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L’espace médiatique européen et les puissances publiques : une lecture compétitive

19 Jan, 2007

Résumé

L’Union européenne connaît de nombreuses contraintes au déploiement de sa politique de communication, surtout en matière de médiatisation de masse (télévisions hertziennes). Ce déficit médiatique peut s’expliquer, dans le cadre d’une lecture compétitive, par l’inégalité des ressources de la puissance publique communautaire par rapport aux puissances publiques étatiques (les Etats membres de l’UE en particulier). Des variables endogènes (culturelles, organisationelles et financières) et exogènes (inadéquation avec les standards de la médiatisation de masse) entravent la marche de la puissance publique communautaire vers la médiatisation de masse qui reste largement inféodée aux territoires nationaux et donc aux puissances publiques étatiques.

Em português

Resumo

A União Europeia conhece numerosos constrangimentos à despregadura da sua política de comunicação, sobretudo em matéria médiatisation de massa (televisões hertzianas). Este défice mediático pode explicar-se, no âmbito de uma leitura competitiva, pela desigualdade dos recursos da potência pública comunitária em relação às potências públicas estatais (os Estados-Membros da UE em especial). Variáveis endógenos (culturais, organisationelles e financeiros) e exógenas (insuficiência com os padrões médiatisation de massa) obstruem o degrau da potência pública comunitária para médiatisation de massa que continua a ser largamente inféodée aos territórios nacionais e por conseguinte as potências públicas estatais.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Carrara Stéphane, «L’espace médiatique européen et les puissances publiques : une lecture compétitive», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/11-lespace-mediatique-europeen-et-les-puissances-publiques-une-lecture-competitive

Introduction

Les médias de masse, télévision hertzienne en tête, constituent des lieux d’expression, publicité ou promotion, prisés par les puissances publiques et les personnels politiques. Communication publique et marketing politique, entre autres, constituent des éléments de la représentation politique dans les « démocraties médiatiques » (Monière, 1999). Pour dire les choses plus simplement, la légitimité politique, dans les démocraties modernes, n’est plus seulement élective mais aussi « cathodique » (Cotteret, 2002). Les médias télévisuels jouent en effet un rôle primordial dans les démocraties modernes : « non seulement les professionnels de la politique accordent une attention soutenue à la préparation de leurs stratégies médiatiques, mais encore les gouvernés acquièrent l’essentiel de leur information grâce aux médias, celle de l’audiovisuel étant considérée comme plus crédible » (Gerstlé, 2004, p.43). On retrouve ici en quelques sortes l’idée d’une relation déterminante entre les différents éléments du « triangle infernal » décrit par Wolton. Cette relation, comme l’histoire des médias en général et plus particulièrement ici, des chaînes de télévision, s’inscrit la plupart du temps dans un territoire stato-national, parfois dans un territoire régional mais très rarement dans un territoire supranational comme l’Union européenne (UE). Du point de vue de la puissance publique, ou plutôt des puissances publiques, correspondant à ces différents niveaux (infra-étatique, étatique, supra-étatique), les espaces médiatiques sont des lieux à investir pour informer mais aussi convaincre les citoyens. Mais ces puissances publiques sont-elles égales dans cette quête médiatique ? Quelles ressources profitent aux unes et font défaut aux autres ? Le focus sera mis sur une comparaison entre les puissances publiques stato-nationales et européenne. On s’attachera, dans ce travail, à rendre compte des inégalités de ressources (endogènes et exogènes) entre la puissance publique européenne par rapport à des niveaux de puissance publique supposés inférieurs c’est à dire les Etats-Membres (EM). Si l’hypothèse d’une complémentarité de ces différents niveaux peut se concevoir a priori, on veut ici, au contraire, insister sur la concurrence qu’ils se livrent, indirectement plus que directement, en vue de ce qu’on appellera la « visibilité médiatique de masse ». Cette dernière désigne la part de l’information, contenue dans les journaux télévisés et émissions politiques et qui est consacrée aux puissances publiques. Notre corpus se nourrit des études émergentes sur la politique d’information menée par les instances européennes, notamment la Commission européenne (CE) comme des études sur l’information européenne ou la « médiatisation de l’Europe ». Il est complété par des données (entretiens, etc.) collectées dans le cadre d’une thèse de doctorat en science politique. Notre posture théorique part de l’idée selon laquelle l’information politique joue un rôle important dans le processus de légitimation des instances et personnels politico-publiques qui ont donc intérêt à « utiliser » ces médias ou « passer au JT (Journal Télévisé) » pour le dire plus trivialement. Quelques chiffres montrent d’ailleurs le règne de l’information télévisuelle en Europe : les informations télévisées sont regardées quotidiennement par 70% des européens et plusieurs fois par semaine par 90%. Pour 62% des européens, la télévision, par ailleurs estimée plus fiable que la presse, est le lieu privilégié où ils recherchent l’information sur l’Europe (Garcia et Le Torrec, p. 110). Dans ce travail on part de l’hypothèse que cette demande d’information européenne n’est pas satisfaite. Pour l’expliquer, on veut montrer que l’Europe manque des ressources nécessaires pour accéder à la « visibilité médiatique de masse » notamment en comparaison des EM. Nous passerons donc en revue les principales résistances, endogènes puis exogènes, à la « visibilité médiatique de masse » de la puissance publique européenne en les comparant brièvement avec les ressources déployées par ses « concurrents » : les puissances publiques étatiques. Enfin, nous verrons que l’Europe tente d’apporter des réponses à sa marginalisation médiatique en investissant des nouveaux espaces.

