Participation citoyenne et agir communicationnel Techniques et procédures de communication de « l’État en recomposition »
Résumé
Dans le droit fil de la théorie de l’agir communicationnel d’Habermas, le principe de démocratie participative se met en forme. Pour intégrer la population à la prise de décision politique, il est nécessaire d’informer et de débattre. Institutionnellement, la Commission nationale de débat public, fruits des recompositions de l’Etat et de l’action publique, s’inscrit parfaitement dans le contexte de la société de l’information voulue et prônée par l’Union européenne. Cependant, la CNDP et les Commissions particulières, dispositifs normatifs de communication innovants, paraissent par le statut qui leur a été donné et par les mécanismes utilisés, des moyens de contrôle et de régulation, du pouvoir politique sur la société civile.
Em português
Resumo
O direito da teoria agir comunicacional de Habermas, o princípio da democracia participativa põe-se em forma. Para integrar a população à tomada de decisão política, é necessário informar e debater. Institucionalmente, a Comissão nacional de debate público, frutos recomposicão do Estado e a acção pública, inscreve-se perfeitamente no contexto da sociedade da informação desjeda e proposta pela União Europeia. Contudo, o CNDP e as Comissões específicas, dispositivos normativos de comunicação inovadores, parecem pelo estatuto que lhes foi dado e pelos mecanismos utilizados, dos meios de controlo e de regulação, do poder político sobre a sociedade civil.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Bresson-Gillet Sylvie, «Participation citoyenne et agir communicationnel Techniques et procédures de communication de « l’État en recomposition »», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, 2006, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/07-participation-citoyenne-et-agir-communicationnel-techniques-et-procedures-de-communication-de-letat-en-recomposition
Introduction
A l’orée du XXIe siècle, pour la première fois en Europe le principe de la démocratie participative était inscrit dans un projet de « Constitution » mettant en scène la société civile comme actrice principale dans la démocratie participative.
Par rapport à la démocratie représentative, la démocratie participative recouvre des concepts devant permettre d’accroître l’implication et la participation des citoyens tant dans le débat public que dans les prises de décisions politiques subséquentes. Le principe de démocratie participative justifié par la loi promeut alors un pouvoir politique qui organise la discussion et donne à la parole une continuation pluraliste dans l’action collective. Condition de gouvernance entre un Etat de droit et le développement d’une démocratie moderne, ce principe s’inscrit dans le droit fil de la théorie de l’agir communicationnel de Jürgen Habermas pour qui « la politique délibérative constitue le cœur même du processus démocratique ».
Un peu partout, les expériences de démocratie participative (implication du citoyen dans le débat ou la controverse) se multiplient : jury citoyen aux USA, conseil de quartier au Brésil, conférence de consensus en Europe, débat public en France, la liste n’est pas exhaustive. Ces nouvelles formes de participation tentent d’une part de rétablir le lien et la confiance entre citoyens et décideurs tant au niveau local, national que transnational, et d’autre part à développer l’articulation des échelles de citoyenneté : chacun d’entre nous est citoyen local, régional, national, européen et du monde. Autant de conditions favorables à l’émergence de l’assemblage des échelles de la gouvernance qui permettent de procéder à la modernisation de l’Etat, mais aussi à sa transformation dans ses rapports avec la société.
« Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile » (1). Pierre angulaire du principe de la démocratie participative de la Constitution européenne, cette exigence vise à encourager la contribution aux discussions relatives aux choix politiques, des citoyens dont la collaboration requiert à la fois les conditions et les objectifs, prenant forme dans le cadre de dispositifs de participation construisant des connexions, des espaces de dialogue et d’interaction entre les discours et réalités de type expert et les paroles et considérations de simples citoyens. L’objectif est à la fois d’influencer les décisions politiques par les résultats de la participation et d’informer l’opinion sur un sujet complexe ou controversé, constituant un enjeu pour la société afin qu’il soit discuté au sein de la population. Il s’agit ainsi, d’augmenter la légitimité des décisions politiques découlant de la conception démocratique « habermassienne », promouvant la théorie de la discussion.
