Le cinéma émergent et ses pratiques interculturelles
Résumé
Le besoin du cinéma interculturel est surtout de soutenir une image, rare autrefois, qui prend une ampleur plus vaste et profonde dans les scénarios habitués aux clichés et aux images conventionnelles sur l’Autre, sur l’étranger, sur la culture, sur les villes et sur les nouvelles pratiques sociales des immigrants.Le film L’Esquive de Abdellatif Kechiche apporte un regard nouveau sur la banlieue pauvre parisienne puisque la violence y est absente. Cette nouvelle approche se doit aussi à la performance des acteurs issus en majorité de la banlieue et sans expérience professionnelle. Ainsi, le film donne à leur langage une nouvelle performance, loin du cliché. La tendance du cinéma émergent en France est de faire souligner les particularités de deux langues (l’érudit et le banlieusard) entre deux mondes qui se côtoient et que tout sépare. Ce pont entre ces réalités distinctes (l’immigrant et la terre d’accueil) construit un nouveau regard et la construction d’un nouvel imaginaire sur l’écran. Certes, le cinéma devient ainsi un médium porteur de signification pour cette communauté et un moyen privilégié de communication. Dans quelle mesure ces réalisateurs veulent-ils documenter, mythifier ou fantasmer la réalité-situation des immigrants ? Jusqu’où peut-on affirmer que cette nouvelle « banlieue » cinématographique déclenche une nouvelle pensée d’adaptation dans les discours médiatiques ?
Em português
Resumo
A importância do cinema intercultural é sobretudo o de dar suporte à uma imagem, antigamente quase inexistente, que toma cada vez mais espaço num mundo acostumado aos clichês e às imagens convencionais sobre o Outro, o estrangeiro, a cultura, as cidades e as novas práticas sociais dos imigrantes. O filme L’Esquive de Abdellatif Kechiche traz um olhar diferenciado sobre a periferia parisiense pela ausência da violência e a atuação dos atores, na maioria oriundos da periferia e sem experiência profissional. O filme oferece à linguagem, tanto cinematográfica quanto falada, uma nova performance, longe dos clichês. Kechiche acentua as particularidades de duas línguas (o erudito e o popular) entre dois mundos que se aproximam e que tudo separa. Esta ponte entre essas duas realidades distintas (o imigrante e a terra de acolhimento) constrói um novo imaginário na tela. Não resta dúvidas que o cinema se torna uma mídia portadora de significação para essa comunidade e um meio privilegiado de comunicação. Mas, até que ponto esses cineastas querem documentar, mistificar ou vangloriar a realidade-situação dos imigrantes? Até onde podemos afirmar que esta nova “periferia” cinematográfica deslancha um novo conceito de “adaptação” no discurso midiático?
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Moura Hudson, « Le cinéma émergent et ses pratiques interculturelles« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, 2006, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/25-le-cinema-emergent-et-ses-pratiques-interculturelles
Introduction
Le cinéma interculturel explore des sujets et des récits déjà très connus. Ce qui le rend particulier c’est surtout son point de vue : un regard « étranger » venu de l’intérieur même des cinémas nationaux. Cette nouvelle approche provient des cinéastes issus d’une nouvelle réalité, celle-ci créée dans les pays qui ont accueilli des immigrants des ex-colonies comme la France, ou de nouveaux arrivants comme le Brésil. Le besoin de ces cinéastes est surtout de soutenir une image, rare autrefois, qui prend une ampleur plus vaste et profonde dans les scénarios habitués aux clichés et aux images conventionnelles sur l’Autre, sur l’étranger, sur la culture, sur les villes et sur les nouvelles pratiques sociales des immigrants.
