De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la commercialisation
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Poupard Juliette, « De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la commercialisation« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°04/1, 2003, p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2003/varia/07-de-lindividualisation-de-masse-a-lindustrialisation-de-la-commercialisation
Introduction
Le présent article reprend les principales conclusions issues du travail de recherche effectué au cours des cinq dernières années et ayant donné lieu à la soutenance d’une thèse de doctorat. Il en synthétise les principaux apports tout en reformulant quelques points essentiels, dans la continuité de la réflexion. Il s’intéresse à la notion d’individualisation de masse et vise à en préciser les contours. Qu’est-ce réellement que l’individualisation de masse ? Quelles en sont les principales manifestations ? Quels phénomènes socio-économiques se cachent derrière cette expression qui associe deux notions traditionnellement vécues comme opposées ? S’agit-il véritablement d’un phénomène d’individualisation ou n’assiste-t-on pas plutôt, dans la logique de la masse, à une industrialisation croissante de la relation commerciale ?
Afin de répondre à ces questions, nous travaillerons tout d’abord sur une définition de l’individualisation de masse, visant à en préciser les contours. Cette définition nous conduira à une typologie regroupant les principales manifestations de l’individualisation de masse. Nous verrons ensuite comment des entreprises du secteur de la distribution mettent en oeuvre les différents types d’individualisation de masse, et ce que cela implique en termes de modification des rapports commerciaux avec les internautes. Nous élargirons ensuite la réflexion au contexte plus global de la distribution en général, afin de comprendre dans quels phénomènes s’inscrit l’usage des TIC dans ce secteur d’activité, et quel est alors le rôle alloué à ces dernières. Ces différents points nous permettront pour conclure de trancher entre individualisation et industrialisation.
Définition et typologie de l’individualisation de masse
La notion d’individualisation de masse est apparue dans le champ de la littérature d’entreprise, dans la mouvance des écrits sur le marketing dit personnalisé – le one to one. Pèle mêle, l’individualisation de masse concernerait des phénomènes aussi variés que la production de produits personnalisés, la diffusion de messages adaptés à un consommateur donné, ou encore la génération d’offres commerciales sur mesure. Elle aurait pour conséquence une inversion de tendances dans les relations entre entreprises et consommateurs, allant dans le sens d’une plus grande individualisation, d’une plus grande prise en compte des particularités de l’individu, s’éloignant des techniques de commercialisation de masse. Elle serait de même à l’origine d’un pouvoir renforcé du consommateur, puisque c’est désormais autour de ce même consommateur que serait organisée l’activité économique. Cette organisation économique centrée autour du consommateur, de ses goûts et de ses préférences, garantirait une réussite économique sans faille, mettant l’entreprise à l’abri du risque.
Hétérogénéité des pratiques désignées par un même terme, abondance de mythologies autour de la notion : l’individualisation de masse au travers de la littérature d’entreprise demeure un objet flou, et l’un des premiers impératifs consiste à la définir.
Définition
Nous définissons l’individualisation de masse comme étant la possibilité d’une part de délivrer à un grand nombre d’individus des messages individual isés, et d’autre part de produire en grande quantité des produits individualisés.
Notre définition, en deux composantes, illustre bien le double champ d’action de l’individualisation de masse : la production de biens et services d’une part, la sphère du marketing et des relations avec les clients d’autre part.
On peut dès lors se poser la question de l’unité et de la cohérence de la notion, dans la mesure où elle recouvre des expériences aussi diverses. Notre optique est de considérer que l’individualisation de masse dans le marketing et l’individualisation de masse dans la production sont les deux manifestations d’un même phénomène. Simplement, l’individualisation de masse qui en reste au marketing correspond à un premier niveau d’intégration du concept dans les modes de travail de l’entreprise, tandis que l’intégration d’un processus d’individualisation de masse au niveau même de la production en représente le plus abouti, impliquant une modification des modalités de la production. Les différents niveaux d’individualisation de masse ne touchent pas les mêmes fonctions au sein de l’entreprise.
Une telle approche permet d’envisager de manière globale l’ensemble des discours relatifs à l’individualisation, et ce quel que soit le champ concerné, offrant une vision plus large du phénomène. Par ailleurs, elle respecte la vision stratégique propre aux entreprises, au sein de laquelle production et marketing sont deux entités reliées obéissant à des objectifs communs.
Typologie
Pour différencier cependant les degrés d’individualisation de masse et les domaines concernés (marketing ou production), nous proposons la typologie suivante : l’individualisation de masse relationnelle, optionnelle et productive.
