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Le Blog, nouvel instrument au service de la démocratie participative ?

26 Jan, 2007

Résumé

A l’approche des élections présidentielles, de plus en plus de personnalités politiques créent leur blog. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont de ceux-là, et disent vouloir mettre leur blog au service de la démocratie participative. L’analyse de leurs intentions et du fonctionnement de leurs blogs soutient une réflexion sur les possibilités offertes par ce nouveau média en matière de participation politique et de nouvelle citoyenneté.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Stein Marieke, « Le Blog, nouvel instrument au service de la démocratie participative ?« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/32-le-blog-nouvel-instrument-au-service-de-la-democratie-participative

Introduction

A l’approche de l’élection présidentielle de 2007, les blogs de partis et de personnalités politiques se multiplient, témoignant d’une appropriation de plus en plus riche des outils Internet par les candidats, en particulier par rapport aux campagnes précédentes où, selon Nathalie Ethuin et Rémi Lefebvre dans leur étude de l’Internet lors des élections municipales de 2001, les sites restaient informatifs et leurs possibilités peu exploitées, au point que l’Internet n’avait « aucunement supplanté les modes traditionnels de transaction politique » (Ethuin, Lefebre, 2002 : 171). La floraison de blogs, divers dans leurs formes et leurs objectifs, semble pouvoir permettre de modifier ce constat.
Par rapport aux sites Internet, le blog propose proximité et simplicité, se présentant comme une sorte de « journal » des idées de son auteur ; il est interactif, permettant à chaque visiteur de réagir. Il est aussi réactif, constamment enrichi de nouveaux « billets », et  donne ainsi l’impression d’une pensée constamment en prise avec l’actualité. Cette réactivité, cette proximité, cette modernité aussi du blog semblent avoir interpellé les hommes politiques, et en particulier ceux qui se préparent à la candidature pour l’élection présidentielle de 2007.

Comprenant qu’il y avait là un nouvel instrument d’information, d’expression, de communication politique, j’ai cherché à comparer plusieurs blogs de personnalités politiques pour déterminer lesquelles de ces fonctions communicationnelles ils remplissent essentiellement. Or, mon attention a été attirée tout particulièrement par les blogs de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, qui présentent des similitudes formelles et thématiques et s’affirment comme des instruments au service de la démocratie participative. Cela est essentiel dès la première page du blog de Ségolène Royal, desirsdavenir.com, ouvert en février 2006. Un petit message d’accueil, suivi de sa signature en fac-similé, annonce d’entrée la visée démocratique du blog : « Bonjour, ce site est un forum participatif. Il est à vous si vous avez envie de participer aux décisions qui vous concernent. » Et elle ajoute qu’elle a « commencé à inaugurer la démocratie participative en région Poitou-Charente« . Le mot « participer » intervient trois fois en trois lignes. On le retrouve sous forme de slogan en tête du blog de Nicolas Sarkozy : « Participez à la grande conversation politique sur internet« , slogan redoublé par d’autres : « Voici nos idées, parlons-en » et « Imaginons la France d’après« . Chez lui, il n’est pas question de « démocratie participative », mais beaucoup de « participation ».

Cette similitude m’a interpellée : les deux candidats affirment un même souhait de faire « participer » les internautes à leur programme, mais quels sont les moyens mis en œuvre pour permettre cette « participation » des internautes à la décision politique ? Le blog peut-il être le moyen d’une participation effective ? Si oui, dans quelles limites ? Ce sont ces différentes questions que je vais tenter d’élucider à travers l’analyse de ces deux sites et de leur fonctionnement.

désirsdavenir.com : Ségolène Royal et son « forum participatif »

Ségolène Royal présente son blog comme un lieu d’échange permettant la reproduction, sur le net, de modes de gouvernement traditionnels : elle établit une continuité entre son expérience de présidente de région et l’expérience qu’elle entend renouveler sur son blog. Son message d’accueil est essentiel pour comprendre son projet :

« Pour avoir commencé à expérimenter la démocratie participative en région Poitou-Charentes, que je préside, j’ai acquis la conviction que les citoyens, lorsqu’un problème est vécu ou lorsqu’un progrès est espéré, sont des « experts » légitimes de la question posée.  Ecouter pour agir juste, telle est la raison pour laquelle j’ouvre ce forum. Dans un monde de plus en plus complexe mais aussi informé, chacun détient une part de vérité. Agir, c’est être au clair sur les principes d’action pour mieux imaginer l’avenir, essayer ce qui réussit  et s’ajuster en permanence. »

