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Usages et usagers d’Internet : l’état des lieux

29 Mai, 2001

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Saint-Amand Magali, Pronovost Gilles, « Usages et usagers d’Internet : l’état des lieux« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°02/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2001/varia/10-usages-et-usagers-dinternet-letat-des-lieux

Introduction

Depuis le début des années 1990 l’Internet connaît une croissance soutenue. Il est déjà à l’origine de changements significatifs dans plusieurs domaines, notamment au plan des pratiques pédagogiques, des pratiques culturelles de même que dans l’accès à l’information. L’objet de ce texte est de faire le point sur son évolution, sur le profil des internautes, les changements observés quant à son utilisation, de même que de certaines modifications observées au niveau des pratiques sociales et culturelles depuis l’avènement du Web. Les aspects liés à l’évolution technologique du réseau ne seront pas abordés ici. Pour ce faire nous nous appuierons sur les données disponibles les plus récentes, essentiellement tirées du Web lui-même, de même que sur certaines données d’enquêtes sur la participation culturelle et l’emploi du temps. Il serait prétentieux d’affirmer traiter ici de la totalité des impacts d’Internet considérant la vitesse à laquelle évolue le réseau. Nous visons plutôt à dresser un bilan provisoire qui s’impose d’autant plus que foisonnent les textes les plus dithyrambiques tout autant que les analyses sommaires fondées sur des informations peu crédibles.

Après avoir brièvement présenté nos sources, nous traiterons de l’évolution de l’Internet, des usagers puis des usages. La dernière section abordera certains aspects reliés aux pratiques culturelles, pour conclure par quelques pistes de recherches.

Sources de données

Les données les plus hétéroclites ont été publiées à propos d’Internet. La rigueur n’est pas toujours de mise ! Nous avons procédé à un examen attentif des principaux sites qui diffusent des informations quant à l’utilisation d’Internet. Nous les avons comparés, particulièrement par rapport à leur méthodologie et aux séries statistiques qu’ils diffusent. A ce titre, les sites les plus intéressants sont cités en bibliographie. Ainsi, la méthodologie utilisée par NetValue est celle des échantillons d’internautes (panels) représentatifs de la population des pays où les observations ont lieu, soit en France, Grande-Bretagne, Allemagne et aux Etats-Unis. Les usages d’Internet par les panélistes (mail, chat, forum, Web, audio, vidéo, mesure d’audience des sites Web) sont observés par le biais d’un logiciel dont a été muni chacun des ordinateurs. Il s’agit d’un site très intéressant au point de vue du contenu de même que de la qualité des données recueillies. Nua Survey, firme irlandaise, offre les résultats d’une panoplie d’enquêtes les plus récentes, elle s’appuie essentiellement sur des données secondaires ; les résultats sont brefs, la méthodologie des enquêtes n’est pas toujours identifiée (http://www.nua.ie). Le site constitue tout de même une source précieuse d’informations puisqu’il est mis à jour fréquemment, il est possible d’avoir accès aux enquêtes publiées précédemment ; il offre également la possibilité de consulter les enquêtes publiées sur un sujet précis selon le profil recherché. Le GVU (The Graphics, Visualisation and Usability, à Georgia Tech, http://www.gvu.gatech.edu) offre quant à lui l’accès aux résultats des plus récentes enquêtes rigoureuses menées auprès d’internautes américains et européens depuis 1994. Pour les enquêtes du GVU de même que pour l’enquête du Risq (au Québec : Réseau interuniversitaire scientifique québécois), la méthodologie utilisée (échantillonnage au hasard) est expliquée, détaillée et justifiée sur le site Internet. Mentionnons encore ZDNet, site français traitant de sujets d’actualité relatifs à l’Internet, il publie également des données récentes. Des firmes spécialisées en marketing et sondages d’opinion ont également commencé à publier des données, tout particulièrement Nielsen-NetRating (http://www.nielsen-netratings.com/) ; étrangement, la firme bien connue Gallup est absente.