L’individualisation de masse relationnelle
Le produit reste un produit standard et c’est la manière de le proposer aux consommateurs qui fait intervenir des mécanismes d’individualisation de masse, ce qu’on appelle aussi le marketing one to one.
Un site Web qui accueille l’internaute par ses noms et prénoms constitue un exemple classique de ce type d’individualisation.
L’individualisation de masse optionnelle
Le produit demeure en grande partie un produit standard et quelques options sont individualisables. Les modalités de la production incluent dans leurs toutes dernières phases la prise en compte des choix des consommateurs. C’est par exemple le cas des générateurs de sites permettant à chaque entreprise de configurer des éléments comme le nom du site, le logo, les couleurs, l’architecture du site restant par ailleurs standard.
L’individualisation de masse productive
Le produit est fait sur mesure selon les souhaits particuliers du consommateur. Les modalités de la production incluent un traitement des choix des utilisateurs dès la conception des produits. On peut citer Valmary et ses chemises sur mesure comme exemple de ce niveau d’individualisation.
Cette typologie permet de prendre en compte de manière exhaustive les différentes manifestations de l’individualisation de masse, tout en informant sur leur degré d’intégration au sein de l’entreprise. De l’individualisation relationnelle à l’individualisation productive, la typologie proposée montre la progression qui existe entre ces différentes manières de concevoir l’individualisation. L’individualisation de masse relationnelle s’en tient ainsi aux activités de contact entre les entreprises et leurs clients, sans toucher aux produits ou services en eux-mêmes, et n’a ainsi aucune incidence sur les modes de production. L’individualisation optionnelle concerne un peu plus le produit ou le service délivré, bien que les possibilités de modification s’en tiennent à des options limitées. Les conséquences en terme de production sont ainsi calibrées très strictement par l’entreprise. L’individualisation productive pour finir concerne directement le processus de production, qui intègre dès le début les choix des consommateurs.
Au travers de cette définition et de cette typologie se dresse ainsi un premier portrait de la notion d’individualisation de masse, éclairant l’une de ses facettes, celle de la personnalisation, que celle-ci en reste au simple niveau de la diffusion des messages ou qu’au contraire elle parvienne à pénétrer le coeur de l’entreprise, jusqu’aux modes de production eux-mêmes.
On ne saurait cependant se contenter de cette première approche purement terminologique de l’individualisation de masse. Ce travail de définition effectué, il nous faut nous confronter à la réalité des pratiques et observer sur le terrain les formes que prennent les trois types d’individualisation de masse.
Pratiques d’individualisation de masse et phénomènes d’industrialisation
Une série de onze sites, sélectionnés pour l’intérêt de leurs fonctionnalités d’individualisation, nous a permis d’approcher de plus près la réalité pratique de l’individualisation de masse. Ces sites appartiennent à des secteurs d’activité relativement hétéroclites : du livre pour Amazon.com à l’habillement de luxe pour Valmary en passant par les chaussures pour Customatix ou Kickers, l’ameublement pour Cuisikit ou Matelsom, l’informatique pour Dell, l’automobile pour Autobytel ou encore le jardinage pour Plantes et Jardins. Le parti pris est de considérer ces sites comme faisant cependant partie d’un même monde professionnel, celui de la distribution en ligne.
Sur ce corpus de onze sites, cinq mettent en oeuvre des fonctionnalités d’individualisation de masse relationnelle, cinq de l’individualisation optionnelle, et seul un de l’individualisation productive, dans la mesure où ce type d’individualisation est nettement moins répandu. Une étude plus poussée de ces fonctionnalités montre les liens ambigus qui existent entre l’individualisation de masse et des phénomènes d’automatisation, de rationalisation, autrement dit d’industrialisation de la relation commerciale.
Pratiques d’individualisation relationnelle et industrialisation de la communication
Les sites mettant en oeuvre des pratiques d’individualisation relationnelle offrent à l’internaute des fonctionnalités « individualisées » de choix des produits qu’ils contiennent : moteurs de recherche avancée intégrant les critères de l’internaute, recommandations d’achat spécifiques, modules permettant de réaliser le plan de sa cuisine en ligne. L’offre en elle-même ne change pas, c’est la façon d’y accéder qui prend des airs d’individualisation. Dans le cas de l’individualisation relationnelle, nous sommes finalement assez proches de la communication directe traditionnelle. L’entreprise s’adresse de manière personnalisée au client et lui propose en parallèle une offre finement ciblée.
