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L’objet technique livré à des perspectives croisées

15/11/2007

Résumé

Article de conclusion inédit faisant suite à une communication au colloque MEOTIC, à l’Institut de la Communication et des Médias (Université Stendhal), les 7 et 8 mars 2007.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Caune Jean, «L’objet technique livré à des perspectives croisées», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°08/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/01-lobjet-technique-livre-a-perspectives-croisees

Introduction

Une des problématiques du colloque MEOTIC visait à mettre en crise l’opposition facile entre la culture et la technique. Cette question s’ouvrait alors sur la place accordée à la personne et à l’acteur social par les objets techniques à l’ère de l’information et de la communication. Ces deux pistes de réflexion étant d’ailleurs complémentaires : elles invitaient à penser les  objets techniques dans leurs dimensions de médiation et de relation entre les hommes.
À propos de la mobilité des frontières entre l’objet technique et le sujet, un grand nombre de communications mettent en évidence un mode d’existence particulier des objets et des processus d’information et de communication. Les objets techniques deviennent objets culturels du fait même de leur inscription dans un champ de pratiques. Qu’ils se présentent comme outils de création de formes, comme dispositifs de jeu ou encore comme mémoire d’information, ces objets assurent des fonctions de signe ; ils répondent à des usages de manipulation ou d’interprétation ; ils nourrissent les imaginaires individuels et collectifs. Les objets ou dispositifs techniques sont production de discours et de fictions. Interfaces entre le sujet et l’environnement et saisis dans les rets des récits qu’ils actualisent, ils n’existent, eux-mêmes, que dans les discours qui les font advenir dans l’espace public (la techno-logie).

Pour reprendre la distinction introduite par Michel de Certeau, dans sa réflexion sur « les arts de faire », les objets techniques sont des instruments de stratégie personnelle : ils permettent au sujet de vouloir et de pouvoir développer un “propre ”. Au contraire de la tactique qui n’a pour lieu que celui de l’autre, la stratégie postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre : « une victoire du lieu sur le temps », un lieu qui, bien souvent, se donne une représentation en trois dimensions. C’est, me semble-t-il, ce que montrent les communications qui mettent l’accent sur l’usage des objets techniques lorsque ce dernier est guidé par la maîtrise des significations et par une activité interprétative liée à des références culturelles. Ces objets techniques acquièrent alors une propension particulière à être le support de projet d’acquisition de compétences cognitives ou pratiques. Faute de cette appropriation, l’usage de l’objet peut conduire au fantasme ou à l’illusion.

De nombreuses communications se sont inscrites dans une thématique proposée à la réflexion : celle de l’artefact. Bien souvent, les arguments technophobes reposent sur une conception de l’opposition entre le naturel et l’artificiel, opposition contredite par ce que la science moderne nous apprend. Le caractère exclusivement artefactuel des processus techniques et des réseaux peut être mis en question, par leurs propriétés qui les rattachent aux structures connues en biologie. Le refus de certaines communications de distinguer, aux plans ontologique et éthique, naturel et artificiel n’exonère pas de s’interroger sur ce qui fait l’identité de l’artefact, objet de connaissance scientifique à part entière.

Quelles que soient les approches philosophiques — qu’elles conçoivent l’artefact à travers un processus de conception devant répondre à un besoin ou comme un objet abstrait conduisant à la production d’un effet recherché —, l’évaluation morale de l’objet technique, ou de l’action qu’elle permet, n’est pas à rechercher dans son origine. L’artefact est un « objet du faire », dès lors, c’est à travers l’action humaine, ses intentions, son adéquation aux finalités annoncées qu’il doit être évalué.

Dans l’ambition de ce colloque de croiser approche philosophique et démarche communicationnelle, il y avait le risque de fondre ou de métisser les concepts et de noyer dans la grisaille des discours communs les considérations dérivées de l’apparition incessante de nouveaux produits ou de nouveaux usages. Ce risque a, je crois, été évité. La fécondité de ce colloque est, à mes yeux, de montrer qu’il ne saurait y avoir de véritable réflexion théorique dans les sciences de la communication qui ne soit adossée à des perspectives claires et explicites sur le sujet de parole et sur l’acteur social. Il en irait de même d’une approche philosophique qui s’abstiendrait de nommer et de décrire les objets réels dont elle recherche le sens.

L’objectif valait d’être visé ; il mérite d’être poursuivi.

Auteur

Jean Caune

.: Professeur émérite à l’Université Stendhal Grenoble 3, laboratoire GRESEC