Il est évident que les données à propos d’Internet sont sujettes à des changements très rapides, puisque celui-ci évolue à un rythme soutenu. De plus, la méthodologie des enquêtes commence à peine à s’affiner. Des logiciels permettent notamment d’évaluer l’auditoire effectif des sites les plus populaires ; d’autres établissent des échantillons aléatoires d’Internautes à qui est adressé un questionnaire ; d’autres enfin utilisent la méthode des panels d’usagers. Plusieurs sites de commerce électronique sont encore à la recherche d’une unité de mesure qui serait un indicateur de leur succès. Plusieurs méthodes ont déjà été utilisées. Le nombre de « clics » qu’un objet d’une page Web reçoit fut un des premiers indicateurs. Il s’est très vite révélé imprécis : il était en effet assez facile de faire monter le compteur afin de gonfler les chiffres. Une autre mesure, encore populaire aujourd’hui, est le nombre de visiteurs qu’un site reçoit mais cette mesure n’indique pas si l’internaute a pris le temps de regarder le contenu de la page Web. Aujourd’hui une nouvelle mesure gagne en popularité : le taux de captivité. Selon plusieurs analystes ce serait le chaînon manquant de la mesure de succès d’un site Web. Elle mesure l’attention qu’un internaute apporte à un site, le temps passé sur le site en plus du nombre d’objets ou de pages qu’il a visités. Elle mesure en fait le temps « actif » d’un internaute sur un site (http://www.infometre.cefrio.qc.ca, sept. 2000). Le descriptif qui suit constitue donc une sorte d’instantané, d’image du moment, qu’il faudra tôt ou tard mettre dans une perspective de plus longue portée.

Évolution au plan international

En 1997, Cyberatlas (http://www.cyberatlas.com) recensait 13 millions de serveurs Internet dans le monde. De ce nombre, 99 % des serveurs étaient recensés en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et au Japon. L’Amérique Latine a connu une croissance exponentielle depuis quelques années. L’Afrique accuse un retard important. En janvier 2000, cette fois, l’enquête Internet Domain Survey (http://www.internet.com) recensait au-delà de 72 millions de serveurs, dont le tiers de serveurs commerciaux (.com) et le quart de serveurs de réseaux (.net) ; en juillet 2000, le nombre est passé à 93 millions de serveurs ! Selon une étude publiée conjointement par l’éditeur de technologies de recherche Inktomi et le NEC Research Institute (NRI), le nombre de pages existantes sur le Web excéderait présentement le milliard alors qu’en février 1999 ce nombre s’élevait à 800 millions. Le nombre de pages Web augmente ainsi avec rapidité puisqu’en automne 1997, on n’en dénombrait que 320 millions. Le nombre de noms de domaine enregistrés approcherait vingt millions (site du GVU).

L’Europe

En Europe, une étude menée en avril 2000 (http://www.nua.ie) estimait à 107,8 millions le nombre de personnes ayant accès à Internet sur le continent, soit 34 % de la population dont 75,9 millions qui avaient utilisé Internet dans les quinze jours précédant l’enquête. Le nombre de connexions au réseau évolue rapidement : plus de la moitié des Suédois avaient utilisé Internet dans les 14 jours précédant l’enquête. Aux Pays-Bas, en Suisse et en Autriche, cette proportion était estimée au tiers. En Espagne et au Portugal, moins de 8 % de la population s’était connecté au réseau au cours des 14 jours précédant l’enquête alors qu’en France, en Italie, en Belgique et en Allemagne on observait un taux de branchement inférieur à la moyenne observée en Europe. Une autre enquête menée à la même période estime que l’on dénombre près de 9 millions de nouveaux internautes en France, en Allemagne et en Angleterre et que la population branchée s’élèvera à 52 millions d’ici à la fin de l’année pour ces trois pays (NOP Research Group, 2000). Près de la moitié des Européens habitant l’ouest aura accès à Internet en 2003. Il s’agira alors de 215 millions d’internautes (IDC Research, 2000). Les pays de l’Europe du Nord comptent maintenant parmi les plus « branchés » du monde, avec au premier rang le Danemark (site de NetValue).

Amérique

Avec l’Europe du Nord, la population canadienne serait l’une des plus branchée au monde (http://www.infometre.cefrio.qc.ca).

L’hebdomadaire spécialisé Industry Standard et la firme NUA évaluent présentement à 136 millions le nombre d’internautes américains. On en prévoit 210 millions dans quatre ans. Le taux de pénétration est supérieur sur la côte ouest, particulièrement dans les villes de San Francisco, San Diego, Washington DC, Seattle et Portland. Toutefois la ville la plus branchée serait New York avec une population de 4,3 millions d’internautes en février 2000 (Nielsen-NetRating, 2000). Les internautes américains sont nombreux à créer leur propre page Web (15 %). On estime à plus de 10 000 le nombre de pages par jour accueillies par Geocities. Les Américains sont aussi de plus en plus nombreux à utiliser le matériel informatique lié à Internet. Déjà plus de 5 millions de Webcams sont recensées aux États-Unis.

