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Internet et les partis politiques : quelle place réelle pour le citoyen ?

6 Mar, 2006

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Munoz Céline, « Internet et les partis politiques : quelle place réelle pour le citoyen ?« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°06/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2005/varia/06-internet-et-les-partis-politiques-quelle-place-reelle-pour-le-citoyen

Introduction

Le développement des nouvelles technologies d’information et de communication, et leur appropriation durant ces dernières décennies, a réitéré la question de l’incidence des techniques d’échange sur la démocratie. Dans un contexte où la médiation du système démocratique rencontre des difficultés, où la participation des citoyens s’amenuise, les NTIC se sont profilées comme des dispositifs susceptibles de rapprocher les administrés de l’élaboration des politiques publiques (Papadopoulos, 1998) et de redonner sens à une « citoyenneté active ». Mais cette possibilité d’une pratique démocratique supposée plus égalitaire reste une topique très controversée.

On distingue d’abord les chercheurs valorisant l’apport des NTIC et en particulier d’Internet, en matière de démocratie électronique. Cet outil délivre quantité d’informations de qualité, sans limite et à peu de frais, permettant ainsi une meilleure transparence de l’action gouvernementale. Il s’érige également en un nouvel espace public, caractérisé par l’ouverture, la liberté d’expression, qui stimule la discussion entre les citoyens et le débat avec les hommes politiques (Vedel, 2003, p. 41-59). C’est un lieu qui transcende les obstacles culturels, sociaux, spatio-temporels (Rodotà, 1999, p. 60-61), permettant ainsi, l’avènement d’une « conscience planétaire » (Lévy, 2000).

Un second axe regroupe des discours plus critiques à l’égard d’une soi-disant plus-value démocratique, générée par Internet. On lui reproche des inégalités d’accès et d’usage : il n’est pas l’apanage de tous, malgré les cours d’initiation proposés et la baisse du prix des ordinateurs et des abonnements. C ‘est ensuite l’absence d’une réelle interaction entre gouvernants et gouvernés qui est avancée (Loiseau, 2003). Enfin, certains rappellent l’importance de l’usager, soulignant que la technique ne transformera pas sui generis, les comportements politiques des citoyens désabusés (Wolton, 2000, p. 11). Elle risque même d’augmenter le fossé qui sépare les groupes organisés actifs, des administrés inactifs. Enfin, ce courant dénonce l’imaginaire idéaliste créé par les partisans du tout-Internet et encourage à une désacralisation de cette nouvelle technologie d’information et de communication, pour ne pas occulter ses effets pervers (Breton, 2000, p. 47 sq.).

Ces différentes positions résultent pour la plupart d’a priori idéologiques. Quant à cet article, il propose de fournir une réflexion, sur cette question de l’impact des NTIC sur la pratique démocratique, ancrée dans le champ expérimental. Il s’agira de vérifier empiriquement si Internet donne réellement la possibilité à chaque citoyen d’échanger avec ses représentants, de participer à la gestion des affaires collectives et de contribuer à l’élaboration de sa réalité politique. Autrement dit, peut-on vraiment parler de démocratie électronique ou n’est-ce encore qu’un leurre des discours enchanteurs suscités par les nouvelles technologies ?

La notion de démocratie électronique sous-tend globalement trois répercussions sur la vie citoyenne : un accès rapide à une masse d’informations, une participation favorisée par des techniques nouvelles et une action délibérative plus directe (Rodotà, 1999, p. 181 sq.). La validité de ces trois hypothèses mises en exergue sera testée au travers d’une étude de cas singulière : les sites de partis politiques français. Les efforts déployés sur ces sites pour délivrer quantité d’informations variées seront observés. Puis l’efficacité des techniques de participation disponibles en ligne sera mesurée, afin de réfléchir à la part d’action des citoyens dans les processus de prise de décision publique et d’évaluer les éventuelles carences des sites de partis politiques.

