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Visioconférence dans l’enseignement supérieur : expérimentations et usages

29 Nov, 2001

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Ologeanu Roxana, « Visioconférence dans l’enseignement supérieur : expérimentations et usages« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°02/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2001/varia/08-visioconference-dans-lenseignement-superieur-experimentations-et-usages

Introduction

Les vagues successives de technologies dites éducatives (de l’audiovisuel à l’informatique pour tous et l’enseignement assisté par ordinateur) ont suscité un vif intérêt de la part des innovateurs pédagogiques. Expérimentés en marge du système éducatif, ces outils furent accompagnés de discours enthousiastes argumentant leurs mérites éducatifs.

Cependant, la généralisation rapide à laquelle ces techniques étaient promises dans l’enseignement ne s’est guère réalisée. En faisant table rase de l’histoire des outils pour apprendre, les expérimentateurs se sont détournés de l’enseignement assisté par ordinateur pour se passionner pour l’Internet et la visioconférence. On peut se demander dès lors si ces nouveaux médias suivront le même chemin que l’audiovisuel et l’enseignement assisté par ordinateur.

Des changements en cours dans le (et du) système éducatif nous amènent à envisager d’autres scénarios possibles. La légitimité du système éducatif est aujourd’hui remise en cause, socialement et économiquement. Dans ce contexte, la généralisation des nouveaux médias dans l’enseignement pourrait être à la fois un levier de changement et le révélateur d’un nouveau paradigme éducatif. La question à laquelle nous essaierons de répondre dans cet article est de savoir si l’expérimentation de la visioconférence dans les établissements d’enseignement évolue ou non vers la banalisation des usages (1).

Nous ne cherchons pas à répondre à cette question pour tous les domaines de la formation, mais uniquement pour l’enseignement supérieur public. Nous résumerons ainsi les conclusions d’un rapport d’étude réalisé au sein du Gresec, avec le soutien du Ministère de la recherche, Sous-direction des technologies éducatives et des technologies de l’information et de la communication.

Nous proposerons dans une première partie de distinguer deux étapes dans l’histoire de la visioconférence. Nous montrerons comment, dans la première étape, les logiques différentes des fournisseurs et des usagers n’ont pas permis de parvenir à un compromis, et comment fournisseurs de matériel et représentants des usagers ont conclu un partenariat reposant sur l' »idéologie commune » (Flichy, 1992) de l’expérimentation éducative. Mais le déroulement de ces expérimentations a mis en évidence les logiques différentes des deux groupes d’acteurs. Par conséquent, le compromis initial a été brisé et ces partenariats n’ont pas été reconduits. La seconde étape se caractérise par la diversification de l’offre de matériel standard et l’émergence des usages.

Cette vision diachronique sera complétée par l’étude synchronique des usages actuels, qui fera l’objet de la seconde partie. Nous identifierons d’abord des usages différents pour l’enseignement par correspondance et ensuite dans le contexte de l’enseignement en présentiel : dans le premier, le tutorat personnalisé semble se développer de plus en plus, alors que dans le second, les cours, en enseignement simultané, restent importants. Les conférences demeurent dominantes dans les deux cas. Par ailleurs, entre enseignement individualisé et enseignement simultané, un autre modèle pédagogique est relayé par la visioconférence, aussi bien dans l’enseignement à distance que dans l’enseignement en présentiel : il s’agit de l’enseignement coopératif. Nous conclurons la seconde partie de l’article par le bref exposé des difficultés actuelles qui entravent la généralisation des usages.

Aperçus sur les développements récents de la visioconférence : de la prééminence de l’offre à l’émergence des usages

Nous présentons deux étapes dans l’histoire récente de la visioconférence. Il convient toutefois de noter que si nous élargissons le cadre pour inclure les dispositifs de type Télé-Amphi (permettant la communication bidirectionnelle du son et la transmission d’images fixes) et de télé-conférence (téléphonique), dont la visioconférence est l’aboutissement technique actuel, nous constatons pour chaque génération d’outils de téléconférence un intérêt initial suivi d’abandon.

