Le projet de portail communautaire : Matérialité d’une utopie ?
Résumé
Article inédit faisant suite à une communication au colloque MEOTIC, à l’Institut de la Communication et des Médias (Université Grenoble 3 Stendhal), les 7 et 8 mars 2007.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Larroche Valérie, « Le projet de portail communautaire : Matérialité d’une utopie ?« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°08/2, 2007, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/14-le-projet-de-portail-communautaire-materialite-dune-utopie
Introduction
L’idée de cette communication a pour origine la participation à un projet collectif mené avec un groupe d’étudiants de l’Institut Universitaire Technologique du département information communication de l’université Lyon3 (1). L’objectif était de construire un portail communautaire (2) dont le contenu porterait sur la démocratie participative et réunirait des contributeurs, experts en démocratie participative. Notre outil est le moyen d’expérimenter notre vision idéale du travail, à savoir travailler en équipe en maintenant une atmosphère sereine et motivante par la participation volontaire et le partage des décisions dans un contexte pédagogique. « L’utopie n’est pas seulement un rêve mais un rêve qui veut se réaliser » (Ricoeur, 1997, p. 380) et la réalisation du projet permet de matérialiser notre vision utopique du travail.
Nous avons au départ imaginé que les étudiants seraient les premiers membres de la communauté du portail que nous concevons. La communauté du portail serait alors constituée des étudiants et des experts en démocratie participative. Il s’est avéré que les étudiants n’ont pas accepté cette position ; Il était trop difficile pour eux d’accéder au statut d’experts. Ils ont préféré le statut d’équipe projet et ont remis à l’année prochaine la constitution de la communauté d’experts. Ce sera donc une autre promotion d’étudiants qui s’en chargera.
Nos ambitions utopiques, l’intégration d’une nouvelle équipe d’étudiants chaque année, l’utilisation du portail communautaire pour désigner l’outil que nous construisons nous ont amené à nous interroger sur la notion de communauté. Que signifie cette expression ? Peut-on considérer notre groupe d’étudiants comme une communauté ? Sous quelles conditions ?
L’étude du terme communauté va nous permettre de voir comment l’introduction d’outil modifie le sens des termes et leur référence. Nous allons montrer comment l’introduction d’un outil vient modifier les représentations de certaines expressions. Debray a proposé le terme de médiasphère pour délimiter des périodes où l’introduction d’une technologie vient modifier les représentations et les imaginaires des individus. Aujourd’hui nous sommes encore à l’entrée de l’hypersphère et il y a encore toute une culture numérique à construire. « Nous vivons aujourd’hui une de ses époques charnières où tout l’ordre ancien des représentations et des savoirs bascule pour faire place à des imaginaires, à des modes de connaissance et à des styles de régulation sociale encore mal stabilisés. Nous vivons un de ses rares moments ou à partir d’une nouvelle configuration technique […] s’invente un style d’humanité » nous dit Levy. Cette citation nous permet d’insister sur la différence d’emploi du terme communauté avant et après l’introduction d’internet.
Nous nous proposons tout d’abord dans cette communication de revenir sur la définition ethnologique de la communauté que l’on peut situer à la graphosphère de Debray. Puis nous caractériserons la communauté virtuelle que l’on peut situer à l’hypersphère de Merzeau. Enfin nous reviendrons sur notre équipe projet et nous étudierons les éléments à transmettre d’un groupe d’étudiants à l’autre.
La notion de communauté : une première définition
Une communauté désigne en général un groupe humain constitué géographiquement ou historiquement sur un territoire donné, et qui partage une culture et une langue commune. C’est le cas des peuples, nations, civilisations, ethnies, pour lesquels les critères géographique et historique sont fondamentaux. La communauté réfère à des individus qui vivent au même endroit et qui partagent une vision du monde, des croyances et des pratiques et ce dans la durée. Ces individus sont en interaction car ils vivent ensemble et coopèrent pour assurer la survie du groupe.
