-

Introduction au supplément – Numérique et industries culturelles, une approche communicationnelle

29 Mar, 2016

Résumé

Cet article s’interesse aux enjeux soulevés par le numérique pour les industries culturelles. Il présente le cadre historique et idéologique qui conduit des thèmes de la convergence et des technologies d’information et de communication à celui du numérique. La thématique du numérique accompagne et favorise la mise en place de rapports de force en faveur des acteurs des industries de la communication et non pas des acteurs des industries culturelles. Disposant d’une plus grande puissance financière et industrielle, les acteurs des industries de la communication n’investissent guère dans la production de contenus. Les politiques publiques ne prennent pas la mesure des enjeux soulevés par les relations inégales entre les acteurs des deux industries.

Mots clés

Convergence, industries culturelles, Tic, numérique.

In English

Title

Digitalization and Cultural Industries, a communications approach

Abstract

This article looks at the issues raised by digital technology for cultural industries. It presents the historical and ideological framework leading from the themes of convergence and ICT to the digital one. The theme of digital strengthens the position of the actors of the communication industries against the players of the cultural industries. While they are more powerful on the industrial and financial point of view, the actors of the communication industries only invest very little in content production. Public policies do not really take into account the issues raised by these unequal relations between the players of the two industries.

En Español

Título

Digital e Industrias Culturales, un enfoque de comunicaciones

Resumen

Este artículo es el de las cuestiones planteadas por la tecnología digital para las industrias culturales. Se presenta el marco histórico e ideológico que lleva temas de convergencia y de tecnologías de la información y de la comunicación a la digital. El tema de los soportes digitales y promueve el establecimiento de las relaciones de poder a favor de los actores de la comunicación y no actores industrias de las industrias culturales. Sólo Mientras ellos son más poderosos en la industria, comunicación actores industrial y financiero invertir muy poco en la producción de contenidos. Las políticas públicas realmente no tienen en cuenta las cuestiones planteadas por las relaciones desiguales entre los actores de las dos industrias.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Bouquillion Philippe, «Introduction au supplément – Numérique et industries culturelles, une approche communicationnelle», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°17/3A, , p.5 à 19, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2016/supplement-a/00-introduction-supplement-numerique-industries-culturelles-approche-communicationnelle/

Introduction

L’évocation du « numérique » est devenue un lieu commun extrêmement présent dans les discours journalistiques, industriels, politiques et académiques, en particulier lorsqu’il s’agit d’évoquer des « révolutions » qui se développeraient au sein de champs économiques et sociaux très divers. L’expression « ère » du numérique vient d’ailleurs consacrer cette affirmation d’un changement radical aux causes d’origine technique. L’histoire de ce mot valise est rarement interrogée. Dans les industries culturelles, la radicalité du changement serait telle que les interrogations d’ordre industriel ou de politique publique seraient inutiles voire viendraient entraver les changements attendus, tant dans la culture que dans les relations sociales. Les industries culturelles sont en effet envisagées telles des sources d’aliénation alors que le numérique et ses dispositifs seraient le vecteur d’une émancipation : il redonnerait le pouvoir aux individus contre les organisations économiques ou politiques. L’enthousiasme pour les révolutions attendues est d’autant plus fort que les industries culturelles sont mal considérées dans la sphère académique. La contribution d’acteurs de la sphère académique à la construction des perspectives du Web 2.0 témoigne de cette tendance.

Peu de travaux ont mis l’accent sur les transformations en cours des conditions de création, de production, de diffusion et de consommation de la culture et ont tenté de relier les enjeux industriels, financiers et de politiques publiques. Telle est pourtant la perspective d’un ensemble de recherches en sciences de l’information et de la communication(1) s’inspirant des théories des industries culturelles (Miège, 2000). Ainsi, l’objectif de cette contribution, après une première partie historique, est d’insister sur trois types d’enjeux : les rapports de force entre les acteurs industriels impliqués ; les enjeux pour la production des contenus culturels industrialisés et les questions de politiques publiques. Ils sont présentés dans quatre parties successives.