De ce message ressortent plusieurs idées essentielles et quelques contradictions. D’abord, le blog est perçu comme un lieu d’échange politique. Il permet de créer une communauté virtuelle de citoyens apte à « faire » la politique ensemble, sur le modèle de la politique de « terrain ». Ensuite, cette volonté de faire d’un forum Internet un lieu d’élaboration d’une politique (puisqu’il s’agit de « participer aux décisions qui nous concernent« ) repose sur la notion d’experts. Ségolène Royal postule la compétence des citoyens sur les questions qui les concernent, du fait de leur expérience ou de leurs réflexions. L’idée est que la mise en commun des expertises individuelles va permettre d’accéder à une solution, puisque « chacun détient une part de vérité« .  Ceci ne va pas de soi : peut-on croire en la compétence universelle des individus ? Une somme d’expériences et d’opinion constitue-t-elle un savoir ? Il faudrait s’interroger en particulier sur les notions d’avis, d’opinions, de témoignages, de savoirs : que partage-t-on sur un forum ?

Enfin, une ambiguïté est présente dans ce petit texte de présentation : les avis des internautes-citoyens sont-ils à l’origine de l’action politique (« Participer aux décisions » ; « Ecouter pour agir juste« ) ou viennent-ils sanctionner ou confirmer une action politique préexistante ? C’est ce que suggère la dernière phrase citée ici : « Agir, c’est être au clair sur les principes d’action pour mieux imaginer l’avenir, essayer ce qui réussit et s’ajuster en permanence« . Cette dernière expression semble impliquer que les avis des internautes sont recueillis pour ajuster une politique. La formule « être au clair sur les principes d’action » est également ambiguë : s’agit-il de clarifier avec les citoyens les principes qui devront régir l’action, ou de clarifier, à destination des citoyens, ses principes d’action – on ne serait plus alors dans l’échange, mais bel et bien dans de l’information politique.

Malgré quelques ambiguïtés, à travers ce message, Ségolène Royal semble appeler de ses vœux une démocratie participative, fondée sur la croyance en la compétence des citoyens pour participer à la vie politique. Mais le blog peut-il constituer cette nouvelle citoyenneté, par le biais de la « démocratie électronique » souvent considérée si prometteuse ? Le fonctionnement du forum permet de répondre à cette question.
Tel qu’il est présenté, le forum fonctionne en trois temps : d’abord un débat entre les internautes ; ensuite une synthèse des avis exprimés, rédigée par une équipe anonyme, et qui met en évidence les conclusions essentielles des échanges ; enfin, un texte signé par Ségolène Royal, présenté comme le résultat du débat et comme ayant été élaboré à partir de la première synthèse, donc à partir des avis, attentes et solutions des participants, résumés et classés.

En réalité, ce fonctionnement est plus ambigu que cela, puisque cette troisième étape, le texte intitulé « ce que je retiens » – titre qui implique une sélection dans les avis exprimés – est ainsi annoncé : « Les idées qui en résultent et qui me paraissent réalisables sont alors affichées sur le site afin que vos prises de paroles soient fructueuses. » Remarquons la nuance entre « me paraissent réalisables » (phrase qui implique une reconnaissance théorique de la validité des avis exprimés) et une promesse du type « que je réaliserai », qui impliquerait, elle, une action, donc un résultat concret des interventions des internautes. La participation par l’Internet semble devoir rester limitée à des paroles, affichées sur le site, et à des idées reconnues comme valides, sans déboucher sur une initiative réelle de la future candidate.