Ces cinéastes sont loin de répéter les images de la marginalité ou de la violence habituelles liées aux immigrants de la classe populaire ou de montrer l’étranger comme exotique. Des aspects historiques, politiques et sociaux influencent d’une manière directe et décisive la construction du récit et de l’image cinématographique. Ils reviennent sur le sujet de la langue, de la classe sociale, du travail, et de leur insertion dans la société. Ce n’est pas la révolte envers l’autre qu’on voit dans ce cinéma émergent ; la violence cède la place à la comédie de mœurs ou alors au voyage initiatique, à la découverte des racines, à la quête d’une identité. Ce cinéma montre des gens qui se croyaient enracinés et intégrés en France mais qui se découvrent autrement lorsqu’ils se rapprochent de leur culture d’origine ; c’est le cas de Exils de Tony Gatlif, Ten’ja de Hassan Legzouli, Le Grand voyage d’Ismaël Ferroukhi ou alors de Caché de Michael Haneke. Cette différence (culturelle et sociale) est niée par la société d’accueil et va déclencher une demande de reconnaissance et d’apprivoisement envers les immigrés. Ces films sont-ils des exceptions dans le panorama du cinéma français ou représentent-ils véritablement le surgissement d’un nouveau genre ou d’un nouveau mouvement cinématographique en France ? Certes, le cinéma devient ainsi un médium porteur de signification pour cette communauté et un moyen privilégié de communication.
C’est surtout par un regard intégrationniste, du transfert, d’adaptation et d’acceptation de l’« Autre » (sa culture, sa langue) qu’ils montrent qu’ils font partie de la société et du cinéma français contemporain. Ainsi, ils revendiquent une place et un règlement de comptes : la société ne doit plus être la même, tout comme les images qu’elle produit. Ce pont entre ces réalités distinctes (l’immigrant et la terre d’accueil) construit un nouveau regard et un nouvel imaginaire sur l’écran. Dans quelle mesure ces réalisateurs veulent-ils documenter, mythifier ou fantasmer la réalité-situation des « immigrants » ?
La banlieue parisienne devient un lieu privilégié pour mettre en valeur cette nouvelle image. Habitée par une population métissée de toutes couleurs et ethnies, à l’écart et en même temps à l’intérieur de la ville, elle est surtout dépeinte et représentée par des images de ravages et de brutalité, d’inégalités et d’illégalités – c’est réputé pour être le lieu méconnu et aventurier, c’est le parfait proche lointain. Les images télévisées de quartiers pauvres de la banlieue parisienne clairsemée de HLM ont fait le tour du monde récemment, montrant des scènes manifestes de violence de la part de la population vivant dans la banlieue envers la société et le gouvernement français. Comme jamais auparavant ces images ont été diffusées, commentées et ont fait l’objet de débats et de consternation. Ainsi, par souci de cohérence avec ces images, les films qui représentent la banlieue répètent sur leurs plans des images violentes. On voit par exemple dans le fameux film La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz cette révolte de la banlieue envers la ville.
L’Esquive et le devenir révolutionnaire
Un cinéma qui peint la banlieue différemment a aussi fait la une récemment en France. L’Esquive de Abdellatif Kechiche a pris le public français par surprise en remportant plusieurs César de l’Académie Française du Cinéma, représentée par la classe artistique. L’Esquive fait partie du cinéma émergent et apporte un regard nouveau sur la banlieue puisque la violence y est absente. Ainsi, le film s’esquive sur le sujet social en montrant le quotidien de la banlieue au travers de jeux amoureux entre adolescents, laissant les enjeux sociaux ou culturels en suspension. Malgré cela, ces questions sont au cœur de la trame et ils ne sont jamais oubliés ou laissés de côté.
Ce film est issu de la banlieue parisienne (tant le réalisateur que la majorité des acteurs) et donne aux immigrants et à leur langage une nouvelle performance sur l’écran – avec des préoccupations interclasses sociales, interculturelles, l’insertion de cette nouvelle société-réalité dans la société française –, tout en essayant d’échapper au cliché : « On a fait une telle stigmatisation des quartiers populaires de banlieue qu’il est devenu quasiment révolutionnaire d’y situer une action quelconque sans qu’il y ait de tournantes, de drogue, de filles voilées ou de mariages forcés. Moi, j’avais envie de parler d’amour et de théâtre, pour changer », explique le réalisateur Kechiche.
Le réalisateur brésilien Glauber Rocha a aussi déjà investi ses personnages, dans les années 60, d’une nouvelle fonction : le devenir révolutionnaire. Rocha considère que la violence est le moyen idéal pour alerter le monde au sujet de l’existence d’une culture sous-développée, comme c’est le cas pour la culture brésilienne. Celle-ci est le résultat d’une politique colonisatrice, mais qui peut déclencher le mouvement de son indépendance et de sa nouveauté: « notre originalité c’est notre faim » (Rocha, 1965). La violence du colonisateur envers le colonisé est maintenant renversée. La culture brésilienne va naître après ce mouvement. Elle va surgir de la violence révolutionnaire.