Le pôle informationnel des partis politiques

La validité de la première hypothèse évoquée, concernant le potentiel informationnel des sites Internet, va être vérifiée par la mise en oeuvre d’une grille d’analyse, exploitant les six fonctions du langage formalisées par R. Jakobson (1960, p. 218-220). Partant du principe qu’à chaque fonction correspond un type de données, l’idée est de déterminer celles qui sont présentes sur les sites étudiés. L’objectif étant de savoir si les sites de partis politiques satisfont le principe démocratique d’une nécessaire information des citoyens.

Deux fonctions primordiales se combinent avant tout, sur tous les sites analysés : la fonction « expressive » et celle dite « poétique » et pour cause, elles répondent à la nécessité ontologique pour les partis de se faire connaître. Elles engendrent un premier type d’informations concernant l’identité des mouvements politiques.

La fonction expressive rend compte de renseignements centrés sur l’émetteur, à savoir les partis en représentation. Elle se manifeste dans les thématiques relatives à leur programme, leurs idées, leur histoire et leurs élus, mais aussi par les pronoms personnels utilisés. La première personne du pluriel est en effet récurrente et marque les prises de décisions de chaque parti : « Nous avons choisi de défendre (…) » (UDF), ses idées : « Notre programme » (LO) ou les sollicitations adressées à l’internaute : « Nous vous invitons (…) » (UMP). Les mouvements émettent un contenu informationnel substantiel sur leur interprétation du monde politique, strictement liée à leur tendance singulière. Le parti politique en tant qu’entreprise de représentation, s’insère dans une compétition politique (Offerlé, 1991, p. 21-22). Dans cette logique où la motivation première est de diffuser une image positive de son organisation, Internet représente un canal non négligeable. Il permet d’accroître la quantité d’informations fournies aux internautes et leur transparence. Il donne un accès direct à bon nombre de documents désormais aisément consultables. Le Net offre donc aux mouvements politiques leur propre espace d’expression, pour sensibiliser les citoyens à leur cause. On retrouve en cela l’un des fondements démocratiques : la facilité d’accès à l’information. Les possibilités techniques établissent un nouvel espace public où les mouvements politiques peuvent désormais se « raconter », de leurs origines jusqu’à leurs actions actuelles et exposer leurs chevaux de batailles, leurs engagements… Ainsi chaque internaute peut venir y puiser librement des informations sur les tendances politiques pour ensuite adhérer à l’une ou à l’autre. D’où l’intérêt pour les mouvements de tenter d’attirer les internautes en travaillant la forme de leurs messages.

On rejoint la fonction poétique qui joue davantage sur l’aspect formel des sites. Internet, ouvre une voie nouvelle aux partis politiques pour séduire, susciter la curiosité et l’intérêt des citoyens, par des formes graphiques et des teintes accrocheuses. Mais l’esthétique des sites n’en n’est pas moins significative. Les couleurs choisies sont, d’une manière générale, en adéquation quasi parfaite avec celles des logos des partis, leur conférant ainsi une visibilité quant à leur idéologie (Holzschlag, 2001, p. 154). Ainsi « Les Verts » optent pour la couleur désignée par leur nom qui évoque des ressources naturelles telles que la forêt, les paysages, les espèces sauvages… Elle fait référence à la nature, aux végétaux, aux espèces animales, tout en ajoutant une note d’espoir quant aux aspirations écologistes de ce mouvement. L’information sur l’identité des partis passe donc aussi par la forme qui enrichit le contenu. Outre le choix des teintes, tous les canaux sont exploités sur Internet pour répondre au critère de la transparence de l’action politique : textes, enregistrements sonores, images, photos, vidéos en ligne, rendent accessible des documents relatifs aux activités des mouvements et à la vie politique. Le Web et ses nouvelles logiques apportent également un bouleversement quant aux modes de lecture et de recherche. L’internaute n’est plus obligé de se plier à une information qui se découvre seulement linéairement. Il peut naviguer à son gré en ne consultant que les données recherchées. Dans un contexte de désaffection à l’égard du politique, cette liberté du citoyen, affranchi des contraintes de temps, de distance, de lecture… est un atout pour les partis.

