La professionnalisation des formations universitaires en communication en France – le rôle de l’État
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Busato Luiz R., «La professionnalisation des formations universitaires en communication en France – le rôle de l’État», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, 2006, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/09-professionnalisation-formations-universitaires-communication-france-role-de-letat
Présentation
Les formations universitaires dans le domaine des sciences, techniques, métiers de l’information et de la communication suscitent le débat à chaque fois qu’elles sont confrontées à la question de leurs finalités professionnelles. Ce qui arrive très souvent puisque les Universités sont appelées à les contrôler de manière plus fréquente et plus exigeante.
Pourquoi ?
Tout d’abord parce que l’Etat les y contraint à travers ses dispositifs légaux, normatifs, réglementaires, anciens et nouveaux. Ainsi, après l’introduction dans les années 80 des Contrats d’Etablissent entre l’Etat et les Universités, celles-ci ont été obligées de s’organiser pour revisiter toutes leurs formations à fond tous les quatre ans. Les Régions ont, elles aussi, augmenté leur intervention sur les universités à travers des contrats régionaux de formation et de recherche ; et, de ce fait, elles exercent à leur tour un pouvoir d’évaluation qui renforce encore la remise en cause récurrente des finalités des formations universitaires. L’Union Européenne est elle aussi entrée en force dans les systèmes universitaires nationaux. La création des programmes d’échanges Erasmus en 1987 a donné une forme plus ambitieuse aux échanges plus souples qui prévalaient jusque-là, puis l’harmonisation des systèmes nationaux au début des années 2000, sous la forme dite de la Licence-Master-Doctorat.
Ensuite, parce que d’autres facteurs moins institutionnels y interviennent. Il en est ainsi de l’évolution accélérée des besoins en emplois, des mutations des métiers, de l’internationalisation des universités… Ou bien de l’extrême sensibilité des formations en SIC aux dynamiques de leurs objets d’étude, de formation et de recherche ; ces dynamiques sont matérialisées par l’évolution ininterrompue et en constante accélération apparente des techniques, par l’engouement du public qui a contribué à en faire un secteur d’investissement attractif, par l’accaparement sans retenue du politique, par le matraquage des constructeurs et commerçants de réseaux, machines, programmes.
Enfin, on peut invoquer les difficultés à faire cohabiter des exigences qui relèvent de niveaux et d’intérêts trop disparates. Il en est ainsi des attentes de l’étudiant par rapport à sa formation. Elles ont toujours été très personnelles, mais aujourd’hui l’Université est contrainte de les individualiser à travers une offre qui concilie l’acquisition d’habilités immédiatement opérantes avec une formation susceptible d’adaptations sans fin à tous les métiers, eux mêmes en constante mutation. La demande enrôle l’Université jusqu’à l’insertion concrète dans le marché des emplois. Sans compter les attentes liées à l’acquisition de savoirs « savants » auxquels aspirent les étudiants.
Tout au long du vingtième siècle, l’Université a reçu de l’Etat des missions ambitieuses, orientées comme aujourd’hui vers l’accomplissement personnel et professionnel de ses étudiants. Ses difficultés actuelles ne proviennent pas d’un déficit de finalités mais d’une surcharge. Avec des nouvelles obligations de résultat en termes de création de richesses, les missions sont devenues des « objets » de programmation, de mesure et de sanction croissantes. L’histoire de l’Université, tout comme celle des formations aux SIC, montre qu’elles ont été capables de faire bien d’autres adaptations ; nous avons vu cependant que la tâche paraît plus complexe aujourd’hui, d’autant que les moyens alloués semblent toucher à des limites indépassables dans le cadre des modèles en vigueur. D’autant que manquent, semble-t-il, les productions intellectuelles pour accompagner ces mutations, l’essentiel des débats prenant rapidement l’allure du polémique et se restreignant à des enjeux technicistes.
L’objectif de cette communication ne va pas très au-delà de ces constats. Notre proposition consiste à observer comment les textes officiels français des dernières décennies posent la question des finalités professionnelles des formations en sciences sociales et humaines. Elle a été préparée dans le cadre du thème du 8ème colloque franco-brésilien des Sciences de la Communication, qui porte justement sur le thème Etat et Communication.
La communication se divise en deux parties. La première vise à présenter le cadre dans lequel nous posons la question du caractère généraliste et professionnel des formations aux Sciences de l’Information et de la Communication, puis la pertinence même de la question, puis un regard préliminaire sur les situations française et brésilienne, enfin quelques indications épistémologiques et méthodologiques pour une éventuelle poursuite de cette étude.
Dans la deuxième partie nous présentons, avec quelques commentaires, les principaux textes légaux français qui prennent en charge la question qui nous occupe ici.
Notre propos général est fondé sur l’hypothèse que les formations en SIC sont tiraillées (comme bien d’autres) entre deux voies apparemment opposées : l’une qui les pousse à développer la formation dite technique professionnelle, destinée à habiliter les étudiants pour les métiers et emplois disponibles immédiatement sur le marché ; l’autre qui les incite à offrir des formations plutôt orientées vers l’acquisition de connaissances et savoirs généraux, accompagnés de compétences analytiques et critiques.
Nous ne prétendons pas développer ici toutes les implications de cette hypothèse, et nous retreindrons à la compléter par le constat que le clivage entre deux orientations est largement infondé et que, néanmoins, la dichotomie engendre des situations critiques pour les acteurs engagés dans ces formations, accompagnées d’une schizophrénie qui consomme une bonne part des énergies du système universitaire.
Formations générales ou formations professionnelles – Quelle pertinence à la question ?
Les situations française et brésilienne
La question de la professionnalisation des formations universitaires a une portée universelle dans la mesure où la matrice fondatrice est partout la même ; elle a le savoir comme objectif, la raison comme guide et comme moyen, l’universalité comme frontière, l’humanité comme destinée.
Mais la matrice ne constitue pas un moule unique et n’engendre pas partout la même Université. On le constate en observant la multitude de formes qu’elle prend selon les pays, cultures et époques.
Pour cette communication nous avons souhaité, avec Zélia Leal Adghirni, de l’Université de Brasilia, lancer une étude comparative de politiques publiques de l’Université brésilienne et française face à la question de la professionnalisation. Elle nous a déjà permis de constater que, malgré les différences qui ont marqué l’histoire de l’Université dans les deux pays et malgré les différences de leurs réalités actuelles, les deux communautés se sentent constamment interpellées les missions de leur Université. Elles sont aussi interpellées immanquablement par la question des finalités des formations ; ces finalités sont, ici et au Brésil, résumés dans des formules simples et même simplistes telles que formation classique, dont le contenu est très majoritairement de caractère culturel, large, général, universel, centré sur les savoir-penser la communication, et la formation professionnelle ou professionnalisante, centrée sur des savoir-faire techniques orientés vers le marché et les métiers.
Nous avons également constaté que les deux pays convergent beaucoup en ce qui concerne les politiques publiques de formation et divergent plutôt dans les manières de « servir » l’Université aux étudiants et à la société. La convergence peut être illustrée par les méthodes, assez semblables, d’habilitation des formations : sur la forme, leurs protocoles sont semblables, sur le fond leurs principes prescrivent des missions tout à fait comparables et également ambitieuses de formation culturelle savante et d’acquisitions professionnelles en cohérence avec les besoins de la société économique.
Les divergences apparaissent plutôt dans les pratiques de formation. Au Brésil elles sont très ouvertes sur le monde socio-économique et professionnel, les étudiants vivent une forme d’osmose avec le monde du travail, les enseignants-chercheurs ont des pratiques quasi systématiques d’engagement dans le débat social, d’interpénétration avec les milieux socioprofessionnels, le monde de l’industrie et la société civile ; la communauté française semble plus en retrait sur ce point. Les pratiques brésiliennes semblent ne pas inhiber les débats de fond sur les rôles et finalités de l’Université, mais au contraire elles s’en nourrissent, pour le meilleur et pour le pire.
Dans les deux pays les missions de l’Université ont été confrontées à la dévalorisation symbolique des formations professionnelles, assimilées aux travaux manuels. Mais, alors qu’en France l’empreinte aristocratique a pesé, et continue de peser fortement sur elles, au Brésil son impact a eu une portée moindre en raison, peut-on supposer, de certaines caractéristiques de la population étudiante : celle-ci, dans sa majorité, travaille pour payer ses études, ce qui la met en prise directe avec l’emploi et les métiers. Chemin faisant, l’association opératoire entre « ce qu’on apprend » à l’Université et « ce qu’on travaille » en dehors, est immédiate ; la dimension culturelle de l’Université est vécue différemment au point que le clivage s’estompe.
