuis 2003, de plus en plus de publicités s’orientent vers de la communication de marque voire de la communication institutionnelle (Brochand et Lendrevie, 1993). La valeur d’image du mobile est mise en exergue. L’objet technique est ainsi présenté comme fédérant une tribu ou une communauté (Motorola T191, 2002 ; C330, 2002, Nokia Series 7260, 2004 ; Series 7360, 2006 ; NSeries, 2006, Sony Ericsson, T610, 2003).

L’analyse diachronique des modes d’emploi montre un changement significatif de l’importance des thèmes périphériques (Boullier, 1998). Les informations concernant les ondes électromagnétiques se sont accrues dans les modes d’emploi. Cet accroissement est d’ailleurs éloquent chez le constructeur américain Motorola. Les arguments publicitaires se sont aussi développés : l’ajout dans ces documents techniques d’un volet présentant les gammes d’accessoires associables à l’objet technique est récurrente depuis les années 2000.

Synthèse des variations relevées

Afin de permettre une vision synthétique des changements constatés, nous avons élaboré le tableau récapitulatif suivant.

Spots publicitaires

Modes d’emploi

Le téléphone mobile

1996-1998 : les appellations de l’objet technique varient (portatifs, cellulaire, etc. …)
A partir de 1998 : l’expression « téléphone mobile » s’impose.

Les usagers du téléphone mobile

CSP

Jusqu’à 1999 : diversité d’usagers (amateur d’art, ouvrier du bâtiment, employé de bureau, etc. …)
Dès 1999 : des figures de référence s’imposent (le cadre nomade, le jeune sportif, la « fashion victim »)

Compétences de l’usager

1996-2006 : l’usager acquiert des savoirs et savoir-faire sur le téléphone mobile
(évolution du glossaire, de la présentation de certaines procédures, etc. …)

Génération

1996-2006 : les usagers ont moins de 40 ans. La majorité est constituée de trentenaire.
Dès 1999 : les 15-25 ans sont de plus en plus représentés.

Répartition sexuée

1996-2006 : les usagers sont majoritairement des hommes
Depuis 2003 : les femmes sont de plus en plus représentées

Les usages

Nature des usages

1996-1998 : Majoritairement des usages téléphonés
1999-2001 : WAP
Depuis 2002 : Jouer, écouter de la musique, photographier, regarder des vidéos, etc. …

Nature des utilisations

Le nombre d’utilisations explicitées augmente.

Sphère d’utilisation

Evolution de la sphère d’application représentée : sphère professionnelle → univers du loisir

Champ lexical

Le champ lexical évolue : télécommunications → informatique

Lieu d’utilisation

1996-2006 : Les usages du mobile sont réalisés en extérieur (parc, jardin, rue) ou dans des moyens de transports (taxi, métro, aéroport)
Dès 2004 : Les usages du mobile sont aussi mis en scène en intérieur (domicile de l’usager).

Classification des utilisations

Changement de classification de certains usages (optionnels deviennent de base)

Les évolutions en fonction du genre de discours

Argumentaire publicitaire (argument récurrent)

1996-1999 : « le téléphone mobile est utile et petit »
1999-2002/2003 « le téléphone mobile est polyvalent »
Dès 2002 : « le téléphone mobile fédère une appartenance tribale »

Les thèmes des modes d’emploi

1996-2006 : accroissement des thèmes périphériques

Imaginaires, représentations et pratiques du téléphone mobile : complexité des liens

A partir d’une analyse diachronique d’un corpus de spots publicitaires et de manuels d’utilisation, nous avons donc repéré des variants et invariants dans les représentations du mobile entre 1996 et 2006. Cette étude a permis de constater des évolutions dans l’imagerie développée autour du portable. Mais comment interpréter ces changements ? Quelles peuvent être les relations entre ces représentations, cet imaginaire et les pratiques des usagers ? Nous n’avons nullement la prétention d’être en mesure d’apporter ici des réponses claires et définitives à ces questions. Ainsi, nous nous contenterons de livrer une double piste de réflexions. Nous questionnerons, tout d’abord, l’impact de la trajectoire sociale du mobile sur les représentations médiatiques. Puis nous aborderons brièvement les liens entre les discours des offreurs et les représentations des usagers.