Une troisième fonction se profile comme un maillon essentiel sur les sites observés : la fonction « référentielle ». Elle renvoie à un référent spécifique, en l’occurrence ici au contexte dans lequel s’insèrent les partis. L’apport informationnel se situe donc au niveau de l’actualité de la société de référence. Les discours tenus sur les sites y font généralement allusion mais selon des angles d’approche différents. Aussi, le même cadre social est-il abordé par différentes brèches. La crise des banlieues, pour prendre un sujet d’actualité récent, a donné lieu à des traitements hétéroclites, selon la tendance des mouvements. Les Verts ont approché cette question, conformément à leur politique écologiste, en la raccrochant à une crise plus profonde, découlant de l’évolution de la mondialisation et du modèle de développement actuel, incompatibles avec ce que la planète peut supporter. Quant au FN, il a abordé la crise des banlieues par le prisme de son idéologie d’extrême droite en affirmant qu’elle révèle « qu’avec les populations du tiers monde, l’assimilation ne marche pas ». Pour ce qui est du PS, qui revendique un humanisme social, mettant l’homme au cœur de la préoccupation politique, il a rappelé la pertinence de son combat contre les inégalités et sa lutte contre les privilèges. Les exemples pourraient être multipliés. L’essentiel est de souligner que chaque mouvement élabore son propre monde social de référence. Dans cette logique Internet s’érige en un nouvel espace public où chaque tendance politique peut exposer ses idées. On retrouve en cela deux principes démocratiques forts : la liberté d’expression et la libre circulation des opinions qui découlent d’une liberté politique première, déjà formalisée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Art. 11). Autrement dit, ce nouveau moyen d’information et de communication offre la possibilité aux internautes de s’informer en temps réel de l’actualité politique et de se forger leur propre idée du monde social.

Enfin, les fonctions « phatique », « conative » et « métalinguistique » sont présentes et il semble plus logique de les regrouper car elles concourent toutes trois à dévoiler l’objectif principal de ces mouvements : l’action des citoyens-militants. Le parti politique se définit comme un groupe social spécifique en ce sens qu’il fait appel au peuple, sollicitant son soutien, en vue de l’exercice direct du pouvoir (Lancelot, 1996). Ce bref rappel met en relief trois visées de ces organisations : interpeller les citoyens, les convaincre et les faire agir. On se souciera pour l’instant des deux premières en les abordant par le biais d’une part de la fonction phatique et de l’autre de celles conative puis métalinguistique.

La fonction phatique informe sur la volonté des partis d’établir le contact avec les internautes et d’attirer leur attention. Étant donné leur objectif inhérent, à savoir la conquête et l’exercice du pouvoir, il n’est pas surprenant que ces mouvements s’adressent aux citoyens en vue de se rallier de nouveaux sympathisants (Mény, 1999, p. 53). Plusieurs éléments impulsent un cadre d’échange. La formule de courtoisie « Bienvenue » accueille l’internaute sur la plupart des « homepages ». Elle est parfois complétée par un mot d’accueil, comme c’est le cas sur le site de l’Union pour la Démocratie Française : « Que vous veniez d’adhérer à l’UDF ou que vous soyez simplement intéressé par notre démarche, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous portez à notre famille politique (…) ». Cette formule conventionnelle, vise à capter l’attention du citoyen et à rendre la communication effective, avant la transmission d’informations utiles. D’autres tendances cherchent à interpeller le destinataire par leur idéologie politique. Ainsi le site du Front National, a pour titre « FN le parti de la France ! », transcrivant l’exaltation nationaliste qui le caractérise. Quant à celui des Verts, il annonce d’emblée la couleur : « Les Verts, Parti écologiste ». Le pronom personnel « vous » qui explicite le récepteur, assume également cette fonction de prise de contact. Il crée un lien entre les acteurs de cette relation électronique afin de mieux agir par la suite sur l’internaute.