Première étape : prééminence de l’offre, tâtonnement des usages

Dans la première étape, allant de 1992 à 1998 environ, quelques universités pionnières (dont l’université de Marne-la-Vallée) se sont équipées en dispositifs de visioconférence. Il s’agissait d’importants investissements en studios, financés par les Conseils Régionaux, en partenariat avec une entreprise-fournisseur. Les responsables régionaux en Ile-de-France et Lorraine choisirent Citcom comme fournisseur. Ainsi, cette entreprise cherchant à tester ses prototypes en vue de leur commercialisation sur le marché grand public, les responsables politiques régionaux préoccupés par l’aménagement du territoire et les responsables universitaires soucieux d’une image de modernité ont conclu des accords concrétisés par l’équipement de plusieurs universités en Ile-de-France et en Lorraine. Dans cette étape, l’offre commerciale et technique précédait largement la demande, qui n’était d’ailleurs pas bien définie. Les matériels propriétaires leur laissaient peu de choix et rapidement l’usager devint plus un otage qu’un partenaire.

Les responsables de projet dans les universités ont été pour la plupart des innovateurs pédagogiques qui jouaient le rôle de médiateurs entre les universités et les commerciaux de l’entreprise-fournisseur et, à l’intérieur des universités, entre décideurs, techniciens et enseignants.

Ces pionniers se sont regroupés dans des « clubs d’utilisateurs ». On peut citer à cet égard deux « clubs » : un groupe travaillant sur la visioconférence à l’intérieur de Gemme et l’association des utilisateurs des réseaux informatiques en Ile-de-France (Aurif). Le groupe Visio Université Ile-de-France (qui regroupe l’université de Marne-la-Vallée, l’université Paris 3, l’université Paris 6, l’université Paris 7, l’université Paris 12, l’université Paris 13, l’ENS Cachan – l’Enset -, l’INT, Polytechnique et le Muséum d’Histoire naturelle), fonctionne en relation avec l’Aurif, a pour objectif d’améliorer les techniques et les usages de la visioconférence dans l’enseignement. L’objectif du groupe Visio Université vise aujourd’hui la promotion des usages des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement dans les pratiques pédagogiques : l’accueil (conseil), le partage d’expériences sur la production, la mise en oeuvre, les problèmes rencontrés, la réalisation, le soutien à l’utilisation vis à vis des fournisseurs, l’accompagnement des enseignants, et l’évaluation des produits.

Citcom, filiale de France Télécom, a cherché à s’imposer sur le marché de l’enseignement à distance. Par conséquent, cette firme s’est intéressée aux modalités de création d’une gamme d’outils pédagogiques adaptés pour les enseignants dans des situations pédagogiques différentes (Chambres de commerce, amphithéâtres d’université).

Citcom a choisi en 1992 une université (Marne-la-Vallée) qui lui servirait de vitrine. Celle-ci était censée enrôler d’autres universités, c’est-à-dire persuader les décideurs de ces universités de l’utilité de la visioconférence en général et des dispositifs commercialisés par Citcom en particulier. Ce processus reproduit le schéma de fonctionnement pour l’innovation éducative, selon la tradition de la recherche dite « opérationnelle » : celle-ci consiste à procéder selon le modèle dit du site pilote, lequel remplit deux fonctions, test et vitrine. Ces sites pilotes sont incités par le fournisseur à coopter d’autres usagers dans un réseau d’utilisateurs. Il est important de souligner que Citcom n’a pas adapté ses dispositifs à la formation universitaire, se limitant à proposer le même dispositif que dans la formation interne d’entreprise. Ce dispositif fonctionnait selon des normes propriétaires, qui coupent en aval toute possibilité d’ajustement et qui rendent difficile la compatibilité avec d’autres dispositifs réalisés par d’autres fournisseurs.

Le verrouillage technique constituait une garantie de sécurité pour une entreprise qui possède les compétences en gestion du matériel, notamment pour ses propres organismes de formation interne. En revanche, les normes propriétaires devinrent des obstacles à la maintenance par les techniciens des universités et à l’adaptation du dispositif en fonction des demandes des établissements. Nous identifions ici une première raison de l’échec de la collaboration entre fournisseurs de matériel et représentants éducatifs des usagers.