Voyons maintenant comment fonctionne, dans le détail, ce forum. Le plan du site permet d’accéder aux différents débats en cours, formulés sous forme interrogative (« Quelle prison pour quelle justice ? »), thématique (« La France et l’immigration ») ou infinitive (« Economie et travail : débloquer la situation »). Ces questions sont ouvertes, n’orientent pas a priori les netteurs vers une réponse donnée et ne donnent pas à penser que les solutions sont déjà trouvées. Mais elles dessinent implicitement un programme attrayant : « Comment concevoir le travail entre souplesse et sécurité ? » ou « Téléchargement : comment concilier la rémunération et la liberté des auteurs et la liberté des internautes ? » Signalons au passage que beaucoup de ces formulations expriment le souci d’une conciliation, d’un juste milieu. L’intitulé des sujets à débattre dessine lui-même l’image d’une politicienne soucieuse de trouver les solutions idéales à toutes les questions ; le programme politique qui transparaît derrière ces intitulés est un programme consensuel et positif, fait de « régions efficaces et solidaires », de « progrès scientifique [mis] au service des citoyens », d’élèves qui réussissent leur entrée en sixième… Aucune formulation négative n’est utilisée (du type « comment lutter contre ? ») : le blog « désirsdavenir » adopte résolument une attitude positive et constructive. On voit comment se révèle une image de Ségolène Royal à travers des détails lexicaux, et comment le site participe donc d’une communication politique de type électoral. L’usage de l’infinitif, en particulier, transforme les questions en élément de programme : « Bâtir les protections sociales de demain » ; « Donner à chacun les moyens de choisir sa vie ». Certains intitulés fonctionnent comme des slogans, et décrivent l’idéal séduisant de la future candidate.

Lorsque l’internaute clique sur un de ces intitulés, il se retrouve sur une page où une cascade de questions précisent le sujet, sans orienter l’opinion des lecteurs ; puis vient le forum, qui donne lieu à une synthèse rédigée par l’équipe qui dirige le site. Cette synthèse est datée (18 mai, pour un débat ouvert le 13 mai, dans le cas du débat « Comment faire pour que tous les élèves réussissent leur entrée en sixième »), et le nombre de contributions sur lesquelles elle s’appuie est donné en tête de page : 1625 contributions pour le débat sur l’entrée en sixième, 554 pour le débat sur la France dans le monde, 1480 pour « rendre l’action publique efficace et participative ». Ces chiffres importants donnent l’impression que la communauté des participants aux forums est, par son nombre, représentative de l’opinion publique. La synthèse classe les propositions et les remarques des lecteurs par thèmes, et cite de nombreux courriers, avec entre parenthèse le pseudonyme de leur auteur. Cette première élaboration d’une réflexion s’appuie donc sur le forum, sans aucun jugement, mais avec quelques sélections  nécessaires.

En revanche, le texte final, « ce que je retiens », texte court (une à deux pages) signé par Ségolène Royal, présente un écart important avec le forum et la synthèse. En effet, ce texte est construit comme un discours électoral. Pédagogique, avec ses courts paragraphes nettement séparés par des blancs et ses titres simples, il commence par un exorde remerciant et félicitant les internautes pour leur participation. Ainsi, pour le débat sur l’entrée en sixième : « Bien loin des propositions fatalistes, les contributions recueillies sur le site sont ambitieuses. Je suis sensible à la volonté, à l’énergie et à l’enthousiasme manifesté par les parents et les enseignants« . Puis vient la présentation du sujet et l’annonce du développement : « La réussite des élèves en classe de sixième pose la question essentielle de  le scolarité au primaire […] c’est dès le primaire que nous devons être attentifs » ; et enfin, l’annonce du plan, très claire : « Nous devons nous fixer cinq objectifs pour l’excellence au primaire ».

Le développement expose ces objectifs, qui paraissent reposer sur le forum (voir les formules « j’ai bien noté », « ce que je retiens… »), mais qui s’apparentent à un programme politique du fait de leur formulation sous forme de slogans, d’impératifs et de certitudes : « Le savoir-être est la condition sine qua non de l’acquisition du savoir » ;  » Il est indispensable de mieux préparer les jeunes enseignants à leur métier » ; « L’école doit garantir à tous la maîtrise de ces savoirs« . Censé être issu des messages et de la synthèse, le texte signé par Ségolène Royal passe sous silence toutes sortes de problèmes importants posés par les internautes (concernant, par exemple, l’enseignement supérieur, ses débouchés), néglige leurs solutions précises qui pourraient être sujettes à polémiques (sur le redoublement, entre autres) et retient essentiellement des propositions assez vagues. Le texte s’achève par une péroraison qui construit une image de l’émettrice comme active et à l’écoute de ses internautes : « Je retiens de ces débats riches et constructifs une mobilisation forte des parents et des enseignants pour défendre les valeurs d’une école plus juste et mieux respectée que j’entends promouvoir de toutes mes forces. L’éducation est la clef de la réussite de chacun. L’éducation est la clef de la réussite de notre pays. » On est bien, déjà, dans une communication de type électoral.