En France, le clivage est plutôt entretenu par la distance entre la formation et le travail et, surtout, par la survalorisation persistante du travail intellectuel. Celle-ci a prévalu même pendant les périodes où s’accéléraient les mutations marchandes de la société et que se créaient de plus en plus de formations dans un domaine des SIC orientées à la fois vers la formation culturelle universitaire et vers la formation professionnelle.
Ces formations françaises historiques de Paris, Bordeaux, Grenoble… ont toutes des homologues à l’œuvre à Sao Paulo, Porto Alegre, Rio, Brasilia, avec les mêmes dynamiques de fond, des démarches intellectuelles et organisationnelles et les mêmes différences ; c’est ainsi qu’au Brésil elles ont immédiatement intégré des métiers des relations publiques, de la publicité, les relations presse, du journalisme d’entreprise… ce qui n’est toujours pas le cas dans l’université publique française, en dehors de certaines formations courtes d’IUT très ciblées. L’université brésilienne est certes imprégnée de l’idéalisme d’inspiration française mais elle est également sensible au pragmatisme d’inspiration anglo-saxonne.
On constate enfin que, tant au Brésil qu’en France, la pression vers la professionnalisation des formations s’intensifie sans que se réduise la pression pour le maintien ou l’augmentation d’offres plus générales, à dominante théorique voire scientifique fondamentale. Ce constat engage à nuancer les oppositions faites ici et là entre formations généralistes théoriques et culturelles et formations professionnelles, idéalisme français et pragmatisme anglo-saxon.
Les nuances sont de taille en effet. Pendant les années 80 et 90 elles reposaient sur l’hypothèse que les SIC constituaient le cœur battant des humanités nouvelles. Le frottement croissant des SIC avec les sciences des ingénieurs avait fait resurgir chez de nombreux chercheurs et enseignants l’espoir que l’Université de la fin du 20ème siècle pouvait faire renaître les humanités de la Renaissance et des Lumières, à l’instar de ses ancêtres de Bologne, de Sorbonne ou de Salamanque et bien d’autres. Ces nouvelles humanités seraient engendrées par le frottement des Sciences de l’Information et de la Communication avec les Technologies de l’Information et de la Communication ; les premières devaient ainsi jouir de la puissance symbolique des secondes et les secondes de la légitimité savante des premières. L’humanité évoluait ainsi vers un nouveau paradigme scientifico-technique, résumé dans ce terme compréhensible par l’ensemble des mortels, communication. À la différence des humanités anciennes, la communication portait en elle le potentiel pour penser l’humanité et pour la guérir de ses maux ; elle subsumait ainsi non seulement la philosophie, les sciences, les lettres, les arts, mais aussi la psychanalyse et la religion.
Cette perspective, quoique bien vivante aujourd’hui, n’a pas encore dissipé la suspicion qu’il s’agit d’usurpation ou d’un égarement de la conscience collective. La forme que prend la discussion sur les finalités des formations aux SIC montre à la fois que la suspicion est compréhensible et que, en même temps, l’histoire des SIC n’est pas finie, comme nous le verrons par la suite.
Les formations en SIC entre crises, adaptations et innovations
Les pressions éprouvées aujourd’hui par les formations universitaires à la communication ne sont pas nouvelles ni exclusives des SIC, mais elles présentent des caractéristiques inédites liées, entre autres, aux facteurs suivants : a) une obligation de résultats au plan professionnel et scientifique ; b) une obligation croissante d’évaluation avec déclenchement plus systématique de sanctions ; c) les incertitudes récurrentes du système universitaire et les variations des politiques ; d) l’université à l’épreuve de ses finalités ; e) des difficultés épistémologiques et méthodologiques.
Notre projet ici n’est pas d’étayer ces caractéristiques ; il faudrait pour ce faire revenir sur l’histoire des SIC et de l’Université, mais aussi intégrer la nombreuse littérature récente sur l’économie, la sociologie, les métiers qui s’y référent. Nous proposons simplement d’indiquer quelques éléments de cadrage conceptuel des politiques publiques de formation.
Obligation de résultats et limites des moyens
La satisfaction des finalités assignées à l’Université est confrontée, en France, à la limite des moyens qui les accompagnent. En effet, peu d’universités publiques peuvent offrir aujourd’hui, avec le même niveau d’excellence et au sein d’un même diplôme, une formation culturelle, scientifique et humaine solide et une formation technico-professionnelle complète et opérationnelle. Il est possible d’en trouver dans quelques universités, celles qui offrent un éventail de formations diversifiées ; elles ne sont pas rares mais elles sont généralement fragiles et leurs résultats, en termes d’insertion professionnelle, et plus encore en termes de recherche (contrats, innovations, publications, brevets.) sont sans rapport avec les moyens affectés.
On notera par exemple que le nombre d’inscrits dans les filières d’information et communication, malgré les sélections plus ou moins sévères à l’entrée, est partout élevé. Il exigerait, en conséquence, la multiplication des groupes de formation (afin d’en réduire les effectifs), la dotation en équipements, en locaux, en enseignants supérieurs et parfois différents de ceux dont dispose la majorité des universités. Dans la majorité d’entre elles, celles qui ont moins de moyens, le repli sur des formations généralistes constitue une solution de facilité, un choix par défaut qui leur fait perdre les avantages pédagogiques d’un tel positionnement dès lors qu’il serait fondé sur des principes scientifiques et pédagogiques positivement choisis. Les véritables institutions qui disposent des moyens de réussir les contradictions en question sont, en France, les grandes écoles (qui sont par ailleurs critiquées par leur incapacité à tenir compte du monde réel), mais on sait qu’il n’y a pas à ce jour de formations aux SIC adossées aux grandes écoles.
Il est entendu que la limite des moyens est une question dans la question. Pour bien d’éminents chercheurs, les formations aux SIC ont assez de moyens dès lors qu’elles disposent de bons enseignants théoriciens. L’essentiel des moyens se situe naturellement là. Mais ceci n’est valable que pour les formations qui se sont clairement positionnées dans ce registre ; dans tous les autres cas de formations à ambition professionnelle et même professionnalisante (euphémisme qui désigne qu’il y a un apport professionnel en termes de connaissances techniques de base, de métiers centraux, de connaissance scolaire des milieux professionnels), cette position minimaliste revient à nier les conséquences qu’implique la création de formations professionnelles.
Le renforcement des évaluations et des sanctions
Un autre élément de nouveauté est la pression qui s’exerce naturellement sur les formations au plan des sanctions qui accompagnent leur positionnement (et donc leur projet) pédagogique. Ces sanctions sont la conséquence naturelle des choix liés aux finalités comme nous venons de le voir, mais ici il ne s’agit plus de positions de principe ou de débats d’idées, plus ou moins feutrés, mais bien de la crédibilité sociale des formations et, de plus en plus, de leur survie même.
Les évaluations et les sanctions proviennent naturellement des instances publiques de tutelle mais aussi et de plus en plus du monde socio-économique. C’est ce dernier qui emploie plus de 90% des jeunes diplômés, il est de plus en plus impliqué dans la vie des universités à travers la validation de l’expérience professionnelle (VAE), les Commissions Paritaires, les Projets de Région, d’Agglomération, de Ville, les stages, le financement de diplômes tels le DRT, la formation continue, l’intervention directe et exigée de professionnels actifs dans les formations. Aussi, progressivement, le taux de réussite à l’embauche des diplômés renvoie à la qualité des formations tout autant qu’aux capacités d’absorption du marché.
Naturellement, l’autre source d’évaluations et de sanctions est l’Etat. Il a renforcé de plus en plus organiquement les liens entre l’habilitation donnée aux formations (le label de diplôme d’Etat)et leurs résultats sur le double plan des emplois et des productions scientifiques. Il n’y a pas si longtemps une formation dont les diplômés ne trouvaient pas d’emploi n’était pas inquiétée ; aujourd’hui elle a peu de chances de survivre plus de quatre ans.
En effet, l’élément de nouveauté réside dans le fait que depuis bientôt vingt ans, chaque formation est soumise à des évaluations quadriennales qui doivent aboutir à la prolongation de son existence, ou à sa transformation, ou à sa disparition. Lors de l’évaluation des projets quadriennaux tout défaut dans l’insertion des diplômés est pris comme un défaut intrinsèque de la formation.
Dans le même temps une formation est tout autant désinvestie par l’Etat si elle ne satisfait pas à un nombre croissant de normes, cadres, structures, procédures et qualifications. requises, cette fois non pas au titre de ses résultats professionnels mais au titre de son ancrage dans la recherche et de ses résultats au plan scientifique.
Cette double contrainte de l’Etat, employabilité et culture générale, associée à l’automatisation des sanctions et à la stagnation des moyens, engendre des impasses que l’on peut bien qualifier de schizophréniques. Même si la politique de tel ou tel gouvernement est flexible ou laxiste, cette situation, qui est une orientation de fond de l’université française, est une source de tensions dans beaucoup d’universités. Certes, les équipes de formation les plus solides réussissent à s’adapter à travers des routines plus ou moins contrôlées. Les autres ont intégré la crainte pour la survie de leurs formations.