Cette volonté de convaincre les citoyens répond d’abord à la fonction conative qui se manifeste dans le discours de l’émetteur. Elle transparaît sur les sites de partis politiques principalement par l’usage de la modalité impérative qui est destinée à obtenir du citoyen qu’il se comporte selon le désir du locuteur (Calvet). Le PS suit cette logique injonctive : « Consultez les contributions », « Abonnez-vous », « Commandez les numéros de la Revue Socialiste »… Le mouvement entend ainsi inciter l’internaute à consulter des documents au sein du site et à s’engager avec ce parti. Il arrive aussi que le récepteur soit inclus dans un « nous »qui l’associe directement à l’émetteur dans une expérience commune. L’UMP use de l’impératif à la première personne du pluriel pour désigner, à la fois les membres du parti et les visiteurs : « Ensemble, faisons grandir l’Union ». Il incite l’internaute à se joindre à l’action de l’UMP. Les termes Ensemble et Union attestent l’idée d’un engagement mutuel en vue de donner davantage de force à leur activité militante commune. Par cette utilisation de l’impératif, le citoyen devient d’office, membre d’une communauté politique.

La fonction métalinguistique transparaît de manière plus implicite dans le langage utilisé par les partis et révèle leurs codes idéologiques. Elle transcrit avant tout, des informations concernant le profil des électeurs-partisans recherchés selon les tendances. L’exemple de LO est probant. Ce mouvement d’extrême gauche cible avant tout les citoyens par leur type d’activité : « travailleurs, travailleuses », « ouvriers », voire même par rapport à la cessation de leur emploi : « chômeurs ». Autrement dit, il s’agit principalement de salariés, que le parti s’efforce de défendre par ses idées politiques. Le travailleur, tel qu’il est établi par LO, appartient à une catégorie socioéconomique moins favorisée que d’autres, à savoir, selon ses mots, « la population laborieuse », « ceux qui sont exploités ». L’électeur visé, tel qu’il est défini en filigrane, donne des informations sur les valeurs de ce mouvement, son idéologie et ses visées : la défense politique des exploités. Les idées fortes des partis apparaissent ensuite sur leurs sites, par la récurrence de certains mots-clés. Ainsi les termes France, français, patrie, identité, souveraineté, sécurité, reviennent sans cesse dans les discours en ligne du FN, traduisant des valeurs d’ordre, de conservatisme et d’exaltation de sa patrie, de sa culture, défendues par ce parti.

L’étude de ces six fonctions du langage met en évidence une caractéristique essentielle des sites de partis politiques : l’importance d’un potentiel informationnel focalisé sur leurs idées, leurs valeurs, leurs objectifs. En impulsant un nouvel espace public, Internet démultiplie les informations fournies aux citoyens. Le fond comme la forme sont mis à contribution pour satisfaire l’impératif démocratique qui veut que chaque citoyen soit informé de manière transparente. Mais qu’en est-il de l’échange entre les partis politiques et les internautes ? Des nouveaux moyens de participation et de communication sont-ils mis à leur disposition ?

De nouvelles pratiques de discussion et d’échange ?

L’hypothèse d’une participation augmentée des citoyens suppose l’existence de nouvelles pratiques participatives, impulsées par Internet. Aussi, les moyens de communication disponibles en ligne vont-ils être présentés afin de juger dans la partie suivante, de leur réel apport en matière d’échange entre internautes et dirigeants politiques.