De la convergence au numérique

La thématique du numérique a des racines déjà anciennes. Elle se construit tout au long d’un processus où les questionnements d’abord meso, avec par exemple les demandes de transformation des politiques publiques, deviennent à la fois micro et macro, autour de l’activité des usagers et des évolutions macro sociales qui en résulteraient. Deux périodes peuvent ainsi être distinguées.

La première période s’ouvre dès la fin des années 1970 avec la télématique et la question de la convergence (Miège et Vinck, 2011). Des thématiques toujours présentes aujourd’hui, se déploient. En premier lieu, une remise en cause radicale des industries culturelles, voire leur disparition via une intégration au sein des industries des réseaux ou de l’informatique, sont déjà annoncées. En deuxième lieu, des transformations profondes des politiques publiques sont réclamées par des acteurs industriels ou par des experts. Ils demandent et obtiennent diverses libéralisations sectorielles. Les discours sur la convergence permettent de légitimer ces différentes libéralisations, en particulier dans les télécommunications et l’audiovisuel. En troisième lieu, les enjeux sont également d’ordre politique et idéologique, comme le soulignent certains auteurs produisant une critique de la convergence et, en particulier, des chercheurs franco-québécois en sciences de la communication rassemblés dans des recherches communes. Ils soulignent que la convergence recouvre des phénomènes différents mais articulés, phénomènes d’ordre technique, en particulier autour de la numérisation ; d’ordre industriel avec, d’une part, des concentrations industrielles légitimées au nom de la convergence et, d’autre part, le développement de portails ou d’outils agrégeant différents contenus et services ; d’ordre réglementaire car les articulations qui se produisent entre ces diverses industries supposent que les barrières réglementaires soient abolies et, in fine, des phénomènes d’ordre politique : autour de la convergence, un « grand projet » de réorganisation politique, économique et sociale est à l’œuvre (Lacroix et Tremblay, 1994, p. 5).

Dans une seconde période, les perspectives sur la convergence sont complétées voire supplantées par celles sur les technologies d’information et de communication (Tic). Au scénario de la convergence comme « fusion » des différentes filières industrielles et de leurs produits se substitue une représentation de la diversité des modes de développement des Tic et de leurs rencontres avec les industries de la culture. Ces marchés sont alors présentés comme étant très complexes et segmentés car les produits, les modes d’exploitation dominants et les usages seraient largement imprévisibles. Plusieurs enjeux sont liés à ces changements. En premier lieu, des changements dans les politiques publiques. Face à de telles incertitudes, les pouvoirs publics devraient favoriser la création d’un cadre pour renforcer les « champions » nationaux. De ce fait, les dispositifs réglementaires effectivement adoptés reposent sur une logique de segmentation des industries et non pas sur une logique de convergence industrielle. Les régimes réglementaires de l’audiovisuel et des télécommunications sont donc nettement séparés. Les règles sont différentes et les institutions de régulation, en particulier les instances dites indépendantes chargées de les mettre en œuvre, sont elles aussi distinctes. En second lieu, les fondements mêmes des pouvoirs publics semblent remis en jeu. Ils envisagent les Tic comme un vecteur de renouvellement de leurs missions, de leurs modalités d’intervention et de leur positionnement les uns par rapport aux autres (entre les différents niveaux territoriaux en particulier). Autour des Tic, les pouvoirs publics tentent de redéfinir leur rôle par rapport aux habitants, administrés et usagers  et par rapport aux forces du marché. Ils tentent également de renouveler leur communication. Les Tic apparaissent, vers la fin des années 1990, comme un secteur emblématique du maintien d’une capacité d’action de l’Etat, capacité qui semble menacée de toutes parts, en particulier face aux forces œuvrant sur des marchés présentés comme concurrentiels, mondialisés et dont les orientations s’imposeraient aux états nationaux.