Dans l’utopie communautaire, Bernard Lacroix utilise ce terme en se référant aux communautés créées aux lendemains de 68, ou des personnes se groupaient, en Ardèche, dans les Cévennes, parfois dans un logement citadin occupé pour l’occasion, pour mettre leurs rêves en commun. Tous aspiraient à retrouver une vie chaleureuse entre soi. Les membres de la communauté partagent aussi leur intimité. Ils partagent une culture, des moments de vie et sont reliés par des liens que l’on peut qualifier de fraternel. Claude Levi-Strauss relate dans tristes tropiques une rencontre avec des sociétés pauvres et démunies qu’ils rencontrent dans les forêts de Mato-Grosso et met bien en relief les liens communautaires qui soudent les individus : « Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s’étreignent comme dans la nostalgie d’une unité perdue » (Lévi-Strauss, 1993, p. 336).
Un sentiment d’appartenance très fort solidarise les individus d’une communauté. Ce sentiment d’appartenance est subjectif et non rationnel. Il est de l’ordre de la passion. Ici j’entends passion dans son sens moderne à savoir un sentiment dont l’activité et l’intensité surpassent le pouvoir de la raison. C’est un affect irrépressible.
Nous pouvons résumer les caractéristiques de notre première définition que nous pouvons attribuer aux ethnologues par les caractéristiques suivantes : appartenance au même territoire, pérennité de la communauté, importance de la mémoire collective, partage de la même culture et de la même langue, sentiment d’appartenance, fort degré de sociabilité. Ce type de communauté est très peu répandu dans nos sociétés occidentales. Elles désignent uniquement les familles qui vivent sous un même toit et qui partagent des valeurs communes. Nous avons vu que les communautés de 68 ont perdu leur caractère pérenne. La plupart de ces communautés ont disparu 3 ans après leur apparition. La valeur utopique de l’accueil par exemple n’a pas résisté car il est difficile d’intégrer souvent des individus différents sans leur enseigner les valeurs de la communauté : « L’idéologie de l’accueil » nous dit Lacroix « interdit l’instauration d’un rituel initiatique efficace qui garantit à la fois l’imaginaire du groupe et sa pérennité pratique » (Lacroix, 2006, p. 54). De plus, si la communauté n’est pas très importante, les nouveaux déstabilisent l’équilibre du groupe. D’autres raisons sont évoquées par Lacroix, notamment les problèmes posés par l’éducation, par l’organisation des tâches qui ne sont pas compatibles avec la liberté affichée par ces mouvements.
L’élément que nous pouvons retenir qui vient de l’étymologie du terme est le fait qu’il y a dans une communauté des éléments partagés. Le terme communauté est souvent associé à un adjectif qui précise le point commun du groupe tel que communauté scientifique, communauté linguistique notamment. Pour la plupart des auteurs que nous avons cités le terme communauté implique un lien social affectif ou constitutif de l’identité pour désigner un groupe par ce terme. Il nous semble aussi que le sentiment d’appartenance est un point essentiel, ce sentiment pouvant avoir des degrés divers. Cette notion suppose donc l’adhésion des individus au groupe, ce groupe partageant des croyances, des valeurs en d’autres termes une culture. Il partage et respecte donc des valeurs et des croyances et le groupe vit des moments de « communion ». Ce terme de communion est très fort ; Il nous entraîne vers une notion de sacré qui n’est pas étrangère aux communautés.
Le portail communautaire : Nouvelle définition de la communauté
Le terme de communauté est utilisé dans les portails pour désigner les personnes qui contribuent à son alimentation. On peut donc proposer une nouvelle définition à l’éclairage de son emploi au sein de l’outil portail.
La spécificité première de cette communauté si elle existe est qu’elle est virtuelle puisque les échanges sont essentiellement électroniques. Elle n’est pas basée sur des contraintes d’espace et de temps.
Les communautés telles que décrites dans la partie précédente étaient fondées sur le partage de certaines valeurs et d’une organisation sociale. Le partage d’un territoire restreint assurait une proximité des individus. La grande mutation de la sociabilité dans les sociétés complexes d’aujourd’hui est donc passée par un changement de la forme principale du lien social : la substitution des réseaux aux communautés territoriales.