Une seconde raison tient au manque de compatibilité entre matériels différents, conséquence également des normes propriétaires. Une troisième raison évoquée par les acteurs consiste en la sous-estimation de l’audiovisuel : prise de vue, prise de son, éclairage. Enfin, une dernière raison concerne un des deux dispositifs testés dans les universités, VisioCentre. A l’origine de ce dispositif, les responsables techniques se sont inspirés d’un modèle de l’enseignant conçu comme réalisateur audiovisuel. Selon ce modèle, le bureau de l’enseignant, équipé de tous les auxiliaires pédagogiques nécessaires (caméra banc-titre, projecteur de diapositives, PC, vidéodisque, magnétoscopes, réception satellite), était séparé de la salle où les étudiants du site local suivaient le cours. Les responsables commerciaux de Citcom justifiaient cette disposition par l’exigence d’égalité entre les deux publics, local et distant. Quant à la diversité des auxiliaires pédagogiques, celle-ci était censée rompre la monotonie d’un cours magistral. Le dispositif de VisioCentre véhiculait donc un modèle pédagogique, tel que se le représentaient les ingénieurs, les commerciaux et les formateurs d’entreprise, totalement inadéquat dans le cadre de la formation universitaire.

Dans ce contexte, les usages prescrits par le fournisseur sont devenus un enjeu de conflit entre le fournisseur et les universités au fur et à mesure que les demandes de ces dernières se précisèrent. Les responsables de projet et les enseignants des universités clientes ont eu le sentiment d’être plutôt des cobayes. On constate ainsi, à l’instar de Yolande Combes, que dans cette étape des premiers équipements, « l’usager est plus un otage qu’un acteur » (1999, p. 125).

Ainsi, l’échec de ces collaborations est dû notamment au conflit entre deux logiques : la logique des industriels, centrée sur l’efficacité (utilisation optimale de la technique) et la logique des utilisateurs, fondée sur l’utilité pour les utilisateurs, notamment par rapport aux besoins des apprenants (Moeglin, 1994). Si industriels et chargés de mission pour la visioconférence dans les universités trouvent un intérêt dans l’expérimentation, les premiers s’intéressent à l’expérimentation technique en vue de la commercialisation ultérieure sur le marché grand public alors que les seconds visent l’innovation et l’expérimentation pédagogiques.

Plusieurs universités ont été équipées par Citcom en studios de visioconférence, VisioCentre et VisioAmphi (dispositif où le pupitre de l’enseignant est situé dans la salle de cours). Actuellement, par rapport aux objectifs initiaux, l’utilisation de ces dispositifs est relativement faible (notamment à l’université de Marne-la-Vallée, où elle est bi-mensuelle pour les deux salles de visioconférence). Ils sont utilisés dans les universités où il a été possible de les adapter aux objectifs formulés par les usagers : soit dès l’équipement, dans le cas de l’université Paris 3 qui a réussi, appuyée par le réseau francilien VisioUniversité, à négocier avec l’opérateur des changements ergonomiques et techniques ; soit après l’installation, comme dans le cas de l’université Paris 6, où les techniciens ont réussi à « déverrouiller » et à améliorer le système.

Lors de l’équipement de la première université, la demande des usagers n’était pas encore suffisamment structurée pour influer sur l’offre ; la situation a changé et les besoins des usagers ont commencé à se former et à s’exprimer. On note par exemple à cet égard que le responsable de la visioconférence à l’université Paris 7 estimait en 1997 que le dispositif Visiocentre était inadapté pour l’enseignement, alors que quelques années auparavant, à l’époque de l’équipement de l’université de Marne-la-Vallée, il considérait ce dispositif comme adéquat.

Cela nous apparaît comme un indice : la visioconférence se trouve actuellement dans une étape intermédiaire, entre l’étape de l’antériorité de l’offre et de la prescription des usages, et celle de la constitution des usages sociaux (Lacroix, Moeglin, 1992, pp. 241-248).

Seconde étape : émergence des usages et diversification des matériels

Actuellement, l’offre de matériel est plus diversifiée. Les dispositifs de visioconférence fonctionnent selon des normes standard, recommandées par l’Union Internationale des Télécommunications.

Du côté des usagers, on observe l’augmentation des sites équipés. Sur le marché actuel de la visioconférence, deux types d’outils sont proposés : les dispositifs de visioconférence sur réseau RNIS et les dispositifs de visioconférence sur réseau Internet.