On peut conclure que, pour le moins, le modèle qui sanctionne les formations pour leurs insuffisances sur le double plan de la professionnalisation et de la recherche n’est pas vraiment intégré.
Incertitudes récurrentes du système universitaire
La question du positionnement des formations aux SIC est confrontée aussi à une instabilité de la vie universitaire qui tranche avec les longues périodes de stabilité vécues entre deux réformes de grande ampleur. Ce qui augmente les incertitudes et donc les difficultés à bien gérer le système.
Une manifestation de l’instabilité institutionnelle est sa sensibilité aux alternances de rapports de forces internes, qui s’établissent même en dehors des alternances électorales. Elles affectent particulièrement la répartition des moyens humains, matériels, financiers, les changements d’organisation, même discrets, les politiques de promotion des diplômes. La continuité des formations se trouve ainsi tributaire de variations produites par les phénomènes que nous avons évoqués plus haut. Ces variations sont parfois mal comprises par les acteurs internes et par les partenaires externes. En même temps, l’on constate que plus une formation est centrée sur des contenus professionnels et plus elle est demandeuse de changements et d’arbitrages. Et que, à contrario, une formation généraliste supporte plus facilement les ruptures de rythmes, d’organisation, de recrutements, de partenariats et même de qualité. Cette flexibilité fait pencher la balance, une nouvelle fois et par défaut, vers le renforcement des formations généralistes. Paradoxalement, la flexibilité, qui est revendiquée par les formations à dominante professionnelle, devient ici un défaut d’adaptabilité.
L’instabilité de l’université augmente le nombre d’arbitrages pris par les instances locales (UFR, Département, équipe de formation). Or, à ce niveau, les arbitrages se font dans des contextes de dépendance locale, parfois d’allégeance : celles du chercheur envers ses pairs ou ses prescripteurs de contrats, celles des enseignant envers les responsables internes et externes, pourvoyeurs de stages ou d’emplois pour les étudiants, celles relatives aux plans de carrière de chacun. La situation est d’autant plus compliquée que, en général, le chercheur est aussi l’enseignant ; la schizophrénie que nous avons évoquée plus haut était assise dans les hauteurs des dispositifs centraux de l’Etat, ici elle est intériorisée au cœur même des formations.
L’Université à l’épreuve de ses finalités
Chaque débat universitaire est révélateur des questions de son époque : en 1970 il se penche sur les mutations de 68, en 1984 sur celles intervenues depuis 1981, en 2004 sur celles des ans 2000 et de l’accélération de la construction européenne. A chaque réforme les espoirs se sont mêlés aux doutes, dans une litanie de questions difficiles à évacuer et dont l’échantillon n’a pas varié depuis plus d’un siècle, qui dit : la formation professionnelle, quelle qu’elle soit, offerte au sein de l’Université constitue une dérive des idéaux de l’Université ; ou bien : la professionnalisation des cursus en Sciences Humaines et Sociales, et à fortiori en Lettres et Arts, constitue une dérive des missions de l’Université ; ou bien encore : la professionnalisation des formations à la communication constitue une trahison des idéaux humanistes fondateurs de cette nouvelle science qui a eu (et a encore) tant de mal à s’imposer dans l’ensemble des SHS.
Au long de ces années toutefois l’Université a accueilli toutes les générations du baby boom comme pourvoyeuse presque unique de formation intellectuelle et professionnelle. De ce fait elle est prise pour co-responsable du chômage d’une grande partie des diplômés. Les formations d’élite ne sont pas confrontées à ces problèmes, les formations privées en font un marché. Cette université publique n’a pas les moyens de refaire, seule, les équilibres en faveur des formations généralistes ; celle qui le voudrait se retrouverait immédiatement confrontée à la diminution des ressources et donc face à de nouvelles difficultés.
Les réformes successives, tant en France qu’au Brésil, montrent que les impasses de l’Université ne la paralysent pas. Chaque réforme fait même la preuve du contraire, de sa vitalité. Il en est allé ainsi de chacune des réformes françaises, des plus anciennes (la loi Wallon du 12 juillet 1875 a instauré la liberté de l’enseignement supérieur, les plans d’éducation, le Code de l’Education), aux plus récentes (le Code de l’Education (Loi nº 2005-102 du 11 février 2005 Loi nº 2005-380 du 23 avril 2005 Loi nº 2006-396 du 31 mars 2006), en passant par les classiques,la loi Edgar Faure n° 68-978 du 12 novembre 1968 et la loi Savary n° 84-52 du 26 janvier 1984, qui ont organisé l’enseignement supérieur divisé en trois cycles, et défini l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur. Chacune d’elles a inscrit clairement la formation professionnelle dans les finalités de l’enseignement supérieur français tout en réaffirmant sa vocation à formation scientifique, intellectuelle, généraliste. Mais avant d’avancer dans l’exploration de ces réformes, il convient de baliser le champ à parcourir avec ces quelques rappels d’ordre épistémologique et méthodologique.
Des difficultés épistémologiques et méthodologiques
La professionnalisation des formations s’accommode mal des généralisations.
Toutes les formes, finalités, objectifs fixés à l’Université ne gagnent rien à être traités au niveau de la généralité la plus haute. Qu’y a-t-il en effet de commun entre un Master dit de recherche et un DUT orienté vers un groupe de métiers bien précis ou une licence professionnelle destiné à former à un seul métier ?
La recherche du bon niveau de généralité, par contre, ne peut pas faire l’économie d’une réflexion d’ordre plus général à laquelle sont appelées ces disciplines si fortement revendiquées par les Sciences de l’Information et de la Communication (l’économie, la sociologie, la psychologie, l’histoire, les lettres, les arts et la culture, la philosophie), sans lesquelles les objets mêmes des formations se perdent, soit dans un idéalisme anachronique soit dans un technicisme à tendance inertielle, si non déshumanisante.
Il convient toutefois d’éviter d’enfermer la question dans une pensée idéaliste, qui voudrait faire correspondre à chaque formation à la fois la plus forte plus-value culturelle et la plus efficace préparation à la vie professionnelle. Ou bien, au contraire, de l’enfermer dans une vision empirico-positivististe qui prônerait la valeur universelle pour des formations censées répondre à la demande sociale (industrielle, commerciale…) immédiate.
La recherche d’équilibre entre formations professionnelles et formations généralistes ne peut se poser que là où coexistent les deux formes et seulement à propos de questions ou de problèmes d’organisation et de répartition des ressources. Au-delà, il est préférable d’affirmer plus clairement la position de chaque formation, son projet, ses débouchés et d’en informer les prétendants afin qu’ils fassent un choix raisonné.
La valeur sociale symbolique des formations en information et communication est toujours haute. Dans le décompte des secteurs les plus demandés par les bacheliers elles continuent de s’afficher en tête de liste. Ceci conduit parfois l’Université à adopter des solutions de facilité en inscrivant à tout propos ces formations dans ses priorités contractuelles avec l’Etat ou les Régions. On observe que, même là où ces formations ont plus de trois décennies d’expérience, comme c’est le cas à Grenoble, le débat reste vif à chaque fois qu’il s’agit de faire des grands choix comme il en fut ces dernières années de la réforme européenne dite de la Licence/Master/Doctorat et comme il en est tous les quatre ans à l’occasion des renouvellements des projets d’établissements. Le fait de les désincrire des priorités, en règle générale, ne leur portera pas préjudice.
Parmi les solutions de facilité évoquées plus haut et auxquelles on a recours lorsque, justement, l’on a du mal à fixer des priorités stratégiques, il en est une qui consiste à créer, au sein du même établissement, des offres nombreuses, couvrant de vastes champs professionnels et tendant à couvrir aussi tout le vaste spectre des missions de l’Université. Ce choix est légitime et même louable dans la mesure où il démontre, au moins, la capacité d’adaptation et de réunion de ressources dont font preuve ces formations. Il en existe ainsi de nombreuses tant en France qu’au Brésil. Mais il arrive que la solution de facilité s’avère être celle de la plus grande complexité. Parce que la cohabitation de diplômes trop variés génère des difficultés qui n’existent pas lorsque l’offre est plus réduite.
Le réel professionnel n’a jamais été l’idéal de mission exclusif de l’université. Elle l’a absorbé d’autant plus facilement en France que la concurrence d’universités privées est (encore ?) peu significatif et aussi dans la mesure où elle a été amenée à prendre en charge l’explosion des effectifs étudiants depuis les années soixante. Il n’en demeure pas moins que la poussée de l’Université vers la professionnalisation est un exercice périlleux dans la mesure où elle ne peut que la simuler. Elle expérimente le réel par des farces de laboratoire telles que les stages, les exercices, les TD, les TP, parfois des ateliers. On constate cependant que la majorité des étudiants ne retrouve qu’une parcelle réduite (impossible à quantifier) de ces apprentissages dans le réel professionnel. Que dire alors d’enseignements théoriques, qui abstraient, qui ne font qu’idéaliser (en bien ou en mal) les réalités professionnelles. Si l’on devait atteindre un retour direct sur investissement de ces formations, il serait en général infime.
