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Le développement global des médias économiques et financiers et le caractère national de l’information. Le cas de Bloomberg Télévision

5 Nov, 2001

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Carluer Claudine, « Le développement global des médias économiques et financiers et le caractère national de l’information. Le cas de Bloomberg Télévision« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°02/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2001/varia/02-le-developpement-global-des-medias-economiques-et-financiers-et-le-caractere-national-de-linformation-le-cas-de-bloomberg-television

Introduction

Le but de cet article est d’éclairer comment le développement d’un réseau d’information spécialisé est lié à l’évolution de la place et du rôle des nations dans le monde contemporain, en s’appuyant sur un exemple, celui de Bloomberg Télévision, branche de la société d’information financière Bloomberg,

Cette analyse sera faite en référence aux concepts d’internationalisation et de globalisation : Nous chercherons à voir si la stratégie adoptée par Bloomberg Télévision pour son développement est une étape dans l’abandon progressif du cadre national pour la diffusion d’informations, ou si au contraire elle révèle que les nations prises individuellement, constituent fondamentalement (y compris dans le domaine spécifique de l’information économique et financière qui est celui de Bloomberg Télévision), un cadre de référence pour des raisons économiques, politiques et culturelles.

Cette recherche s’appuiera sur des définitions des concepts d’internationalisation et de globalisation, notamment au regard de la notion de « superpuissance ». Nous nous poserons également la question de savoir si le champ de l’information financière anticipe l’évolution des systèmes d’information en général.

Pour ce faire, nous comparerons la forme et le contenu de deux éditions nationales de ce que l’entreprise Bloomberg présente comme un réseau mondial, l’édition anglaise et l’édition française. Nous chercherons à déterminer ce qui relève d’une logique nationale, d’une logique d’internationalisation ou d’une logique de globalisation.

Internationalisation, globalisation et offre d’information financière

Des recherches sur la globalisation, menées par Daniel Dufour, Yves Crozet et Lashen Abdelmalki, ont abouti à distinguer trois notions différentes, qui visent à lever les ambiguïtés véhiculées par l’expression de « globalisation ».

S’appuyant en partie sur l’approche microéconomique de la firme qui produit ou vend sur de nombreux marchés nationaux au niveau mondial, ou l’approche de la firme qui a développé une stratégie globale pour ses marchés, ses matières premières… ils distinguent :

l’internationalisation, ou processus conduisant à l’intensification des échanges de toutes natures entre Etats nationaux définis en référence à un territoire. Une économie internationale lie des marchés nationaux territorialement circonscrits à travers des flux transfrontaliers de capitaux, de marchandises, de personnes et d’informations ;

la mondialisation, ou processus d’intégration conduisant au dépérissement du rôle géopolitique des frontières des Etats nationaux. La mondialisation s’accompagne en quelque sorte d’une dénationalisation des espaces économiques laissant la place à un espace mondial intégré. Cette dénationalisation n’étant pas spontanée mais organisée, la mondialisation suscite des projets plus ou moins achevés de régulations publiques et privées adaptées ;

la globalisation ou universalisation de l’économie d’entreprise prenant appui sur la globalisation financière, c’est à dire la constitution d’un marché mondial des capitaux. Processus largement inintentionnel, la globalisation de l’activité d’entreprise soulève la question de l’émergence de formes de régulation publiques et privées adaptées.

Ces notions ont des implications radicalement différentes vis à vis du débat sur l’intégration de l’économie mondiale, dont nous ne ferons ici que rappeler certaines composantes : vision optimiste d’institutions comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), exprimée en terme de croissance économique, de « niveau de vie » des individus au travers du développement des échanges dans un cadre libéral ; vision pessimiste liée aux craintes liées à la perte du pouvoir de régulation des états : « dumping social » généralisé, atteintes à l’environnement, etc.