Dans le cas de la visioconférence sur RNIS, les coûts d’investissement ont diminué. Les équipements incombent moins aux collectivités territoriales qu’aux universités. Aux studios de visioconférence, on vient à préférer des matériels plus « légers » tels que les meubles de visioconférence.

La majorité des fournisseurs ont renoncé à la diffusion de dispositifs dédiés à la formation. L’avantage consiste dans une flexibilité plus grande pour les utilisateurs : les usages ne sont plus prescrits de manière contraignante en amont, comme dans le cas de Citcom. C’est pour cette raison que les équipements qui ne ciblent pas la formation sont devenus, paradoxalement, plus adaptés pour les universités. Les fournisseurs ont ainsi tiré des leçons des échecs de Citcom. On note à cet égard qu’une entreprise spécialisée dans la téléconférence, Genesys, a changé sa stratégie initiale qui consistait, au début des années 90, à élaborer des dispositifs spécifiques pour la formation, afin de s’orienter vers les services de téléconférence, tous publics confondus. Cependant, d’autres universités ont choisi Citcom comme fournisseur, mais avec une plus grande marge de négociation. Tel est le cas de l’université Paris 3, qui a bénéficié de l’appui du réseau Visio Université Ile-de-France, pour mieux négocier les conditions de l’accord avec l’opérateur fournisseur.

Les utilisations actuelles des dispositifs de visioconférence RNIS sont les cours, les jurys (pour les soutenances de thèses, de mémoires de stage…) et notamment les conférences.
Second type de dispositifs de visioconférence, les logiciels de visioconférence sur PC bénéficient des améliorations récentes pour les cartes vidéo et son. Le développement des réseaux à haut débit pourra impulser l’essor rapide de la visioconférence sur Internet.

L’équipement requis pas la visioconférence sur PC et réseau IP est moins coûteux que l’équipement de visioconférence sur RNIS. Pour cette raison, dans les universités, il est généralement pris en charge par des UFR. L’équipement se fait ainsi rapidement et répond aux demandes formulées par les responsables de formation. Les critères d’équipement sont plus pragmatiques, en ce sens qu’il s’agit de demandes précises, comme par exemple de délocaliser un cours de l’UFR dans le cadre d’un diplôme co-habilité. Il convient de noter à ce sujet que les UFR qui s’équipent de cette manière sont spécialisées dans l’informatique. Cela facilite l’équipement et la gestion du matériel.

Les logiciels de visioconférence utilisés sont actuellement des logiciels grand public (de type NetMeeting). Par ailleurs, les plates-formes techniques d’enseignement à distance comme WebCT et Learning Space intègrent la fonctionnalité de visioconférence dans leurs nouvelles versions.

L’intérêt croissant des universités pour les dispositifs de visioconférence sur IP soulève la question de l’investissement des expérimentateurs : sont-ils simplement intéressés par la mise à l’épreuve de nouveaux outils ou bien leur stratégie les conduit-elle à s’engager dans l’utilisation continue et opérationnelle de la visioconférence ? Dans le premier cas, nous les verrons délaisser cet outil comme ils ont abandonné les dispositifs de Télé-Amphi dans les années 90 ; dans le second cas, les usages récurrents de la visioconférence peuvent participer à l’enrichissement de l’offre pédagogique.

Après avoir présenté l’offre en matière d’équipements de visioconférence, nous exposerons maintenant les usages actuels de la visioconférence dans l’enseignement supérieur. Il nous a paru utile de distinguer les usages de cet outil dans l’enseignement à distance (par correspondance) et dans l’enseignement en présentiel.

De l’expérimentation aux usages

Nous distinguons les usages de la visioconférence dans l’enseignement à distance, où elle apparaît comme une « valeur ajoutée » par rapport aux autres outils, et les usages de la visioconférence dans l’enseignement en présentiel, où celle-ci apparaît comme un appauvrissement par rapport à la relation en face à face.

Visioconférence et enseignement à distance

L’enseignement par correspondance avait déjà introduit une coupure entre l’enseignant et l’apprenant d’une part, entre l’enseignant et le cours d’autre part. L’enseignement à distance a introduit ainsi dans l’enseignement un autre modèle d’industrialisation (2), différent de celui de l’enseignement simultané.