Niveau étatique vs niveau supra-étatique : des ressources inégales (variables endogènes)

Dans cette partie, revenons sur les variables endogènes qui constituent des ressources fondamentales pour toute puissance publique communicante en vue de la « visibilité médiatique de masse », c’est-à-dire particulièrement l’identité nationale et la cadre culturel, les ressources humaines et financières dédiées à l’information.

La question de l’identité et de la culture

Contrairement à ses EM dont les contours géographiques et l’identité sont les fruits d’histoires stato-nationales plus ou moins anciennes mais en tout cas reconnues et légitimes, l’UE reste une entité en devenir, dont les frontières sont repoussées au gré des élargissements et le spectre de compétence agrandi à chaque nouveau Traité. L’identité européenne reste par conséquent mal définie et mal fixée tant dans l’esprit des européens que dans celui des personnels politico-administratifs des Institutions européennes. Il existe certes une base identitaire européenne constituée entre autres de valeurs politiques (paix, démocratie) et économiques (économie de marché) ou encore d’un « acquis communautaire » mais la persistance des identités nationales entrave l’émergence d’une identité commune suffisamment forte pour offrir le terreau culturel sur lequel la communication politique médiatisée s’appuie traditionnellement. L’inégalité paraît donc ici flagrante entre, d’une part des puissances publiques étatiques bénéficiant des conditions d’une rhétorique symbolique efficace (le terreau culturel résultant de la socialisation politique des citoyens nationaux) et d’autre part, un niveau supra-étatique empêtré dans un « euro-jargon » technocratique qui l’éloigne des probabilités de sa médiatisation. Quelles sont les conséquences de ce déficit d’identité et de culture commune au niveau des fonctionnaires et personnels politiques de niveau supra-étatique ? Une des conséquences les plus préjudiciables semble résider dans l’improbabilité d’une culture de communication commune au niveau communautaire. Les hauts fonctionnaires et plus particulièrement les Commissaires européens et les membres de leur cabinet sont en effet souvent issus des hautes administrations nationales et ont généralement eu des fonctions ministérielles (pour les commissaires) avant leur destinée communautaire. Ils sont dès lors largement imprégnés de cultures de communication, gouvernementales par exemple, qui sont autant de résistance à l’émergence d’un modèle européen de communication. Au niveau communautaire, la simple question linguistique par exemple, n’est pas résolue. Certaines puissances publiques étatiques européennes (Belgique, Luxembourg, etc.) présentent certes également des situations différentes du monolinguisme. Mais l’Europe, avec plus de 20 langues officielles contrarie les règles classiques de la médiatisation. La puissance publique supra-étatique rencontre alors des difficultés évidentes voire des impossibilités à communiquer avec les sphères médiatiques nationales qui ne partagent pas les mêmes codes linguistiques que ceux qui dominent au niveau européen : Anglais, Français et Allemand. En réponse à ces contraintes, les institutions européennes et particulièrement la CE disposent de services de porte-parole polyglottes. Cette solution présente toutefois des résultats toujours insatisfaisants en matière d’incarnation du niveau supra-étatique par son personnel politico-administratif et l’UE s’enfonce dans l’image d’une administration complexe, sans visage, qui contraste avec les réalités stato-nationales dont l’unité linguistique permet, comme c’est le cas en France, d’avoir un seul et même porte-parole du gouvernement qui devient dès lors un repère clair favorisant les échanges avec la sphère médiatique et la compréhension du grand public.