Par ailleurs, le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 a révisé la stratégie de Lisbonne, dans le sens d’un resserrement des objectifs sur la croissance et l’emploi et d’une « nouvelle gouvernance » tendant à une meilleure appropriation par l’ensemble des acteurs de ses objectifs. Cette nouvelle gouvernance de Lisbonne repose sur la mise en place de plusieurs instruments ayant pour objet notamment d’améliorer la connaissance et l’innovation. Cette orientation implique de soutenir la recherche et le développement, l’investissement dans l’innovation technologique et de promouvoir la société de l’information.
Ainsi, c’est dans le contexte de cette « société de l’information » que le principe de démocratie participative se met en forme, utilisant des techniques d’information et de communication (TIC) qui autorisent la combinaison et l’articulation des différentes formes d’expressions qui face au schéma traditionnel de diffusion unilatéral des médias (de l’émetteur vers le récepteur) favoriseraient la mise en œuvre de l’interactivité en offrant aux participants un processus de communication leur permettant de s’y impliquer selon un schéma de tous vers tous.
Sur ce point, la théorie mise en œuvre par le pouvoir est que pour intégrer la population à la prise de décision politique, il est nécessaire d’informer et de débattre, étant précisé que l’information est entendue comme étant une communication « persuasive » (Gerstle, 1992) (message à destination d’un public avec pour objectif de faire évoluer ou de modifier un comportement ou une opinion) et le débat comme une procédure permettant la confrontation de points de vue devant se concrétiser par la manifestation d’une information plurielle.
L’objet de cette étude est d’analyser les dynamiques dans le développement de la mise en forme du principe de démocratie participative en Europe par le prisme de la procédure française du débat public organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP) autorité administrative indépendante régissant les conditions d’un « agir communicationnel » : émergence d’une opinion publique qui se traduit en pouvoir communicationnel dont l’avantage, voire le droit, serait d’orienter l’usage du pouvoir administratif dans un certain sens.
La CNDP érige en postulat que « le débat public est une étape dans le processus d’élaboration du projet. Tout n’est pas joué et votre opinion sera une contribution à la décision. Il est donc important que vous vous exprimiez ». Quels sont les impacts concrets de ce dispositif en termes d’influence sur les acteurs ? De quelles façons est intégrée la parole du citoyen dans les processus décisionnels ? Comment les associations prennent-elles en compte cette procédure participative dans leurs actions de communication ?
Le débat public, processus délibératif, à l’épreuve de la démocratie
La pratique du débat public est née en France en 1995 avec la « Loi Barnier » sur le renforcement de la protection de l’environnement. Les dispositions concernant le débat public ont été modifiées par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et ses modalités concrètes d’organisation sont mises en œuvre par un décret du 22 octobre 2002.
L’objectif du législateur est de permettre l’information et l’expression la plus large possible de toutes les parties concernées (maître d’ouvrage, pouvoirs publics, élus, associations, experts, riverains, grand public, etc.) pendant la phase d’élaboration du projet, avant que les principales caractéristiques n’en soient fixées, c’est-à-dire à un moment où il est théoriquement, encore possible de le modifier, voir de l’abandonner.
La CNDP ainsi créée, est une Autorité administrative indépendante (AAI) composée de 21 membres nommés par le pouvoir exécutif, dont 1/3 de parlementaires et d’élus locaux, un 1/3 de magistrats et pour 1/3 : de représentants des associations agréées (environnement) de représentants de consommateurs et d’usagers et de personnalités qualifiées. Elle peut-être saisie à tout moment par chacun d’entre nous afin de discuter de l’opportunité d’un projet décidé ou en passe de l’être par les pouvoirs publics au nom de l’intérêt général, la CNDP décide s’il doit donner lieu à l’organisation d’un débat public. Dans la plupart des cas, elle désigne une Commission particulière du débat public (CPDP) chargée d’organiser ce débat et d’en garantir la sincérité et la transparence.