Que retenir de ce fonctionnement ? Que la possibilité est réellement laissée aux internautes de s’exprimer, et qu’une synthèse cherche à mettre en ordre ces messages ; à ce niveau-là, il s’agit bien d’une volonté d’écoute des participants. Plus délicat est le passage au texte de Ségolène Royal qui, tout en se présentant comme émanant des messages des lecteurs, tient en réalité davantage du discours électoral.
Sur le site de Ségolène Royal, l’appel à la participation passe par d’autres voies que le forum ; par l’écriture d’un livre en ligne, d’abord, auquel les internautes sont invités à participer, également par un débat. Mais là encore, la réalité de cette participation est à nuancer : lorsque Ségolène remercie les lecteurs pour leur participation, elle parle en effet de « réactions », « remarques » et « critiques », qui sont de l’ordre d’un discours second et non d’un discours premier. Là encore, la parole des internautes s’exerce sur un texte déjà écrit, une pensée déjà constituée.

Le « blog de la France d’après » : intentions de Nicolas Sarkozy et fonctionnement de son blog

Le blog de Nicolas Sarkozy présente, à première vue, des points communs avec celui de Ségolène Royal, dont il s’est visiblement inspiré. Les slogans qui accueillent l’internaute sur la première page laissent entendre une volonté similaire de faire participer l’internaute aux décisions de Nicolas Sarkozy et, plus largement, de l’UMP : « Participez à la grande conversation politique sur Internet » ; « Imaginons la France d’après« … Le recours, dans ces titres et slogans, à la première personne du pluriel, laisse penser que l’ambition de Nicolas Sarkozy est d’associer le public à une réflexion politique, voire à l’élaboration d’un programme. En réalité, le projet est différent, comme le montre le message d’accueil, signé, et intitulé « Voici nos idées. Parlons-en ! » :

« Parce que la blogosphère est devenue l’une des principales galaxies de l’univers Internet, nous ouvrons aujourd’hui notre plateforme de blogs.
Elle nous permettra d’abord de nous exprimer, de fédérer tous les blogueurs de notre famille, de multiplier leur présence et leur visibilité. Mais surtout elle nous permettra de dialoguer avec l’ensemble des Français, de leur demander leur avis et leurs réactions au projet politique que, de convention en convention, de réunion en réunion, l’UMP construit. […] Le projet politique définitif de l’UMP ne sera adopté qu’une fois voté par nos adhérents d’ici quelques mois. En attendant, voici nos idées, discutons-en ! »

Le projet de Nicolas Sarkozy est d’abord de faire du blog un outil de communication (il s’agit à la fois de laisser s’exprimer les différentes personnalités de l’UMP, et d’accroître leur visibilité), et ensuite de dialoguer avec les Français, ou plutôt de « leur demander leurs avis et leurs réactions au projet politique que […] l’UMP construit. » Le public n’est donc pas invité à participer à l’élaboration d’une politique, mais à produire un discours critique.