La question des ressources humaines et financières

Il est généralement admis que les ressources humaines et financières mis en œuvre par les Institutions européennes sont largement insuffisantes en comparaison de celles mobilisées par un EM (Dacheux, 2004). Il faut rappeler, en premier lieu, que la compétence de l’Europe en terme de communication n’est pas directe ; elle reste largement soumise au principe de subsidiarité. Ainsi, les services de communication communautaires se sont-ils développés à la marge, refusant d’empiéter sur les compétences des Etats-Membres. En terme de ressources humaines et financières, l’Europe est bien incapable de se substituer aux puissances publiques étatiques note Eric Dacheux qui rappelle qu’en 1998, avant sa disparition (au profit de la DG Presse et Information puis DG Communication), la DG X en charge de la politique d’information et de communication de la CE estimait à 377 le nombre de personnes travaillant dans ce domaine en son sein. L’auteur note par ailleurs le manque de professionnalisation de ces fonctionnaires recrutés par la voie classique. Le problème budgétaire n’est pas nouveau. Dans un rapport de 1972 (7 février 1972 doc 246/71), l’eurodéputé néerlandais, W. Schuijt, se livrait à une comparaison chiffrée relevant que la Communauté ne consacrait alors que 0,013 uc par habitant à l’information contre 0,93 uc en Allemagne ou encore 1,80 pour les Pays Bas et 1,30 pour la GB. Les ressources humaines et financières européennes doivent de plus s’adapter à des contextes culturels mouvants au fur et à mesure des élargissements et de l’approfondissement de l’intégration communautaire. Des réorganisations multiples touchent donc les services de communication des Institutions européennes dans un contexte inter-institutionnel tendu entre la CE et le Parlement européen par exemple qui se livrent une bataille de compétence depuis le milieu des années 1950 (rapport Carboni – Assemblée Commune, document n°10 année 1956-57). La communication reste donc un parent pauvre des politiques européennes (moins de 200 millions d’euros par an selon Dacheux). Là encore, la puissance publique supra-étatique dispose de ressources inférieures en proportion à celles mises en œuvre par les puissances publiques nationales. Nous venons donc de voir que les différents niveaux de puissances publiques que nous étudions sont dotées de ressources endogènes très inégales. Le niveau étatique bénéficie d’une stabilité culturelle et identitaire ainsi que de véritables cultures de communication intégrant la variable médiatique de masse. Autant de ressources qui font défaut au niveau supra-étatique. Voyons à présent ce que les deux niveaux de puissance publique peuvent attendre des ressources exogènes et si elles sont plus favorables au niveau supra-étatique que les variables endogènes.

Niveau étatique vs niveau supra-étatique : des traitements médiatiques partiaux (variables exogènes)

Les efforts entrepris ou ressources mobilisées par l’Europe en vue de sa médiatisation restent structurellement insuffisants. Mais l’émetteur et ses messages ne sont pas seuls en cause. Nous porterons donc ci-après notre attention sur le traitement médiatique appliqué à l’Europe et montrerons qu’il s’inscrit notamment dans une croyance forte de la sphère journalistique selon laquelle l’Europe ne fait pas vendre.