Cette intégration est aussi à l’origine des nombreuses interrogations relatives au rôle des Etats (Cohen 1996) et à la survie des nations dans les domaines de la culture et de la communication. Elle pose ainsi la question, déjà maintes fois débattue, de savoir si le processus de globalisation structure en réalité l’activité mondiale autour d’une nation qui serait placée en situation de domination, bien entendu les Etats-Unis d’Amérique, même si Kenichi Ohmae parle d' »Interlinked Economy » réunissant la triade Etats-Unis, Europe, Japon.

Cette intégration a été illustrée (de manière optimiste) par Robert Reich dans L’Economie globalisée. Pour lui, les firmes sont globales, leurs produits n’ont plus de nationalité (d’identité nationale), c’est un assemblage de matières premières et savoir-faire provenant de toute la planète. Individuellement, les pays n’ont donc pas à contrôler de telles entreprises. Et lorsque ces entreprises ont des problèmes, elles n’ont donc rien à attendre des vieux Etats-Nations ; elles devront demander une expertise privée, qui est transnationale.

Paul Hirsh et Graham Thompson ont développé un point de vue contraire. Ils montrent que les racines nationales des firmes multinationales ne sont pas transnationales et que leur comportement est encore déterminé par des éléments nationaux. Est-ce le cas de Bloomberg Télévision ?

Pour l’information économique et financière, le caractère international s’est développé particulièrement vite parce que les marchés financiers ont travaillé tôt sur une base planétaire. Les économistes précisent que la différence est essentielle entre le facteur de production « travail », qui montre une réluctance à traverser les frontières comme à engager de grandes migrations, et le facteur de production « capital » (sous sa forme financière et non sa forme immobilière) qui au contraire se déplace avec une grande aisance vers les lieux où il trouve une meilleure rentabilité.

De plus, la volatilité des marchés financiers a généré une demande pour une information non seulement mondiale et abondante, mais également rapide, le moment d’obtention de l’information étant une variable clef dans la compétition entre les opérateurs (Carluer, 1994).

Dans les années récentes, la diffusion de l’information économique et financière a évolué dans trois directions, les deux premières au moins s’inscrivant en fait dans la continuité des tendances précédentes : le renforcement de son caractère planétaire, le perfectionnement de ses outils (en particuliers électroniques) et sa diffusion auprès d’un public plus large.

Tout d’abord, elle est devenue de plus en plus globale, avec l’apparition de nouvelles opportunités d’investissement dans le monde (Asie, Europe de l’Est), et l’apparition d’organisations gérant des fonds d’importance planétaire dans ces parties du monde, organisations qui sont souvent des affaires familiales. De plus, depuis quelques années, les marchés financiers ont surtout requis des informations de plus en plus transnationales.

Deuxièmement, elle utilise, ce n’est pas une surprise, des outils électroniques de plus en plus puissants, dans un souci à la fois d’aide à la décision, d’ergonomie et d’élargissement du contenu de l’information véhiculée. Auparavant, ces outils transféraient des données strictement boursières entre les professionnels. Mais à présent ils sont utilisés pour transférer des informations vers des écrans, les données boursières apparaissant dans des fenêtres spécifiques, à côté d’autres fenêtres dédiées aux informations économiques générales. Le terminal boursier professionnel permet de plus de passer des ordres en direct. Une des principales causes de cette évolution est la demande émanant de professionnels, non seulement de données chiffrées mais aussi de commentaires explicatifs et d’information à une plus large échelle. Par exemple, des données sur l’arrière plan politique d’informations économiques et financières, des données sur les activités culturelles pour leurs loisirs.

Troisièmement, une nouvelle tendance a donné un essor au développement des médias d’information financière : la diffusion des actifs financiers dans les classes moyennes dans un nombre de plus en plus grand de pays. Cette tendance est due pour une bonne part à la mode du capitalisme financier poussé par le succès des dernières années – la montée de la plupart des marchés financiers mondiaux et le développement d’instruments financiers destinés aux petits ou moyens épargnants. L’information économique et financière a ainsi abordé récemment une nouvelle phase d’industrialisation de sa diffusion vers le grand public.