Mais d’où vient la dichotomie mise ici en question ? Est-il possible de la résoudre ? L’Université a trouvé des réponses variées. Elle a, par exemple, développé des cursus professionnels (les IUP, MST, Deust, Mastères, DESS, etc.), qui augmentent l’adéquation de ses formations avec les demandes sociales e niveau de réalisme via l’expérimentation de laboratoire (pas encore du métier lui-même). C’est apaisant pour un certain nombre de jeunes étudiants, c’est rassurant pour l’institution et ses acteurs, c’est dévalorisant au regard de tous ceux qui croient que le monde idéal est supérieur au monde réel (on les appelle en France les intellectuels, au Brésil l’académie). Encore faut-il définir sous quel regard il y a avantage pour l’un ou pour l’autre des deux mondes. Lorsqu’on fait l’éloge de l’idéalisme universitaire en l’opposant au réalisme, on fait une soustraction qui nous handicape face au réel, puisqu’elle le réduit, le secondarise, le soumet à la pensée. Or, soumettre le réel à la pensée c’est oublier que la pensée a aussi, qu’elle le veuille ou non, un devoir de soumission au réel ; elle ne peut penser sans lui (parce qu’elle est, elle-même, tributaire de supports-choses). Au plan qui est le nôtre, les choses ne sont pas inférieures ou supérieures aux idées, elles sont différentes.
Peut-on institutionnaliser le projet qu’un même étudiant doit acquérir, au sein de l’Université et au long d’une même filière d’études, des savoirs de culture générale, des savoirs techniques et des compétences professionnelles opératoires ? Est-ce réaliste de l’envisager d’un point de vue cognitif, et pédagogique, pratique ? Concernerait-il tous les étudiants ou à peine quelques uns ? Doit-on l’imposer à tous les établissements formateurs ou doit-on le réserver à certains d’entre eux qui, en France, se trouveraient naturellement dans le secteur public ? La difficulté de trouver une bonne réponse est l’objet même des politiques publiques de formation.
Enfin et en conclusion de cette première partie, il convient de faire un rappel sur le sens des mots. Ainsi, les termes de formation théorique, formation scientifique, formation humaine, formation généraliste, formation technique, formation professionnelle, formation aux métiers… sont ici utilisés dans le sens courant que leur donne la littérature opérationnelle de l’Université, des SIOs, des services de communication, des rapports, plans, projets, maquettes pédagogiques. Ces notions gagneraient à être traitées en soi, dans une approche analytique et critique, et de même des oppositions usuelles faites entre ces divers termes.
Ces précautions étant posées, nous nous attacherons par la suite à relever, à travers quelques textes de référence, certains aspects des contradictions de la politique française.
Les bases légales des formations en SIC
Le Code de l’Education et la formation
Le dernier grand texte en date régissant l’enseignement supérieur en France est le Code de l’Education, mis en place à travers des lois successives dont l’une, la loi n° 2006-396, date du 31 mars 2006 (Loi nº 2005-102 du 11 février 2005 Loi nº 2005-380 du 23 avril 2005 Loi nº 2006-396 du 31 mars 2006). Tout en réaffirmant les objectifs généraux de l’enseignement supérieur, orientés vers le savoir, l’épanouissement personnel, la citoyenneté, le Code renforce sensiblement l’orientation professionnelle des Universités par rapport aux législations précédentes.
Les propositions du Code de l’Education ne constituent pas une rupture par rapport aux lois précédentes. Mais elles intègrent les débats actuels qui traversent le monde de l’enseignement, de la recherche, des syndicats, des médias ; elles donnent à certaines d’entre elles la consistance de la loi et font de ce Code un texte innovant. Dans la balance des finalités de l’Université française ce texte laisse apparaître un clair renforcement de sa visée professionnalisante. Une telle orientation se manifeste dans les déclarations générales de la loi tout autant que dans les organes, instances, outils anciens ou nouveaux qu’elle met en oeuvre pour habiliter, financer, évaluer les formations.
Nous n’y trouverons évidemment pas des mentions spécifiques, des chapitres ou même des articles portant exclusivement sur les formations de notre domaine scientifique et disciplinaire… Il n’a pas encore acquis le statut de certains domaines (formations de la santé, artistiques, technologiques et autres) qui ont droit à ces références explicites. Les références les plus explicites concernant notre domaine sont présentes en trame de fond. La première d’entre elles est l’Article L623-1 – du Code de l’Education dont le Chapitre III, qui renvoie à la Loi nº 2005-380 du 23 avril 2005 art. 43 I Journal Officiel du 24 avril 2005,s’intitule :
« Lettres, langues, arts et sciences humaines et sociales
Les établissements entrant dans le champ d’application du livre VII qui dispensent des enseignements artistiques et les établissements d’enseignement supérieur reconnus en application de l’article L. 361-2 assurent des formations de haut niveau dans les disciplines visées à l’article L. 121-6.
Ils participent, dans le cadre des missions qui leur sont propres, à la formation professionnelle, au progrès de la recherche, à la diffusion de la culture et au développement des liens entre les activités artistiques et l’ensemble des secteurs de production. »
Sur les missions de l’enseignement supérieur
L’Article L123-2 fixe les attentes de l’Etat :
(Loi nº 2006-450 du 18 avril 2006 art. 41 I Journal Officiel du 19 avril 2006)
Le service public de l’enseignement supérieur contribue :
1º Au développement de la recherche, support nécessaire des formations dispensées, et à l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent ;
2º A la croissance régionale et nationale dans le cadre de la planification, à l’essor économique et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins actuels et leur évolution prévisible ;
3º A la réduction des inégalités sociales ou culturelles et à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche ;
4º A la construction de l’espace européen de la recherche et de l’enseignement supérieur.
L’Article L123-6 fixe les missions :
Le service public de l’enseignement supérieur a pour mission le développement de la culture et la diffusion des connaissances et des résultats de la recherche.
Il favorise l’innovation, la création individuelle et collective dans le domaine des arts, des lettres, des sciences et des techniques. Il assure le développement de l’activité physique et sportive et des formations qui s’y rapportent.
Il veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française et des langues et cultures régionales. Il participe à l’étude et à la mise en valeur des éléments du patrimoine national et régional. Il assure la conservation et l’enrichissement des collections confiées aux établissements.
Les établissements qui participent à ce service public peuvent être prestataires de services pour contribuer au développement socio-économique de leur environnement. Ils peuvent également assurer l’édition et la commercialisation d’ouvrages et de périodiques scientifiques ou techniques ou de vulgarisation, ainsi que la création, la rénovation, l’extension de musées, de centres d’information et de documentation et de banques de données. Ils sont autorisés à transiger au sens de l’article 2044 du code civil et à recourir à l’arbitrage en cas de litiges nés de l’exécution de contrats passés avec des organismes étrangers, dans des conditions fixées par décret.
Sur la participation des milieux professionnels dans la formation
Article L611-2 :
Les enseignements supérieurs sont organisés en liaison avec les milieux professionnels :
1º Leurs représentants participent à la définition des programmes dans les instances compétentes ;
2º Les praticiens contribuent aux enseignements ;
3º Des stages peuvent être aménagés dans les entreprises publiques ou privées ou l’administration ainsi que des enseignements par alternance ; dans ce cas, ces stages doivent faire l’objet d’un suivi pédagogique approprié.
Sur le projet personnel de l’étudiant
Article L611-3 :
Les étudiants élaborent leur projet d’orientation universitaire et professionnelle en fonction de leurs aspirations et de leurs capacités avec l’aide des parents, des enseignants, des personnels d’orientation et des professionnels compétents. Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les entreprises et les associations y contribuent.
Code de l’Education et la recherche
L’Article L123-5 établit les missions de recherche
(Ordonnance nº 2004-545 du 11 juin 2004 art. 4 Journal Officiel du 16 juin 2004)
(Loi nº 2006-450 du 18 avril 2006 art. 22 II Journal Officiel du 19 avril 2006)
Le service public de l’enseignement supérieur s’attache à développer et à valoriser, dans toutes les disciplines et, notamment, les sciences humaines et sociales, la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la technologie.
Il assure la liaison nécessaire entre les activités d’enseignement et de recherche. Il offre un moyen privilégié de formation à la recherche et par la recherche.
Il participe à la politique de développement scientifique et technologique, reconnue comme priorité nationale, en liaison avec les grands organismes nationaux de recherche. Il contribue à la mise en œuvre des objectifs définis par le code de la recherche.