Les TIC introduisent cependant des avantages significatifs par rapport à la communication directe faite sur support papier : automatisation du traitement des choix et préférences des internautes grâce aux bases de données, instantanéité de la réponse aux actions de l’internaute du fait du support Web, cumul sur un même média de la communication institutionnelle et commerciale. L’individualisation relationnelle consiste ainsi en une optimisation de la communication directe traditionnelle. Elle en automatise et industrialise les pratiques qui, loin d’être personnalisées, sont en réalité standardisables.
Pratiques d’individualisation optionnelle et industrialisation de la prise de commande
Les sites classés dans la catégorie de l’individualisation optionnelle proposent à leurs clients de modifier certaines parties prédéfinies des produits mis en vente : éléments de design d’un site ou d’une publicité, couleurs des empiècements d’une chaussure, configuration d’un ordinateur.
L’étude de ces différents sites montre tout d’abord que les possibilités de changement optionnel sont entièrement pré-calibrées par l’entreprise, à charge pour l’internaute de s’y conforter. Plus qu’une réelle individualisation, ces pratiques semblent être avant tout des outils pour les entreprises, qui y voient une façon de faciliter la récolte et le transfert des informations de configuration depuis l’internaute jusqu’à la chaîne de production. L’internaute saisit les éléments de sa commande en ligne, ceux-ci sont enregistrés en base de données et transmis directement au service concerné, sous un format électronique en permettant une manipulation et une ré-exploitation rapide. Dans le cas de l’individualisation optionnelle, c’est le processus de commande qui subit une industrialisation croissante, ce qui permet de développer de nouvelles formes de mise sur le marché et ce à un niveau de coûts acceptable pour l’entreprise.
Pratiques d’individualisation productive et industrialisation de la production
Un seul cas, Valmary, met en oeuvre des procédés d’individualisation productive. Il s’agit d’une entreprise de fabrication de chemises sur mesure. L’entreprise a organisé sa chaîne de fabrication de la façon suivante : lorsqu’un internaute passe commande, cette dernière arrive sur le serveur de l’entreprise. Elle est directement transmise à un logiciel de réalisation de chemises sur mesure, dénommé Made to measure. Ce logiciel prend en charge les différentes mesures entrées par l’internaute et réalise le patron. Ce patron est alors transféré via le réseau interne à un système de coupe assisté par ordinateur, qui taille la chemise aux dimensions précisées par l’internaute. L’assemblage des pièces coupées passe ensuite à une équipe de couturières, qui prennent le relais manuel de ces opérations automatiques.
Comme dans les cas précédents, le recours à un site Web permet à Valmary de simplifier le processus de recueil des informations sur les clients. L’entreprise va cependant plus loin dans son utilisation des TIC puisque ces dernières interviennent au niveau même de la production, permettant d’automatiser l’une des fonctions qui se reproduit pour chaque chemise : la découpe des pièces constitutives des chemises. Les informations fournies par les clients sont ainsi traitées de bout en bout de manière automatique, via l’utilisation des TIC. Ainsi l’individualisation productive correspond-elle à l’industrialisation de tout ou partie de la chaîne de production.
L’étude des sites montre ainsi une industrialisation croissante de la chaîne de distribution. Selon le type d’individualisation, cette industrialisation touche différents niveaux de la chaîne. L’individualisation relationnelle consiste en l’ajout d’une couche de communication directe automatisée et instantanée. L’individualisation optionnelle est permise par une industrialisation du processus de commande, permettant un traitement peu coûteux des choix multiples. Pour finir, l’individualisation productive consiste en une intégration des TIC à la chaîne de production même, autorisant le traitement automatique d’informations variées. Les trois niveaux d’individualisation de masse identifiés dans notre typologie correspondent à trois niveaux d’industrialisation des processus de l’entreprise, allant de la communication à la production en passant par la commande. On peut alors s’interroger sur la pertinence du thème d’individualisation, puisque que nos trois niveaux d’individualisation sont en fait des niveaux d’industrialisation, deux termes a priori opposés.
L’étude des pratiques d’individualisation de masse des acteurs de la distribution fait donc ressortir une tendance à l’industrialisation. Pour confirmer et expliquer ce diagnostic, nous allons maintenant nous intéresser à la chaîne de distribution en elle-même, et aux phénomènes qui l’animent.