Pour autant, des politiques de l’Etat ne se dégage pas une vision claire et cohérente des enjeux liés aux Tic. Vers la fin des années 1990, la notion d’autoroutes de l’information, mise en avant dans le rapport Théry, ou celle de macro-convergence (Mœglin, 1994) très présente dans le discours sur la société de l’information, ne sont plus convoquées. L’Etat n’a une politique unifiée en faveur des Tic, ni sur le plan industriel, ni sur le plan sociétal. Les actions publiques sont très « sectorialisées » et ponctuelles. Le Programme d’action (PAGSI) présenté par le gouvernement en janvier 1998, illustre cet état de fait. La cohérence entre ces registres d’action n’est pas pensée et les Tic ne forment donc pas une catégorie en soi de l’action publique. Les modalités d’organisation de l’action publique sont, de fait, « sectorialisées ». Les responsabilités essentielles appartiennent alors aux ministères de tutelle des secteurs concernés et notamment au ministère de l’Industrie, de l’Education nationale (en matière de nouvelles technologies éducatives) et de la Culture en ce qui concerne les actions en faveur de l’audiovisuel ou des industries de la culture et de la communication. En troisième lieu, les stratégies industrielles de mise en œuvre de la convergence échouent. Certains auteurs dont Bernard Miège (2000, p.93) se sont interrogés sur les objectifs de ces vastes intégrations capitalistiques et ont estimé que ces objectifs étaient plus d’ordre financier (réaliser des plus-values lors de cessions des actifs) que réellement industriels (articulation contenants/contenus).

À partir des années 2000 s’ouvre une nouvelle période, marquée par des continuités et des ruptures par rapport aux périodes antérieures sur les plans des rapports de force industriels, des enjeux pour les contenus et pour les politiques publiques. L’emploi du terme numérique s’impose d’autant plus facilement que l’heure n’est plus aux grands dispositifs techniques ou industriels en mesure d’intégrer de manière totale et exclusive toutes les offres. De plus il occulte la contrepartie industrielle et économique des mouvements en cours et notamment la mise en place d’oligopoles sans doute encore plus puissants que les anciens oligopoles que formaient les majors des industries culturelles.

Le numérique : des rapports de force au profit des acteurs des industries de la communication

Avant d’examiner la place des contenus culturels et informationnels dans ces rapports de force, il convient de s’interroger sur les évolutions des marchés des deux types d’industries ainsi que sur leur rapport à la financiarisation.

Premièrement, non seulement les marchés liés au numérique ou, dans notre perspective, aux industries de la communication sont plus importants et plus dynamiques mais, de surcroît, le numérique est un acteur d’accentuation de tendances à la baisse dans les marchés des industries culturelles. Les évolutions des chiffres d’affaires et des valeurs ajoutées produites sont contrastées selon les deux types d’industries ainsi qu’entre les différentes composantes de chacune d’elles. En France, la part de la culture dans la richesse nationale affiche une baisse depuis 2004.

« En 2011, l’ensemble des branches culturelles (audiovisuel, spectacle vivant, livre et presse, agences de publicité, architecture, arts visuels, patrimoine et enseignement culturel) totalise une production de 85 milliards d’euros, et une valeur ajoutée de 40 milliards d’euros. Rapporté à la valeur ajoutée de l’ensemble des branches, cela représente 2,2 %. […] La part de la culture dans l’économie baisse depuis 2004. S’il a progressé depuis 1959 pour culminer en 2003 à 2,45 %, le poids économique de la culture dans l’ensemble de l’économie française est en recul depuis. Au sein des différentes branches qui composent le périmètre culturel, les évolutions sont toutefois contrastées : la part relative de la presse et du livre qui représentaient la première branche d’activités culturelles en termes de valeur ajoutée en 1995 diminue continûment ; inversement celle du spectacle vivant progresse, de même que celle du patrimoine. La crise économique de 2008 a particulièrement affecté les activités des secteurs de l’architecture et de la publicité, qui sont en recul ces dernières années ». (Jauneau, 2013).

Selon cette même source,

« En 2011, les branches culturelles totalisent une production de 85 milliards d’euros et une valeur ajoutée de 40 milliards d’euros. La production culturelle se partage entre une partie marchande (69 milliards d’euros), issue de la vente des biens et services culturels des entreprises, et une partie non marchande (16 milliards d’euros), qui correspond, par convention, aux coûts de production des administrations, établissements publics et associations dans le domaine culturel ». (Jauneau, 2013)

Les seules industries culturelles représentent environ la moitié de cette valeur ajoutée de 40 milliards d’euros :