Il concourt à la politique d’aménagement du territoire par l’implantation et le développement dans les régions d’équipes de haut niveau scientifique. Il renforce les liens avec les secteurs socio-économiques publics et privés.
Il améliore le potentiel scientifique de la nation en encourageant les travaux des jeunes chercheurs et de nouvelles équipes en même temps que ceux des formations confirmées, en favorisant les rapprochements entre équipes relevant de disciplines complémentaires ou d’établissements différents, en développant diverses formes d’association avec les grands organismes publics de recherche, en menant une politique de coopération et de progrès avec la recherche industrielle et l’ensemble des secteurs de la production.
Les conditions dans lesquelles les établissements, pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réseaux thématiques de recherche avancée qui participent à ce service public assurent, par voie de convention, des prestations de services, exploitent des brevets et licences et commercialisent les produits de leurs activités sont fixées par leurs statuts. En vue de la valorisation des résultats de la recherche dans leurs domaines d’activité, ils peuvent, par convention et pour une durée limitée avec information de l’instance scientifique compétente, fournir à des entreprises ou à des personnes physiques des moyens de fonctionnement, notamment en mettant à leur disposition des locaux, des équipements et des matériels, dans des conditions fixées par décret ; ce décret définit en particulier les prestations de services qui peuvent faire l’objet de ces conventions, les modalités de leur évaluation et celles de la rémunération des établissements, pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réseaux thématiques de recherche avancée.
Les activités mentionnées au précédent alinéa peuvent être gérées par des services d’activités industrielles et commerciales dans les conditions fixées par l’article L. 714-1. Pour le fonctionnement de ces services et la réalisation de ces activités, les établissements, pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réseaux thématiques de recherche avancée peuvent recruter, dans des conditions définies, en tant que de besoin, par décret en Conseil d’Etat, des agents non titulaires par des contrats de droit public à durée déterminée ou indéterminée.
Les missions de recherche, lorsqu’elles sont déclinées par ministère délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, inscrivent la communication dans les priorités de la politique publique. Mais il s’agit uniquement de leurs versants techniques (les STIC) dans la visée est industrielle et économique avant tout :
Présentation de la mission Recherche
« Dans un contexte de forte compétition, la France se donne les moyens de lancer des programmes de recherche pour accroître l’attractivité de son territoire et rester sur le devant de la scène internationale. »
Les grandes orientations de la politique nationale dans le domaine de la recherche sont:
- nouvelles technologies (sciences et technologies de l’information et de la communication, microélectronique, nanotechnologies),
- aéronautique et espace,
- recherche médicale,
- agriculture et alimentation,
- énergie et développement durable,
- recherche sur la sécurité,
- développement technologique et innovation. »
Ces quelques exemples montrent que l’Etat a toujours une visée totalisante, même s’il s’affiche libéral en matière de politique publique de l’enseignement supérieur : l’Etat veut tout ! La manière choisie pour y arriver emploie des recettes anciennes de découpages en cycles, en affectant à chacun une part d’objectifs « généraux » et une part d’objectifs « professionnels ». Ainsi, à l’Article L612-1 le Code de l’Education stipule :
» Le déroulement des études supérieures est organisé en cycles. Le nombre, la nature et la durée des cycles peuvent varier en fonction des études dispensées. Chaque cycle, selon ses objectifs propres, fait une part à l’orientation des étudiants, à leur formation générale, à l’acquisition d’éléments d’une qualification professionnelle, à la recherche, au développement de la personnalité, du sens des responsabilités et de l’aptitude au travail individuel et en équipe.
Chaque cycle conduit à la délivrance de diplômes nationaux ou de diplômes d’établissements sanctionnant les connaissances, les compétences ou les éléments de qualification professionnelle acquis. »
Puis, dans les Articles suivants, il explicite les finalités et les contenus de chaque cycle :
Article L612-2 : Le premier cycle a pour finalités :
« 1º De permettre à l’étudiant d’acquérir, d’approfondir et de diversifier ses connaissances dans des disciplines fondamentales ouvrant sur un grand secteur d’activité, d’acquérir des méthodes de travail et de se sensibiliser à la recherche ;
2º De mettre l’étudiant en mesure d’évaluer ses capacités d’assimilation des bases scientifiques requises pour chaque niveau et type de formation et de réunir les éléments d’un choix professionnel ;
3º De permettre l’orientation de l’étudiant, dans le respect de sa liberté de choix, en le préparant soit aux formations qu’il se propose de suivre dans le deuxième cycle, soit à l’entrée dans la vie active après l’acquisition d’une qualification sanctionnée par un titre ou un diplôme. »
Article L612-5 Le deuxième cycle :
« Le deuxième cycle regroupe des formations comprenant, à des degrés divers, formation générale et formation professionnelle. Ces formations, organisées notamment en vue de la préparation à une profession ou à un ensemble de professions, permettent aux étudiants de compléter leurs connaissances, d’approfondir leur culture et les initient à la recherche scientifique correspondante. »
Article L612-7 Le troisième cycle (Loi nº 2006-450 du 18 avril 2006 art. 41 II, art. 42 Journal Officiel du 19 avril 2006).
» Le troisième cycle est une formation par la recherche qui comporte, dans le cadre de formations doctorales, la réalisation individuelle ou collective de travaux scientifiques originaux. Ces formations doctorales sont organisées en étroite liaison avec des laboratoires ou équipes de recherche dont la qualité est reconnue par une évaluation nationale périodique. Elles prennent en compte les besoins de la politique nationale de recherche et d’innovation et comportent une ouverture internationale. Elles constituent une expérience professionnelle de recherche, sanctionnée, après soutenance de thèse, par la collation du grade de docteur.
Les formations doctorales sont organisées dans le cadre d’écoles doctorales dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Elles comprennent un encadrement scientifique personnalisé de la meilleure qualité ainsi qu’une formation collective comportant des enseignements, séminaires ou stages destinés à conforter la culture scientifique des étudiants, à préparer leur insertion professionnelle dans le secteur public comme dans le secteur privé et à favoriser leur ouverture internationale. »
Les formations doctorales disposent, comme les formations généralistes, d’instruments de formation professionnelle : les Centres d’initiation à l’enseignement supérieur (C.I.E.S.) et le monitorat d’initiation à l’enseignement supérieur (qui donne une formation élémentaire pour l’enseignement supérieur), les attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER), des séminaires de sensibilisation et d’initiation au monde des entreprises ont été développés sous l’appellation de « doctoriales ». « Leur objectif principal est de créer un lieu de rencontre entre doctorants et acteurs économiques afin d’améliorer la communication entre les différents partenaires et de favoriser la prise de conscience, par les doctorants, de l’importance de leur projet personnel. Ces séminaires sont complétés par des formations spécifiques mises en place par les écoles doctorales (communication, langue étrangère, conduite de projet) destinées à aider le doctorant à préparer son avenir professionnel et à valoriser sa formation à la recherche au moment de son insertion professionnelle. »
La recherche fait l’objet de bien d’autres attentions en matière de formation professionnelle des docteurs. Ainsi, l’Article L113-2, faisant référence à la Loi nº 2006-450 du 18 avril 2006 art. 48 Journal Officiel du 19 avril 2006 explicite :
« La mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » permet la mise en oeuvre des quatre catégories d’actions suivantes :
a) Les recherches fondamentales dont le développement est garanti ;
b) Les recherches appliquées et les recherches finalisées entreprises ou soutenues par les ministères et les organismes publics de recherche en vue de répondre aux besoins culturels, sociaux et économiques ;
c) Les programmes de développement technologique ;
d) Des programmes mobilisateurs pluriannuels qui font appel à ces différentes catégories d’action. Ces programmes mobilisent autour des grands objectifs d’intérêt national retenus par le Gouvernement tant des crédits budgétaires que d’autres moyens apportés par les organismes publics de recherche, les laboratoires universitaires, les entreprises nationales, les centres de recherche et les entreprises privés.
Les programmes mobilisateurs sont arrêtés par le Gouvernement, en concertation avec l’ensemble des parties intéressées. »
Et l’Article L113-3 prévoit la création de marchés d’emplois dédiés (réserve ad hoc) pour les docteurs. Il s’agit sûrement d’une politique volontariste (interventionniste) de l’Etat pour donner un débouché à des doctorats nombreux que les secteurs traditionnels de l’économie n’absorbent pas spontanément, comme cela peut être le cas dans les économies angloxasonnes ou encore dans des économies en processus de développement :
« Le contrat de plan prévu à l’article 11 de la loi nº 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, conclu entre l’Etat et une entreprise, comporte obligatoirement des clauses tendant au développement de l’effort de recherche et d’innovation technologique, prévoyant un programme de recrutement de personnels de recherche et organisant, notamment par la sous-traitance, les transferts de technologie au profit des petites et moyennes industries. »
Que les formations en information et communication reflètent les confrontations évoquées dans la première partie de ce texte n’est pas une surprise. Elles ont représenté et représentent encore un espoir de renouveau pour des humanités, discréditées en grande partie par l’action des médias.