La deuxième et la troisième de ces évolutions se combinent pour conduire à l’apparition d’entreprises de diffusion d’information économique et financière de plus en plus orientées vers une large audience, s’appuyant sur leur réseau spécialisé de collecte et de traitement de l’information et utilisant, pour la diffusion vers les professionnels et le public, des outils présentant de grandes similitudes.

En conclusion de cette première partie, nous formulerons deux propositions relatives à l’information économique et financière :

– la première est son caractère stratégique dans le débat actuel sur l’avenir du concept de nation, et sur l’avenir des fonctions de régulations assumées jusqu’à présent par les Etats nationaux. Cette caractéristique découle du rôle lui-même stratégique des marchés financiers dans la mondialisation. (Elie Cohen : « La tyrannie des marchés financiers est supposée illustrer la perte de souveraineté nationale. »)

– la deuxième est son caractère précurseur en ce qui concerne les modalités de la globalisation de l’information en raison de la globalisation précoce des marchés financiers, même si son industrialisation vers un public large a été relativement tardive.

L’information économique et financière nous semble donc un champ particulièrement révélateur pour étudier l’internationalisation – ou la globalisation – de l’information et plus généralement des outils comme des stratégies de communication.

Bloomberg Télévision

Le fournisseur d’informations financières Bloomberg s’est positionné sur ces nouveaux marchés, en tentant de bénéficier des synergies qui existent entre eux. Pour ce faire, il a utilisé les possibilités nouvelles offertes par les changements technologiques : réseaux à forte capacité pour les professionnels, Internet, chaînes télévisées par câble ou satellite.

L’analyse de l’exemple Bloomberg – et dans un premier temps de Bloomberg Télévision – peut donc nous aider à formuler quelques réponses aux questions sur le caractère national, international ou global de l’information véhiculée comme de l’outil de diffusion lui-même.

Pour cela, après une présentation de l’organisation Bloomberg, nous centrerons l’analyse sur la partie télévision. Nous chercherons notamment à préciser, au travers de l’étude de son contenu, des thèmes développés, l’origine nationale de l’information en circulation.

Présentation générale de l’entreprise Bloomberg

L’entreprise créée en 1981 par Michael Bloomberg est une des principales agences d’information économiques mondiales avec Reuters et Telerate. Par rapport à ses deux principaux concurrents, Bloomberg est une compagnie récente, en expansion mais encore de plus petite taille. Reuters revendique près de la moitié du marché mondial de l’information financière, tandis que Telerate, héritière de Dow Jones et filiale du groupe Bridge depuis 1998, se proclame le plus important groupe en Amérique du Nord.

Bloomberg a construit sa réputation sur une image d’innovation, étant le premier à élargir à la fois le spectre de l’information diffusée et la déclinaison de cette information sur différents médias. Bloomberg Financial Markets est un distributeur de services d’information, combinant des nouvelles sur l’actualité, des données et des analyses pour les marchés financiers et les affaires économiques.

Bloomberg fournit en temps réel des données historiques, des analyses en continu par l’intermédiaire :

– de réseaux de terminaux utilisés par les professionnels des marchés financiers, service offert dans plus de 60 pays. Dans ce but, Bloomberg a mis au point un outil informatique spécifique, le « terminal Bloomberg », qui combine deux écrans ;

– de réseaux de télévision, diffusant par câble et satellite en Amérique, Europe, Asie, Afrique ;

– de sites Internet ;

– de radios ;

– de magazines et lettres d’information sur papier (Bloomberg Magazine, Bloomberg Energy Letter…) ;

– de centres de conférence à New York, Londres, Sydney et Tokyo qui sont proposés aux analystes financiers et aux actionnaires (Bloomberg Forum).