Le fonctionnement du blog de Nicolas Sarkozy est très différent de celui de Ségolène Royal. Certes, comme chez elle, le menu permet l’accès à des sujets de débats dont la formulation, toujours positive, laisse entrevoir un programme ambitieux : « Mieux défendre le consommateur » ;  « Un nouveau congé parental plus court et mieux rémunéré » ;  » Ouvrir les bourses étudiantes aux classes moyennes », etc. Mais le plus souvent, l’internaute est simplement invité à réagir à des propos des membres de l’UMP : « Régularisation sans démagogie. Nicolas Sarkozy se prononce » ; « le pouvoir d’achat au cœur du projet présidentiel de l’UMP« . On clique, et on arrive sur une « note », qui est un court article issu de la presse, une citation ou un résumé de discours, sur lequel les internautes sont appelés à donner leur avis par la question « qu’en pensez-vous ? » Parfois, cette note se limite à quelques lignes : « Libérer le travail et augmenter le pouvoir d’achat des Français seront pour Nicolas Sarkozy les deux grands thèmes de clivages avec la gauche lors de l’élection présidentielle de 2007. Qu’en pensez-vous ? » On remarque donc l’absence de questions pour lancer le débat ; au contraire, l’internaute est appelé à réagir à une affirmation nette, souvent péremptoire, qui peut être de l’ordre du slogan : « Nicolas Sarkozy lors de la convention UMP sur la santé a défendu une politique qui s’attache à « dépenser mieux » plutôt qu’à « dépenser moins ». La santé, a-t-il insisté ; […] « doit être en tête des priorités politiques de notre pays ». […] Qu’en pensez-vous ? » De fait, il s’avère que généralement les internautes acquiescent aux propos tenus et approuvent la politique de l’UMP. De débat, point, et aucune synthèse, ni même réponse, ne reprend ces messages. Le forum est purement formel, sans influence sur les idées de l’UMP dans la mesure où 1) elles sont fermement arrêtées indépendamment du forum ; 2) rien ne laisse supposer que les gestionnaires du forum ont pris en compte les messages.

De fait, on remarque que nulle part dans ce blog il n’est question de rassembler les interventions des internautes, de faire une synthèse de leurs avis ni d’utiliser ces avis pour modifier telle proposition de l’UMP. On peut s’interroger, dès lors, sur l’utilité des forums du blog. Celle-ci semble se limiter à un double objectif : d’une part, donner aux internautes le sentiment valorisant de participer à une discussion ; d’autre part, faire une apologie de Nicolas Sarkozy et de ses idées à travers les témoignages des internautes eux-mêmes, presque tous extrêmement favorables, comme celui-ci : « Bonjour ! j’ai toujours été pour la gauche mais je partage dorénavant vos idées. J’aime les hommes de caractère et de convictions et vous en êtes un ! »

Remarquons tout de même que, ponctuellement, un « billet » propose une solution effective à un problème posé par les internautes ; ainsi, une note du 5 juillet semble répondre aux messages suscités par une note précédente sur les chiens dangereux ; en quelques mots, l’auteur de cette note indique le résultat estimé du débat : « vos nombreux commentaires (573 à ce jour) sont unanimes pour réclamer la responsabilité des maîtres et réclamer une plus stricte application du dispositif existant. Le ministre de la justice Pascal Clément, dans un communiqué disponible sur le site du ministère, s’est engagé dans une action conforme à ces axes. » Cette action consistait à rappeler que les propriétaires de chiens dangereux risquaient des poursuites en cas d’accident. Ce rappel de la loi existante est survenu dans un contexte où plusieurs accidents avaient enflammé l’opinion publique en général, mais la note du 5 juillet insinue (sans l’affirmer) que cette intervention du ministre est une réponse aux mails du blog. Il s’agit toujours de valoriser les actions de l’UMP en les présentant comme des réponses aux demandes des citoyens-internautes.

En revanche, si l’internaute veut réellement préparer avec l’UMP son projet 2007, il est invité à accéder à une page titrée « Participez au débat pour 2007 », et à remplir un formulaire en ligne pour « être informé et participer aux débats de l’UMP ». Dans quelle mesure et selon quelles modalités, ceci n’est pas précisé.

Le Blog participatif : une participation très limitée

Peut-on dire que les deux blogs examinés sont des instruments au service de la démocratie participative ? Entre les intentions affichées, les intentions réelles et les résultats, il y a quelques écarts. On a noté la faible exploitation des interventions, ou leur utilisation comme caution d’un discours préexistant. Toutefois, si l’on reprend les analyses de Michel Falise sur les quatre stades successifs de la participation, on remarque que le blog de Nicolas Sarkozy se situe tout de même au deuxième niveau, celui de la « consultation ». A ce niveau, l’avis est consultatif, et n’entraîne « aucune obligation de décision conforme de la part des élus« , puisqu’on « se contente d’accueillir protestations et propositions […] sans leur donner de réponse » (Falise, 2003 : 54). Desirsdavenir.com, pour sa part, se situe à la charnière du niveau 2 (dans sa version la plus ambitieuse, où l’on « donne aux avis exprimés une réponse écrite et motivée », Falise, 2003 : 55) et du niveau 3, la « concertation », qui implique une élaboration commune d’idées et de projets.