C’est le lot de tout champ qui coïncide avec les grands objectifs de l’Etat et qui incidemment catalyse bien des attentes du corps social. La communication est une des puissances génératrices d’emplois, d’économie, d’innovation ; elle possède toutes les vertus de l’ère numérique, elle a une emprise prééminente en tant que productrice et vecteur des symboles sur lesquels s’appuient les gouvernements, les marchés, certaines structures sociales dominantes censées satisfaire les besoins (réels ou supposés) des sociétés ; elle est donc engagée dans tous les secteurs de l’économie et, en plus, elle contribue au changement de certains comportements tels que la violence, l’affrontement de classes, la consommation). Cette position assure à la Communication une visibilité peu partagée, y compris par d’autres champs tenus, affichés et financés comme prioritaires par l’Etat. Le bénéfice de cette position prééminente atteint naturellement les formations et les institutions qui les délivrent ; la création de la 10ème école française reconnue de journalistes ici même est à ce titre emblématique : que ses retombées soient uniquement symboliques ou qu’elles prennent des formes plus palpables, au final elle semble renforcer uniquement les aspects professionnels de la formation alors que l’Université revendique bien au-delà.
L’effet LMD sur les formations
Depuis quelques années (2004 dans les universités grenobloises) la réforme dite de la Licence-Master-Doctorat –L-M-D- conforte les orientations du Code de l’Education. Et reflète les mouvements de bascule, et de tension en même temps, entre les tendances professionnelles et générales des formations. Chacun des éléments de la structure LMD peut être classé dans l’une ou l’autre des tendances (à la condition que l’on puisse s’accorder au préalable sur la définition des termes), identifiable, quantifiable, au point qu’ils déterminent les critères d’évaluation et, par là, les dotations budgétaires. Pour l’efficacité de l’exemple, observons les résultats concrets de la réforme LMD dans l’organisation de nos formations.
Les formations, qu’elles soient de niveau de Licence, de Master ou de Doctorat, classées sous la dénomination de généraliste (ou théorique, ou recherche) ou sous la dénomination de professionnelle, bénéficient d’une structure commune qui organise les matières selon plusieurs critères, au cœur de laquelle se trouvent, précisément, les matières dites de spécialité. Il faut noter que les dénominations d’orientation professionnelle et recherche sont censées disparaître bientôt ; mais les réalités qu’elles ont voulu désigner marqueront pour longtemps encore la vie de ces formations.
Un noyau majoritaire de matières dites de spécialité : 36 crédits sur 60 par an, soit environ 300 heures de spécialité sur 450 heures d’enseignement total.
La valeur d’un crédit en heures est variable, mais il correspond en moyenne à 7 hs d’activités pédagogiques. Avec cet étalon nous constaterons donc que les crédits réservés à la spécialité sont supérieures à la somme des autres catégories de crédits (ci-dessous). Dans la pratique les variations dans la valeur du crédit peuvent faire varier le nombre d’heures d’une formation du simple au triple ; la moyenne de 450 heures/année pour une formation généraliste peut ainsi devenir 600 ou 800 heures/année dans certaines formations professionnelles.
Notons aussi que le terme de spécialité désigne le noyau disciplinaire de la formation, qu’il soit de nature généraliste ou de nature proprement professionnelle.
Les autres crédits nécessaires au diplôme et qui ne sont pas rattachés aux Unités d’Enseignement (UE) de Spécialité comme ci-dessus, se rapportent à des enseignements dénommés Options libres : elles sont choisies par les étudiants, et sont généralement très abondantes et variées en termes disciplinaires ; Parcours libres : sports, langues optionnelles, activités associatives, généralement destinés à faciliter la poursuite des études en direction d’un projet personnel de formation de l’étudiant ; Parcours guidés : obligatoires, centrés plutôt sur le projet professionnel de l’étudiant ; au moins une Langue obligatoire et enfin, dans la très grande majorité des formations, un Stage obligatoire par année.
On constatera que, à l’exception des options libres, toutes ces UE sont tenues par le projet professionnel de l’étudiant, conforté également par d’autres dispositifs parallèles d’accompagnement pédagogique mis en place par les Services d’information et d’orientation –les SIO- des universités, ou par les Services de Sports, ou par les services d’informatique pédagogique.
L’obligation, ou du moins l’incitation ferme de l’Etat, faite aux établissements pour que les matières de spécialité soient, dans leur majorité, assurées par des professionnels extérieurs à l’Université.
Cette incitation est particulièrement contraignante dans le cas de formations professionnelles telles que les IUP, les IUT, les DESS, certains étant devenus après la réforme LMD des Masters dits Professionnels. Elle devient obligation dans les formations qui bénéficient, en plus de l’habilitation de l’Etat, de labels de reconnaissance professionnelle comme c’est le cas des formations au journalisme. Au-delà, la création récente en France de la Commission Nationale des Certifications Professionnelles (CNCP), contribue à transformer l’incitation en obligation d’intervention de professionnels. Notons que, dans la presque totalité des formations à la communication, les enseignants professionnels sont des acteurs recrutés au sein du monde professionnel extérieur à l’université.
C’est ainsi que dans les neuf grands diplômes d’Etat délivrés ici à l’ICM, le corps professoral est constitué (en moyenne) de 50 enseignants universitaires, toutes catégories confondues, et de 70 enseignants professionnels extérieurs. Les formations dites généralistes emploient, elles, une majorité d’enseignants universitaires, mais elles se plient, lorsqu’elles n’en sont pas demandeuses, à l’introduction de nombreuses interventions faites par des professionnels non universitaires.
L’intervention massive de professionnels extérieurs à l’Université constitue un facteur d’écartement entre les deux corps d’enseignants. Les conflits sont rares, mais lorsqu’ils se produisent ils rendent improbable leur symbiose ; dans ces cas ressurgit en plein jour le clivage qui dort habituellement, celui du savoir revendiqué des uns et de l’expérience revendiquée des autres.
Obligation de composer les maquettes avec un nombre de cours offerts sous forme de Travaux Dirigés (TDs), et de Travaux Pratiques (TPs) et des ateliers très supérieurs aux cours offerts sous forme magistrale.
Les formations dites généralistes se plient mal à ces contraintes, quoique les enseignants soient dans ce cas majoritairement des universitaires. A contrario, celles professionnelles peuvent souffrir de l’absence de cours généralistes.
Obligation de stages en entreprise
Cette figure pédagogique s’est imposée progressivement et est devenue une activité à part entière dans les maquettes pédagogiques. De ce fait, elle est l’objet d’un véritable processus pédagogique qui inclue des cours de préparation au stage, des protocoles de suivi des stages, la constitution de tutelles des stages où la figure du « maître de stage ». Celui-ci, qui se trouve dans l’entreprise, acquièrt le statut symbolique et souvent opérationnel d’un enseignant, dans la mesure où son évaluation est requise pour la délivrance du diplôme au stagiaire ; et, enfin, des rapports écrits ou inscrits sur des supports multimédia plus ou moins élaborés à travers lesquels l’étudiant rend compte de son activité de stagiaire.
Sur ce plan du rapport de stage, tout comme dans ses définitions, objectifs et tâches confiées au stagiaire au sein de l’entreprise, bien des hésitations persistent encore pour arriver à délimiter le territoire de compétence de l’entreprise et celui de l’Université. Par contre dans la période récente la figure du stage a fait l’objet d’accords nationaux qui la régulent et généralisent, la rapprochant de la figure d’un contrat de travail.
Incitation forte, et obligation dans de nombreux cas, d’accompagner l’étudiant jusqu’à son premier emploi.
L’Observatoire Universitaire Régional de l’Insertion Professionnelle, dans une Etude 2003-02, intitulée « La préparation à l’insertion professionnelle dans les universités Rhône-Alpes : des actions, un bilan » (Ourip 2003), présente quelques données parlantes sur la prise en main des étudiants depuis l’amont (la formalisation du projet personnel),jusqu’à l’aval de leur formation universitaire (l’élaboration de dispositifs d’observation et d’analyse de l’insertion professionnelle… ), en passant par la préparation et exploitation de stages en entreprises, la sensibilisation à l’environnement socio-économique et/ou à la création d’activité, le suivi de l’insertion à travers des annuaires, associations, la recherche du premier emploi,
Ces exigences imprègnent la vie des formations. Même les quelques étudiants rétifs à la vie économique ne peuvent plus les esquiver sans prendre des risques pour l’obtention de leur diplôme.
