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Cédéroms, DVD-Roms, jeux vidéo et DVD vidéo : des disques numériques, entre jeu et culture

15 Nov, 2007

Résumé

Article inédit faisant suite à une communication au colloque MEOTIC, à l’Institut de la Communication et des Médias (Université Stendhal), les 7 et 8 mars 2007.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Batard Annick, «Cédéroms, DVD-Roms, jeux vidéo et DVD vidéo : des disques numériques, entre jeu et culture», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°08/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/03-cederoms-dvd-roms-jeux-video-dvd-video-disques-numeriques-entre-jeu-culture

Introduction

Quels points communs existe-t-il entre « Kangy, nom du petit kangourou qui, en maître d’école déguisé, mène la cadence des exercices » (Emmanuelle Dasque, « Les aventures de Kangy », Le Point, 3 mars 2000), l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert (Valérie-Marin La Meslee, « Le pari encyclopédique », Le Point, 4 février 2000), le DVD de Maradona (Samuel Douhaire, « Maradona, divin en diable », Libération Ecrans, 27 mai 2006) ou celui d’un film de Lars Von Trier (Samuel Douhaire, « Les coups tordus de Von Trier », Libération Ecrans, 27 mai 2006) ?

  • Le compact disque numérique qui les contient. Depuis plusieurs années déjà, les disques compacts nous sont familiers. Même s’ils se présentent sous la forme d’un petit disque compact, contenant des données sous forme numérique, nous distinguons pourtant les disques musicaux et les autres (contenant des images, des sons et des textes). Ce sont d’ailleurs ces derniers disques multimédias qui nous intéressent plus spécifiquement, dans la mesure où d’autres chercheurs, comme David Vandiedonck notamment, travaillent sur les questions relatives à l’industrie musicale,. Cela signifie-t-il qu’il n’apparaît pas de différence entre un cédérom, un DVD-Rom, un jeu vidéo et un DVD vidéo ? Si bien sûr, et nous allons les préciser ci-dessous. Mais de manière générale, nous observons aussi de larges recoupements dans les phénomènes concernant ces différents disques, ainsi que nous le verrons ci-dessous.
  • Il existe aussi un second point commun, sous-jacent, celui de l’imaginaire auquel ces disques, avec des contenus, renvoient. Nous chercherons donc ici à analyser les relations complexes et enchevêtrées qui existent entre l’imaginaire et la technique, du moins en ce qui concerne ces disques compacts multimédias.

Comme le propose Yves Jeanneret, il convient d’interroger « les formes matérialisées » et « les pouvoirs qui se manifestent dans ces formes. » (Jeanneret, 2006, p. 51) Si les éditeurs de logiciels ou de films sur support numériques cherchent,  à « forger des marchés » et à « préparer les esprits » de manière corollaire, selon les expressions de Yves de La Haye et Bernard Miège (de La Haye, Miège, 1984), c’est largement grâce aux médiations que ces objets techniques deviennent « culturels ». En effet, comme l’écrit Simondon, « Les causes économiques ne sont pas pures; elles interfèrent avec un réseau diffus de motivations et de préférences qui les atténuent ou même les renversent (goût du luxe, désir de la nouveauté très apparente chez les utilisateurs, propagande commerciale), si bien que certaines tendances à la complication se font jour dans les domaines où l’objet technique est connu à travers des mythes sociaux ou des mouvements d’opinion et non apprécié en lui-même ». (Simondon, 1969, p. 26) Nos recherches doctorales sur la légitimation du cédérom par le biais d’une critique spécifique de la presse écrite généraliste analysent combien cette critique journalistique, qui constitue un discours d’accompagnement et de pédagogie, est importante pour faire connaître le cédérom au grand public (Batard, 2003). De même, nous avons montré dans un article présenté lors du colloque international sur les « Mutations des industries de la culture, de l’information et de la communication » que la critique de cédérom se transforme pour laisser place à une critique de jeux vidéo et de DVD vidéo (Batard, 2006). L’émergence de critiques journalistiques consacrées aux nouveaux objets culturels multimédias témoigne de l’inscription de ces derniers dans la sphère culturelle et sociale.  L’imaginaire ainsi véhiculé par le discours journalistique tourne autour de ce que nous appelons « ludo-éduco-pratico-culturel » ou « culturel » entre guillemets. En observant les discours journalistiques autour des cédéroms mais aussi celui des DVD-Roms, des jeux vidéo et des DVD vidéo, nous constatons un certain nombre de fantasmes, dont celui relevant du savoir et de la culture et celui relatif au jeu et à l’amusement. C’est cela que nous nous questionnerons ici. Voyons donc tout d’abord quelques points relatifs à la production, dans la mesure où c’est un préalable. Puis, nous aborderons la critique proprement dite et verrons que les journalistes, technophiles, participent à la construction d’un imaginaire des disques numériques entre amusement et culture. Nous terminerons en interrogeant les enjeux de ces constructions sociales.