L’ambition participative n’est donc pas la même chez les deux personnalités ; mais le principe d’une relation sans médiateur entre les citoyens et l’élu est riche de promesses, et, donc, dans les deux cas, utilisé pour construire l’image d’un lien politique renouvelé – image qui valorise par ailleurs le politicien qui en joue.
D’ailleurs, au-delà de ces écarts, la volonté de faire des blogs un instrument au service de la démocratie participative se heurte à plusieurs problèmes, comme celui de la représentativité des opinions exprimées : quelle opinion le forum est-il sensé révéler ? Celle d’une frange de la population plutôt jeune, relativement aisée, plutôt bien informée, adepte des nouvelles technologies, essentiellement, et celle des sympathisants, majoritaires parmi les visiteurs des deux blogs.

En outre, quelle est la pertinence de ces messages ? Comme l’explique Loïc Blondiaux, le « citoyen souverain et omnicompétent » s’est avéré être un mythe, puisque « la complexité grandissante des problèmes posés aux nations modernes rend encore plus fragiles et dérisoires les pouvoirs nominaux du citoyen » (Blondiaux, 1998 : 97). Et si la démocratie participative peut fonctionner au niveau local, cette efficacité semble difficilement transposable à l’échelle du pays. Les obstacles à cette participation sont ainsi ceux de toute participation politique : le problème de la compétence ; la question de savoir si l’information est d’une qualité suffisante pour permettre aux citoyens de « participer », etc.

Toutefois, il semble que le blog, et plus largement Internet, puisse provoquer une révolution dans la pratique politique semblable à celle qui succéda, comme l’explique Jean-Pierre Esquenazi, à « la pratique giscardienne de la politique, fondée sur l’échange informatif entre les membres influents d’un réseau politico-médiatique et sur la production d’icônes politiques destinées aux hommes ordinaires » (Esquenazi, 1999 : 237) ; dans la lignée de L’Heure de Vérité, première émission du genre, les blogs sont fondés sur un échange entre citoyens et politiciens, à ceci près qu’ils évitent la médiation d’un journaliste. De cette économie découlent des avantages : la pensée des citoyens n’est pas déformée, même si celle-ci perd aussi en pertinence ou en organisation. L’absence de relais médiatique entre la parole du citoyen et les instances agissantes présente comme enfin possible une démocratie réellement participative, et semble pouvoir être perçu comme un remède à la crise de la représentation ; mais participer au débat n’implique pas être entendu, encore moins être écouté, et il est peu probable que les avis des citoyens, à travers les blogs, deviennent une force capable d’imposer sa loi au monde politique ; ne serait-ce que parce que ces forums prennent place dans des sites gouvernementaux ou des blogs qui n’ont de « personnels » que les connotations du mot, et que ce sont donc les organisateurs de ces sites, mandatés par les politiques, qui en fixent les règles.

Le blog, entre  séduction et information politique

En réalité, au-delà de la volonté affirmée d’impliquer les internautes dans l’élaboration d’un programme politique, ces différents blogs sont surtout, pour leurs auteurs, un instrument de consultation de l’opinion, d’information, d’expression politique et de publicité.

Un moyen de consultation de l’opinion, d’abord. Dans son étude sur les sondages, Loïc Blondiaux rappelle le souci essentiel des hommes politiques en démocratie, qui est de connaître l’opinion ; le blog servirait un peu, comme le sondage, à « collecter et […] additionner les opinions individuelles » (Blondiaux, 1998 : 129) pour pallier l’impossibilité de connaître vraiment l’opinion publique. A ce titre, il ne saurait être plus fiable que les sondages, courriers de lecteurs ou pétitions, mais il permet aux hommes politiques de « recourir à la seule mesure de l’opinion qui ait fait ses preuves : la conversation ou le recueil direct de l’opinion » (Blondiaux, 1998 : 85) – ce qui explique peut-être le terme de « conversation » employé par Nicolas Sarkozy dans son slogan initial.