Les informations télévisées contre l’Europe ?

Les médias de masse réservent généralement à l’Europe la portion congrue tant quantitativement que qualitativement. Des études quantitatives ont en effet montré la sous-représentation de l’Europe dans les journaux télévisés par rapport à la puissance publique étatique. Garcia et Le Torrec (2003) ont étudié la part d’information européenne dans les journaux télévisés de 5 pays membres de l’Union européenne : Allemagne, France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni (études pendant 6 semaines des principaux JT du soir en 1999) . En voici quelques résultats : Selon les auteurs, le pourcentage moyen de la durée d’information consacrée à l’Europe est de 7,5, une forte différence existant entre l’Allemagne, première dans ce classement et les Pays-Bas.

 

Fr.

All.

It.

RU

PB

UE5

% de la durée de l’information générale

10,1

10,6

6,9

7,4

2,4

7,5

(Garcia et Le Torrec, p. 119) La première observation est donc la faiblesse de la proportion de l’information européenne par rapport à l’information générale. L’étude compare les pays entre eux sans plus de précision sur les pourcentages d’information nationale. On peut toutefois estimer que celle ci est bien supérieure à 7,5%. Le second enseignement de cette étude réside dans les appropriations nationales des affaires européennes. Ainsi l’information européenne a-t-elle plus de chances d’être l’objet d’information télévisée si elle correspond à l’agenda public national ? Par ailleurs, alors que l’actualité européenne fait l’objet d’un traitement journalistique inspiré par la recherche de l’événement, l’actualité nationale bénéficie d’un suivi plus routinier. Même sur des sujets concernant L’Europe, cette dernière bénéficie d’une moindre visibilité que la puissance publique étatique : en moyenne (UE5) 52% des acteurs choisis pour illustrer les sujets européens sont nationaux contre seulement 6% d’acteurs européens. La présentation qualitative de l’Europe n’est pas non plus à la hauteur de celle des puissances publiques nationales puisque la première est rarement présentée comme un système de gouvernance autonome mais bien plutôt comme un espace de conflits entre des EM. Ceci explique également le (relatif) succès médiatique des conseils européens qui semble respecter ce schéma plus que les autres institutions européennes. Cette couverture restreinte de l’actualité communautaire par rapport à l’actualité nationale s’explique notamment par une croyance fortement ancrée dans la sphère médiatique, selon laquelle l’Europe ne fait pas vendre. Elle résulte aussi en partie du cadre réglementaire de l’information télévisée, qui lie assez directement les puissances publiques étatiques à « leurs » médias de masse. Comme le rappelle Moniére, la télévision publique dépend en effet juridiquement et financièrement du pouvoir politique. Cette sujétion a pu amener à des interventions assez directes de la puissance publique dans la production des nouvelles. Ainsi, selon Denise Bombardier, la télévision française, dans les années 1970, était au service de l’Etat et du parti gouvernemental en particulier. Par la suite, l’arrivée d’acteurs privés a permis une certaine autonomisation de le sphère médiatique. Toutefois, à la différence de la presse écrite, les médias télévisuels restent soumis au contrôle d’organismes publics créés et financés par l’Etat. En France, ce n’est qu’en 1982 qu’une Haute Autorité de la communication audiovisuelle est créée avec la mission de veiller au respect du pluralisme dans l’expression des divers courants d’opinion. L’attitude interventionniste du gouvernement se poursuit toutefois jusque 1986 date de création de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) qui remplace la Haute Autorité avant d’être remplacée à son tour, en 1988, par le Conseil supérieur de l’Audiovisuel avec de nouvelles modalités de désignation des membres de l’instance. C’est dire combien la puissance publique étatique s’accroche à la maîtrise de l’information télévisée. Quant au niveau supra-étatique, il reste largement exclu des règles régissant cette information. Ainsi le CSA n’a t’il à ce jour, jamais édicté de règles concrètes en faveur de l’information télévisée sur l’Europe. Tout au plus intervient-il en périodes d’élection au Parlement européen.