Evolution d’Internet en France

En 1992, Jacques Chirac demandait « Qu’appelez-vous la souris ? ».  La France accuse un retard certain par rapport au taux de branchement au réseau autant au niveau des entreprises qu’au niveau de la population. L’institut BVA a réalisé un sondage en mars 1998 qui démontrait que 72 % des internautes français étaient connectés depuis moins d’un an. Il y a fort à parier que la France rattrapera d’ici peu le retard observé puisque déjà NetValue indique que le nombre d’internautes en France a augmenté de 41 % depuis décembre 1999. Il atteignait environ 5,5 millions à l’été 2000. On sait que le gouvernement Jospin présentait, le 16 janvier 1999, ses priorités relatives à la connexion de la France au réseau, priorités établies selon six axes d’intervention dont l’éducation (l’objectif de connecter la plupart des établissements scolaires et universitaires pour l’an 2000), la culture et l’administration. On estime généralement que l’Internet a déclassé le minitel depuis au moins une année.

On estime à 15,4 % les foyers français à être connectés au réseau ce qui équivaut à 3.720.000 foyers. Selon Médiamétrie (eratings.com), au mois de juillet 2000, les internautes français étaient en quatrième position parmi 14 pays pour la durée de navigation, le nombre de sessions, le nombre de pages vues et le taux de clics moyen sur Internet.

Total mondial

Il est difficile d’établir le nombre d’internautes à l’échelle mondiale : le Computer Industry Almanac Inc. estime que le nombre d’internautes était de 150 millions en 1998 et prévoit que ce nombre augmentera à 717 millions en 2005. Cette firme affirmait également qu’en l’an 2000, 25 pays et 10 % de leur population auraient accès à Internet. La firme Nua pour sa part, à partir des résultats de plusieurs enquêtes, évalue à 300 millions le nombre d’usagers au début de l’an 2000.

Ce que nous savons des usagers et de leurs caractéristiques en transformation

Les données disponibles (et crédibles) sur les usagers d’Internet permettent de tracer un portrait descriptif sommaire de leurs caractéristiques. Les sources les plus abondantes proviennent des Etats-Unis, on s’en doute, mais en Europe, en France, et au Québec, quelques enquêtes ponctuelles ou récurrentes sont également à signaler. Dans certains cas, malheureusement, les données ne font pas une distinction claire entre l’accès à Internet et son utilisation.

Ainsi, l’accès, mesuré ici par le taux de branchement est influencé par des variables comme la région de résidence, le revenu familial et la présence d’enfants. Comme on peut s’en douter, on observe un taux de branchement très supérieur en région urbaine par rapport aux régions éloignées. De manière générale, l’étude du Risq, celle du US Census Bureau, de même que la plupart des enquêtes fiables confirment le poids décisif du niveau d’éducation et du niveau économique comme variable stratégique pour expliquer les écarts entre la possession et l’utilisation ou non d’un ordinateur ; les écarts sont généralement de 1 à 4 entre les tranches inférieures et supérieures soit d’éducation, soit de revenu.

On estime à près de 60 % les foyers américains équipés d’un ordinateur, alors qu’en 1997 le US Census Bureau l’estimait à 37 %. A titre de comparaison, au Québec en 1999, le taux de possession d’un ordinateur était de 51 % et le taux de branchement à Internet de 27 % (enquête 1999 sur les pratiques culturelles) ; les taux sont un peu plus élevés au Canada. Toutefois, même si les efforts des gouvernements contribuent à démocratiser l’accès au réseau, même si les taux continuent de progresser, les utilisateurs sont majoritairement jeunes, scolarisés, provenant des régions urbaines et bénéficiant d’un revenu supérieur. Selon une étude de l’Institut de recherche Pew Internet and American Life Project, le nombre d’adultes ayant accès à Internet a augmenté de 16 millions de personnes au cours des 6 derniers mois de l’année 2000 aux Etats-Unis. Cette croissance importante est notamment attribuée aux femmes, aux minorités noire et latino-américaine ainsi qu’aux familles à plus faibles revenus dont la présence en ligne ne cesse de croître (http://www.infometre.cefrio.qc.ca).

A titre de comparaison, en France, le taux de branchement approche sans doute 20 %. Les hommes (66 %) sont beaucoup plus nombreux que les femmes (34 %) à utiliser le réseau. Les jeunes sont les plus grands utilisateurs, puisque les moins de 35 ans représentent plus de la moitié (51,8 %) de la population on line. La population des 35-49 ans est estimée à 29,8 %, celle des 50 ans et plus à 18,4 %.