Bloomberg a son siège social à New York, et des bureaux dans les grands centres économiques et financiers d’Amérique (Nord et Sud), d’Europe et de la couronne du Pacifique. Le coeur des activités Bloomberg reste un service d’information proposé aux professionnels. Le terminal professionnel appelé par la société « Le Bloomberg » offre en ligne une gamme de services présentés par le producteur comme « à haute valeur ajoutée » : cours des valeurs ; statistiques économiques et financières ; outil de recherche en ligne ; capacités informatiques d’analyse et de calcul, qui permettent à l’utilisateur d’effectuer ses propres ratios, ses propres représentations graphiques etc. (et l’on connaît la place prise depuis plusieurs années par les graphiques comme aide à la décision financière, notamment au travers du courant des « chartistes ».)

La station de travail Bloomberg associe deux écrans, et propose au professionnel des partitions en fenêtres, avec graphiques, fenêtres présentant des statistiques et des informations sous forme de texte ou d’images animées, son, (interviews de spécialistes…), bandes d’information défilant en continu (nouvelle à ne pas manquer qui apparaît automatiquement sur l’écran, cours des actions etc.)

Le Bloomberg couvre les marchés mondiaux des actions, devises, obligations du secteur public, privé et collectivités locales, Euros, marchés monétaires, marchandises, hypothèques et marchés dérivés. La connexion au Bloomberg amène également en temps réel les informations économiques et sur la vie des entreprises au travers d’une agence de presse spécialisée, le « Bloomberg Business News », dont la signature apparaît dans plus de 800 journaux, notamment en France dans Le Monde et Les Echos. Les informations diffusées concernent également l’environnement politique et social de la vie économique.

L’une des originalités de la société a été d’offrir dès l’origine en ligne sur « Le Bloomberg » des services de vie pratique, comme la commande directe en ligne, allant des vêtements (qui aident le nouveau trader à être habillé comme le reste de la tribu avec le costume sombre et la chemise rayée) jusqu’aux œuvres d’art (qui aident le trader plus expérimenté – et ayant réussi – à établir clairement son statut auprès de ses visiteurs), ou aux fleurs (qui l’aident à développer sa vie sociale et affective).

L’activité de Bloomberg s’est donc développée à partir de 1991 en associant trois axes : les services strictement professionnels ; des services d’informations et des services diversifiés ; des services d’information davantage orientés vers le grand public « averti » et le cas échéant détenteur d’actifs financiers en s’appuyant sur le relais des journaux nationaux.

Dès l’origine, Bloomberg a donc engagé une industrialisation de la diffusion d’informations professionnelles sur une base américaine puis globale. Puis, dans la deuxième partie des années 90, le développement de deux nouveaux axes de diffusion s’est accéléré, davantage ouverts au public, Internet et la télévision.

Sur Internet, Bloomberg propose un ensemble de services qui procèdent de la même démarche : centrés sur l’information relative aux marchés financiers (information qui inclut l’environnement économique et politique), ils ajoutent les informations pour la gestion financière personnelle de l’internaute (par exemple, logiciel de prévision du montant de sa retraite en fonction de ses cotisations, emprunts immobiliers…), conseil pour créer sa propre entreprise, offres d’emploi, formation permanente ; achat en ligne de produits et services, participation en ligne aux enchères pour la vente de tableaux…

Avec la télévision, Bloomberg a également franchi une étape de sa migration vers un public plus large que les professionnels. Son concept montre cependant clairement sa filiation avec les services d’information en ligne sur la station professionnelle Bloomberg, et en particulier son contenu (même si l’orientation vers l’information générale est plus grande) et sa mise en page, basées sur le concept d’une partition de l’écran entre plusieurs fenêtres indépendantes.

Au travers des télévisions par câble et par satellite, Bloomberg Télévision transmet des informations générales, des informations actualisées sur les marchés financiers, sur le sport, sur la météo… Bloomberg Télévision fait également partie du terminal Bloomberg des professionnels. Les sujets traités incluent les derniers événements de l’actualité, des reportages sur les entreprises, des entretiens avec des journalistes et des analyses d’événements pouvant influencer le marché. Des informations sur le temps, le sport, les annonces de manifestations culturelles sont également développées.