D’après Rocha, cinéaste emblématique du Cinema Novo, l’auteur est responsable de sa vérité : son esthétique est une éthique et sa mise en scène est une politique. Les mots de Rocha témoignent du fort engagement social des cinéastes. Selon Paulo Emilio Salles Gomes, un des critiques majeurs de l’époque, la signification du Cinema Novo pour le cinéma brésilien est très importante: « Il reflète et crée une image visuelle et sonore, rendue cohérente pour la majorité absolue du peuple brésilien » (Salles Gomes, 1986, p.98).
Le Cinema Novo rompt avec l’esthétique du cinéma narratif classique des années 50. Il opte pour une nouvelle conception esthétique, selon un processus que les artisans appellent eux-mêmes la « décolonisation de l’image et du contenu » des films: caméra à la main, photographie contrastée, montage discontinu, musique interprétative, son direct, improvisation et dialogues libres. Largement influencé par le mouvement du cinéma d’auteur de la Nouvelle Vague, selon le cinéaste Caca Diegues , le projet du Cinema Novo est très simple. On peut le résumer en trois visées: transformer le cinéma brésilien, transformer le cinéma proprement dit et transformer le monde.
Le décalage historique et artistique entre le cinéma de Rocha et le cinéma émergent de Kechiche est énorme. Si l’un croyait fortement au pouvoir du médium l’autre dévoile, à travers ses choix artistiques modestes, sa méfiance vers le pouvoir de mobilisation des médias-artistiques. Cela nous montre aussi comment notre société en si peu de temps a tant changé, comme ses idéaux artistiques. Ce qui chez Kechiche est dégagé par une presque complète absence de la violence, chez Rocha en contrepartie est exposé par l’excès. Gilles Deleuze (1985) affirme que dans l’œuvre de Rocha, les mythes du peuple, le prophétisme et le banditisme, sont l’envers archaïque de la violence capitaliste, comme si le peuple retournait contre lui-même la violence qu’il subit d’autre part. La force critique du Cinema Novo permet de dégager sous le mythe un vécu actuel : l’intolérable, l’invivable, l’impossibilité de vivre maintenant dans cette société.
Pourtant, si L’Esquive ne montre pas la violence tellement « attendue » de la banlieue, elle n’y échappe pourtant pas en laissant la place à la parole. Le film est rempli de dialogues tranchants, mordants, blessants, vengeurs. Les personnages « s’engueulent » sans cesse, comme on dit en bon français, peu importe le sujet des conversations ou les liens (hiérarchique ou amoureux, d’amitié ou de parenté) entre les personnages. « Je voulais démystifier cette agressivité verbale, et la faire apparaître dans sa dimension véritable de code de communication. Une sorte d’agressivité de façade qui cache bien souvent de la pudeur, et même parfois une véritable fragilité, plus qu’une violence à proprement parler », dit Kechiche.
La parole est aussi subversive, insistant sur les multiples « accents » qui peuplent les recoins de la banlieue comme l’arabe et l’espagnol et qui vont « saturer » la langue française. Le résultat de ce mélange linguistique va devenir jusqu’à un certain point inatteignable pour la majorité des Français. Un argot début de siècle destiné à ne se faire comprendre que des gens auxquels il est adressé. Preuve d’une simple rencontre des langues, elle manifeste aussi une impossibilité et un refus de parler la langue des maîtres, très présente dans les répétitions du texte classique de la littérature française ou dans les discours explicatifs du professeur.