L’Europe invendable ?

L’actualité communautaire est présumée invendable et donc relégué en fin de journal télévisé sauf cas exceptionnel. L’Europe ne rentre pas dans les cadres de la conception dominante de l’information : « Si l’Union Européenne pose problème à de nombreuses rédactions, c’est bien parce qu’elle ne rencontre pas leur logique de production de l’information » (Baisnée 2003, p. 46). L’information communautaire ne convient pas aux standards journalistiques de l’information télévisée qui a subi ces dernières années des bouleversements importants à la faveur d’un positionnement plus économique. Par ailleurs, l’Europe n’est pas parvenue à créer une catégorie propre mais relève le plus souvent de l' »actualité étrangère ». Le tableau général est donc celui d’une actualité communautaire qui coûte cher à produire (bureau et correspondant à Bruxelles) alors qu’elle a peu de chance de retenir l’attention des décideurs qui in fine détermineront le contenu du Journal télévisé. Des journalistes en poste à Bruxelles insistent sur la difficulté de « placer » les sujets d’actualité communautaire. Quand bien même ils ont été commandés lors de la réunion éditoriale, ils sont susceptibles de « sauter » à tout moment , au profit d’une actualité nationale plus « chaude ». La production de sujets sur l’actualité communautaire ne garantit donc pas leur sélection finale pour le journal télévisés, les responsables éditoriaux (en France notamment) étant très peu « enthousiastes » face à l’Union européenne. L’exemple de l’émission d’information politique européenne française « FrancEuropExpress » en est une autre illustration. Sa présentatrice explique en effet que l’idée d’une émission européenne n’a pas été facilement acceptée par les autorités de la chaîne. Le compromis final l’oblige donc à inviter la plupart du temps des personnalités politiques nationales. (entretien, 2001). L’Europe peine donc à se frayer un chemin vers l’information télévisée nationale. La structuration dominante des médias impose des modes de traitements de l’actualité pour lesquelles elle est bien moins préparée/adaptée que les puissances publiques nationales. Dans ces conditions, le niveau supra-étatique est aculé à la recherche d’espaces médiatiques alternatifs.

L’Europe médiatique : d’Euronews à Internet

La puissance publique européenne dispose, comme on l’a vu, de peu de « visibilité médiatique de masse » en comparaison du niveau étatique. L’Europe ne semble pourtant pas résignée à ce sort et tente d’améliorer cette visibilité. La chaîne d’information européenne Euronews en est une illustration. Parallèlement, l’Europe investit de nouveaux médias comme l’Internet.

Euronews : une expérience de chaîne (pan-)européenne originale et marginale

Lancée le 1er janvier 1993, la chaîne d’information en continu répond aux principes énoncés par la Commission dans un Livre vert de 1984 : « L’information est un facteur décisif, peut-être le plus décisif, de l’unification européenne… L’unification européenne sera seulement achevée si les Européens le veulent. Les Européens ne le voudront que s’il y a quelque chose comme une identité européenne. Une identité européenne ne se développera que si les Européens sont informés de manière adéquate. Jusqu’à présent l’information passant par les médias de masse est contrôlée au niveau national ». D’abord subventionnée, Euronews doit ensuite, dans le cadre d’un contrat d’information, permettre à l’Union européenne d’utiliser la chaîne comme un instrument de sa politique d’information. Originale par sa recherche du « point de vue européen », Euronews n’en souffre pas moins de difficultés similaires à celles rencontrées par les chaînes nationales ; ses journalistes font face à une Europe trop conventionnelle et donc « pas sexy », trop institutionnelle ou bruxello-bruxelloise (Baisnée, 2004). En terme d’audience et de public Euronews reste par ailleurs marginale s’adressant à un public ciblé : « une audience intelligente d’un haut niveau socio-culturel » selon les termes d’un dépliant du service Communication, diffusé en 2000 (Baisnée, p. 37).