La CNDP est donc en théorie, chargée de veiller au respect de la participation du public dans l’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national dès lors qu’ils comportent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l’environnement et plus globalement dans ceux d’aménagement du territoire qui par leur ampleur tant concrète qu’économique engendrent une hypothèque sur plusieurs générations (2) (cette participation devant être assurée pendant toute la phase d’élaboration du projet, depuis l’engagement des études préliminaires jusqu’à la clôture de l’enquête publique) La CNDP devrait aussi, veiller au respect des bonnes conditions d’information du public durant la phase de réalisation des projets dont elle a été saisie jusqu’à la réception des équipements et travaux.
Concrètement, il s’agit donc, d’une procédure établissant des règles du jeu à la fois précises quant aux principes et souples quant aux modalités de mise en œuvre (commission particulière adaptée au sujet et au contexte local).
Le débat public est instrumentalisé au sein des commissions particulières, suivant cinq grands principes :
Transparence (clarté et accessibilité de l’information, sans privilégier quiconque)
Equivalence (toute personne a la possibilité de s’exprimer, poser une question ou émettre un avis ou une proposition)
Argumentation (débat construit progressivement sur la base d’opinions argumentées)
Neutralité (la CPDP s’assure de la qualité du débat et n’a pas d’avis à donner sur le projet)
Indépendance (la CPDP est indépendante du maître d’ouvrage et des pouvoirs publics)
Cette « profession de foi » de la CNDP semble être le gage d’une procédure permettant au citoyen : d’améliorer sa compréhension des politiques menées, d’exprimer ses craintes et les conditions de l’acceptabilité des projets et cela pour améliorer la qualité des décisions publiques, renforcer leur acceptation et doncla confiance dans l’action du pouvoir.
Cependant, il convient de ne pas perdre de vue que la CNDP est une AAI, innovation majeure dans notre organisation administrative. En effet, si l’article 20 de la Constitution stipule que le gouvernement dispose de l’Administration, les AAI échappent en théorie au contrôle du pouvoir exécutif. Ainsi, les AAI portent-elles une contradiction fondamentale : la Constitution plaçant l’administration sous l’autorité du gouvernement, comment une autorité administrative pourrait-elle en être indépendante ? Tel un oxymore juridique, la notion d’autorité administrative indépendante rassemble donc deux attributs antinomiques, pouvant laisser penser que la création des AAI ait pu être motivée par la volonté de leur voir confier le règlement de questions dont le gouvernement ne voulait pas assumer la responsabilité politique, mais apparaissant aussi comme une nouvelle façon de gouverner favorisant la transparence, la consultation et la négociation. Finalement, et en dépit des garanties d’indépendance qui la distinguent, l’action des AAI s’inscrit parmi les interventions de l’Etat.
Les AAI bien qu’étant en rupture avec l’organisation traditionnelle de l’Etat (échappant au contrôle du gouvernement et pouvant pour certaines, cumuler tous les pouvoirs normatifs, d’application et juridictionnels [sanctions]) agissent cependant, au nom de l’Etat et engagent sa responsabilité.
Les AAI ont toutes un point commun conséquence de ce qui vient d’être dit : le pouvoir d’influence qui est essentiel à leur mission. Cette capacité tient d’une part à leur « pouvoir juridique de savoir » qui leur permet d’obtenir des informations des administrations et des professionnels et d’autre part à leur « pouvoir de faire savoir » au moyen de leurs rapports et de leurs initiatives en matière de communication. L’avis du Conseil d’Etat sur ce point, est sans équivoque : « considérant que peu importe de ce fait que les autorités administratives indépendantes n’édictent pas toutes et exclusivement des décisions exécutoires, dès lors que leur pouvoir d’influence et de persuasion, voire «d’imprécation», aboutit au même résultat. »
Le constat est que tant par leur structure que par leurs modalités de fonctionnement la CNDP et les CPDP n’ont pour mission et vocation que d’influencer les différents acteurs du débat public, y compris le maître d’ouvrage puisqu’en amont du débat la CNDP se doit de veiller à la lisibilité du dossier pour des non-spécialistes, de chercher à éclaircir les points obscurs ou ambigus et s’assurer que le dossier apporte un éclairage pluraliste et complet. En outre, le thème de chaque débat est déterminé par la seule CPDP.