Les faux-semblants du langage
Dans le film, le professeur joue un rôle important pour faire comprendre les enjeux sociaux qui gravitent autour des personnages de la pièce de théâtre, et par là même autour des lycéens. La pièce de Marivaux Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) que les jeunes lycéens répètent pour la présenter à la fête de l’école, raconte l’histoire d’un travestissement social entre maîtres et serviteurs. Marivaux renverse le jeu et souligne les préjugés entre les classes sociales distinctes. Dans la pièce, le langage est un masque derrière lequel se cachent les personnages mais qui peut aussi les dénoncer. « Il y avait plus d’audace dans sa démarche [Marivaux] que dans ce qui se fait aujourd’hui dans la représentation des minorités » explique Kechiche. La trame montre des aventures psychologiques à la fois complexes et naïves tout comme l’histoire des lycéens banlieusards. Krimo veut être un des personnages de la pièce pour conquérir le cœur de Lydia, lui faisant croire qu’il s’intéresse au théâtre, à l’art.
Une œuvre théâtrale sur le travestissement et les faux-semblants de la société bourgeoise française passe à un film qui traite sur la banlieue, en raison de son rapprochement avec les minorités, car le film leur prête également une vie intime, une intériorité et des sentiments nuancés. Krimo n’arrive pas à exprimer ses sentiments à la belle Lydia alors que celle-ci reste dans le doute d’accepter ses avances. La pièce leur sert de moyen de séduction et de rapprochement – une parole-manquante – envers Lydia dans le cas de Krimo ou envers ses amis dans le cas de Lydia.
Kechiche filme les allers-retours de deux langues (l’érudit de la pièce et le banlieusard) entre deux mondes qui se côtoient et que tout sépare. La ligne de séparation est d’autant plus mince qu’on y puisse croire, justement par l’énorme différence de langage – les faux-semblants – présents des deux côtés. L’argot parlé par les jeunes se révèle comme une espèce de travestissement de la langue française, ainsi que dans le langage soutenu de la cour du XVIIIe siècle. Les mots et expressions fiévreuses parfois hurlés par les jeunes sont menés par une urgence du dialogue et de la communication mais celle-ci fait défaut au moment de la séduction du jeu amoureux. L’Esquive souligne les particularités des personnages à travers les différents niveaux de langage (du théâtre à l’école jusqu’à la cité). La rencontre entre ces réalités distinctes construit un nouveau regard qui est de plus en plus présent dans le cinéma émergent et qui revoit des paroles, des images et des scénarios clichés pour ensuite renvoyer au public une autre approche. La tâche d’en faire la synthèse est laissée au public (celui-ci redoublé dans sa puissance maximale du théâtre au film) : la pièce est répétée et discutée autant dans la cité que dans l’école, et présentée à la communauté dans la séquence finale du film.
Tout cela est rehaussé dans le film par son image digitale avec peu de profondeur de champ et souvent en mouvement trépidant d’une caméra à l’épaule. Ce rapprochement à une véracité du récit se doit aussi à la performance des acteurs issus en majorité de la banlieue et sans expérience professionnelle. Ainsi, le film donne à leur langage une nouvelle performance – hésitante et pourtant crédible. On ne performe pas devant une caméra en faisant semblant que le tout est donné, parfait et compréhensible. On se donne des ambiguïtés, de fausses impressions, des bégaiements ; des imprécisions de continuité et de dialogues ; des coupes inattendues et des images imparfaites qui basculent et qui dénoncent un regard du dehors – hors-cadre. On invente un peuple, comme dirait Deleuze.
La crise de l’adaptation et des images clichées
« Le peuple c’est ce qui manque » argumente le philosophe (Deleuze, 1985, p. 283) à propos du Cinema Novo de Rocha ou du cinéma documentaire québécois de Pierre Perrault. Selon Deleuze, l’œuvre de Perrault exalte la fabulation qui caractérise la parole vivante, qui en assure la liberté et la circulation, qui lui donne une valeur d’énoncé collectif, pour l’opposer aux mythes du colonisateur. Le constat d’un peuple qui manque c’est de « non pas s’adresser à un peuple supposé, déjà là, mais contribuer à l’invention du peuple » (ibd). Ce peuple se crée à partir d’un besoin du cinéma quand il sent justement l’impuissance de la représentation de donner la possibilité d’un devenir. Chez Glauber c’est de mettre à sa puissance maximale d’expression le mythe du cangaceiro « le justicier populaire », même celui du prophète, par la violence ; chez Kechiche c’est par le langage dans une quête du mythe républicain d’une société Égale-Fraternelle-Libre dont l’immigrant a aussi une place. La parole leur manque quand c’est le moment d’exprimer leur désir le plus intime, ou quand il faut faire semblant (représentation), quand il faut se travestir (langue soutenue) ; l’impuissance de jouer le jeu des maîtres, l’impuissance de soutenir la parole de l’autre, ainsi que de ne pas le faire ou de le faire autrement. Cela n’est pas comme une revendication mais comme une absence.