L’Internet : nouvelle ressource pour l’information européenne

A défaut d’être présente dans les médias de masse traditionnels, l’Europe investit particulièrement un média d’avenir : Internet. Depuis le début des années 1990, chaque Institution a son propre site (Europa pour la CE, Europarl pour le PE) ; des portails interinstitutionnels consacrés à des politiques particulières sont aussi développés.

Des cyber-médias européens fleurissent également dans le paysage médiatique, sur un mode assez similaire à celui d’Euronews (multilinguisme, point de vue européen) : cafebabel.com, Euractiv, Newropeans Magazine, pour n’en citer que quelques-uns. Par ailleurs, des « blogs » européens apparaissent à l’initiative de journalistes spécialisés dans les affaires communautaires qui y trouvent les espaces d’expression que leur rédaction ne leur laisse pas forcément (par exemple, « Les coulisses de Bruxelles », blog de Jean Quatremer, journaliste du quotidien français « Libération »). L’Internet et ses développements futurs concentrent donc aujourd’hui les espoirs de la puissance publique supra-étatique en terme de « visibilité médiatique de masse » même si le chemin sera de toute façon encore très long.

Conclusion

En conclusion, il apparaît que les arènes médiatiques peuvent être appréhendées comme des lieux de compétition entre les différents niveaux de puissance publique pour lesquels la puissance publique européenne n’est pas adaptée à ce jour. La compétition à laquelle on fait référence est indirecte plus que directe ; elle réside dans l’acquisition des ressources exogènes et endogènes que nous avons passées en revue et qui favorisent ou contraignent la « visibilité médiatique de masse ». Les structurations culturelle ou juridique mais aussi économique cantonnent aujourd’hui les logiques de l’information télévisée à la mise en scène de la puissance publique nationale, avant toute les autres. Dans cet article, on a voulu montrer que l’Europe est aujourd’hui perdante dans cette compétition. Il y a certes dans l’information télévisée une place pour l’actualité politico-publique mais cette place est aujourd’hui quasi-monopolisée par l’information à dimension nationale ou même locale comme l’illustre par exemple en France ce que Pierre Leroux et Philippe Teillet (2004) appellent une « territorialisation des productions télévisuelles » qui est plus favorable à l’Etat-nation unitaire et s’ouvre finalement plus au local (régional, cf. France 3 ou M6) qu’à l’inter ou supra national.

Références bibliographiques

Cotteret, Jean-Marie (2002), « Gouverner, c’est paraître » Paris : PUF.

Dacheux, Eric (2004), « L’impossible défi. La politique de communication de l’Union européenne », Paris : Editions CNRS (collection CNRS science politique).

Garcia, Guillaume ; Le Torrec, Virginie (dir.) (2003), « L’Union européenne et les médias. Regards croisés sur l’information européenne », L’Harmattan (Cahiers politiques). Voir notamment les articles de Baisnée, Olivier « Une actualité invendable : les rédactions françaises et britanniques face à l’actualité communautaire » p. 43-66 et de Le Torrec et Garcia « Le cadrage médiatique de l’UE : exploration comparée des mécanismes de frame-setting et frame-sharing », p. 109-148.

Gerstlé, Jacques (2004), « La communication politique », Paris : Armand Colin (collection Compact Civis).

Marchetti, Dominique (dir.) (2004), « En quête d’Europe. Médias européens et médiatisations de l’Europe », Presses Universitaires de Rennes (collection Res Publica). Voir notamment l’article de Baisnée, Olivier et Marchetti, Dominique « La production de l’information européenne. Le cas de la chaîne paneuropéenne d’information Euronews », p. 27-52 et l’article de Leroux, Philippe et Teillet, Philippe « L’Europe en creux. Médias nationaux et territoires contre l’Europe ? » p. 263-287.

Monière, Denis (1999), « Démocratie médiatique et représentation politique », Presses de l’Université de Montréal.

Wolton, Dominique (1997), « Penser la communication », Paris : Flammarion.

Auteur

Stéphane Carrara

.: Université Paris 1 – CRPS (Centre de recherches politiques de la Sorbonne)
Université Libre de Bruxelles – IEE (Institut d’études européennes)