Une production riche de titres variés et abondants, que ce soit en cédéroms, DVD-Rom, jeux vidéo, ou DVD vidéo, base de l’imaginaire

La production de disques numériques est fort abondante et variée, allant des titres les plus exigeants au plus vulgarisateurs, que ce soit en matière de cédéroms, DVD-Rom, jeux vidéo ou DVD Vidéo. La qualité des titres existe heureusement, mais souvent, comme le déplore Françoise Seguy, « un foisonnement touffu qui masque les réalités du secteur : la faiblesse du maillon conceptuel. » (Seguy, 1999, p. 4)

Des divergences : techniques (puissance et capacité) et de contenus

Le cédérom, comme nous l’avons déjà précisé dans des travaux précédents, est un disque qui comporte des données numériques et du multimédia (sons, textes, images…). Le DVD-Rom est identique en aspect et aussi en contenu. Ce qui le différencie du cédérom, c’est sa capacité de stockage. Il est donc plus puissant qu’un cédérom. Par exemple, le titre Le Louvre est d’abord édité sur un cédérom, puis vers 1999, il fait l’objet d’un transfert sur un DVD-ROM.

Les jeux vidéo sont proposés sur des disques numériques pour ordinateurs (PC ou Mac) ou sur des cartouches pour diverses consoles (X box (Microsoft), PSP (Playstation de Sony), Wii (Nintendo)…). La profusion de titres est présente mais tous ne sont pas proposés sur les mêmes supports. Ce n’est que le contenu qui permet de distinguer entre un cédérom ludo-éducatif et un jeu vidéo, et encore…

Enfin, les DVD vidéo sont techniquement identiques aux cédéroms et jeux vidéo. Ils peuvent comporter, eux aussi, des textes, des sons et des images… Mais, et c’est là où intervient l’importance de la production et aussi de la médiation journalistique, ils sont conçus, au point de vue du contenu, un peu comme les anciennes cassettes VHS. Le support du disque numérique  propose donc un contenu de films ou de documentaires, avec un bonus sur lequel nous reviendrons ci-après.

De nombreux points communs : profusion, diversité et caractère hétéroclite des titres

Nous avons eu l’occasion de dire que les premiers cédéroms s’orientent volontiers vers les domaines de l’éducation, des la culture, mais aussi des jeux ou des côtés pratiques (caves à vin, logiciel pour la décoration de la maison…) avec une profusion de titres proposés. Pourtant, malgré l’effort de classification, force nous a été d’admettre que l’extraordinaire foisonnement de titres ne permettait pas toujours de classer les titres avec précision. Cette difficulté taxinomique se ressent très nettement dans la critique journalistique, mais pas seulement. Ainsi, le Prix Möbius, qui fait lui aussi partie des instances légitimantes du cédérom, propose-t-il une Petite anthologie des multimédias, qui a le mérite de présenter 100 titres, mais dont la classification en « culture, sciences, créations et éducation » peut probablement être discutée.  Ainsi, Le Louvre se veut-il explicitement culturel et connaît un grand succès. Des titres comme Versailles, complot au chateau mélangent volontiers savoir et jeu. De même, en matière d’éducation ADI veut-il aider les enfants dans leur apprentissage, mais de manière ludique…Cette profusion de titres divers et variés, dûment critiquée par les journalistes, nous a conduit à parler de titres « ludo-éduco-pratico-culturels » ou « culturels » entre guillemets. De nombreux titres « culturels » existent donc. Citons en quelques-uns : Le cinéma des Lumières, Balzac, Musée d’Orsay, Moi, Paul Cézanne, … et bien d’autres.