Approfondissons donc un peu l’idée de réseau. Nous nous inspirerons principalement de Musso qui lui-même s’appuie sur les théories développées par Saint-Simon, qui n’a que peu employé dans ses écrits le terme de réseau. La relecture de l’oeuvre de Saint Simon par Musso montre très clairement que le concept de réseau permet d’établir une cohérence dans les écrits de Saint-Simon. Ainsi on peut relever que le réseau relève de quatre dimensions. La première fait du réseau une métaphore qui distingue le réseau de la représentation de l’arbre et du nuage. Le réseau se situe entre les deux. La deuxième dimension fait du réseau une technique qui permet de construire une infrastructure d’aménagement spatio-temporel. Le réseau crée un espace plus large que celui représenté par l’espace territorial dont la surface repose sur le déplacement des humains sans moyen de locomotion motorisé. Le réseau n’est pas seulement un concept mais aussi un travail de construction qui va permettre des passages à l’acte. La construction du réseau routier permet des échanges plus importants que la marche à pied. De même que le réseau aérien agrandit l’espace des échanges. La troisième dimension proposée par Musso est de considérer le réseau comme une technologie de l’esprit, technologie englobant à la fois la technique et la production d’un discours sur la technique. Le réseau avec cette dimension crée un nouveau paradigme pour le raisonnement. La dernière dimension est conceptuelle et fait du réseau une structure d’interconnexion instable, composées d’éléments en interaction.
Le portail communautaire que nous souhaitons concevoir est aussi une expression métaphorique qui nous fait voir cette application comme une porte principale qui donne accès à une communauté. Le portail communautaire est aussi évidemment une application internet, ce qui est sa dimension technique. On peut voir le portail communautaire aussi comme une nouvelle technologie de l’esprit qui modifie notre conception et notre perception de la communauté. Le portail communautaire est un média qui imprègne la vie sensorielle des individus qui l’utilisent régulièrement et orientent ainsi leur comportement et leur perception. Cette idée n’est pas nouvelle. Mac Luhan la revendiquait déjà pour la conception du temps. Il a montré comment l’apparition des horloges a modifié la perception du temps : « Le temps mesuré à l’aune d’unités abstraites et uniformes, et non plus par la singularité de l’expérience personnelle, imprègne petit à petit toute la vie sensorielle, tout comme les technologies de l’écriture et de l’imprimerie » (Mac Luhan, 1968, p. 171-173). La définition du temps se modifie en fonction des outils disponibles pour percevoir le temps. De même la perception de la communauté se modifie en fonction des techniques disponibles pour permettre les interactions entre humains. Sans moyens de communication, les seules interactions possibles sont le face à face.
L’apparition du réseau ferroviaire a agrandi l’espace territorial, Internet et plus spécifiquement les portail communautaires ont permis d’agrandir l’espace des échanges intéractionnels en éliminant la présence réelle et la possibilité de matérialiser une communauté en dehors des grands rassemblements. « La technique est un objet qui cristallise ou pétrifie des relations sociales, notamment symboliques : elle est un objet façonné par l’imaginaire en jeu dans les rapports sociaux. » nous dit Musso. On peut supposer que la désignation de l’outil par l’expression portail communautaire est illustratif de l’imaginaire que suscite cette technique : Des liens facilités et assez chaleureux pour être caractéristiques d’une communauté. Nous avons mis l’accent sur l’importance des liens affectifs dans une communauté. Le terme communauté se distingue du terme réseau qui met en avant un aspect technique alors que le terme de communauté met en avant l’aspect humain et collectif.