« En 2011, l’audiovisuel (radio, cinéma, télévision, vidéo, disque) concentre un quart de la valeur ajoutée culturelle. Le spectacle vivant et le patrimoine, branches majoritairement non marchandes, concentrent respectivement 18 % et 11 % de la valeur ajoutée. La progression au cours des quinze dernières années de la part en valeur du spectacle vivant est principalement due à l’augmentation des prix dans cette branche. À l’inverse, le livre et la presse ne concentrent plus que 15 % de la valeur ajoutée culturelle en 2011, contre 26 % en 1995. Les autres branches culturelles (agences de publicité, architecture, arts visuels, enseignement culturel) contribuent dans leur ensemble à un tiers de la valeur ajoutée culturelle ». (Jauneau, 2013)

Il est difficile d’évaluer avec précision et certitude les évolutions des marchés des industries de la communication en France tant ses composantes sont diverses et les sources d’informations aussi différentes que peu transparentes dans les modalités de calcul des données. Recoupées, ces diverses sources ne sont guère cohérentes. De même, les données anciennes sont souvent indisponibles ce qui rend difficile l’analyse des évolutions dans le temps. Cependant, les chiffres disponibles montrent l’ampleur de ces marchés même si la période la plus récente semble se caractériser non plus par des hausses fortes comme lors de la décennie 2000 mais par des mouvements plus réduits, voire des baisses. Les marchés des télécommunications en France ont augmenté jusqu’en 2010 pour atteindre 40,5 milliards d’euros contre  37,1 milliards en 2006. Après 2010, ils baissent et ne s’élèvent qu’à 33,4 milliards d’euros(4). Le marché des matériels électroniques grand public se montait en 2012 à 15,5 milliards d’euros, en baisse de 2% par rapport à 2011. Une baisse de 5% a été également enregistrée en Allemagne et au Royaume-Uni cette même année et de 12% en Espagne(5).

En second lieu, l’évolution des dépenses des ménages constitue également un indicateur pertinent dans la mesure où cette évolution permet d’examiner si les consommations constituent ou non un facteur de dynamisme. Or, les données existantes montrent des consommations culturelles en France sont moins dynamiques que les dépenses de ménages liées aux dispositifs de communication. Globalement, les premières passent, en euros courants, de 2,3% à 2,02% du budget total des ménages de 1970 à 2012, alors que les dépenses dites de communication passent de 1,15% à 1,81%. Cette situation s’explique par divers phénomènes propres à la culture et à la communication et en particulier à la multiplication des offres liées à des produits de communication et également sans doute, par le fait que des matériels ou des réseaux deviennent des vecteurs incontournables d’accès et de consommation des produits culturels. Elle s’explique aussi par des phénomènes externes dont la montée d’autres dépenses dans les budgets des ménages.

Tableau 1 : Les consommations culturelles et communicationnelles des ménages en France
Tableau construit à partir des chiffres clés de la culture 2014 DEPS
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Statistiques-culturelles/Donnees-statistiques-par-domaine_Cultural-statistics/Consommations-culturelles-des-menages/%28language%29/fre-FR – Consulté le 20 décembre 2015

En millions d’euros courants 1970 1990 2000 2012
Livre, presse 1032 8290 9797 10515
Audiovisuel, multimédia 445 4158 7188 7526
Spectacles vivants, musées, sorties 131 1093 2410 4735
Total 1608 13904 19395 22776
% dans conso des ménages 2,3% 2,40% 2,48% 2,02%
Matériels 712 7590 12721 15402
B et S liés aux matériels 68 1879 2419 2681
Télécom 0 12 982 2320
Total 780 9481 16122 20403
% dans conso des ménages 1,15% 1,64% 2,04% 1,81%

Cette évolution est d’autant plus notable que les produits de communication ont vu, dans l’ensemble, leur prix baisser, voire très fortement baisser.