L’Université en lutte contre le chômage
Le rapport d’étape de la Commission du débat national Université Emploi, publié il y a un mois (cf Commission du Débat National Université-Emploi – BILAN D’ETAPE Rapport remis à Monsieur le ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et à Monsieur le ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche – 29 Juin 2006. PRESIDENT : Patrick HETZEL), reprend et étend les exigences de professionnalisation des filières universitaires. Ainsi, il proposera au Ministre de :
- créer dans chaque université, pour le 1er septembre 2007, un Observatoire des parcours des étudiants et de leur insertion professionnelle,
- d’accompagner vers l’insertion professionnelle les étudiants diplômés en 2006,
- de rendre les dénominations des diplômes universitaires compréhensibles pour les étudiants et les recruteurs,
- d’amplifier l’ouverture vers le monde professionnel par l’élaboration d’un nouveau rôle de professeur associé et par l’augmentation de leur nombre pour remplir des missions précises liées à la professionnalisation des cursus universitaires,
- de mobiliser, pour le 1er octobre 2007, toutes les universités afin que tous les diplômes soient accompagnés d’un document annexe indiquant avec précision les compétences acquises en cours de formation,
- de lancer, dès septembre 2006, à l’initiative de la Direction générale de l’enseignement supérieur, un projet “ Traçabilité des étudiants ” pour que les universités puissent disposer d’éléments précis sur l’insertion professionnelle des étudiants 3 ans après leur sortie de l’université et qui auront vocation à être rendus publics, et publication des chiffres d’insertion professionnelle à compter de maintenant et au plus tard au 1er octobre 2008, et aussi
- de prévoir la fusion des masters professionnels et des masters recherche ; la coexistence de ces deux intitulés est de nature à créer une dichotomie préjudiciable à la lisibilité de l’offre de formation au niveau M. Cela n’interdit pas aux universités de proposer aux étudiants, à l’intérieur des programmes du master, des modules plus spécifiquement orientés vers la préparation à la recherche. La commission pense que cette question mérite d’être mise à l’étude afin d’être en plus grande harmonie avec les pratiques internationales en matière de masters.
L’introduction du pré-rapport de cette Commission Université-Emploi illustre factuellement (dans la mesure où il privilégie son action sur la population étudiante en échec scolaire) les paradoxes de l’enseignement supérieur, tiré tantôt vers la culture générale et la recherche, tantôt vers la professionnalisation. Ses constats :
« Une forte attente pèse sur l’université. Elle a relevé des défis considérables depuis plus de trente ans, en accueillant aujourd’hui plus de 2,2 millions d’étudiants et en ayant développé de nouvelles modalités de formation, notamment des diplômes très professionnalisants comme par exemple les licences professionnelles. Elle est un lieu de savoir et d’excellence où se développent la recherche et la production de connaissances qui font de la France une Nation respectée au sein du concert des Nations. Mais le service public de l’enseignement supérieur doit avoir davantage le souci de l’insertion professionnelle et du devenir des étudiants dont l’Etat lui confie la charge. C’est le sens des propositions que nous formulons.
I. Le travail de la commission résulte d’un triple constat :
• Le taux d’échec pour les jeunes entrés dans l’enseignement supérieur est beaucoup trop élevé en France puisqu’il concerne 20% d’entre eux. Soit plus de 80.000 personnes dont les espoirs sont déçus tous les ans. 11 % des bacheliers généraux entrés dans l’enseignement supérieur en sortent sans diplôme. C’est le cas pour 30 % des bacheliers technologiques et pour 61 % des bacheliers professionnels.
• L’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur se dégrade. Ainsi, 3 ans après leur sortie, 11% des diplômés de l’enseignement supérieur sont au chômage.
• Les étudiants français éprouvent des craintes au sujet de leur avenir et ont très peur de la déqualification de leurs diplômes et de la précarité. La crise du CPE l’a montré. En même temps, ils manifestent une très forte envie de s’impliquer dans notre société et souhaitent pouvoir saisir toutes ses opportunités.
C’est pour ces trois raisons que la commission a résolument décidé, à l’heure de ce bilan d’étape, de placer l’étudiant au centre de sa réflexion et de ses préconisations.
En somme, il s’agit de tout mettre en oeuvre pour que la situation actuelle où bon nombre d’étudiants se retrouvent seuls face à la fois à l’université et au monde du travail, seuls pour faire le pont entre ces deux mondes, se modifie. Il convient de proposer aux étudiants un passage progressif de l’université vers le monde du travail en passant d’une vision où le diplôme est considéré comme un couperet à une vision où le monde de l’emploi est progressivement de plus en plus intégré dans les différents cursus au fil du temps. Ou pour le formuler encore autrement, plutôt que d’avoir une vision dichotomique où l’étudiant acquiert d’abord un diplôme et va ensuite vers le monde du travail, notre commission préconise une évolution paradigmatique où la question de l’insertion professionnelle serait prise en charge plus en amont dans les cursus universitaires permettant ainsi une démarche moins brutale et donc nettement plus progressive. Nos principales préconisations visent à améliorer, à tous les stades, l’information des étudiants et à les aider à construire progressivement leur parcours d’insertion vers le monde du travail. »
L’effet LMD sur la recherche
Lorsqu’une Université demande l’habilitation d’une formation professionnelle elle doit mettre en œuvre un dispositif pédagogique de plus en plus exigeant, et toujours tendu vers des formules binaires simples. D’un côté, les modes d’organisation et de production importés du monde de l’industriel sont largement introduits dans les universités, qui ne sont pas toutes prêtes à en tirer les conséquences, beaucoup s’épuisent à la tâche. De l’autre, le même ministère exige des mêmes universités des ancrages dans les modèles de la recherche qui, dans la pratique, aboutissent à des confrontations stériles au mieux, destructrices dans bien des cas.
Nous l’avons vu plus haut, la répartition des contenus et les conditions de leur administration donnent un poids particulier aux actions de professionnalisation ; elles ont leur pendant en matière de recherche. L’Etat exige, en effet, que les formations professionnelles dispensent une part de formation théorique. Le ratio n’est pas défini de façon précise et universelle mais l’on constatera ci-dessous qu’il est rédhibitoire.
Les exigences minimales d’encadrement des formations par la recherche s’énoncent donc comme suit :
Que les enseignants, y compris les professionnels, soient recrutés par la Commission de Spécialistes, dont la mission n’est pas seulement de juger des compétences professionnelles ou des qualifications du candidat, mais aussi de ses compétences à produire des savoirs dans son champ d’activité.
Concernant les Professionnels Associés à Statut Temporaire (les PAST – 8 à l’ICM) l’exigence de recrutement ci-dessus se double d’une autre, qui stipule que les modes d’évaluation de leur travail inclue aussi leur action de recherche, à l’instar des enseignants-chercheurs titulaires.
Que chaque enseignant titulaire soit rattaché à une équipe de recherche et qu’il y produise, effectivement, un nombre minimum de recherches, de participations à des contrats de recherche, des publications scientifiques.
Cette exigence devra être renforcée dans les années qui viennent ; elle pourrait être accompagnée d’un système de sanction qui aboutirait à la destructuration des actuels statuts d’enseignants-chercheurs. Dans ce cas, les enseignants-chercheurs qui réussissent à faire et à faire valider leurs actions de recherche se trouveront en haut de la pyramide statutaire, fonctionnelle et salariale de l’enseignement supérieur ; c’est la situation d’aujourd’hui, à la différence près que les changements envisageables pourront déclasser bon nombre d’enseignants-chercheurs dont l’absence d’activités de recherche n’est pas véritablement sanctionnée, au bénéfice bien souvent de leur implication dans l’administration, la pédagogique, l’animation des formations.
Que tous les étudiants suivent des cours de méthodologie de la recherche. Cette exigence est souvent détournée dans les formations professionnelles à travers des cours de méthodologie appliquée au domaine, champ ou terrain professionnel qui est objet de la formation.
Y-a-t-il compatibilité entre les objectifs fixés aux formations et ceux fixés à la recherche comme nous venons de les évoquer ? Est-il possible de leur trouver un point d’équilibre capable de les satisfaire tous ? Ou bien faut-il admettre que certaines universités (lesquelles, en fonction de quels critères, héritages, rapports de forces ?) peuvent s’adonner à des formations professionnelles détachées de la recherche et d’autres, au contraire, s’adonner à la recherche sans offrir, en même temps, des formations aux métiers ?
Les compatibilités, symbioses, synthèses, équilibres se font au cas par cas, parfois dans la cohue du quotidien. Les rapports de forces propres au monde de l’économie de marché ne sont pas absents du monde de l’Université, ils y deviennent une routine. Est-ce le signe que l’Université elle-même est en train de devenir cet « nouvel » objet de l’économie que les uns redoutent et les autres appellent de leurs vœux ? On peut ent tous cas supposer que les universités les plus fortes et les plus innovantes survivront.