Ferdinand Tonnies distingue la communauté de la société car la première unit les individus par des liens « réels et organiques » alors que la société est un agrégat mécanique et artificiel dans laquelle le lien social est plus distendu. Dans la société, les individus adoptent un comportement rationnel, des relations contractuelles et les règles sont explicites. Cette vision de la société est caricaturale. Il est difficile d’accepter l’idée que la société ne comporte pas de lien affectif. Enriquez dans son ouvrage Les jeux de pouvoir et du désir dans l’entreprise montre comment l’entreprise est traversée par des affects, alors que les relations sont contractuelles. Les contacts réguliers entre les individus au sein d’une organisation ressèrent les liens et font intervenir le désir des uns et des autres. Rawls, partagent cette conception dans son ouvrage Théorie de la justice, où il mentionne la prise en compte de l’affection et de lien de sentiments dans la coopération entre individus. Michaël Sandell nomme ce type de coopération par l’expression communauté sentimentale qu’il distingue de la communauté instrumentale que l’on pourrait désigner par le terme de société où la coopération entre individus sert les intérêts des individus. Sandell propose une troisième sorte de communauté qu’il nomme communauté constitutive qui joue un rôle dans la constitution de l’identité des personnes : « La communauté ne définit pas seulement ce que nous avons en commun en tant que membres d’une même société, mais aussi ce que nous sommes » (Sandell, 1999, p. 220).
On peut résumer l’élément commun entre les communautés actuelles et les communautés traditionnelles par le terme de sociabilité, entendu au sens de capacité à entretenir des relations humaines agréables et de rechercher la compagnie de ses semblables.
La sociabilité est passée d’une dimension collective où l’individu cherchait à s’intégrer à la communauté à une sociabilité plus diffuse où les liens sont construits en fonction des centres d’intérêts et des valeurs des individus. Ces liens qualifiés de faibles par Castells supposent un moyen de communication car ils ne sont pas liés à la proximité spatiale et donc au partage du quotidien. Les relations de chaque individu peuvent être caractérisées de liens faibles car ils apportent des informations, ils contribuent aux activités professionnelles, aux loisirs, à la communication, à l’engagement civique, à l’agréable mais ne suppose pas d’engagement fort de la part de ceux qui sont en interaction dans ce type de lien. Dans les communautés territoriales, le lien est si fort entre les individus qu’il peut être ressenti comme étouffant. Pour Castells « La communauté virtuelle rassemblerait des individus en ligne autour de valeurs et d’intérêts communs, et créeraient entre eux des liens de solidarité et d’amitié qui pourraient se prolonger dans des liens physiques» (Castells, 2002, p. 150). Howard Rheingold ne partage pas l’idée de lien faible attribué par Castells aux relations électroniques. Il précise que la force du lien dépend de l’investissement affectif que lui attribue l’individu. Howard Rheingold mentionne pour la construction de communauté virtuelle la connivence intellectuelle et le rapprochement des passions. Ces communautés ne sont plus basées sur le voisinage physique. Les liens qui se tissent dans ce type de communauté peuvent bâtir des complicités bien réelles même si elles ne se matérialisent pas par des contacts physiques. Si les individus y mettent assez de cœur pendant assez de temps, les relations deviennent des relations humaines indispensables aux individus.
Internet devient ainsi le nouvel espace d’interaction sociale et de sociabilité. Les réseaux sont centrés autour du moi. Ainsi, on peut faire une représentation des réseaux sociaux en demandant à chaque individu l’ensemble de ses contacts. C’est l’individu qui structure ces liens sociaux. Certains liens sont utilitaires, d’autres d’ordre essentiellement émotionnels voire passionnels. Le trait dominant des relations sociales, c’est la montée de l’individualisme, celui-ci entendu dans le sens que c’est l’individu qui est au centre de ses relations sociales. L’individualisme en réseau est une structure sociale et non pas une juxtaposition d’individus isolés. Les réseaux en ligne quand ils se stabilisent peuvent engendrer de véritables communautés, communautés entendu au sens de liens entre personnes qui apportent de la convivialité, de l’aide, de l’information, un sentiment d’appartenance, et participe à l’identité sociale. Pour Castells, « le nouveau mode de sociabilité dans nos sociétés, c’est l’individualisme en réseau ». Les individus peuvent appartenir à plusieurs communautés et se dotent donc d’un « portefeuille de sociabilité » (Castells, 2002, p. 162), en investissant à divers degrés et divers moments plusieurs réseaux où il n’est pas difficile d’entrer et ni de sortir. « L’adhésion plurielle est d’une certaine manière la définition de l’individu moderne » (Minc, 2006, p.226).