Pour leur auteur, les blogs sont surtout d’excellents outils de valorisation. D’abord, parc qu’ils donnent du « blogueur » l’image d’une personne moderne, compétente, à l’écoute des citoyens. Le blog renvoie aussi l’image d’une pensée qui  s’ajuste en permanence, le contraire donc d’une politique figée, éloignée des citoyens ; il participe dès lors à une campagne de revalorisation du politique et, surtout, du parti ou de la personne qui sait se montrer ouverte, moderne – bref, capable d’exploiter le potentiel de séduction des nouvelles technologies. En outre, le blogeur peut valoriser sa propre politique tout en donnant aux lecteurs du site l’impression de  participer à une politique qu’en fait ils cautionnent surtout. Le blog lui-même apparaît d’ailleurs comme une réponse au vœu des citoyens-internautes. Par exemple, la synthèse du débat « rendre l’action publique efficace et participative« , sur desirsdavenir.com, présente l’ouverture du blog comme le résultat d’une attente de l’opinion publique. Selon cette synthèse, les internautes souhaitent « l’instauration d’un débat public véritable et sincère » grâce aux médias et particulièrement aux nouvelles technologies ; un internaute propose même « l’institution d’un forum public […] sur les sites gouvernementaux, où les citoyens pourraient directement s’exprimer sur les sujets les concernant et où ils pourraient obtenir des réponses claires et transparentes. » Même attente exprimée sur le site de Nicolas Sarkozy, accompagnée de remerciements et de louanges : « Bravo pour cette initiative qui élargit le champ de la démocratie en donnant une parole immédiate et directe aux adhérents, dont je fais partie. »

Quant aux internautes, si leur influence sur les décisions politiques est très douteuse, en revanche ils trouvent dans le blog un excellent moyen d’information. En effet, au-delà des forums et des « billets » des auteurs, ces différents sites proposent maintes autres rubriques : articles parus dans la presse, interviews à lire ou à visionner, actualités et agenda de la personnalité, position sur tel ou tel sujet. Dans ce sens, le blog et le site sont les moyens  de la démocratie participative par l’information, premier des quatre niveaux dont parle Michel Falise, en livrant aux internautes les opinions du politicien sur tous les sujets sans la déformation que leur font subir les médias traditionnels.

Les blogs politiques, derniers-nés de l’univers d’internet, pourraient donc donner tort à Philippe Breton et Serge Prouxl, qui affirmaient en 2005 dans L’Explosion de la communication que « La prise de parole citoyenne n’a pas été facilitée par l’avènement des médias et de la culture de masse« . « Tout au long du siècle, expliquent ces auteurs, la parole publique a été progressivement prise en charge par les élites contrôlant les moyens modernes de communication. » (Breton, Proulx, 2006 : 193). Même si l’usage du blog entre dans une vaste opération de séduction de l’opinion par les politiciens-blogueurs, même si les blogs restent dépendants d’entités politiques (les partis) qui en fixent les règles, les netteurs y prennent bel et bien la parole. Sur le net, « chacun peut agir, quand il veut, sans filtre ni hiérarchie » écrit Dominique Wolton (2000 : 87), et les blogs laissent cette possibilité aux citoyens comme aux politiques. Surtout, l’afflux de mails sur les forums montre l’envie des citoyens de reprendre une part active à la vie de la cité, et, en cela, ils sont le signe d’une vitalité citoyenne – pourquoi pas, d’une nouvelle citoyenneté ?

Références bibliographiques

Sites Internet : désirsdavenir.org et blog-ump.typepad.fr

BLONDIAUX Loïc, La Fabrique de l’opinion, Paris, Seuil, coll. « Science politique », 1998.

BRETON Philippe, PROULX Serge, L’Explosion de la communication, Paris, La Découverte, 2000.

ESQUENAZI Jean-Pierre, Télévision et Démocratie, Paris, PUF, 1999.

ETHUIN Nathalie, LEFEBVRE Rémi, « Les balbutiements de la cyberdémocratie électorale », in SERFATY Viviane (dir.), L’Internet en politique, des Etats-unis à l’Europe, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002, pp. 156-177.

FALISE Michel, La Démocratie participative, Promesses et ambiguïtés, Lille, L’Aube, 2003.

WOLTON Dominique, Internet, et après ?, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2000.

Auteur

Marieke Stein

.: Membre du Centre de recherche sur les médiations, Université Paul Verlaine de Metz.