Dispositifs d’autorisation et de régulation de l’Etat – Le grand écart
De la mise en œuvre des politiques présentées jusqu’ici émerge, pour les universités, un grand nombre de tâches nouvelles ou différentes par rapport à celles des années d’avant 1984 et, à fortiori, à celles des réformes plus anciennes.
L’une d’entre elles est la manière de réguler et de contrôler les universités. Ici aussi l’on constate un double mouvement : d’un côté l’Etat qui renforce son rôle de tutelle, de régulation, d’arbitrage et, de l’autre, le même Etat qui fait adopter des pratiques de régulation et de sanction calquées sur les modèles du monde économique où prime la mesure des résultats par rapport à des objectifs.
Un nombre important de Commissions, Comités, Missions, Départements ministériels, programmes spéciaux, dispositifs prennent en charge l’accompagnement des Université pour le développement de leurs projets. Leurs avis sont généralement consultatifs, mais ils ont de plus en plus d’impact dans les arbitrages de l’Etat. L’échantillon qui va être présenté ci-dessous donne une idée de l’importance des exigences évoquées et aussi des difficultés à les concilier.
L’habilitation ministérielle – autorisation quadriennale de délivrance des diplômes par les universités. Elle fait partie d’opérations plus vastes, les Projets d’Etablissement, déclinés en un Contrat Quadriennal à travers lequel l’Université sollicite l’aval et le soutien de l’état pour sa politique locale dans le courant des quatre années à venir et après ; le dispositif oblige à une planification, devenue au fil des ans le point d’orgue de tous les grands débats stratégiques des Universités, un moment majeur de tout calendrier politique des universités, qui exerce de ce fait la fonction de régulateur du tempo des formations.
Le Conseil National d’Evaluation des Universités(CNE), qui procède à des évaluations de fond centrées soit sur une université, soit sur un domaine ou groupe de disciplines soit plus largement. (Article L242-1 Le Comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel procède à l’évaluation des réalisations dans l’accomplissement des missions définies à l’article L. 123-3.).
Un autre organisme similaire, le CNER (Comité National d’évaluation de la recherche), prend en charge, entre autres, la coordination de la recherche universitaire au plan régional, et la mise en œuvre des politiques de développement de ce secteur, telles que les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES). Ceux-ci sont destinés à fédérer les équipes, moyens et thématiques de recherche sur le territoire d’une Région ou plus largement. Il implique que la recherche se décentralise dans un mouvement parallèle à celui d’une certaine décentralisation des formations. Il est impossible de prévoir ce que seront les résultats de cette politique au plan Français, mais on peut supposer que pour certaines formations du domaine des SIC les arbitrages pris localement pourraient aboutir à un renforcement encore plus important des formations professionnelles au détriment de celles qui incluent la recherche.
Le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER), qui a des fonctions consultatives et disciplinaires (Créé par la loi du 12 novembre 1968, Loi Faure), il remplace le Conseil national de l’enseignement supérieur. Une autre loi, en janvier 1989, lui confère aussi un rôle disciplinaire. Il est aujourd’hui soumis aux articles L. 232-1 à L. 232-7 et D. 232-1 à R. 232-48 du Code de l’éducation), qui pèse lourdement sur les habilitations et la conduite des formations, y compris au plan crucial des recrutements des enseignants-chercheurs.
La Commission Nationale des Certifications Professionnelles (CNCP) qui n’a pas encore de fonction de régulation des formations généralistes, puisque sa mission se concentre jusqu’à présent sur les seules formations professionnelles ; mais les formations de caractère dit général, ou théorique, ou culturel, ou universitaire … doivent répondre, comme les autres, de leur ancrage professionnel, comme l’indique le texte constitutif de la CNCP :
« Créée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (n°2002-73), la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP) est placée sous l’autorité du ministre en charge de la formation professionnelle.
La commission est composée de 43 membres : représentants ministériels, partenaires sociaux, représentants des chambres consulaires, représentants des régions, personnes qualifiées.
Elle a pour mission de :
-
répertorier l’offre de certifications professionnelles (Répertoire national des certifications professionnelles),
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veiller à l’adaptation des diplômes et titres à l’environnement professionnel,
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mettre des recommandations à l’attention des institutions délivrant des certifications professionnelles ou des certificats de qualification.
-
signaler les éventuelles correspondances entre certifications,
- élaborer une nouvelle nomenclature des niveaux de certification.
Sous l’autorité de son président, la CNCP s’appuie sur les travaux d’une commission spécialisée, d’un secrétariat permanent et d’un réseau de correspondants régionaux. Elle contribue aux travaux internationaux sur la transparence des qualifications. »
De cette façon les logiques de professionnalisation, qui étaient avant prises en charge presque exclusivement par l’étudiant, accessoirement par son environnement familial, qui ont été par la suite progressivement intégrées dans des dispositifs de partenariat entre l’Université et des organismes ou organisations professionnelles, sont de plus en plus intégrées au niveau du Ministère à travers de nouveaux outils de certification, et donc de qualification professionnelle. Certaines des données requises désormais par la CNCP sont nouvelles mais, surtout, les autres qui n’avaient jusqu’ici qu’une valeur indicative de la performance des diplômes, auront une valeur sélective et les effets des sanctions changent les rapports entre formations tout autant que leur fonctionnement local. Ces certifications visent à doter les formations d’une valeur ajoutée professionnelle de plus en plus identifiée aux métiers et quantifiable ; les universités des domaines SHS éprouvent encore bien des difficultés à les adopter. Nous faisons l’hypothèse que cela est dû autant à un déficit de débats au sein de la communauté qu’à la cristallisation de ses positions idéologiques.
Conclusions
Nous l’avons énoncé au long de cette présentation, l’Etat a tout prévu pour atteindre tous les objectifs fixés à l’Université : cadres législatifs, budgétaires, dispositifs d’autorisations, de régulation, de contrôle, de sanctions ; la variété de formations sur toute l’échelle des connaissances, de la culture, des professions ; variétés de cycles pour s’adapter aux projets des étudiants et aux besoins des emplois ; des temporalités, facilités, moyens qui font que l’Education absorbe la part la plus importante du budget de la nation. Cette emprise de l’Etat n’est cependant pas absolue, elle laisse une part de liberté aux établissements afin qu’ils puissent, localement, fonder les diplômes qu’ils souhaitent. C’est à ce niveau micro social que les oppositions entre les deux types de formations deviennent caricaturales et engendrent des conflits paralysants pour la communauté universitaire. C’est à ce niveau que se font sentir au quotidien les conséquences pratiques du clivage.
Est-ce à dire que les difficultés évoquées ici ne seraient qu’une affaire locale ?
La suite de l’étude reste ouverte. Mais quelques hypothèses devront être mises à l’épreuve, telles que :
- Les formations à la communication sont confrontées, comme les autres des domaines des SHS, à la question de dosage entre la part de contenus professionnels et celle de contenus généraux.
- Le dosage idéal n’a pas encore été trouvé parce que chaque acteur du système a des attentes différentes et évolutives.
- Toute formation professionnelle au sein de l’université implique des conséquences que celle-ci ne peut pas toujours gérer au mieux ; la dotation en postes constitue un exemple de cela, mais bien d’autres conséquences doivent être identifiées.
- Les attentes des divers acteurs des formations généralistes et professionnelles entrent fréquemment en conflit dans la mesure où leur satisfaction dépend de structures universitaires rigides ; elles contribuent ainsi à établir les rapports de forces et les hiérarchies qui produisent les ascendances symboliques, statutaires, fonctionnelles, et celles-ci ne sont pas toujours en cohérence avec les missions et objectifs de l’Université.
- Les équilibres sont d’autant plus difficiles à instaurer que le système de formation est pauvre en moyens par rapport aux objectifs à atteindre et davantage lorsqu’il s’agit d’atteindre, au sein d’une même formation des objectifs à la fois culturels, scientifiques et professionnels ; la répartition de moyens pauvres augmente les inégalités de tous.
L’étude des finalités des formations ne peut faire l’économie d’un travail rigoureux de délimitations sémantiques, historiques, socio-économiques, sociétales. Les termes et notions sont polysémiques, historiquement utilisés à toutes fins utiles, détournés ad libitum, au point d’être insignifiants dans bien de discussions y compris académiques. Ce travail de définition va de pair avec celui de recherche des modèles explicatifs de chaque partie du problème. S’il convient d’abandonner la quête d’un modèle théorique qui réussirait à expliquer tous les déséquilibres et leurs conditions de stabilité, il faut toutefois au moins explorer les voies scientifiques, disciplinaires, méthodologiques susceptibles d’augmenter la cohérence des explications et par là de compréhension de la question. Les acteurs chargés de la gestion des formations y trouveront aussi inspiration pour les solutions.
Auteur
Luiz R. Busato
.: Luiz R.Busato est chercheur au GRESEC (EA 608)