Tableau 2 : Les évolutions des indices des prix
Source : Insee, Comptes nationaux – Base 2005/DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013
Site Internet du DEPS, Chiffres clés de la culture, 2014. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Statistiques-culturelles/Donnees-statistiques-par-domaine_Cultural-statistics/Financement-de-la-culture/%28language%29/fre-FR – Consulté le 10 janvier 2016

En base 100 1998 2005 2012
Indice général des prix 100,00 112,40 126,12
Eq. audiovisuel 100,00 55,40 20,79
Eq. photo 100,00 51,10 14,99
Supports image et son 100,00 89,80 68,37
Matériels de traitement de l’info 100,00 24,02 11,08
Réparation 100,00 113,50 128,29
Instruments de musique et autres 100,00 107,80 108,60
Services culturels 100,00 111,50 127,31
Livres ; journaux et périodiques 100,00 / 100,00 102,10 / 111,70 104,09 / 130,89

Par ailleurs, le marché publicitaire des médias en place n’est guère dynamique contrairement au marché publicitaire bénéficiant aux acteurs de l’Internet. Le tableau ci-après permet d’illustrer la situation française.

Tableau 3 : Evolution des marchés publicitaires français
Source DEPS, consulté le 12 janvier 2016
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Statistiques-culturelles/Donnees-statistiques-par-domaine_Cultural-statistics/Financement-de-la-culture/%28language%29/fre-FR

Secteur

Marché en 2005
en millions d’euros

Marché en 2013
en millions d’euros

Presse 8 887 9 296
Télévision 3 236 3 219
Radio 795 736
Internet 240 2 311
Cinéma 67 91

Deuxièmement, depuis le début des années 2000, l’insertion dans la financiarisation est plus favorable aux acteurs des industries de la communication qu’à ceux des industries de la culture. Il est vrai que leurs marchés ont été depuis le début de cette décennie 2000 en forte croissance alors que les industries de la culture apparaissent comme des activités « mûres ». De même, la thématique du numérique, avec l’insistance sur la collaboration et les réseaux sociaux plus que sur les consommations de produits culturels ou informationnels sur leurs supports historiques, constitue un facteur de « décrochage » des acteurs des industries culturelles sur le plan financier. Il est à noter que les acteurs importants, qui dominent la sphère financière sont fort peu nombreux. Seules, trois agences de notations financières sont d’ampleur mondiale tandis que les deux plus importantes, Moody’s et Standard & Poor’s (filiale à 100% de The Mc-Graw-Hill Companies), ont des actionnariats assez proches, cinq des dix plus importants actionnaires étant communs. De même, quelques grands investisseurs institutionnels sont présents au capital de plusieurs grands acteurs industriels, en particulier dans un territoire donné. Ces quelques acteurs sont donc en mesure d’émettre des signaux convergents. De ce fait, leur influence sur la capacité des divers acteurs à lever des fonds est extrême. Dans les années 1990, les projets dits de portails supposés mettre en œuvre les promesses de la « convergence » sont fortement soutenus par les grands acteurs de la sphère financière alors qu’à la fin des années 1990 (période où se déploie le thème de la « nouvelle économie ») puis par la suite après l’éclatement de la bulle financière et jusqu’au début des années 2010, ce sont les acteurs du Web ou des matériels électroniques, par exemple, Amazon, Google, Apple, Facebook, qui profitent du soutien de la sphère financière. Ils bénéficient d’une valorisation boursière élevée et parfois disproportionnée par rapport à leur chiffre d’affaires, à leurs résultats et aux dividendes versés et certains d’entre eux figurent par les premières valorisations boursières mondiales. Les rangs dans les valorisations boursières mondiales ont pour source le classement annuel produit par le magazine Times et diffusé en ligne, consulté le 20 janvier 2016
http://www.ft.com/cms/s/2/1fda5794-169f-11e5-b07f-00144feabdc0.html#axzz3y9oiH1h8

Tableau 4 : Les 20 premières valorisations boursières mondiales dans les industries de la culture et de la communication (Source Yahoo Finance)

Acteur et rang dans les capitalisations boursières mondiales au 31 mars 2015 Montant de la valorisation boursière au 16 janvier 2016
Apple (n°1) 554,23 Mds $
Google (n°4) 499,34 Mds $
Microsoft (n°5) 421,60 Mds $
Amazon (n°33) 289,64 Mds $
Facebook (n°29) 281,02 Mds $
AT&T (n°34) 216,18 Mds $
China Mobile Ltd (n°11) 212,08 Mds $
Verizon Communications (n°22) 191, 59 Mds $
Samsung (19°) 170,66 Mds $
Disney (n°30) 167,73 Mds $
Tencent (n°31) 165,20 Mds $
Oracle (n°28°) 146,20 Mds $
Intel (n°42) 141,22 Mds $
Comcast (n°44) 135,33 Mds $
Cisco Systems (n°46) 118,63 Mds $
IBM (n°38) 118,84 Mds $
Taiwan Semiconductor Manufacturing (n°53) 113,73 Mds $
SAP (n°92) 86,06 Mds $
Deutsche Telekom (n°98) 72,36 Mds $
Qualcomm (n°62) 71,85 Mds $