Les jeux vidéo témoignent eux aussi d’une extraordinaire diversité. Cela passe du plus simple au plus complexe, du plus pacifique au plus violent (jeux qui consistent à tirer tout azimuts, comme les Shoot-them-up), du plus basique au plus créatif d’un imaginaire inventé par un ou des auteurs, comme dans le cas des jeux comme Myst, Riven et d’autres…Lisons un extrait d’une critique concernant le troisième opus de Myst : « Le nouvel épisode du jeu vidéo offre des balades grandioses dans des mondes imaginaires » précise le surtitre de l’article. (Gérard Pangon, « Myst. Bienvenue dans l’île mystérieuse », Télérama, 22 août 2001)

Ce constat de la profusion de titres, savants ou simples, français ou étrangers, violents ou pacifiques, en matière de cédéroms et jeux vidéo se retrouve une fois de plus concernant les DVD vidéo, même si le marché est en diminution depuis quelques années. Il suffit de se rendre chez un marchand ou un loueur de DVD pour retrouver l’extraordinaire abondance de titres, avec des éditeurs plus ou moins connus, plus ou moins sérieux : des films pour enfants, des succès populaires ou encore des titres produits par des éditeurs exigeants comme Carlotta Films, Arte vidéo, MK2 éditions ou encore Wild Side Vidéo, « qui permet de faire découvrir des films inédits en France », comme le précise Samuel Douhaire, critique à Libération (Notre entretien à Libération le 11 juillet 2006). Lisons une critique d’un DVD exaltant les côtés guerriers : « Réalisé en 1972 par Cheng Kang, sous l’égide du studio Shaw Brothers, Les 14 Amazones est une épopée militaire sanguinaire, qui exalte le patriotisme et le sacrifice. Ce type de récit est généralement alimenté par un puissant flux de testostérone. » (T.S. [Thomas Sotinel], « Cheng Kang », Le Monde, 2 février 2007).

De disques numériques ou des nouveaux produits culturels multimédias

Comme nous l’avons vu ci-dessous, les disques numériques sont rarement appelés ainsi par la presse généraliste. Les industriels de ces nouveaux produits culturels multimédias ont créé des produits et des marchés, avec des différences certes, mais pas si importantes. Il aurait d’ailleurs été possible de faire différemment. S’il existe actuellement une certaine distinction entre un jeu vidéo et un DVD vidéo, qui n’entraînent pas forcément  les mêmes usages, ni les mêmes publics, ne s’agit-il pas  pour autant d’un objet unique, un petit disque numérique, ayant des contenus différents ? Les caractéristiques similaires ou proches soulignées ci-avant nous permettent d’en traiter comme de disques numériques ou de nouveaux produits culturels multimédias pour examiner l’imaginaire qui se construit parallèlement à leur diffusion dans le grand public.

Une critique légitimante, témoignant de la diversité de la production et laissant deviner l’imaginaire qui se construit autour des disques numériques

Examinons maintenant les critiques journalistiques de la presse généraliste pour observer quel imaginaire se construit peu à peu en filigrane.