Le courrier électronique est la technique d’échange la plus répandue sur le Net. Il permet aux usagers munis d’une adresse e-mail et d’un accès au réseau, d’envoyer instantanément des messages aux partis. Certains mouvements, tel que l’UDF, le PRG, les Verts… précisent même l’adresse électronique de chaque membre de leur mouvement, afin de proposer un contact plus direct. On peut légitimement penser que cet outil d’expression stimule la participation citoyenne. En effet, ce procédé autorise les électeurs à émettre une question, une idée, une remarque, une critique aux élus de façon simple, rapide, sans contrainte d’horaire ou de distance. Entraînant une plus grande informalité, il abolit les barrières sociales des classes et de la hiérarchie. Les délais de réponse diminuent également par rapport au courrier postal, favorisant une communication plus spontanée. Cette technique réinstalle donc l’internaute dans un rôle d’émetteur, de participant, rompant avec la logique unilatérale des médias de masse (Vitalis, 1999, p. 36).

Les sites de partis politiques arborent des espaces publics de discussion, où chaque citoyen peut librement s’exprimer, poser des questions ou y répondre : les forums. L’UDF présente ce type d’espace contributif destiné à favoriser la libre expression des idées, des propositions et d’animer le débat politique. Seize thématiques globales composent ce forum qui, semble-t-il, est un espace de discussion très actif. En effet, près de 3000 membres s’y sont inscrits entre 2003 et 2005, soit environ 95 inscriptions par mois. En outre on peut compter presque 76 000 contributions apportées. Les forums sont donc des espaces favorables à la participation des citoyens-internautes qui n’hésitent pas à investir ces outils mis à leur disposition.

Le sondage est une technique également proposée en ligne. Dans ce type de participation des citoyens, les choix de la question et des propositions de réponses restent imposés par le parti politique. En revanche l’internaute peut librement exprimer ses préférences et faire part de son opinion sur tel ou tel sujet. La logique des pétitions sur ces sites offre aussi la possibilité d’exprimer un avis sur une question précise, en l’occurrence un avis critique. Dans les deux cas, ces pratiques aident à la formulation d’un projet ou d’un idéal politique. Aussi récemment, la Gauche s’est unie sur Internet pour lancer une pétition pour l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant le rôle positif de la colonisation. Quant au site de l’UMP il héberge régulièrement des sondages sur des sujets de type : « Quel candidat pour l’UMP en 2007 ? « .

Le vote en ligne est en cours d’exploration. C’est ainsi que l’UMP a été la première formation politique à y recourir pour ses élections internes. Ce mouvement politique a aussi ouvert entre le 9 et le 21 janvier 2006, un scrutin entièrement électronique sur la modification des statuts et du règlement intérieur. Toutefois, le vote par Internet n’est pas encore généralisé en France, à tous les partis et encore moins à tout type d’élection.

Il ressort de ces différentes pratiques participatives, de francs efforts des partis pour consulter davantage les citoyens et répondre à leurs attentes, leurs questionnements et leurs revendications. Ces techniques d’expression semblent donc plutôt prometteuses, quant à l’espoir d’une augmentation de la participation des internautes. Reste à savoir ce qu’une analyse empirique plus poussée dévoile.

Une part d’action effective de l’internaute dans la prise de décision publique ?

La question qui se pose est de savoir si l’introduction de nouvelles technologies de communication engendre forcément une participation plus démocratique. Aussi, il s’agit d’avoir à présent, une attitude critique à l’égard des pratiques exposées.