Rappelons que dès 1924, l’enseignement par correspondance aux Etats-Unis fut présenté comme un marché rentable. Les écoles privées qui s’y sont lancées ont rapidement recruté quatre fois plus d’étudiants que tous les établissements d’enseignement supérieur et de formation professionnelle. Les universités d’Etat s’y sont intéressées à leur tour, tout en justifiant leur demande par l’exigence de la démocratisation de l’enseignement. Cette exigence fut évoquée d’ailleurs pour impulser le développement de l’enseignement par correspondance en France et la constitution du Cned.

Quel était la vision des acteurs ayant mis en oeuvre ce modèle d’enseignement ? Celle d’un autre paradigme éducatif, où « l’étudiant était censé disposer de l’attention individuelle de l’enseignant (et) travailler à son propre rythme, sans se le laisser imposer par la capacité moyenne des nombreux élèves travaillant simultanément » (Noble, 2000). On ajoutait à cela les réductions de coût envisagées par la généralisation de ce modèle d’enseignement.

Malgré ces débuts enthousiastes, les objectifs avant tout commerciaux, aussi bien des écoles privées que des universités d’Etat, ont abouti à un enseignement de piètre qualité : des correcteurs sous-qualifiés étaient chargés du suivi et de l’évaluation des élèves et le contact entre l’enseignant et l’apprenant était réduit. Le taux d’abandon fut très élevé, mais ce sont ces mêmes échecs qui permettaient au système de trouver une forme de rentabilité car les droits d’inscription n’étaient pas remboursés. Les discours promettant à l’enseignement à distance des lendemains qui chantent ont laissé finalement la place à des programmes moins ambitieux et plus réalistes. En France, ce sont le Centre National d’Enseignement à Distance (organisme indépendant) et les Centres de Télé-Enseignement Universitaire qui se sont spécialisés dans l’enseignement par correspondance.

On reconnaît ici les justifications et l’enthousiasme des discours qui accompagnent la promotion de l’enseignement à distance médiatisé par visioconférence et Internet, aussi bien pour l’enseignement à distance que pour l’enseignement en présentiel. La diffusion de ressources sur CD-Rom et Internet relance l’enseignement à distance. Toutefois, la question de l’accompagnement pédagogique, question-clef dans la réussite de l’enseignement à distance, reste d’actualité. Dans ce contexte, la visioconférence sur PC et réseau Internet est souvent considérée comme le meilleur outil de communication pour développer le tutorat personnalisé.

Tel est le cas de l’université Grenoble 2, lorsque le tuteur suit par visioconférence les étudiants en gestion à Valence, en formation à distance. Le tutorat a été un usage expérimenté pour les équipements de visioconférence sur RNIS, mais le coût trop élevé et l’importance de l’investissement pour ce type de visioconférences ne légitimaient pas un usage pour une ou deux personnes seulement.

Les logiciels de visioconférence sur IP (tel NetMeeting) bénéficient des auxiliaires qui permettent un tutorat de qualité : tableau blanc interactif, partage d’applications, intervention par le tuteur sur l’ordinateur de l’apprenant. Pour ces raisons, le tutorat par visioconférence sur IP est considéré comme la valeur ajoutée par rapport à l’enseignement par correspondance. Il convient cependant de s’interroger sur la possibilité de décliner une offre de tutorat en fonction des financements ou des droits d’inscription, en tutorat par mail, tutorat par visioconférence IP et en face à face. Ces possibilités existent déjà pour un même organisme de formation, dans le secteur de la formation professionnelle privée. Par ailleurs, ces logiciels sont utilisés en complément aux dispositifs de visioconférence sur RNIS, pour le transfert de données et le partage de tableau blanc.

La réussite de la visioconférence sur RNIS exige une bonne connaissance des outils par les apprenants et le tuteur. Ceux-ci ont accès à cet équipement à partir de leur domicile ou d’un centre de ressources.

Visioconférence et enseignement en face à face

Dans les dispositifs de formation « traditionnelle », la visioconférence est utilisée soit en tant que complément aux cours en présentiel, soit en tant que dispositif (unité de valeur) complet d’enseignement à distance. On rencontre ce dernier cas pour les cours dans des diplômes co-habilités ou des universités multipolaires. Dans les deux cas, les cours par visioconférence cherchent à se rapprocher du modèle de l’enseignement en présentiel, sur le modèle de l’enseignement simultané. Les cours sont généralement dispensés par un enseignant devant un groupe d’étudiants local ou plusieurs groupes d’étudiants distants. Dans certaines situations, l’enseignant n’a pas de public local.