Des critiques journalistiques technophiles

Les journalistes critiques de cédéroms, de DVD-Rom, de jeux vidéo ou même de DVD s’avèrent technophiles en règle générale. Comme toute innovation technologique, le cédérom suscite à ses débuts un discours qui trahit une certaine part d’utopie et d’idéologie dont la presse se fait volontiers le relais. Nous associons les deux termes, dans la perspective de Paul Ricoeur, qui les analyse et les rapproche : « Un examen de l’idéologie et de l’utopie révèle deux traits partagés par les deux phénomènes. Premièrement, tous deux sont au plus haut point des phénomènes ambigus. Chacun a un côté négatif et un côté positif, un rôle constructif et un rôle destructeur, une dimension constitutive et une dimension pathologique.» (Ricœur, 1997, p. 17) La quasi-totalité des journalistes qui écrit sur les cédéroms ou DVD-Rom, que ce soit en presse quotidienne nationale ou régionale ou bien hebdomadaire, fait preuve d’une exaltation émerveillée, notamment au début du discours journalistique. Lisons quelques exemples :
Libération, journal assez critique en règle générale, ne boude pas son plaisir : « Encarta est remarquablement belle, bien finie, d’un maniement simple. Une encyclopédie multimédia propose d’abord le plaisir de la navigation : on prend un sujet, on rebondit sur un article connexe, on s’attarde sur une voie de traverse, on revient au tronc principal. Tout ce vagabondage  n’est peut-être pas très efficace, pas très utilitaire, mais bien agréable. C’est là le véritable terrain sur lequel il faut juger ces programmes, pas celui de l’utilité, mais celui du plaisir. Et qui sait, peut-être nous restera-t-il ensuite quelques copeaux de connaissances arrachées au cours de ces pérégrinations ? Mais le charme d’une encyclopédie multimédia, ce sont aussi les petits gadgets, les hymnes musicaux de chaque pays qui renouvellent le plaisir enfantin de la page « drapeaux » des dictionnaires, les animations des planètes qui bougent autour du soleil, et cerise sur le gâteau, les animations vidéo. » (Le Diberder, « Interactifs », Libération, 19-20 novembre 1994).

« Le CD-ROM n’est plus une merveille technologique réservée aux professionnels et menacée d’échec commercial. Poids lourds et PME multimédias se lancent à l’assaut du grand public. » (Olivier Languepin, « Le décollage du livre électronique », L’événement du Jeudi, 24 novembre 1994).

Ces extraits permettent de constater que les premières critiques concernant les cédéroms recèlent une certaine dose d’utopie. Certains éléments mettent en valeur l’enthousiasme des journalistes : le style proprement dit, avec un recours assez important à la métaphore (merveilleux, poésie, nature et végétaux…), et le choix du vocabulaire (merveilleux, magnifique, génie, magie, saveur….). Comme l’explique Paul Ricoeur, la métaphore qui « consiste à parler d’une chose dans les termes d’une autre qui lui ressemble», «n’est qu’une des tactiques relevant d’une stratégie générale : suggérer quelque chose d’autre que ce qui est affirmé. » (Ricœur, 1975, p. 122). Le recours à la métaphore permet aux journalistes d’approcher la description de ce qui est nouveau  dans le cédérom et de donner une dimension « merveilleuse », voire « poétique », à l’univers austère de la technologie.

En résumé, l’imaginaire suscité par les discours journalistiques sur les disques numériques tourne autour de deux grandes idées : la technique, associée à la culture et à l’éducation est merveilleuse, magique, grâce à elle le public peut y trouver une fenêtre, une porte sur le monde et ses savoirs, à domicile et sans effort. Voyons donc maintenant les deux parties consacrées à l’amusement et au plaisir tout d’abord, puis à la question de l’apprentissage et des savoirs ensuite.

Facilité, commodité, amusements en tout genre : un univers ludique

Après avoir souligné la technophilie des journalistes, intéressons-nous maintenant à l’orientation des propos journalistiques et constatons que les questions relatives à la facilité, la commodité, voire l’amusement sont très présentes dans les discours.

L’article de Carl Méeus publié dans Le Figaro en 1994, présente plusieurs cédéroms et notamment celui du Louvre. Le journaliste y raconte un peu son expérience personnelle face au logiciel. Le chapeau de l’article est explicite, voire enthousiaste : « mettez un littéraire devant plusieurs CD-ROM et laissez-le mijoter pendant quelques heures. Résultat : il devient passionné d’informatique. Expérience vécue. » Le corps de la critique ne l’est pas moins : « Fini le temps où je devais empiler sur mon bureau les volumes des encyclopédies pour trouver des informations complètes d’abord sur Le Louvre, puis sur les tableaux du musée. Avec le nouveau CD-ROM sur Le Louvre, peinture et palais (coproduction de la Réunion des Musées Nationaux et de Montparnasse Multimédia), je peux aisément obtenir la majeure partie des informations que je désire. Pas toutes malheureusement, […] j’ai pour moi tout seul la Joconde à domicile. Sans la cohue des Japonais, ni la vitre blindée qui la protège. En plus, je peux l’observer à satiété sans être dérangé et suivre les explications sur son élaboration.  […] Fini la lecture linéaire qui imposait des passages obligés : avec les CD-ROM, je brûle les étapes, reviens en arrière ou passe sur des événements moins importants.  Lorsque j’entre dans une rubrique, comme le système des poupées russes, je peux instantanément accéder à d’autres informations en cascade. » (Carl Méeus, « Tous les chemins mènent au CD-ROM », Le Figaro, 28 novembre1994).

Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’un titre strictement ludique (ce n’est pas un jeu vidéo), mais nous notons que ce qui est mis en valeur relève de la facilité de l’accès à la culture, ce que nous appelons le musée en pantoufles.

En matière de DVD vidéo, il existe aussi des titres à caractère ludique :
« Porco Rosso, comme son nom l’indique, est un cochon italien (seule figure animale dans un monde peuplé d’humains), pilote d’hydravion. […] On peut lire ce scénario délirant comme un avatar de l’imaginaire fictif des mangas et de l’animation japonaise, qui recycle aussi bien Heidi qu’Arsène Lupin pour en faire des personnages aux yeux ronds. Ce serait paresser : Hayao Miyazaki est un créateur maître de son expression. (Thomas Sotinel, « Dans l’air de l’après guerre », Le Monde, 7 avril 2006).

De l’apprentissage, du savoir et de l’expertise…

Le corollaire des jeux est celui de l’apprentissage, du savoir de la culture. Lisons un extrait de critique consacré à une encyclopédie :
« Votre encyclopédie prend la poussière sur une étagère. Vous êtes épuisé rien qu’à l’idée de la compulser pour trouver la moindre information ? Goûter sa version électronique ! Tapez le mot « astronomie » sur le clavier, et, aussitôt, la liste des articles concernés s’affiche. Vous choisissez celui sur la lune : immédiatement, il apparaît à l’écran. Bien sûr, il est possible de l’imprimer ou même de l’insérer dans un texte que vous êtes en train de saisir sur votre ordinateur. […] Instrument de travail idéal pour les élèves du secondaire et de l’enseignement supérieur, le CD-ROM est aussi une fenêtre ouverte sur le monde pour tous les curieux… » (article sans signature, « Le savoir en son et lumière», L’Express – L’ordinateur individuel, 22 septembre 1994) Notons aussi le chapeau et l’intertitre : « Grâce au CD-ROM, l’ordinateur ouvre les portes d’un nouvel univers de connaissance et de loisirs. » et « Devenez acteur de votre culture » qui reflètent l’enthousiasme des journalistes.

« Dans un disque, par exemple, on visite à l’envi le musée du Louvre (instructif) ; dans un autre, on se promène à travers les œuvres de Nicolas Poussin (complet et magnifique). On apprend tout sur Prince ou Bob Dylan (en jouant). » (Vincent Le Leurch, « Faut-il céder aux CD-Rom ? », , Télérama, 26 avril 1995).

Cette même question de l’éducation et de la culture se pose aussi en terme de DVD vidéo.  Les critiques, notamment celles de Libération et du Monde, sont exigeantes et proposent de découvrir des œuvres parfois méconnues ou oubliées du grand public, que ce soit en matière de cinéma ou de documentaires. Lisons deux extraits :
« Cette édition grand luxe de La Ruée vers l’or est un trésor pour le cinéphiles, tant par la qualité de la restauration que par l’appareil critique réuni par MK2. » (« La ruée vers l’or », S.D., Libération, 13 juin 2003).

« Parution en double DVD de « Congo River », du documentariste belge Thierry Michel » précise l’accroche de l’article. « Les films de Thierry Michel – Zaïre, le cycle du serpent, Mobutu roi du Zaïre- faisaient jusqu’ici une histoire du Congo. Congo River est une géographie.[…] Cette édition en double DVD permet de rétablir un peu de continuité dans cette avalanche d’images tour à tour lyriques puis monstrueusement douloureuses. Un documentaire montre les conditions matérielles de la réalisation du film, […] » (« En remontant le Congo, long fleuve tragique », Thomas Sotinel, Le Monde, 15 décembre 2006).

L’imaginaire des disques multimédias, entre amusement et plaisir mais aussi, apprentissage et savoirs : une frontière aux contours plus flous

Voyons enfin, derrière les discours de la presse écrite et les imaginaires qu’ils véhiculent, des tendances sociétales qui se font jour.