Ainsi, et quel que soit le contexte dans lequel le débat public est mis en œuvre, la CNDP et les CPDP, dispositifs normatifs innovants de communication, sont en réalité de par leur nature, des dispositifs de contrôle et de régulation du pouvoir politique sur la société civile. L’enjeu de l’agir communicationnel du débat est comme l’indique le président de la CPDP Iter : « La finalité même du débat public fait du contenu des réunions une sorte de contrat social de référence. » De la sorte, ce dispositif va permettre la formation d’une opinion publique, sous influence, visant à l’appropriation du projet et de ce fait conduire les acteurs à contribuer à son acceptation ; c’est le glas de la notion d’intérêt général au profit du « contrat de groupe », mais est-ce pour autant un progrès dans l’exercice de la citoyenneté dans le cadre d’une démocratie participative ?
L’analyse de la tenue du débat public (janvier à mai 2006) concernant l’installation sur le site de Cadarache d’ITER [centre d’étude et de recherche de fusion nucléaire, regroupant outre l’Union Européenne, 6 nations dont le coût de financement est estimé à 10 milliards €] organisé par la CPDP Iter (17 réunions au total) ne semble pas pouvoir apporter une réponse satisfaisante à cette dernière question.
Le débat public Iter : un média alternatif ?
Institutionnellement, la CNDP et les CPDP, fruits des recompositions de l’Etat et de l’action publique, s’inscrivent parfaitement dans le contexte de la société de l’information voulue et prônée par l’Union européenne. La CNDP est un organe de communication de la participation du public au processus d’élaboration de projets, devant permettre : la connaissance, une information pluraliste et la prise en compte d’une pratique sociale.
L’étude de la CNDP et des CPDP, processus délibératif mis en œuvre dans le cadre des principes de « démocratie participative », fait apparaître que ces entités présentent des caractéristiques communes à celles d’un média alternatif tant sur le plan des fondements que des moyens mis en œuvre (indépendance, transparence, interactivité, utilisation des nouvelles techniques de communication). Mais, qu’en est-il concrètement ? L’examen de la tenue des réunions de la CPDP Iter permet une approche de réponse.
La CNDP et la CPDP affirment avoir toujours fait preuve d’un grand niveau d’exigence aussi bien dans le respect de la « ligne éditoriale » des outils du débat (dossier du maître d’ouvrage, site Internet, lettres du débat, cahiers d’acteurs) que dans la qualité des contributions proposées. Reste qu’il existe une césure entre savoirs experts (scientifiques du CEA) et profanes. En tant que contributeurs, le CEA tient, avec les pouvoirs publics représentés par la cellule préfectorale de la « Mission d’accompagnement du projet d’Iter », largement le haut du pavé. En définitive, lors des séances CPDP, seuls ces deux acteurs produisent l’information et l’expertise, laissant le public sur l’impression « que tout est joué d’avance », même si la CPDP s’évertue à affirmer le contraire ; il y a là une contradiction que le public ressent, certains acteurs (membres d’associations) ont qualifié cela de « parodie de démocratie ».
De plus, l’organisation matérielle par la CPDP Iter des réunions tient d’une mise en scène savamment orchestrée : la tribune composée du CEA et de la cellule préfectorale, et le public où se trouvent de simples citoyens, une présence systématique d’agents du CEA (une quarantaine) qui sont là en tant que contributeurs experts-scientifiques prêts à intervenir, éparpillés avec les membres de la CPDP et quelques fonctionnaires des Renseignements généraux. Le citoyen est encadré à la fois par les pouvoirs publics (membres CPDP, Mission Iter, représentants politiques de l’Etat et de l’Union européenne, élus) et les participants CEA. C’est sans doute là, le décorum nécessaire pour mener à bien la transmission d’une information visant une modification du comportement de l’individu, s’agissant d’une communication stratégique et sociale, légitimant la politique des pouvoirs publics et engageant le citoyen vers un processus de transformation avec comme conséquence une implication et une responsabilité.
En outre, l’énoncé performatif de l’ensemble de la communication de la CPDP Iter (lettres du débat, rappel des règles du débat) lors des séances, met en scène un projet politique qui ne se contente pas de décrire, ici on exécute une action.