Une autre variable classique renvoie aux stéréotypes masculins. Les premières enquêtes sur les utilisateurs d’Internet montraient une nette sur-représentation masculine, comme c’est encore le cas en France et au Québec. Or depuis 1997 les sondages menés aux Etats-Unis indiquent que la proportion hommes-femmes, ou encore filles-garçons chez les jeunes est devenue identique parmi la population des Internautes. On peut ainsi s’attendre à ce que le « retard » au Québec et en France soit progressivement comblé. S’il y a eu une progression spectaculaire des Internautes féminins, les modalités d’utilisation demeurent cependant relativement stéréotypées : davantage de jeux électroniques chez les jeunes garçons, habitudes d’achat et de consommation différentes, etc.

Les lieux d’utilisation et le temps d’usage

Les lieux d’utilisations du réseau différent selon la mesure utilisée. Ainsi, la plupart des données disponibles indiquent qu’une majorité de personnes utilisent Internet à partir de la maison : 29 % au Québec en 1999, 48 % dans l’ensemble du Canada, plus des trois-quarts aux Etats-Unis. NetValue estime que 52 % des internautes français sont connectés à domicile contre 33 % connectés à leur bureau.

Si l’on mesure cette fois le temps d’utilisation, les internautes semblent utiliser Internet deux fois plus longtemps au travail qu’à la maison. En janvier 2000, aux Etats-Unis ces derniers auraient utilisé le Web 21 heures au travail comparativement à 9,5 heures à la maison pour le mois. Les sites visités le plus fréquemment par les internautes de leur lieu de travail sont : les nouvelles, les nouvelles financières ainsi que les sites d’informations générales (Nielsen-NetRating, 2000). A noter que l’on estime que près des trois-quarts des employés américains bénéficient d’une connexion Internet sur leur lieu de travail.

A cet égard, les résultats d’une récente enquête ont permis d’identifier une nouvelle forme de segmentation du marché Internet nommée « occidentalisation », selon la durée et la nature des comportements en ligne. On pourrait répartir les internautes selon trois des catégories, soit « De l’information SVP », « Flânerie » et « Navigation » ! (http://www.bah.com/press/segmentation.html)

Les sites consultés par les internautes

L’observation des requêtes formulées par le biais des moteurs de recherche constitue une méthode fréquemment utilisée. Toutefois cette méthode présente des limites puisque les usagers peuvent ajouter les adresses sélectionnées à leur signet et par le fait même n’ont plus à recourir aux moteurs de recherche. A partir d’un sondage mené dans huit pays, la firme Nielsen-NetRating établissait qu’en juillet 2 000 le site de Yahoo !, avec ses 66 millions d’utilisateurs se plaçait en tête des portails Internet, suivi par America On Line, (62 millions de visiteurs) et par MSN de Microsoft (50 millions de visiteurs). Cette étude est basée uniquement sur les connexions Internet à domicile, ce qui la rend sujette à caution, mais n’en révèle pas moins des ordres de grandeurs étourdissants ! Les sites de commerce électronique deviennent de plus en plus populaires. Les sites d’achat les plus visités par les internautes américains de leur lieu de travail ou de la maison sont ceux d’Amazon et de eBay. C’est sans compter les sites de musique (dont Napster) et de livres. En France, les sites Wanadoo et Voilà précèdent le site Yahoo !

De quelques usages sociaux

Quelques usages d’Internet commencent sinon à se stabiliser, du moins à faire nettement surface. Nous les énumérons ici, sans nécessairement renvoyer à une hiérarchie d’utilisation.

Courrier électronique et communications

Aux États-Unis et au Canada du moins, la première raison d’utilisation du Web en 1999 était l’accès au courrier électronique alors qu’en 1998, la recherche était la première. Il s’agit d’un renversement important puisque le courrier électronique constitue désormais un moyen de communication en pleine expansion : on y accède de plus en plus facilement, on assiste à une certaine démocratisation de ce nouveau moyen de communication. Au début des années 1990, on dénombrait près de 15 millions d’adresses de courrier électronique à travers le monde, il avoisinerait présentement 600 millions et l’on estime que d’ici deux ans, le total sera d’un milliard. En 1999 l’augmentation du nombre d’adresses de courrier électronique à travers le monde était supérieure à 100 % (Nua Survey, 2000). Les Américains délaissent le téléphone et poste au détriment du courrier électronique. Désormais, c’est par E-mail que les Américains communiquent, y compris pour se souhaiter bonne fête ! Plus de la moitié des internautes américains affirment préférer lire leur courrier électronique plutôt que leur courrier postal et le tiers préfèrent l’utilisation du courrier électronique à celui du téléphone. Les deux tiers des travailleurs américains et près de la moitié des ménages utilisent le courrier électronique.