Dès lors ceux qui créent la communauté n’ont plus le monopole du collectif puisque ce sont les individus eux-mêmes qui choisissent leur degré d’investissement. Le terme communauté n’est qu’une aspiration du collectif et non pas une réalité que peuvent décréter des concepteurs de sites. Parmi toutes les communautés virtuelles sur internet, certaines peuvent se rapprocher du terme de communautés au sens traditionnel, pour d’autres, c’est une aspiration, un objectif à atteindre comme nous avec notre équipe projet. Sur internet, le qualificatif de communauté est adéquat si le collectif est durable et assez conséquent, même si les individus entrent et sortent. Le danger est de désigner par communauté de simples consommateurs d’informations, le terme dans ce cas n’étant que le reflet du trafic sur un site.
Evaluation de notre équipe : est-elle une communauté au sens actuel ?
Comparons notre équipe projet et la communauté des boulistenautes (voir le site : http://www.boulistenaute.com/modules/news/). Les membres de cette communauté sont des passionnés qui partagent un espace virtuel mais aussi des manifestations publiques puisque les championnats y sont notamment noté. Ainsi le portail est un espace qui participe à la visibilité de la communauté mais des moments partagés ensemble existe aussi. Les passionnés de boule partagent des moments ensemble mais dans leur vie, ce n’est pas leur unique activité.
Les boulistenautes sont désignés par le terme de passionnés. Leur sentiment d’appartenance repose donc sur le partage d’émotions positives. Ce que nous aimerions obtenir dans notre équipe projet ; Le sentiment d’appartenance participe à la constitution de l’identité et est utile pour obtenir l’adhésion des étudiants et leur motivation. Le partage de réflexion, d’idée voire de décision crée une dynamique de groupe basée sur des relations riches, qui accroît la motivation des acteurs. Les liens affectifs et les émotions sont donc très importants pour la réussite de notre projet. Nous ne pouvons nier que les moments partagés par l’équipe vont susciter des ressentis émotionnels que nous souhaitons évidemment positifs pour obtenir la motivation des participants. Epictète nous suggèrent que les ressentis émotionnels sont provoqués par la façon dont nous interprétons les situations. Illustrons cette idée par des moments vécus pendant le projet : lors de l’énumération des tâches, l’avis des étudiants sur la quantité de travail à fournir a été négocié. Leur ressenti a donc été meilleur que si tout leur avait été imposé sans concertation. De même, la répartition des rôles a été vécue positivement par les étudiants car ils ont été consultés et leur avis a été pris en compte. Ces quelques exemples mettent en avant certaines valeurs que nous avons tout intérêt à conserver tout au long du projet. Notre projet possède comme spécificité de voir l’équipe reconstituée par un nouveau groupe tous les ans. L’affichage clair de certaines valeurs peut faciliter la transition d’un groupe à un autre. Rappelons aussi que le projet est supporté par des enseignants volontaires qui eux restent tout le long du projet. Au départ, les enseignants se sont motivés par l’idée de travailler ensemble et de partager des activités pédagogiques. Les instigateurs du projet possèdent deux croyances fortes. La première est le fait qu’il est plus facile d’apprendre en créant et en pratiquant. La deuxième croyance forte est de penser qu’il est possible de créer un environnement participatif et démocratique au sein d’un Institut Universitaire Technologique où le diplôme est délivré à chaque individu, ce qui induit un comportement individualiste. Si l’on veut construire une culture organisationnelle cohérente, il faut veiller à intégrer ces deux croyances dans les valeurs qui cadrent le projet.