L’e-mail, en tant que moyen d’échange le plus utilisé sur le Net, pourrait être compatible avec l’idéal de la communication démocratique. Pourtant, une analyse empirique a percé à jour une carence essentielle. Une demande de renseignements a été adressée par mail, à tous les sites de partis politiques. La date d’envoi était la même, ainsi que le contenu des messages qui se résume à cela : quelle est la date de mise en ligne de votre site ? Est-il mis à jour régulièrement ? Que représente Internet pour votre parti ? Pourriez-vous me communiquer le nombre de visiteurs que votre site a comptabilisé au mois de février 2003 ? Sur la totalité des e-mails envoyés, une seule réponse nous est parvenue. Il s’agissait d’un avis de réception automatique du PS. Un mail a suivi trois jours plus tard, où l’administrateur e-courrier se contentait de nous demander de reformuler notre demande, ce que nous avons fait et ce, sans aucune suite. Le taux nul de réponse a fait ressortir une faille structurelle de ces sites. On ne peut donc pas dire que l’e-mail entraîne obligatoirement un accroissement des échanges. Encore faut-il que les mouvements s’organisent pour prendre en compte l’expression des citoyens.

Pour ce qui est des forums, cette technique semble la plus à même d’ouvrir un espace de participation politique aux internautes, en ce sens qu’elle réinstalle l’individu dans un rôle d’émetteur, coopérant ainsi à part entière, à la gestion de la res publica. Toutefois, les dirigeants des partis politiques sont absents de ces espaces de discussion. Il n’y a pas d’échange vertical, dirons-nous de manière schématique, entre le corps politique constitué des gouvernés et les partis. Au contraire, c’est le manque de rétroaction de la part des mouvements politiques qui prévaut, donc une carence de communication politique. Nous sommes loin d’un modèle d’échange et de discussion, qui serait le fondement d’une démocratie délibérative et qui plongerait l’individu dans un flux de dialogues avec ses représentants. On retrouve, une fois de plus, un décalage entre le foisonnement de techniques et le manque d’échange effectif.

Le sondage est aussi un procédé à nuancer. D’une part car la palette de propositions est imposée, aboutissant à une réduction des possibilités de choix des citoyens. De l’autre parce que les conditions de réponse sur Internet sont particulières. En effet, le médiateur humain disparaît au profit d’un terminal électronique. Privé de la confrontation qui inspire un minimum de respect et de concentration, l’internaute risque de se précipiter davantage. Cette facilité de réponse en un « clic » pose le problème de la véracité de l’analyse qui ressort et du poids de ces sondages. En effet, ils peuvent donner lieu à des résultats peu concordants et non révélateurs de la réelle tendance de la vox populi. Ce modèle de questionnaire risque plutôt de faire apparaître une « démocratie à chaud » (Vedel), dans laquelle les internautes expriment en permanence et sans recul, des avis sur toutes sortes de problèmes. L’idée de sondage express est corroborée par la possibilité de consulter immédiatement les résultats, après avoir donner sa réponse. Aussi, trouve-t-on des chiffres différents pour chaque réponse, qui ont, on ne sait quel degré de représentativité, puisqu’ils ne correspondent à aucun échantillon prédéterminé. On peut donc penser que les résultats ne serviront que superficiellement aux partis.

Dès lors Internet, malgré ses potentialités en matière de techniques de participation et d’échange n’apporte guère de nouveauté à une action délibérative plus directe des citoyens. Il se présente plus comme un canal de participation supplémentaire qui n’est pas toujours à la hauteur des promesses avancées. Les sites de partis politiques apparaissent comme des « coquilles vides ». Toutes les structures nécessaires à une démocratie électronique sont présentes mais elles font plutôt office d’artefacts. Ces sites ne sont pas conçus comme des moyens pour arriver à une finalité qui les transcende, mais comme des finalités en soi, ce qui représente leur écueil majeur. Aussi, peut-on se demander, quelles sont leurs failles ?

Les failles dans la construction et l’administration des sites de partis politiques

La plupart des partis politiques ont investi le Réseau avant la fin des années 90. C’est donc un phénomène relativement récent qui a impulsé des structures, pour la plupart embryonnaires. Leur mise en ligne impose l’apprentissage d’un mode d’échange innovant. Malgré leurs efforts d’adaptation aux logiques inhérentes à Internet, ils n’ont pas atteint, pour l’instant, un niveau de perfectionnement suffisamment concluant pour que l’action des citoyens dans les processus de prise de décision politique soit satisfaisant.