La recomposition de la chaîne de distribution
Le double statut de l’individualisation de masse, qui au final fonctionne véritablement sur la base d’une antinomie, avançant des pratiques de personnalisation pour en réalité mettre en oeuvre des fonctionnalités d’industrialisation de la relation clients, doit ainsi, pour être compris, s’inscrire dans le contexte plus large du secteur de la distribution et de ses transformations.
Pour cela, nous avons sélectionné six entreprises auditées lors de notre pratique professionnelle et confrontées à la problématique de l’insertion des TIC dans leur activité. Ces entreprises sont les suivantes : Unipex, distributeur de produits chimiques, Facom, célèbre fabricant d’outils, Titanox, distributeur de fixations industrielles, Nestlé, spécialiste de l’agro-alimentaire, Elidis, filiale de distribution de Kronenbourg, et Cartier, marque de luxe bien connue. Bien qu’appartenant à des secteurs très différents, ces entreprises sont marquées par un contexte très similaire, qui s’articule autour de trois axes essentiels : la rationalisation des coûts, la concentration des acteurs, le renforcement du poids des acteurs en aval de la chaîne, autant de tendances qui laissent à penser qu’il existe un phénomène de recomposition de la chaîne de distribution.
La rationalisation des coûts
La problématique de la réduction des coûts se retrouve dans toutes les entreprises liées à un marché grand public (la problématique est différente en ce qui concerne Cartier, positionné sur le secteur du luxe). Cette problématique se traduit à différents niveaux : paramètre prix de plus en plus important dans les négociations avec les acheteurs, phénomène de diminution des prix moyens sur un marché donné, généralisation des actions de promotion, poids croissant des marques de distributeurs ayant des niveaux de prix inférieur.
La concentration des acteurs
Le phénomène de rationalisation des coûts s’accompagne d’un mouvement de concentration visant à renforcer la puissance financière et économique des acteurs. Sur les six cas d’entreprise étudiés, trois abordent la problématique des TIC dans un contexte de rachat. Une autre est pour sa part sur le point de mettre en place une joint-venture avec un partenaire américain. Les deux dernières font partie de groupes d’ores et déjà constitués. Cette même tendance s’observe également chez les partenaires commerciaux des entreprises étudiées, chez qui la thématique de la réduction du nombre de fournisseurs ressort quasi-systématiquement.
On assiste ainsi à un phénomène de regroupement des acteurs, ayant pour objectif la constitution d’entités au potentiel financier et concurrentiel renforcé. Il s’effectue dans le sens de l’internationalisation des groupes économiques. Il semble avoir pour conséquence la disparition des acteurs indépendants au profit de la constitution d’importants conglomérats.
Le renforcement du poids des acteurs en aval de la chaîne
Les différentes entreprises étudiées sont toutes confrontées à une segmentation croissante des marchés grand public. Au-delà de la prise en compte des différences de l’individu, l’objectif marketing de la segmentation est de stimuler la consommation par l’introduction de produits innovants ou perçus comme tels, par le développement de nouveaux comportements d’achat.
Ce mouvement de segmentation des marchés accroît l’importance stratégique des informations sur les clients, et par là instaure une inégalité entre les différentes entreprises étudiées. La segmentation des marchés implique une bonne connaissance des comportements des consommateurs. Elle favorise les acteurs économiques étant au contact de ces consommateurs, à savoir les distributeurs, marquant ainsi un renforcement de leur pouvoir. Les distributeurs sont en position dominante, rebasculant les contraintes économiques sur les acteurs situés plus en amont. Cette concentration du pouvoir entre les mains des acteurs en aval de la chaîne se traduit d’ailleurs dans le vocabulaire, puisque les producteurs, situation moins favorisée, parleront de marché « tiré par l’aval », ou encore de « marché d’acheteurs ».
Rationalisation des coûts, concentration des acteurs, renforcement du poids des acteurs en aval : ces trois tendances marquent un phénomène de recomposition de la chaîne de distribution visant à faire face aux évolutions des marchés grand public qui se caractérisent par une offre supérieure à la demande et une tendance à la baisse des prix.
Les acteurs économiques rationalisent et se regroupent de manière à limiter les coûts de production tout en renforçant leur position concurrentielle. Ils segmentent les marchés de manière à susciter la demande, faisant des informations sur les clients une donnée stratégique. La recomposition de la chaîne de distribution a ainsi pour conséquence le renforcement du pouvoir des acteurs au contact des clients, situés en aval de la chaîne et plus à même de récolter ces informations stratégiques. Ces acteurs sont dès lors en mesure de se servir de leur position de force pour répercuter les contraintes sur l’amont de la chaîne, imposant leurs tarifs et leurs conditions à leurs fournisseurs.