La notion de valeur peut se résumer par l’expression ce qui vaut la peine. La valeur est liée au désir, mais ne l’exauce pas. On peut distinguer les valeurs concrètes, du type ma famille des valeurs abstraites du type la justice. On parle de jugement de valeur car l’objet qui comporte une valeur est valorisé, apprécié, ou bien refusé, condamné. Les valeurs deviennent des normes dès qu’elles commandent les conduites et prescrivent une ligne d’action. Les valeurs génèrent des attitudes, orientent les comportements et mobilisent les acteurs. Elles contribuent à maintenir et à réguler un groupe. Ainsi elles ont leur importance dans la construction de notre collectif.
Les valeurs que nous pouvons mentionner pour l’instant sont les suivantes : une vision optimiste du futur, une confiance dans les membres de l’équipe, un esprit d’équipe, une vision transversale, un ancrage opérationnel, une tolérance, un système participatif et démocratique. Notre valeur principale n’est pas la réalisation des taches mais la compréhension des enjeux d’un projet et la création d’une équipe capable de travailler ensemble. Notre projet est avant tout pédagogique et nous défendons l’idée que l’apprentissage est possible par l’action et l’utilisation de savoir-faire, de savoirs, et de savoir-être. La dimension démocratique et participative est importante et n’est pas la priorité dans tous les systèmes éducatifs. Ces valeurs modifient alors les rôles des uns et des autres. L’enseignant n’est plus le seul décideur, mais les étudiants le deviennent aussi. La valeur transversale est visible dans le montage du projet avec des enseignants d’horizons divers et par la diversité des tâches assumées par les étudiants. Les valeurs précédemment citées peuvent être considérées comme des valeurs morales.
Les valeurs que nous avons mises en avant ont été observées dans la partie avant-projet et dans l’ébauche du site disponible sur : http://spip-iut.univ-lyon3.fr/. Notre souci est de les voir perdurer tout le long du projet. Nous pensons que le projet peut perdurer s’il y a une certaine cohérence en terme de croyances, de valeurs, de contenus et d’actions et que ces idées sont transmises et visibles par les membres du groupe. Notre projet possède des contraintes organisationnelles. L’organisation universitaire impose un calendrier serré et ne permet un suivi très long des étudiants. Nous avons donc comme autre contrainte de faire vivre ce projet avec des groupes d’étudiants différents qui se succèdent. Ainsi le premier groupe d’étudiants a participé à la phase d’avant-projet et à la phase de réalisation, les groupes suivants devront accepter le projet tel quel et s’y intégrer. L’affichage clair des valeurs peut faciliter la transition d’un groupe à l’autre et les enseignants ont un rôle à jouer pour agir dans le sens de ces valeurs par leur attitude et leur comportement.
Ces éléments peuvent relever de l’éthique d’une communauté qui permet d’étudier l’ensemble des valeurs et des finalités qui fonde et légitime la communauté. La mise en avant des valeurs et des liens affectifs ne peut malgré tout pas masquer l’importance des relations contractuelles qui conserve une trace de l’engagement des individus. Les étudiants ont signé notamment une charte en début d’année pour signifier symboliquement leur engagement dans la formation.
Peut-on après toutes ces discussions considérer notre équipe projet comme une communauté. Disons que c’est l’idéal que nous poursuivons et nous ne pouvons pour l’instant que chercher des moyens d’y parvenir. L’utopie possède pour Ricoeur un aspect émotionnel « pour avoir une motivation et un mouvement, l’utopie doit avoir des émotions » (Ricoeur, 1997, p. 389). L’attention portée aux valeurs et aux partages d’émotions positives dans l’avant-projet est à maintenir tout au long du projet pour maintenir un environnement stimulant. Pour Lacroix, « L’expérience communautaire n’est possible collectivement et pratiquement qu’à travers un perpétuel effort de réactivation du projet et de réappropriation par le groupe de sa différence, telle est la fonction de liturgies, des célébrations de toute nature… » (Lacroix, 2006, p. 67). Périodiquement, il faudra réaffirmer les valeurs du groupe et les mettre en action et veiller à adapter les actions aux valeurs du groupe. Dernièrement, quatre étudiants ont pris en charge une réunion avec les premières années, qui participeront au projet l’année prochaine et finir par un pot pour faciliter le contact. Ils voulaient faire cette réunion « secrètement » pour que les autres étudiants ne viennent pas perturber leur organisation. Nous leur avons conseillé de dire qu’il y avait cette réunion et qu’ils souhaitaient la mener seuls pour maintenir la transparence et la convivialité dans le groupe.