Les dispositifs techniques utilisés sont la visioconférence sur RNIS et la visioconférence sur PC (avec rétro-projection sur grand écran). Les cours utilisant ce dernier dispositif ont abouti à des visioconférences de piètre qualité, en raison des limites techniques de cet outil (image figée, manque de zoom…). Nous constatons que pour cette raison les usages des outils de visioconférence sur PC sont notamment le tutorat et les télé-réunions.

Les apprenants ne sont pas isolés devant le poste de visioconférence, comme dans le cas du tutorat par visioconférence sur PC, mais regroupés comme pour les cours en face à face. Par ailleurs, la réussite de ce type de visioconférence n’exige pas une bonne connaissance des outils par les apprenants et l’enseignant. L’assistance d’un technicien vise à rendre cette technique « transparente » pour les enseignants et les étudiants. La multiplication des écrans tactiles, les studios ou les plates-formes de visioconférence, construites autour de régies audiovisuelles, permettent d’optimiser la qualité de l’image et du son, afin de retrouver un environnement le plus proche possible de celui du présentiel (comme l’observent également Pierre Moeglin et Gaëtan Tremblay, 1999, 1, p. 98).

Certains organismes de formation, tels le Cnam Languedoc-Roussillon, estiment que la visioconférence n’est qu’un cours délocalisé et qu’il ne fait pas partie des activités de formation à distance. La plupart des fournisseurs de dispositifs de visioconférence insistent sur cet aspect : ainsi, pour la société Génésys, la visioconférence permet de simuler les réunions en face à face. Il n’en reste pas moins que la visioconférence introduit une médiatisation, donc une rupture par rapport à l’enseignement traditionnel. Les cours par visioconférence requièrent une scénarisation et une rationalisation accrues. La visioconférence renforce ainsi l’industrialisation originaire de la formation, conformément au modèle de la chaîne de fabrication.

Selon le responsable de l’ENS de Cachan (Enset), la visioconférence, « c’est un bon passage dans l’évolution » vers l’enseignement à distance, « parce qu’on garde quand même pas mal de repères habituels, mais ça nous contraint un peu de bouger » ; « par rapport aux autres technologies nouvelles, l’enseignement sur le Web, l’université ouverte », la visioconférence serait par conséquent « un bon intermédiaire parce qu’elle permet de prendre en compte tous les problèmes d’audiovisuel, tous les problèmes de communication à distance (…). Quand on fait un enseignement par le Web c’est une problématique complètement différente, c’est encore en déphasage avec l’enseignement classique. »

Dans son rapport de 1994, Maryse Quéré redéfinit le cadre de l’enseignement à distance, en complément et non plus en opposition avec l’enseignement traditionnel. On peut se demander dès lors si la visioconférence ne permettrait pas d’opérer cette transition et de proposer un modèle hybride, entre enseignement en face à face et enseignement à distance.

Mais qu’en est-il des étudiants, les utilisateurs finaux ? Les étudiants sont en général réticents à la visioconférence, lorsque celle-ci remplace un cours dispensé jusqu’alors en présentiel. En revanche, elle est considérée comme un progrès dans le cadre de l’enseignement par correspondance (comme par exemple au Cnam ou à Télé 3-Sorbonne).

Actuellement, l’offre de formation sur Internet vise la formation continue de 1er et 2nd cycles. Le projet du MENRT concernant l’université en ligne s’oriente également vers le public de 1er et 2nd cycles. En revanche, la visioconférence sur RNIS semble se « spécialiser » sur la formation continue et la formation initiale de 3ème cycle (bien que le réseau VisioUniversité concerne l’ensemble des domaines de l’université, du 1er au 3ème cycle, les visioconférences sont quasiment inexistantes en 1er cycle et rares en 2ème cycle).

Cependant, la médiation technique introduite par la visioconférence pourrait évoluer vers d’autres modèles d’industrialisation proches du modèle proposé par l’enseignement sur Internet et opérant ainsi cette transition entre enseignement en présentiel et enseignement à distance sur Internet.