Trois internautes sur quatre reçoivent du courrier personnel à leur adresse électronique au travail. Pour plusieurs, le mail est considéré comme une activité sociale. La majorité des internautes français considèrent que le mail crée des liens au sein de la famille. La majorité d’entre eux estime également qu’il crée des liens avec les amis. Ce sont les femmes qui semblent apprécier davantage l’utilisation du mail. Une étude portant sur les usages et attitudes à l’égard d’Internet en France (ZDNet) démontre que le mail constitue l’activité la plus populaire sur le réseau. La moitié des internautes branchés utilise le réseau au moins une fois par jour pour recevoir ou envoyer du courrier électronique. 97 % des répondants à l’enquête affirmaient s’être connectés au moins une fois pour envoyer des E-mails au cours des trois derniers mois.

Près de la moitié des internautes français affirme utiliser davantage le courrier électronique que la poste. On prédit même une diminution du courrier postal dans les prochaines années.

Achat et commerce électronique

De plus en plus, c’est par Internet que l’on fait du shopping. Les sociétés encouragent les achats par le biais du réseau, par exemple au Québec, les gens qui désireront se procurer la nouvelle coccinelle de Wolkswagen devront le faire par Internet, puisque ce véhicule, produit en quantité limité, n’est pas en montre chez le concessionnaire ! Le commerce électronique va bon train et les internautes se veulent de plus en plus nombreux à faire les courses par le biais du réseau. Seulement entre les mois de mars et de novembre 1999, les dépensent effectuées par Internet auraient augmenté de 38 %, elles étaient estimées à 53,8 milliards en 1999 aux Etats-Unis. Les derniers sondages montrent cependant une certaine stagnation du commerce électronique, sans doute en partie à cause de la piètre qualité du service : ainsi, aucun des 50 premiers sites de commerce électronique utilisés aux Etats-Unis ne s’est vu attribuer la cote « excellent » ou « bon » – La firme eToys vient même de se placer sous la protection de la loi américaine des faillites.

Les femmes achètent davantage qu’elles ne le faisaient, du moins en Amérique : alors que 29 % des femmes achetaient sur le Web à l’été 1998, elles étaient 38 % à l’été 1999. Presque tous les hommes ont déjà fait des achats par Internet. Les hommes le feraient davantage pour des produits comme les livres, la musique, les informations pour des voyages, etc., les femmes pour des produits reliés à des soins de santé et de beauté.

Musique

Internet permet aux internautes l’écoute gratuite de la musique par MP3 et bientôt par de nouvelles générations de logiciels. Dans les foyers branchés, on dénombre trois Canadiens sur quatre qui connaissent MP3. Entre les mois de janvier et juillet 1999, le tiers d’entre eux auraient téléchargé des fichiers MP3. Ce sont les jeunes âgés entre 18 et 24 ans et les hommes qui connaissent et qui téléchargent le plus de fichiers MP3 de même que ceux qui utilisent Internet depuis plus de trois ans. Les internautes téléchargent davantage qu’ils ne diffusent : seulement 7 % des internautes ont diffusé eux-mêmes des fichiers MP3. Le tiers des utilisateurs de MP3 téléchargerait des documents au moins une fois par semaine. Les impacts du MP3 sur la vente de disques sont hautement dénoncés par les maisons de disques. La grande majorité des utilisateurs du MP3 affirment pourtant qu’ils se procurent autant de CD que par le passé. L’observatoire de NetValue indique que 26 % des internautes français avaient accédé au MP3 en mai 1999. On connaît les démêlés du site américain qui diffuse gratuitement des copies de chansons ou de musique ; malgré la saga juridique, il sera difficile d’échapper à des échanges gratuits via Internet.

Fréquence d’accès à différents types d’information

Entre Américains et Européens on observe des différences quant à la fréquence et au type d’information consultée sur le Web. Les Européens semblent privilégier la consultation de matériel de référence et de recherche alors que les Américains consultent davantage les sites consacrés aux nouvelles, aux finances et à la recherche d’information médicale. La recherche d’emploi est également plus populaire auprès des Américains. Cependant la plus forte proportion au sein des deux groupes affirme consulter le Web pour se tenir au courant de l’actualité.