Les sites de partis s’insèrent dans un mode temporel qui privilégie l’instant. C’est désormais dans cette logique, qu’ils doivent penser et intervenir. Soumis à cet impératif d’immédiateté, il leur a fallu agir vite pour se mettre en ligne et tirer avantage des privilèges que représente l’outil Internet. Ces mouvements sont alors confrontés à une double exigence : créer le plus rapidement possible leur site, dans un souci de compétitivité mais aussi, constituer les structures qui assureront son efficacité. Pour la majorité des mouvements, seule la première démarche prime. L’administration des sites Internet crée un surplus de travail considérable difficile à gérer à cause de problèmes de temps mais aussi de coût. Le recrutement d’informaticiens, de webmestres, etc. ne sont pas suffisant pour répondre au taux de participation élevé des citoyens en ligne. Toutefois, les dépenses qu’engendreraient des emplois supplémentaires, rendent cette option difficilement envisageable, surtout pour les organisations les plus modestes. En définitive, les partis politiques ont créé leur site, avant même de mettre au point leur fonctionnement interne dans toute sa complexité. Ils ne sont donc pas encore prêts pour permettre une abondance de communication et une interaction efficiente. Au-delà des minces flux informationnels qui circulent entre les internautes et les mouvements politiques, c’est la valeur de l’incomplétude des échanges qui prédomine. Dans cette perspective on peut s’interroger sur la fonction actuelle de ces sites de partis. S’ils ne sont pas en mesure de développer des structures efficaces pour accroître l’interaction avec les citoyens, qu’est-ce qui les caractérise pour le moment ?

Le potentiel informationnel recentré sur les partis atteste une volonté auto-promotionnelle qui dérive vers un marketing politique. Adhésions en ligne, système d’alerte par SMS, blogs, Web TV, etc., les grandes organisations politiques multiplient les initiatives, et pour cause, elles sont avant tout productrices d’idéologies politiques qu’il s’agit de « vendre » à des citoyens consommateurs d’idées. Cette logique marchande se traduit concrètement sur les sites, notamment par la rubrique « e-boutique » qui propose une gamme de produits aux couleurs du parti, allant du briquet aux livres, en passant par les pin’s, les tee-shirts, les stylos, les cassettes, les cartes de vœux, les affiches, etc. L’UMP, le MPF, les Verts, le FN entendent exhiber leur logo, l’assimilant ainsi à une marque commerciale. Dans cette logique, un nouveau type de relation s’instaure entre un « mouvement producteur » et un « internaute consommateur ». La récurrence du vocabulaire du négoce (« produits », « offres d’achat », « acheter ») concourt à associer les partis à des entreprises commerciales. Ces organisations ont pour visée commune de fidéliser leur « clientèle » respective. Les sites participent ainsi à la promotion d’une société de l’information avant tout marchande. Pourtant, cette hypothèse est à nuancer car la logique marchande n’est pas envisagée par les partis politiques comme une finalité ontologique, contrairement aux entreprises. Elle est plutôt perçue comme un moyen pouvant agir sur l’image des mouvements et sur sa diffusion. Autrement dit, cet apport financier des e-boutiques sert aux partis politiques, à faire leur « publicité » auprès des citoyens, leur auto-promotion. Ce gain pécuniaire vise donc, dans un premier temps, à promouvoir le parti. La priorité n’est donc pas à la construction d’une communication démocratique avec les internautes, mais plutôt à la valorisation des informations le concernant.

La mise en ligne des partis politiques apparaît davantage comme « une opération cosmétique » (Vedel) qui offre aux internautes des espaces de liberté sans réelle conséquence sur une soi-disant plus-value de la démocratie électronique. La création de ces sites tend même à renforcer la prééminence des mouvements sur les citoyens, en ce sens qu’ils se cantonnent dans un effet d’annonce.