Par contre, en renversant les rôles de maître-serviteur, la pièce permet aux pauvres de prendre le devant de la scène et de mettre l’accent sur leurs sentiments et d’y habiter cet espace autrement. L’espace urbain est un sujet récurrent au cinéma, surtout au cinéma émergent, car cet espace est à conquérir, à maîtriser, à représenter, à apprivoiser en images. Le cinéma appartient à la ville disait le critique Serge Daney : « D’un côté, la ville s’efface devant le « paysage urbain », tissu banlieusard de mégalopoles avec leurs périphéries ; de l’autre le cinéma s’estompe devant le « paysage audiovisuel », univers déritualisé de la communication obligatoire et du simultané. Il y a eu – il y a encore – un monde d’« avant » le cinéma comme il y aura – il y a déjà – un monde d’« après » le cinéma. » (1987, p. 121). La tâche est énorme, comment peut-on aller au-délà du cliché, de la représentation. Kechiche s’est engagé dans un processus de (dé)marginalisation par la comédie de mœurs et le drame adolescent.
Krimo, le personnage, emprunte les mots de Marivaux pour s’exprimer ; jusqu’où Kechiche, le réalisateur, emprunte une cinématographie dite classique ou érudite française pour exprimer son cinéma ? Le cinéma émergent représente un « manque » ou un dérangement quelconque dans le cinéma contemporain ? Quel manque montre le cinéma émergent en France ? La tendance du cinéma émergent est d’être de plus en plus souligné par un nouveau regard et des images clichées qui ont tellement hanté les immigrants et leur reflet sur l’écran. Le cinéma émergent provient de nouvelles pratiques (comme l’utilisation de non-acteurs, d’un bas budget), de nouvelles approches médiatiques (comme la caméra à l’épaule, l’esthétique documentaire, le digital) et une urgence d’un moment historique (quel qu’il le soit).
L’interculturel – genre émergent et urgent du cinéma contemporain – est une transgression des genres et des codes autant qu’une traversée entre des cultures et des pratiques sociales. Ses réalisateurs immigrants deviennent des sujets, des producteurs de sens et des histoires à raconter. Ils portent une sensibilité, un regard frais et un point de vue inattendu propres à ceux touchés par la problématique du déplacement et de la marginalité. Le terrain médiatique devient pour eux et leurs communautés un processus d’appropriation et d’appartenance. Ainsi, la violence de la banlieue peut facilement céder la place à la comédie de mœurs ou alors au voyage initiatique, à la découverte des racines, à l’ajustement des comptes avec le passé du pays natal ou à la quête d’une identité comme dans Exils de Tony Gatlif, Le Grand voyage d’Ismaël Ferroukhi, Ten’ja d’Hassan Legzouli ou alors dans Caché de Michael Haneke.
Jusqu’où peut-on affirmer que cette nouvelle « banlieue » cinématographique déclenche une nouvelle pensée « d’adaptation » dans les discours médiatiques ? On ne voit pas la croissance d’un nouveau cinéma national à l’intérieur du cinéma français mais un regard hybride et surtout Autre, issu des sociétés de plus en plus métissées et entourées par la problématique de l’immigration dont les films qui, en portant des couleurs, des visages et des accents différents, redessinent une nouvelle géographie médiatique humaine et surtout questionne la notion de national.
Témoignage recueilli dans le documentaire Que Viva Glauber! de Aurélio Michiles, TV Cultura (1991).
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L’ESQUIVE. France, 2003, 113 min. Réalisation et Scénario : Abdellatif Kechiche. Scénario : Ghalia Lacroix. Production : Franck Cabot-david, Jacques Ouaniche et Charles Traris. Montage : Antonella Bevenja Ghalia Lacroix. Image: Lubomir Backchev. Interprètes: Osman Elkharraz, Sara Forestier, Sabrina Ouazani.
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Auteur
Hudson Moura
.: Simon Fraser University – Canada