La lecture des nouvelles sur Internet constitue le type d’information le plus recherché. Les hommes (tant Américains qu’Européens) sont plus nombreux à lire les nouvelles sur Internet de même qu’à consulter le matériel financier. Ils se veulent également plus nombreux à participer aux forums de discussions et à rechercher de l’information pour les produits et services. Les femmes quant à elles sont plus nombreuses à chatter et à consulter le réseau pour la recherche d’informations médicales ou encore traitant de santé et de style de vie.

Informations scientifiques et éducation

Dès 1997, les trois-quarts des élèves américains utilisaient l’ordinateur à partir de l’école. En moins de dix ans, l’utilisation de l’ordinateur à des fins éducatives a supplanté les jeux par ordinateur chez ces mêmes élèves (US Census Bureau, 1997). Au Québec en juin 1998 deux écoles publiques sur trois étaient branchées au réseau. En 1999 on estimait à 11 le nombre d’élèves par ordinateur au primaire et au premier cycle du secondaire et à 9 au second cycle du secondaire. Une étude du ministère de l’éducation nationale en France a démontré que toutes les universités étaient branchées dès janvier 1999. Les résultats de l’étude démontraient également que 70 % des collèges et 90 % des lycées étaient connectés alors que les écoles détenaient une faible proportion avec un taux de branchement de 10 à 20 %.

En 1999 Statistique Canada a effectué une enquête auprès de 4000 écoles canadiennes dans le cadre de sa participation à la seconde étude internationale sur les technologies de l’information et de la communication dans les écoles primaires et secondaires du Canada. En janvier et février 1999, 88 % des élèves du primaire et plus de 97 % des élèves des niveaux intermédiaire et secondaire étaient inscrits à une école où Internet était exploité à titre de ressource pour l’enseignement. Les données démontrent qu’au Canada plus de 40 % des élèves avaient déjà été initiés au courrier électronique au début de l’année 1999 et que 30 % d’entre eux avaient conçu leur propre site Web. Les difficultés rencontrées pour une utilisation optimale du matériel informatique sont le nombre trop peu élevé d’ordinateurs par étudiants et le manque de formation des enseignants.

Collèges et universités ajoutent à leur programme des diplômes d’études à distance. L’obtention complète d’un diplôme à distance est déjà chose possible. Le campus virtuel est à nos portes. L’éduformation, qui favorise la réunion des acteurs traditionnels des secteurs de l’éducation et de la formation à ceux de la nouvelle économie, devient un nouveau marché en émergence sur Internet. En effet, selon un rapport de veille publié récemment par le consortium multimédia Cesam, le marché de l’éducation et de la formation en ligne est de l’ordre d’un milliard de dollars (http://www.cesam.qc.ca/veille/) en Amérique. D’ailleurs les quatre grandes entreprises américaines appartenant à ces secteurs, soit Kaplan, Knowledge Universe, Pearson et Sylvan, ont déjà investi 4,2 milliards de dollars US dans diverses acquisitions, et ce, depuis seulement les six premiers mois de l’année. Au Canada et au Québec, les firmes de capital-risque et divers programmes gouvernementaux ont également contribué à la promotion de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information en éducation. En Amérique du Nord, plus de 90 000 écoles, collèges et universités offrent ainsi des programmes de formation à distance. Certains établissements utilisent le réseau des réseaux comme le prolongement de leurs activités traditionnelles tandis que d’autres concluent des ententes de partenariat avec des cyberentreprises, et créent même des établissements virtuels (L’Infomètre, Cefrio).

Télétravail

On ne peut traiter d’usage de l’Internet sans faire référence au télétravail. Le bureau à domicile est devenu réalité. Aux États-Unis on estime à environ 50 millions le nombre de personnes qui utilisent un ordinateur pour travailler à domicile. On a l’habitude de distinguer deux grandes catégories de télétravailleurs : ceux qui utilisent majoritairement leur bureau à domicile aux fins de leur occupation ; ceux qui font une partie du travail chez eux, comme partie intégrante de leurs charges de travail. Ainsi, dans l’enquête canadienne sur l’emploi du temps (1998), 20 % des actifs font parfois du travail à la maison, et un peu moins de 10 % déclarent travailler majoritairement chez eux. Les analystes estiment qu’aux États-Unis ces deux catégories de population seraient équivalentes. Il est évident que l’on prédit une véritable explosion du télétravail dans les années à venir.

Usages d’Internet et pratiques culturelles

Communiquer, lire un journal, écouter la radio, écouter de la musique, visionner des œuvres d’art, et même regarder un film, constituent des pratiques culturelles en développement sur Internet. A cet égard, les prophètes de bonheur ou de malheur sont légion. Nous nous contenterons ici d’un bref survol des rapports qui se tissent de plus en plus entre certaines pratiques culturelles et leur évolution en fonction de l’Internet.