Le poids de l’insertion sociale du mobile dans l’évolution des représentations sociotechniques

Les variations constatées semblent s’effectuer parallèlement à l’évolution de l’insertion sociale du mobile. En effet, plusieurs hypothèses de liens peuvent être formulées.

  1. Tout d’abord, les représentations du mobile semblent liées à l’élargissement des fonctionnalités de l’objet technique. En effet, la nature des usages représentés varie en fonction de l’adjonction de certaines fonctions (WAP, appareil photo, vidéo, etc. …) dans les mobiles. Toutefois, plusieurs fonctionnalités sont présentes dans les premiers modèles sans être un argument promotionnel. En effet, au milieu des années 90, les mobiles intègrent des jeux et permettent l’échange de SMS. Or, la représentation de ces fonctions devient prépondérante dans les spots publicitaires à la fin des années 90 c’est-à-dire au moment où la polyvalence du mobile est un argument phare du discours commercial. Dès lors, sachant que la fonction SMS constitue un succès inattendu, nous pouvons supposer que les constructeurs ont, dans une certaine mesure, adapté leur discours au développement de cette pratique.
  2. Ensuite, un lien se dessine entre les changements relevés et l’évolution des caractéristiques du parc d’abonnés. Premièrement l’augmentation du nombre d’abonnés semble influer sur le contenu des discours analysés. Rappelons brièvement, à l’aide des données de l’ARCEP, qu’à la fin de l’année 1997, le taux de pénétration du mobile en France avoisine les 10% ; il est de 50% en 2000 et dépasse aujourd’hui les 80%. Une rapide revue des données quantitatives sur la diffusion du portable en France permet de constater une forte croissance entre 1997 et 2000 puis un tassement de cette croissance à partir de 2001. Or, d’après notre analyse, des correspondances sont envisageables entre ces périodes et l’évolution des arguments publicitaires. Nous pouvons, par exemple, envisager un lien entre le taux de pénétration et la disparition des arguments utilitaires à la fin des années 90 : est-ce parce que la masse critique est atteinte qu’il n’est plus nécessaire de convaincre de l’utilité du téléphone mobile ? De même, la saturation du marché peut être reliée à l’orientation des communications publicitaires : Est-ce parce que le marché entre dans une logique de renouvellement que le discours publicitaire insiste sur le « plus produit » voire sur les valeurs d’image du mobile ?

Deuxièmement, les caractéristiques des usagers de mobile par période de diffusion semblent aussi significatives de la trajectoire prise par les discours d’accompagnement. En effet, d’après les études statistiques, le portrait type de l’usager de mobile actuel est un homme, urbain, avec un revenu supérieur, dont l’âge varie entre 18 et 40 ans. Or, nous avons pu constater, la surreprésentation de cet usager dans les spots publicitaires. De plus, une revue rétrospective des données des instituts de sondage permet notamment de noter un accroissement considérable des usagers de 15-25 ans entre 1999 et 2001. Cette période coïncide justement avec une augmentation de leur représentation dans les publicités. Les spots publicitaires semblent donc être un reflet des caractéristiques du parc d’abonnés. Cela dit, les offreurs optent aussi pour des stratégies de niche en fonction des caractéristiques du marché. Pour exemple, l’augmentation ces trois dernières années de la représentation d’utilisatrice de mobiles. Toutefois, et de manière assez surprenante, la niche des seniors n’est toujours pas exploitée par le discours publicitaires.