Dans cet environnement, le citoyen mal à l’aise, est réticent pour tenter d’entrer en relation, avec les « officiels » en nombre et tous d’accord sur ce qui les réunis : voir leur projet aboutir. Là, le citoyen est seul et non préparé à entrer dans une telle arène de la discussion où, même si le principe d’équité y est prôné, il n’est que rarement suivi d’effet, car on ne peut pas vraiment dire que le citoyen dispose des mêmes ressources (de communication et d’expertise) que les acteurs de la tribune.
Restait alors pour une confrontation d’idée, les associations qui mieux structurées et rompues aux débats publics, auraient pu faire entendre leur voix ; cependant, la tenue du débat public ayant été postérieure à la signature des accords internationaux (décidant la réalisation d’Iter et retenant le site de Cadarache) à Moscou en juin 2005 (3), la plupart des associations n’ont pas voulu cautionner ce qu’elles ont qualifié de parodie, face à la volonté de la CPDP de ne pas vouloir débattre de cette question. La CPDP s’est alors engagé dans une posture communicationnelle singulière qui mit sur la touche toute forme de contestation au projet dés la première réunion, en l’annulant. Ceci a eu pour conséquence de casser la dynamique du débat et de discréditer le processus de démocratie participative annoncé. Pourtant, ce qu’exige le débat c’est la confrontation entre opinions adverses.
Le débat n’est pas seulement la recherche des raisons et arguments qui peuvent justifier une action. Le trait distinctif du débat réside dans la recherche et l’examen d’arguments pour, mais aussi contre. Cette conception s’inscrit dans une longue tradition philosophique, où se retrouvent Aristote et Hobbes : « Délibérer, ce n’est rien d’autre que de peser […] les avantages et les inconvénients de ce que nous voulons entreprendre. »
Mais peut-on critiquer l’attitude de la CPDP alors que la CNDP définit le débat public comme une procédure qui fait entrer les participants dans un cadre et dans une méthode, préalablement et unilatéralement établis par le pouvoir ? On veut des acteurs disciplinés qui répondent dans les formes voulues, à l’offre de participation qu’il leur a octroyée. D’ailleurs, outre la mise en scène (tribune, RG, caméra, etc.) sont rappelés à l’ouverture de chaque séance les principes et la législation de cette procédure développée par l’Etat, amplifiant ainsi le caractère solennel et contraignant et excluant toute forme de participation spontanée, en particulier celle qui est difficilement prise en compte par ce dispositif.
Après avoir assisté à la quasi-totalité des réunions tenues par la CPDP Iter et relevé des déficiences en matière d’organisation : non respect du calendrier (horaires avancés ou retardés) signalétique des lieux de réunion inexistante, mauvaise gestion des ressources d’information (contributions d’acteurs arrivant trop tard dans la progression du débat), le constat qui peut en être tiré est que le citoyen, seul, est incapable de manier la controverse face à la tribune, ne possédant pas les ressources nécessaires pour construire progressivement un débat sur la base d’opinions argumentées. Les quelques rares citoyens ayant des connaissances expertes suffisantes n’obtinrent qu’exceptionnellement des réponses satisfaisantes à leurs questions (à l’occasion de plusieurs réunions successives, les mêmes questions étaient posées par les mêmes personnes ou reprises par d’autres). Mais, et c’est là le constat important, la CPDP a toujours évité qu’un véritable débat s’instaure, en utilisant la méthode des questions-réponses et en veillant à ce que l’enchaînement des questions ne réponde pas à une suite logique.
Dans ces conditions, le mécanisme communicationnel adopté par la CPDP, interdit toute interaction entre la tribune et le citoyen qui se trouve dans l’incapacité de pouvoir mettre à l’épreuve au cours du débat, l’argumentaire du CEA et des pouvoirs publics.