Internet, radio et télévision

Les contraintes liées aux médias traditionnels n’existent plus sur le Web. L’information diffusée sur le réseau révolutionnera quelque peu les pratiques de lecture puisque désormais les lecteurs auront accès à toute l’information diffusée sur un sujet précis. Les journalistes peuvent désormais ajouter des liens qui permettront au lecteur d’en savoir davantage sur le sujet traité, mais ils devront également être très bien renseignés sur le sujet qu’ils traiteront puisque les lecteurs auront accès aux sources à tout moment. Au plan international, on estime à plus de deux mille les journaux et les magazines qui sont publiés sur le Net.

Il n’est pas facile de dégager la réalité des pratiques effectives à partir des déclarations des internautes. Ce qui semble se dégager est que la majorité de ceux-ci déclarent consacrer moins de temps aux autres médias, particulièrement la radio et la télévision. Le rapport à la lecture demeure plus ambigu.

Ce que l’on déclare

Le temps consacré à Internet entraîne des répercussions sur le temps consacré aux autres activités, de même que sur les relations sociales. Un quart des répondants qui seraient en ligne plus de cinq heures par semaine affirme passer moins de temps avec leur famille et avec leurs amis de même que pour des sorties à l’extérieur de la maison. Certains travaux laissent entendre qu’Internet constituerait un facteur d’isolement social. Un site américain offre même une ressource pour les cyberdépendants anonymes où ces derniers peuvent être traités par un processus semblable à celui des alcooliques anonymes ! Les opinions divergent à ce sujet puisque le réseau serait reconnu pour favoriser et faciliter les échanges. Les études démontrent que le réseau sert de lieu de rencontre commun pour les groupes marginaux ; par exemple, Internet est très populaire auprès des homosexuels : ces derniers utilisent le Web plus souvent et plus longtemps que n’importe quel autre groupe démographique.

Certaines études estiment que le temps consacré à la télévision est appelé à diminuer en raison d’Internet. Une étude récente (Gomez.com et Internetsurvey) va dans le même sens en spécifiant que les médias traditionnels sont bel et bien affectés par l’utilisation du Web par les internautes. Près de la moitié des répondants à l’enquête affirme consacrer moins d’heure à l’écoute de la télévision alors que le quart d’entre eux affirme lire moins les nouvelles. Internet serait plus populaire auprès des jeunes que la télévision (Firme Roper Starch). Internet serait même devenu le moyen de communication numéro un auprès de la clientèle adolescente. Les jeunes préféreraient Internet à la télévision et plus de la moitié d’entre eux utiliseraient plus fréquemment Internet que le téléphone pour communiquer.

Ce qui est mesurable

Les mesures les plus précises que nous connaissions sont tirées des enquêtes sur l’emploi du temps. L’Insee a réalisé ce type d’enquête en 1998 mais n’a pas jugé bon d’inclure une question spécifique sur l’utilisation d’Internet – Au Canada et aux États-Unis on dispose de données parcellaires sur le sujet. Les Américains passeraient en moyenne 10,6 heures par semaine à naviguer sur le Web (Robinson et Godbey, 1999). C’était déjà 4 heures par semaine au Canada dès 1998.

Dans l’enquête canadienne de 1998 sur l’emploi du temps, une comparaison systématique des utilisateurs et non-utilisateurs d’Internet par rapport à l’ensemble de leurs pratiques permet de conclure que les internautes consacrent généralement moins de temps aux activités sportives et aux pratiques de sociabilité (rencontres, sorties, etc.). Pour ce qui est de la télévision, les internautes la regardent beaucoup moins ; les études les plus récentes portant sur les utilisateurs d’Internet vont dans le même sens : les usagers d’Internet sont généralement des moins grands consommateurs de la télévision, mais ils l’étaient également moins avant l’arrivée d’Internet dans leur foyer.

Les rapports à la lecture sont d’un autre ordre. En comparant les taux de lecture de ceux qui possèdent un micro-ordinateur par rapport à ceux qui n’en possèdent pas, on constate que les premiers lisent bien davantage que les seconds. L’enquête québécoise de 1999, sur les pratiques culturelles, confirme que c’est le niveau d’études qui s’avère déterminant pour expliquer les rapports entre la lecture et l’usage d’un ordinateur. Plus généralement, on peut dire que le niveau d’études est l’un des facteurs les plus décisifs pour comprendre l’interaction ou l’absence d’interaction entre les divers médias. De même, l’intensité des pratiques culturelles va de pair avec le niveau de vie et le niveau d’études et induit nettement une moindre consommation du petit écran, mais renvoie à une plus grande utilisation de l’ordinateur.