Il est significatif de noter à cet égard des expérimentations en cours à l’université Paris 7, visant à enregistrer des cours par visioconférence et à les diffuser en direct (avec interactivité par chat) et en différé sur Internet. Ces essais relèvent de la logique de l’audiovisuel, en tant que logique hybride entre la logique de flot et la logique éditoriale (respectivement de la télévision et de la cassette vidéo).

Visiocommunication versus visioconférence ?

Pour certains innovateurs pédagogiques, la visioconférence apparaît comme un outil qui, de par sa spécificité en tant que dispositif de communication bidirectionnelle, inciterait le passage d’une pédagogie transmissive à une pédagogie constructiviste, où l’accent est mis sur le travail de groupe (par exemple à Télé 3 Sorbonne). La technique est considérée alors comme un levier du changement pédagogique.

Dans l’enseignement supérieur public, les discours des « pionniers » mettent en avant le changement pédagogique relayé par la visioconférence : passage d’une pédagogie de cours magistral à une pédagogie de « classe coopérative ». Deux modèles sont alors renvoyés dos à dos : la conférence « transmissive » et le travail de groupe, caractérisé par une forte interactivité. Des enseignants enthousiastes se targuent de ne plus dispenser de visioconférences mais de « faire de la visiocommunication ». Communication de groupe, travail collaboratif, travail coopératif, travail de groupe, ou encore simplement interactif, autant d’expressions pour désigner le rôle central de l’échange entre les participants (Hannah Arendt insiste déjà en 1965 sur le risque de confusion entre l’égalité des chances et l’égalité entre enseignants et élèves, dans le sens de l’effacement de l’autorité des professeurs. Cf. Arendt, 1954, p. 230-252).

L’accent mis sur le travail de groupe mêle références aux pédagogies de groupe et au travail de groupe dans les entreprises, aux pédagogies du projet et aux groupes de projet, à la pédagogie Freinet qui place l’élève au centre de l’acte éducatif et aux stratégies industrielles qui placent l’usager-client au centre du système. Les glissements sémantiques entre pédagogies actives et services éducatifs restructurés autour d’un usager actif sont constants. Cette ambiguïté montre la difficulté de considérer séparément l’usager du service éducatif (évoluant vers l’industrialisation des services, articulée autour de l’usager actif), l’apprenant (réévalué par les « méthodes actives »), et l’usager-utilisateur des produits multimédia (articulés autour de la notion d’interactivité).

Visioconférence à l’université : questions en suspens

Si l’enseignement par visioconférence reste, dans la plupart des universités équipées, à l’état expérimental, des usages émergent dans plusieurs universités. L’exigence d’un investissement en matériel important pour une visioconférence de qualité, les limites techniques (décalage du son et de l’image, déconnexions intempestives, qualité du son et de l’image), les problèmes institutionnels (statut de l’université « réceptrice » et de l’université « émettrice », rémunération des enseignants), organisationnels (organisation des diplômes multi-sites ou co-habilités, programmation des salles dans le cas des salles banalisées, animation et scénarisation des séances, formation des enseignants, exigence de techniciens pour la maintenance et l’assistance technique, préparation des documents), pédagogiques (manque de communication non-verbale, difficulté de la relation pédagogique, réduction de l’interactivité, gestion du site local et du site distant sans en privilégier un au détriment de l’autre, difficulté de concentration), tous ces aspects restreignent pour le moment la « banalisation » de la visioconférence comme technique d’enseignement à distance. Ces questions ne sont pas propres à la visioconférence ; elles sont présentes également lors de l’élaboration de « campus virtuels » sur Internet. Il est donc probable que développement des campus virtuels et développement de la visioconférence soient associés.

Dans son rapport, Maryse Quéré retient quatre avantages potentiels des télé-cours : l’abaissement des coûts pour les publics à petits effectifs ou dispersés ; le partage de l’excellence ; l’aménagement du territoire et la coopération internationale.