L’écran Bloomberg est divisé en six fenêtres. Une fenêtre principale correspondant au traditionnel écran de télévision avec un présentateur, des interviews, des reportages et de la publicité. Cette fenêtre donne de l’information générale : politique, sport, culture, événements, météorologie. Toutes les demi-heures, chacune des deux éditions, la française et l’anglaise présentent le résumé des informations nationales, européennes et internationales. Les cinq autres fenêtres ne comprennent que des données chiffrées. L’une indique la date, la deuxième les taux de change entre devises, des cotations comme celle de l’or, la troisième, plus diversifiée montre des graphiques ou des photographies. Elle traite aussi bien des informations ayant trait à la culture ou au sport que des horoscopes ou des informations financières (indices, taux d’intérêts, taux de change, rendements) accompagnées parfois des commentaires. Les deux dernières fenêtres, situées dans la partie basse de l’écran, font défiler en continu, l’une des informations financières sur les indices boursiers, les valeurs individuelles, les rendements – l’autre de brèves informations générales relevant du domaine économique et du monde des affaires ainsi que des informations financières.

Cette évolution de Bloomberg qui associe désormais les différents types de publics, de médias, de recettes (abonnements professionnels payants, publicité professionnelle et grand public…), pose la question de la stratégie à moyen et long terme de la société, problème que nous nous contenterons de citer car il entraînerait des développements trop longs pour cet article.

Bloomberg Télévision, média international ?

Pour les dirigeants de Bloomberg Télévision, il s’agit d’un concept de collection de télévisions nationales. Par exemple, pour les responsables en Europe, dire qu’ils « sont directement connectés à la réalité locale » illustre bien ce propos.

Le corpus recueilli pour notre analyse repose sur des séquences enregistrées sur une durée d’un mois. Les résultats montrent que le bulletin d’information diffusé toutes les trente minutes par Bloomberg Télévision délivre une information de caractère fortement national. En effet, on constate que, sur le support Bloomberg en Grande Bretagne, les informations nationales occupent 79 % du temps. Pour la France, il en va de même, Bloomberg télévision consacre 72 % de son temps d’antenne à la diffusion d’informations nationales.

La stratégie choisie par Bloomberg s’oppose donc sur ce point à celles de groupes comme CNN ou CNBC, qui diffusent fondamentalement la même information au niveau planétaire. De plus, les thèmes abordés sont différents dans les deux pays. Si l’on observe l’écran principal, on constate que les thèmes concernant la finance et les affaires sont beaucoup plus développés en Grande Bretagne qu’en France : ils représentent 43 % du temps de diffusion en Grande Bretagne contre 13 % en France. Une caractéristique du média français est de consacrer davantage de temps au débat politique : 22 % contre 6 %. L’économie est développée à part égale sur les deux supports, quant à la culture et aux sports, leur place est plus grande en France (29% du temps d’antenne) qu’en Grande Bretagne (16 %). Sur les autres écrans, les sujets abordés sont identiques entre les deux pays, avec une couverture en temps réel de la bourse de New York (Wall Street) et du Nasdaq.

Bloomberg Télévision ne diffuse donc pas seulement de l’information nationale, mais adapte le temps consacré aux principales rubriques en fonction des contextes nationaux. Peut-on dire que le temps plus grand consacré en France à la politique résulte de la conviction de la part de Bloomberg qu’aujourd’hui il existe encore un moindre goût en France qu’en Grande Bretagne pour les informations financières ? Il est difficile de le dire, l’écart pouvant également provenir du développement différent de l’information financière nationale au niveau même des sources et notamment de l’AFP, sur lesquelles Bloomberg doit s’appuyer en France.

Bloomberg, un réseau global ?