Conclusion

L’Internet évolue et les utilisateurs changent : la clientèle du réseau se modifie. On observe une baisse des écarts de scolarisation et de niveau de vie dans l’accès à Internet. La proportion des femmes internautes s’accroît régulièrement. Toutefois, le revenu des ménages, le niveau d’éducation de même que la présence d’enfants de moins de 18 ans, constituent les principaux facteurs déterminants relatifs au branchement des ménages. On a depuis longtemps souligné comment de nouvelles inégalités surgissaient de la possession ou non d’un ordinateur, de l’accès ou non à Internet. Les écarts d’accès aux nouvelles technologies se calquent sur l’importance du revenu du ménage.

Mais la proportion des ménages possédant un ordinateur augmente lentement et sûrement depuis l’avènement du Web. Le coût abordable de l’ordinateur constitue un facteur qui en favorise l’achat. En 1998 l’agence de la francophonie estimait à 75 % les sites Web dont la langue serait l’anglais ce qui dénote une diminution depuis la création d’Internet où la presque totalité des sites Web étaient en anglais. Les enquêtes démontrent que les Américains passent le double du temps sur Internet par rapport aux Européens. Les internautes américains utilisent davantage Internet au travail qu’à la maison même si ils sont plus nombreux à être branchés de leur foyer qu’au travail.

Même si en 1999 la principale raison d’utilisation du réseau était l’accès au mail, on observe indéniablement une diversification croissante dans l’utilisation d’Internet : information, éducation, travail, culture. En fait, c’est à un véritable brouillage des frontières auquel on assiste, dans le temps et dans l’espace : entre éducation, information, culture et divertissement ; entre travail et loisir ; entre l’espace domestique et l’espace professionnel. Des défis considérables se posent notamment à tout le système d’éducation occidental basé sur les rapports maîtres-élèves ; des groupes économiques très puissants envahissent un champ autrefois exclusif à l’université. De plus, comme l’illustre l’évolution des noms de domaine, le secteur commercial est en voie de conquérir le Net, et même de se l’accaparer.

On comprend le scepticisme de certains, les envolées oratoires des autres, quand on lit qu’aux Etats-Unis plus du tiers des internautes réguliers affirme qu’Internet a changé leur vie (Stanford Institute for the Quantitative Study of Society cité par Nielsen-Netratings) ! 70 % des internautes américaines affirmaient lors d’une enquête menée à l’automne 1999 qu’elles ne peuvent imaginer leur vie sans le Web. Les deux choses que la majorité des internautes américains amèneraient avec eux dans le désert sont « un PC avec une connexion à Internet ». Près de 75 % des internautes affirment que leur vie est meilleure grâce à Internet.

Faut-il en rire, faut-il en pleurer ?

Références bibliographiques

Canada, Statistique Canada (1999), Aperçu sur l’emploi du temps des Canadiens en 1998, Ottawa, Statistique Canada, 21 p., catalogue 12F0080X1F (http://www.statcan.ca/)

Robinson, John and Godbey, Geoffrey, Time for Life: The Surprising Ways Americans Use their Time, University Park, Pennsylvania State University Press, 2ème éd., 1999, 402 p.

US Census Bureau, Computer Use in the United States 1997, sept. 1999 (http://www.census.gov/)

Sélection de sites Internet consultés

(Validité mai 2001)

http://www.atsystem.com
http://www.cesam.qc.ca/veille/
http://www.cyberatlas.com/
http://www.eratings.com/
http://www.gvu.gatech.edu/
http://www.infometre.cefrio.qc.ca/
http://www.internet.com/
http://www.mediatrix.com/
http://www.isc.org/ds/
http://www.netvalue.fr/
http://www.nielsen-netratings.com/
http://www.nua.ie/
http://www.risq.net/
http://www.yahoo.com/
http://www.zdnet.fr/actu/

Auteurs

Magali Saint-Amand

.: Magali Saint-Amand, étudiante graduée à la maîtrise en Loisir, culture et tourisme, termine un mémoire sur l’impact culturel du tourisme et entreprend des études de doctorat à Nice.

Gilles Pronovost

.: Gilles Pronovost, professeur au Département des Sciences du loisir et de la communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’intéresse à la question des temps sociaux et des pratiques culturelles. Il a notamment publié : Médias et pratiques culturelles (PUG, 1996), Sociologie du temps (De Boeck, 1996), The Sociology of Leisure (Sage, London, 1998).