Une dimension moins critique de la critique journalistique…

Nous avons déjà précédemment souligné l’amoindrissement de la critique. Paradoxe, certes, puisque nos propos de thèse s’appuient sur la création et l’importance d’une critique journalistique spécifique contribuant fortement à la légitimation du cédérom comme produit culturel. Malgré l’importance de cette critique, nous devons bien admettre un amoindrissement de l’alacrité journalistique. Les journalistes pionniers en produits culturels multimédias sont davantage dans le registre pédagogique afin de vulgariser la technique auprès du grand public. Impossible de trouver un homologue à Angelo Rinaldi, qui étrille certains auteurs de livres à l’occasion, en matière de critiques journalistiques multimédias.

Le caractère peu critique des critiques déjà observé lors de l’analyse des critiques des cédéroms et des jeux vidéo, se retrouve également en matière de DVD. Les jugements de goût concernant les DVD sont  beaucoup plus souvent des jugements positifs que négatifs.
Lisons un exemple : « Il aurait fallu plus de place, de temps pour tenter de cerner un homme », en l’occurrence Jean Rouch (Thomas Sotinel, « Sélection DVD. Jean Rouch, pisteur de l’Afrique », Le Monde, 15 avril 2005). Critique somme toute assez indulgente. D’ailleurs, deux ans après, un autre titre (Cocorico Monsieur Poulet) consacré à Jean Rouch expose que dans « ce DVD, il n’y a pas une minute à jeter. » (T.S., « Jean Rouch, Cocorico Monsieur Poulet », Le Monde, 2 février 2007)
Les facteurs explicatifs de cette moindre critique sont probablement à chercher parmi le contexte : multiplication des produits culturels, promotion qui gagne du terrain par rapport à la critique, moindre nécessité d’éreinter un titre en raison de l’émiettement des discours dans l’espace public…

…mais de nouveaux critères soulignés par cette critique journalistique

Comme nous le soulignons juste auparavant, la critique journalistique est moins critique. Dire cela n’est pas signifier son inutilité. Elle conserve son rôle de pédagogie face  aux nouveaux produits culturels. Elle essaie aussi d’en distinguer les réussites, même si ce n’est pas très facile face à la profusion de titres produits. Par ailleurs, elle met en valeur auprès du grand public de nouveaux critères notemment ceux de l’interactivité, de la navigation, etc., comme nous l’avons montré dans notre thèse. (Batard, 2003)

En matière de DVD, il en est de même sur le critère du bonus ou supplément. Que signifie ce terme de bonus ? Les DVD, et c’est en cela qu’ils ne sont pas toujours une simple reprise sur un disque édité, d’un film projeté au cinéma, proposent des bonus, c’est-à-dire un supplément au film. Celui-ci peut être plus ou moins long, plus ou moins savant… En quelque sorte,  ces bonus oscillent entre le gadget obligé ou, au contraire, le renforcement de l’expertise. Ils ne sont donc pas toujours aussi anecdotiques qu’ils en ont l’air. (ibid.)

D’ailleurs, les bonus sont quasiment systématiquement examinés par les critiques, même si c’est pour juste en signaler la présence ou en déplorer l’absence ou en préciser les apports. (Batard, 2006)  « Avec plusieurs bonus. » (D.B., « DVD. Marco Ferreri », Le Figaroscope, 21 juin 2006) Ou bien : « Les bonus sont quasi inexistants (bandes-annonces, photos du films), mais le coffret est doté de cartes collectors et d’un livret. » (Jean-Luc Douin, « Sélection DVD. Le désir de Wong Kar-Waï » [le réalisateur de In The Mood for Love, objet d’un autre DVD],  Le Monde, 17 décembre 2004).

Des frontières moins tangibles entre divertissement et culture ?