  1. Enfin, l’évolution du statut social du mobile peut aussi être reliée aux évolutions constatées. En effet, le portable s’est banalisé. Il est devenu commun à tous les milieux sociaux. Sa présence et son utilisation dans l’espace public sont devenues courantes et n’étonnent plus personne. Dès lors, en gardant la trace des hésitations terminologiques ayant précédées la mise en place d’une désignation sociale, les discours d’accompagnement montre leur rapport étroit avec le contexte social. Ils reflètent une forme de stabilisation des représentations sociales (Flichy, 1998). De même, l’évolution du contenu des modes d’emploi semble indiquer l’acquisition d’un savoir social sur le mobile, autrement dit, d’une culture technique.

En résumé, tout en conservant une stratégie symbolique d’accompagnement (prescriptions et légitimations d’usages), les offreurs ont vraisemblablement adapté leurs discours aux réalités des pratiques et à la trajectoire sociale du mobile.

Les relations entre le discours des offreurs et les représentations des usagers

En outre, les représentations et les propos tenus par les usagers sur le téléphone mobile semblent aussi liés aux images présentent dans les discours d’accompagnement étudiés. Ce constat s’appuie sur une étude du GRIPIC analysant les pratiques et représentations des usagers en France (GRIPIC/CELSA, 2005). En effet, à partir de cette étude, nous pouvons émettre l’hypothèse d’une reprise thématique par les utilisateurs des thèmes exploités dans les spots publicitaires. En effet, bien que n’adoptant pas le même point de vue, les usagers développent des questionnements sur le lien social, la liberté, l’ubiquité, la joignabilité, etc. … Ces sujets sont aussi présents dans les publicités. Une logique de programmation thématique autour du mobile se dessine. Un ensemble de thèmes et de questionnements semblent, en effet, comme machinalement associés à cet objet technique. Parler du mobile impliquerait-il d’évoquer ces thématiques ?

Toutefois, l’hypothèse de ce lien ne sous-entend pas qu’il y ait une influence directe du discours des offreurs sur le comportement des usagers. En effet, d’une part, les pratiques constatées sont loin de correspondre aux prescriptions d’usage. D’autre part, l’étude du GRIPIC souligne la présence d’un décalage, de contradictions et d’ambiguïtés entre les discours des usagers et leurs propres pratiques. Autrement dit, les représentations et déclarations des usagers doivent être envisagées comme une ressource, un moyen de légitimation de leurs actions. Elles ne peuvent pas permettre de comprendre la formation et la nature des pratiques.

Conclusion

L’analyse diachronique de deux discours d’accompagnement du mobile permet de souligner l’émergence puis l’imposition de cadres de références. Cela n’est pas sans lien avec la trajectoire sociale du mobile en France et sa banalisation. Autrement dit, les spots publicitaires et les modes d’emploi prescrivent des usages (ceux souhaités par les offreurs) mais l’appropriation et le développement des pratiques induisent dans une certaine mesure une évolution de ces représentations. Ainsi, une forme d’influence sur l’image de l’objet, sur le discours que tiennent les usagers sur l’objet, est vraisemblable, mais il reste toujours un décalage entre les représentations symboliques et les pratiques.

Références bibliographiques

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Flichy, Patrice (prés.) (1998), « Quelques aperçus sur le téléphone mobile », Réseaux, n°90.

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GRIPIC/CELSA (2005), Le téléphone mobile aujourd’hui : usages, représentations, comportements sociaux, rapport d’étude pour l’AFOM, [en ligne] http://www.afom.fr/v4/TEMPLATES/homepage.php, page consultée le 31 novembre 2005.

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Soulages, Jean-Claude (2002) « Masques utopiques, créatures technologiques », actes du colloque de l’AISV, Image(s) d’utopie(s), 2002.

Vitalis, André (dir.) (1994), Médias et nouvelles technologies : pour une socio-politique des usages, Rennes : Edition Apogée.

Auteur

Lise Renaud

.: Doctorante en SIC, sous la direction de Jean-François Tétu, Université Lumière Lyon 2, Equipe Médias et identités.