Les arguments qui conduisent à considérer Bloomberg Télévision comme un réseau global ont également beaucoup de poids.

Tour d’abord, le concept de Bloomberg Télévision reste le même dans le monde entier : il s’agit d’un réseau d’information générale et financière, avec une partition d’écran en multi-fenêtrage issue des stations de travail des opérateurs professionnels sur les marchés financiers. Ensuite, ce qui est plus important, Bloomberg Télévision adopte implicitement dans tous les pays la même ligne éditoriale, qui correspond à l’optique de l’actionnaire, qui cherche à accroître la valeur de ses actifs, et est à ce titre demandeur d’informations, bien sûr financières et économiques, mais aussi politiques et sociales, voire culturelles. En étant un outil pour cet actionnaire, Bloomberg Télévision est ainsi un outil de diffusion de son mode de pensée et de sa vision du monde et de l’actualité, et ce dans tous les domaines. Cette vision du monde s’appuie sur les outils les plus « performants » existant à l’heure actuelle, qui ont été développés à New York et à Chicago. Le contenu national de l’information est donc une méthode pour introduire le téléspectateur dans un système d’information réellement global, centré aux Etats-Unis.

Mais nous l’avons vu, Bloomberg Télévision n’est pas seulement un média financier : elle donne chaque jour des informations générales, notamment sur la politique et la culture. Contrairement aux affirmations de ses dirigeants, elle peut donc apparaître comme un vecteur dans la création d’une façon de penser globale, dans les différents champs de la culture. Bloomberg « informe localement mais pense globalement », et si l’information n’est pas seulement un produit, mais une forme de pouvoir, Bloomberg peut également être analysé comme un des acteurs de la suprématie des Etats-Unis.

Notre conclusion à ce stade sera donc que Bloomberg Télévision est, malgré le contenu fortement national des informations transmises, un outil de communication de nature global, parce que les données relatives à un pays sont intégrées à un cadre plus vaste, qui en constitue le véritable cadre de référence. La stratégie de Bloomberg correspond à celle de la firme globale présente sur de nombreux marchés nationaux à partir d’une stratégie mondiale pour la vente de ses produits et la collecte de ses matières premières, ici l’information.

Ce caractère global est, nous l’avons vu, la conséquence de forces qui façonnent l’industrie de l’information économique et financière, que ce soit le renforcement de la mondialisation économique, le développement des marchés aussi bien des professionnels que des particuliers, ou les possibilités apportées par les nouvelles technologies. Cette évolution pose deux questions : d’abord celle de son influence sur les modes de pensée et les comportements des individus à l’échelle planétaire, ensuite celle de la régulation : à côté du débat sur son utilité ou sa nécessité, se pose celui des formes qu’elle peut prendre pour être efficace, ainsi que des niveaux géographiques d’intervention si le niveau national n’est plus adapté.

Références bibliographiques

Abdelmalki L., Crozet Y., Dufourt D., Sandretto R., « La mondialisation est-elle une menace pour les nations ? », in Les grandes questions de l’économie internationale, Nathan, 1997.

Carluer C., Le comportement informationnel des gestionnaires de portefeuille, modèles et croyances, thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Jean-Moulin-Lyon 3, 1994.

Cohen Elie, La tentation hexagonale. La souveraineté à l’épreuve de la mondialisation, Fayard, 1996.

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Ohmae K., L’entreprise sans frontières : nouveaux impératifs stratégiques, InterEditions, 1991.

Reich R, The Globalised Economy, Dunod, 1993.

Auteur

Claudine Carluer

.: Claudine Carluer est maître de conférences à l’UFR Sciences de la Communication, Université Stendhal Grenoble 3, et chercheur au Gresec. Ses recherches portent sur l’analyse des systèmes d’information professionnels et leur adéquation aux finalités stratégiques ; l’économie de l’information et les processus décisionnels ; les nouveaux médias et les stratégies d’acteurs face à la globalisation.