Nous constatons que la visioconférence sur RNIS (ou sur IP, lorsque les apprenants sont regroupés dans la même salle de classe) ne permet pas de réaliser des réductions de coûts, en raison des investissements importants pour l’équipement, des effectifs réduits des étudiants, du coût des ressources humaines nécessaires au bon fonctionnement du système et des coûts de communication élevés. Le public des cours par visioconférence dépasse rarement trente étudiants sur un site. Au-delà de ce seuil, l’interactivité est très réduite, et les cours sont calqués sur le modèle des conférences. L’avantage du dispositif, celui d’être précisément bi-directionnel, n’est pas exploité et la visioconférence à interactivité limitée pourrait bien être remplacée par une vidéoconférence.

En revanche, nous constatons que les trois autres objectifs évoqués par Maryse Quéré constituent les raisons d’équipement et de développement des usages. En effet, les usages sont réitérés dans les contextes où l’existence de diplômes co-habilités et de la coopération inter-universitaire favorisent l’utilisation de la visioconférence.

Conclusion

Nous pouvons distinguer dans l’histoire de la visioconférence deux grandes étapes : la première, celle des universités pionnières et de la prééminence de l’offre ; la seconde, celle de la diversification de l’offre et de l’émergence des demandes. Ce constat pourrait nous amener à conclure à une généralisation envisageable des usages de la visioconférence dans l’enseignement supérieur.

Cependant, l’histoire de cet outil et les difficultés évoquées nous incitent à la prudence. Les dispositifs de téléconférence téléphonique ont été abandonnés pour des dispositifs de visioconférence sur RNIS, qui sont de moins en moins utilisés actuellement en faveur des dispositifs de visioconférence sur PC (et réseau Internet) et des plates-formes d’enseignement à distance.

Nous constatons actuellement un certain écart entre des établissements équipés, pour lesquels l’expérimentation de nouveaux outils demeure un objectif, et d’autres établissements, récemment équipés ou pionniers, où des usages se développent (comme par exemple l’université Paris 7, l’université Paris 13, l’université Paris 3) .

Les usages de la visioconférence sont notamment les cours (en complément à l’enseignement à distance et à l’enseignement en présentiel) et le tutorat (dans le cadre de l’enseignement à distance).

Si les dispositifs de visioconférence sur RNIS et sur Internet ont été expérimentés pour tous types d’usages (cours magistral, travail coopératif, tutorat, travaux dirigés, travaux pratiques), il nous semble que les usages actuels sont plus ciblés : ainsi, les matériels de groupe, fonctionnant sur réseau RNIS, sont utilisés notamment pour les cours (communication entre salles de cours à distance), alors que les dispositifs de visioconférence sur PC et réseau IP regroupent des usagers isolés devant leurs ordinateurs, pour des cours ou le tutorat, dans des « classes virtuelles ».

Par ailleurs, l’intégration de la fonctionnalité de visioconférence dans les plates-formes d’enseignement à distance (articulant conception et diffusion de cours, gestion de la scolarité, suivi pédagogique) suggère que la visioconférence peut s’inscrire dans un dispositif de campus virtuel.

Notes

(1) Nous empruntons la définition de la notion d' »usages » à Lacroix et alii (1992) : « des modes d’utilisation se manifestant avec suffisamment de récurrence, sous la forme d’habitudes relativement intégrées dans la quotidienneté, pour être capables de se reproduire et éventuellement de résister en tant que pratiques spécifiques ou de s’imposer aux pratiques culturelles préexistantes ».

(2) Deux points nous apparaissent comme étant essentiels dans la définition de l’industrialisation : la séparation entre produit et producteur et entre producteur et utilisateur. Ainsi le manuel scolaire, procédant à cette distinction entre le temps de production et le temps d’utilisation, a été à la fois un catalyseur et une conséquence de l’industrialisation du système éducatif, reposant sur le dispositif d’enseignement simultané.

Références bibliographiques

Arendt, Hannah, « La crise de l’éducation », La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1954, trad. française 1972.

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Auteur

Roxana Ologeanu

.: Chargée de cours à l’université de Montpellier 3, Roxana Ologeanu termine la thèse sur l’industrialisation de la formation qu’elle a commencée au Gresec en 1998. Sur le thème qui fait l’objet de cet article, elle a réalisé pour le compte du ministère de la Recherche et de la Technologie un rapport sur les usages de la visioconférence dans l’enseignement supérieur (septembre 2000), et est l’auteur de plusieurs communications.