Conclusion

Au delà d’une volonté mise en exergue, de faire davantage participer les citoyens, se dissimule une absence de stratégie organisatrice. Cette carence annihile toute chance d’un échange effectif. Les inaptitudes des partis politiques à gérer la part interactionnelle de leur site les empêchent de jouir pleinement des possibilités d’un échange accru, qu’Internet pourrait rendre possible. En définitive, la mise en ligne des partis ne bouleverse pas les échanges avec les citoyens-internautes, si ce n’est en y instaurant une nouvelle dimension, plus attrayante par sa forme. Les sites donnent donc aux citoyens un pouvoir illusoire. L’idée d’un surcroît démocratique est construite de toutes pièces, grâce à l’élaboration d’un microcosme discursif « bien ficelé ». En effet, le choix des mots, leur mise en forme, donnent l’impression d’une participation augmentée qui n’est, dans les faits, qu’artificielle.

La coopération entre citoyens et dirigeants politiques n’étant pas active, on peut réfléchir sur les solutions pouvant pallier cette carence. Résoudre les problèmes structurels rencontrés au niveau de l’enjeu « participation » supposerait une meilleure gestion des sites, une redistribution des rôles de chaque membre et un investissement plus important des hommes politiques. Cette dernière proposition pourrait être atteinte quand on considère le développement des blogs. Les dirigeants n’hésitent plus aujourd’hui à consacrer du temps à la rédaction quotidienne d’un journal de bord accessible à tous, par Internet. Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin, Dominique Strauss-Kahn… ont les leurs. Alors pourquoi ne pas envisager que demain ils évolueront vers un dialogue en ligne régulier, qui donnera la parole tour à tour aux internautes et à leurs élus ?

L’idée d’une démocratie électronique, qui permettrait aux citoyens d’échanger avec leurs représentants politiques et de participer activement et directement à la gestion de la res publica, n’est encore qu’un mythe. Toutefois, « les utopies ne sont que des vérités prématurées » (Lamartine). Autrement dit, le « concept idéal » est intrinsèquement inscrit dans un contexte et dans une temporalité particuliers. Mais il n’est pas impossible à atteindre sur la durée. Aussi, n’est-il pas exclu d’envisager que les sites, qui ne sont aujourd’hui que des « vitrines » des partis, évolueront peut-être vers une réelle interactivité. Comme toutes les nouvelles technologies qui se développent à tâtons, s’évaluant par rapport aux usages, les mouvements se sont mis en ligne pour expérimenter ce nouveau moyen de communication. On peut alors penser que, le temps venant, ils trouveront leur efficacité. Leur création correspond, par conséquent, à une anticipation, une simulation, pour le jour où, enfin, la communication entre les membres du parti et les citoyens deviendra réellement opérationnelle.

Références bibliographiques

Ouvrages et articles de référence

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Adresses des sites Internet des partis politiques analysés

Lutte Ouvrière (LO) : http://www.lutte-ouvriere.org/

Front national (FN) : http://www.front-national.com

Mouvement pour la France (MPF) : http://www.mpf-villiers.org

Parti communiste français (PCF) : http://www.pcf.fr

Parti radical de gauche (PRG) : http://www.planeteradicale.org

Parti socialiste (PS) : http://www.parti-socialiste.fr

Union pour la démocratie française (Nouvelle UDF) : http://www.udf.org

Union pour un mouvement populaire (UMP) : http://www.u-m-p. org

Les Verts : http://lesverts.fr/

Auteur

Céline Munoz

.: Céline Munoz est doctorante en Sciences de l’information et de la communication au sein du Grem (Groupe de recherche et d’étude sur les médias) à l’université Michel de Montaigne, Bordeaux 3. Elle termine actuellement sa thèse sous la direction d’André Vitalis, sur le thème de l’identité à l’heure de la mondialisation.