Enfin, le débat implique la rencontre entre les différents acteurs et donc que le citoyen se mobilise. Or, le taux de participation aux séances de la CPDP Iter était particulièrement faible (en moyenne 50 participants par séance, déduction faite des personnels CEA, pouvoirs publics, CPDP et RG) et cela a été vérifié dans de nombreuses autres CPDP. Cette insuffisance de public met en question la légitimité de la CNDP. En effet, l’offre de participation au débat public venant d’en haut, la réussite de cette participation tient autant à l’interactivité constructive, conflictuelle ou aphasique entre les parties que de leur rencontre.
Les constats univoques qui peuvent être dégagés de cette étude sont :
- Qu’il est avéré que le citoyen désire être informé pour se forger une opinion que sa participation personnelle dans un débat public l’est déjà beaucoup moins et que, quant à son implication dans le processus décisionnel, elle ne semble pas être souhaitée
- Que concrètement, dispositif au service du pouvoir, la CNDP ne peut être véritablement qualifiée de média alternatif, car elle n’est pas un vecteur de la liberté d’expression, même si elle s’en défend
- Que même si, pour les associations (voire les partis politiques) la CNDP offre la possibilité de se faire connaître et reconnaître par le citoyen, elles ne veulent pas systématiquement, cautionner par leur présence un projet contraire à leurs idées (car, si la formulation des opinions est bien enregistrée, la clé du débat reste le « contrat social » qui in fine, sera conclu et opposé ensuite aux participants).
En conséquence, la CNDP, outil de la « démocratie participative », « média alternatif », ne semble être, tout au plus, qu’un nouveau mécanisme de médiation dont l’objectif presque avoué, comme on l’a vu, est l’acceptation par le citoyen de ce que sa participation au débat public l’implique quasi contractuellement.
Si le principe de démocratie participative prôné par l’Union européenne peut être, dans son acception théorique, le fondement d’un dispositif de communication, force est de constater que l’étude du débat public tel qu’il a été institutionnalisé en France, met en exergue des techniques et des procédures de communication qui s’éloignent fortement de ce principe. Car, si « diriger est avant tout, une affaire de communication » (KarlDeutsch), le pouvoir communique, selon David Berlo, pour influencer et pour exercer un effet conforme à ses intentions. Ainsi, et quoique les considérations théoriques soient fondées à revendiquer leur autonomie, « leur capacité ou leur incapacité à prendre en compte les insatisfactions ressenties par les citoyens reste essentielle. Ce qui peut apparaître au premier abord comme une banale dissociation de la théorie et de la pratique, et être discuté comme telle, renvoie en fait plus fondamentalement à la tension entre le moment juridique et le moment sociologique ou socio-historique de la démocratie. » (Rosenvallon, 1998).
Notes
(1) « Traité instituant une Constitution pour l’Europe », Art. I-47 : Principe de la démocratie participative.
(2) Pour Iter, on parle d’un projet sur les quarante prochaines années et plus « Là, vous avez le débat 30 ou 40 ans avant » : http://www.debatpublic-iter.org
(3) Le gouvernement a saisi du projet Iter la CNDP, en ces termes : « L’objectif du débat public étant de permettre la consultation du public en amont des grands projets… il me semble souhaitable d’engager cette procédure avant la signature de l’accord international ». Or, ce n’est qu’en janvier 2006 que la CPDP a ouvert le débat.
Références bibliographiques
Blondiaux, Loïc ; Sintomer, Yves (2002), « L’impératif délibératif », Politix, vol. 15, n° 57.
Callon, Michel ; Lascoumes, Pierre ; Barthe, Yannick (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris : Seuil.
Gerstle, Jacques (1992), La communication politique, Paris : PUF.
Habermas, Jürgen (1997), Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris : Gallimard.
Manin, Bernard (1996), Principes du gouvernement représentatif, Paris : Flammarion.
Rosenvallon, Pierre (1998), « Le nouveau travail de la représentation », Esprit.
Rui, Sandrine (2004), La démocratie en débat, Paris : Colin.
Vallemenont, Serge (2001), Le débat public : une réforme dans l’Etat, LGDJ.
Auteur
Sylvie Bresson-Gillet
.: Maître de conférences, Université Pierre Mendès France (Grenoble 2)
Chercheur au Gresec