Cette année, nous avons focalisé notre attention sur l’équipe projet ; Le portail que nous réalisons cette année est un portail d’informations car la construction d’une communauté d’experts suppose des liens entre les contributeurs et une connaissance des individus qui feront partie de cette communauté. Les étudiants de la promotion de l’année prochaine auront comme objectif de créer une communauté de contributeurs. Les réflexions menées pour conduire l’équipe projet d’une façon stimulante nous semble utiles aussi pour améliorer les liens que nous allons élaborer entre les contributeurs. Serge Proulx mentionne l’idée de réseau hétérarchique où les compétences et le leadership circulent librement au gré des demandes et des besoins. Dans cet idéal-type il n’y a pas l’imposition d’une structure hiérarchique. Le pouvoir des individus se traduit essentiellement par sa capacité à mettre en contact les agents humains. Dans ce système, la communication et l’intelligence y sont distribuées.
Conclusion
Quelle que soit l’époque considérée, la communauté se caractérise par des liens sociaux forts, emprunts d’émotions et de moments partagés et celle-ci participe à l’identité sociale des individus.
Nous nous limitons cette année à la construction d’un portail d’informations et à la constitution de notre équipe projet. Un portail d’informations est un moyen de mettre à disposition de l’information et d’en donner l’accès par le réseau internet. Cet outil participe à ce que Rifkin désigne par la logique de l’accès. Pour lui, il y a un changement dans la vision du capitalisme qui ne passe plus par la propriété de biens matériels mais par l’acquisition de biens culturels accessibles essentiellement par le réseau internet. Jeremy Rifkin montre dans son ouvrage la logique de l’accès que les nouveaux géants de l’économie mondiale ne cherchent plus seulement à nous vendre des produits, mais à nous faire adhérer à l’imaginaire de leurs marques, à nous regrouper en clubs et à nous faire partager des émotions communes. Rifkin nous ôte un peu de notre optimisme en nous laissant entrevoir les dérives de la vision communautaire.
Notes
(1) Ce projet n’est pas l’objet principal de cette communication. Pour les détails concernant ce projet voir l’article « Un portail communautaire : sa construction collective dans un environnement pédagogique » à paraître au colloque CNRIUT le 31mai-1er juin 2007. Ce projet est prévu sur 3 trois.
(2) Le portail communautaire est un outil internet qui permet à chacun d’être tout à la fois consommateurs et contributeurs du contenu du portail.. C’est à la fois une entrée sur internet souvent ciblée sur un sujet lorsque le portail est communautaire qui va permettre de consulter ou de contribuer à la rédaction d’informations sous toutes ses formes ou bien d’échanger et d’établir ainsi des interactions avec d’autres internautes. Le portail propose souvent aussi des services du type achat en ligne, contact, messagerie… On peut citer l’exemple de boulinstenaute qui réunit des passionnés de boules (http://www.boulistenaute.com/modules/news/) ou bien natalecta (http://www.natalecta.com/) qui permet d’échanger autour des livres sur la jeunesse.
Les portails communautaires accessibles sur internet réunissent des personnes partageant un centre d’intérêt commun voire des passions. Certains portails communautaires possèdent un espace membres qui permet de donner des rôles différents aux individus se connectant sur le site.
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Auteur
Valérie Larroche
.: Maître de conférences à l’IUT département Information-Communication de l’Université Lyon 3. Au sein du laboratoire Elico axe communication des organisations, elle s’intéresse à la reconnaissance, à la vengeance, à la notion de communauté et aux portails communautaires.