Le jeu n’empêche pas le goût des efforts et du savoir. Les notions ont longtemps été opposées, même si certains pédagogues, « mettant outils et médias au centre de leur enseignement », réconcilient savoir, jeu et communication dans leur projet éducationnel, ainsi que le souligne Pierre Mœglin (Mœglin, 2005, pp.115-117). Il semble bien que les pratiques sociales contemporaines rendent les frontières moins précises entre éducation et savoir d’un côté, et amusement et divertissement de l’autre. Nous apprécions aussi l’approche de Gilles Brougère qui considère le jeu comme « une activité sociale » (Brougère, 2005, p. 103) et qui propose de l’envisager comme « un loisir parmi d’autres » (op. cit., pp. 120-144)  En effet, notre constat de la légitimation progressive des nouveaux produits culturels multimédias et de leur diffusion massive auprès du grand public, renforce cette impression de frontières plus floue entre éducation, savoir, culture, jeu, amusement et temps libre. Dénier toute dimension culturelle ou éducative à tous les disques numériques ne serait pas fondé. L’inverse non plus. Pour autant, le fantasme initial de l’éducation et du savoir sans efforts, grâce aux disques numériques, lisibles sur un ordinateur et/ou sur une télévision, et de l’amusement sous toutes ces formes, persiste encore fortement. En 1994, les cédéroms sont qualifiés d’instructifs et amusants. En 2006, les jeux vidéo laissent penser que l’amusement a pris le dessus. Et pourtant, cette même période voit apparaître «  les jeux sérieux » ou serious games qui abordent des thèmes comme la santé, l’humanitaire ou la politique. « Au siècle dernier, on disait « ludo-éducatif ». Un terme sexy en diable qui désignait les jeux vidéo convenables, susceptibles d’enseigner « en s’amusant » quelque chose d’intelligent aux jeunes boulimiques d’images sur écran. L’avantage, c’est que ça rassurait les parents du jeune écervelé qui, au lieu de se livrer chaque mercredi à un génocide d’aliens sur sa console, était fermement conduit à découvrir l’histoire de France avec Adibou. […] Désormais, c’est plus chic, on dit serious game. Plutôt destinés aux enfants mais pas forcément, les serious games sont des jeux qui font passer un message à vocation pédagogique. ». (Bruno Icher, « Des jeux vidéo remontent la morale », Libération, 12 novembre 2006)  Le glissement s’est fait des titres éducatifs envisagés de manière ludique, à des jeux vidéo dits « sérieux », avec, au passage, l’anglais qui émaille le vocabulaire des jeux vidéo. Mais finalement le ludo-éduco-pratico-culturel est toujours bien présent. Que d’amusements instructifs ou de savoirs culturels et ludiques en perspective.

Références bibliographiques

Batard, Annick (2006), « La critique des DVD vidéo, une deuxième chance pour la critique cinématographique ? », Colloque international « Mutations des industries de la culture, de l’information et de la communication »,  25, 26 et 27 septembre 2006, http://www.observatoire-omic.org/colloque-icic.

Batard, (2003), « La critique journalistique des cédéroms « culturels », entre promotion commerciale et invention d’un genre, thèse conduite sous la direction du professeur Pierre Mœglin et la codirection de monsieur Roger Delbarre, soutenue à l’université Paris 13, dactylographiée et microfichée.

Brougère, Gilles (2005), Jouer/Apprendre, Paris : Economica-Anthropos, 2005.

Jeanneret, Yves (2006), « Analyses des pratiques de communication et trivialité : un champ de recherche entre prétention et exigence », in Médias et Culture, « Discours- outils de communication – pratiques : quelle(s) pragmatique(s)? », numéro spécial en hommage à Daniel Bougnoux, Paris : L’Harmattan.

de La Haye, Yves (1984), Dissonances – critique de la communication, La Pensée sauvage, présenté par Bernard Miège.

Mœglin, Pierre (2005), Outils et médias éducatifs. Une approche communicationnelle, Grenoble : PUG.

Ricœur,  Paul  (1997),  L’idéologie et l’utopie, Paris : Le Seuil.

Ricœur, Paul (1975), La métaphore vive, Paris : Seuil, coll. Points-Essais.

Seguy, Françoise (1999), Les produits interactifs et multimédias, Grenoble : PUG.

Simondon, Gilbert (1969), Du mode d’existence des objets techniques, Paris : Aubier-Montaigne.

Auteur

Annick Batard

.: Maître de conférences à l’IUT de Villetaneuse (Université Paris 13) et Chercheure au LabSic – MSH Paris Nord.