Ainsi, loin de sortir du mode de développement capitaliste, la recomposition de la distribution marque à l’inverse une industrialisation croissante de la chaîne de distribution, qui pour faire face à un marché où les prix diminuent, s’engage dans des mouvements forts de concentration et de rationalisation.
Le rôle des TIC dans la recomposition de la chaîne de distribution
Dans ce contexte, le rôle alloué aux TIC s’éloigne grandement des mythologies prônées par la littérature d’entreprise. Elles ne sont pas les vecteurs d’un retour au petit commerce ou d’un rapprochement du consommateur, mais servent, comme pouvait le laisser penser l’analyse des pratiques d’individualisation de masse, les phénomènes d’industrialisation et de recomposition de la chaîne de distribution.
Ainsi, loin de signifier la fin des incertitudes économiques, l’émergence des TIC correspond à une phase de redéfinition des pouvoirs tout au long de la chaîne de distribution, redéfinition qui a justement pour enjeu la répartition du risque. Les acteurs économiques s’inscrivent dans des stratégies de défense ou d’attaque visant à limiter l’incertitude et les contraintes économiques pesant sur leurs activités. Les TIC sont une des armes au service de ce combat. Aujourd’hui, il semble que les acteurs en aval de la chaîne sortent plutôt gagnants de l’affrontement.
Pour les acteurs en amont du marché, les TIC sont avant tout un moyen de renforcer les relations avec les consommateurs, non pas par pure « envie relationnelle », mais parce que de plus en plus, dans un marché segmenté, les informations sur les consommateurs sont stratégiques. Les entreprises cherchent à limiter de plus en plus les risques inhérents à la commercialisation d’un bien ou d’un service en anticipant sur les attentes des consommateurs. La collecte d’informations sur les clients est l’une des briques de cette stratégie, qui se complète par les autres techniques que le marketing met à la disposition des entreprises, comme par exemple les études qualitatives, visant à tester la perception que les consommateurs ont de tel ou tel produit, de telle ou telle publicité, etc.
A l’inverse les « acheteurs », les acteurs en aval du marché, vont utiliser les TIC pour essayer de consolider leur pouvoir et imposer à leurs producteurs des cadres plus contraignants, par l’intermédiaire de système de gestion des achats par exemple. Les TIC seront aussi pour eux des outils d’automatisation et de réduction des coûts.
Au final, les TIC sont pris entre deux feux, servant d’une part à renforcer la capture d’informations sur les clients, d’autre part à rationaliser et contraindre les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, deux tendances qui s’expriment parfaitement dans les contradictions de l’individualisation de masse.
Conclusion
Arrivés à la fin de notre parcours, quelles sont les réponses que nous pouvons désormais apporter à notre problématique de départ ? La littérature d’entreprise s’est faite le chantre de l’individualisation de masse, prônant ses nombreuses qualités et le caractère bien réel de cette individualisation. Pour autant, le travail de définition effectué ainsi que la confrontation aux pratiques et aux stratégies des entreprises parviennent à des conclusions de nature un peu différente. L’étude des pratiques des sites Web pointe le caractère quelque peu factice de l’individualisation. Les trois types d’individualisation correspondent en réalité à trois types d’industrialisation : de la communication, de la commande, de la production. L’étude des stratégies d’entreprises met quant à elle en évidence le phénomène de recomposition de la chaîne de distribution, allant dans le sens d’une industrialisation croissante des pratiques, s’effectuant en faveur des acteurs en aval de la chaîne.
L’ensemble de ces tendances nous semble s’insérer dans un système marketing qui n’est pas, bien au contraire, en rupture avec le marketing dit « classique ». A l’inverse, il en constitue un prolongement et une optimisation. Ce système marketing reprend les modes discursifs du marketing direct traditionnel en les améliorant grâce aux potentialités des TIC. Il parvient à faire cohabiter sur un même support discours individualisant et fonctionnalités d’industrialisation. Les TIC sont alors des outils au service des impératifs stratégiques des acteurs de la chaîne de distribution, et notamment la récupération des informations sur les clients.
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Thèse
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Liens
Auteur
Juliette Poupard
.: Juliette Poupard est consultante au sein du cabinet de conseil Weebis et maître de conférences associé au Celsa où elle donne des cours sur le marketing et la communication numériques. Elle travaille sur l’industrialisation des procédés de communication via le Web et vient de terminer une thèse à ce sujet.