Tableau 5 : Autres valorisations boursières dans les industries culturelles – (Source Yahoo Finance)

Time Warner 56,84 Mds $
Twenty-First Century Fox 52,03 Mds $
Netflix 43,05 Mds $

Tableau 6 : Exemples de valorisation boursière d’acteurs français au 16 janvier 2016 – (Source Yahoo Finance)

Orange 41,94 Mds €
Vivendi 26,10 Mds €
Lagardère 3,27 Mds €
TF1 2,09 Mds €

Ces tableaux montrent la domination des acteurs des industries de la communication sur ceux des industries de la culture (19 contre 1 dans les 20 premières valorisations boursières françaises) ; leur place dans le capitalisme mondial (ils figurent tous parmi les 100 premières valorisations boursières mondiales) ; l’importance des acteurs américains (15 acteurs sur 20) et la faible valorisation des grands acteurs français face à leurs concurrents étrangers. En France, notons aussi la plus forte valorisation de l’opérateur historique des télécommunications (Orange) ou le cas particulier de Vivendi, qui comprend la première major mondiale de la musique enregistrée, Universal.

Forts des anticipations favorables dont ils bénéficient, de nombreux acteurs des industries de la communication sont en mesure de conduire diverses opérations à leur capital (augmentation de capital, fusion de capital) ou de payer en actions afin de réaliser de très importantes actions de croissance externe, notamment pour acquérir des actifs stratégiques ou empêcher les concurrents d’y accéder, y compris renforcer l’articulation entre leurs offres principales et les contenus culturels ou informationnels. Il est à noter qu’aujourd’hui, certains de ces très importants acteurs, tel Apple, ont de telles réserves financières que la problématique pour eux n’est plus dans la levée de fonds mais dans la préservation de leurs actifs financiers. En revanche, une majorité d’acteurs des industries de la culture, y compris des acteurs importants, pâtissent d’anticipations peu favorables, voire même défavorables, de la part des grands acteurs de la sphère financière. Seuls quelques très grands acteurs phares, tel Disney, échappent à cette tendance. Dans les années 2000, ces grands acteurs ont donc engagé de très importantes restructurations en se retirant des filières jugées moins stratégiques pour eux et en réduisant aussi leurs coûts. Aujourd’hui, les conséquences pour les acteurs mal évalués sont encore très fortes. Ils éprouvent une difficulté, voire une impossibilité, à mener des opérations au capital (augmentation de leur capital) pour financer les opérations de croissance externe. Ils sont donc liés pour financer leur croissance à l’autofinancement ou à l’endettement, avec tous les désavantages que présente cette dernière solution du point de vue de leur flexibilité financière. Les moyens qu’ils peuvent consacrer à des projets de développement industriel sont d’autant moins importants que les exigences purement financières sont très fortes. Ils doivent nécessairement soutenir le cours de l’action en distribuant une part significative du résultat en dividendes. Pour ce faire, ils peuvent être incités à céder des actifs ce qui permet d’obtenir un résultat exceptionnel qui peut être, en partie au moins, distribué sous forme de dividendes aux actionnaires. En France, Lagardère et Vivendi ont recouru à cette stratégie de façon significative dans la période récente. Ils conduisent aussi des programmes de rachat de leurs propres actions, ce qui permet de faire augmenter le dividende par action pour un bénéfice constant. En revanche, avec de telles stratégies, leurs réserves financières ne peuvent pas être importantes, ce qui altère la flexibilité financière. Ces acteurs peuvent tomber dans un cercle vicieux, les dégradations des notes et des évaluations entraînent des hausses de taux d’intérêt et donc des charges financières et, en retour, de nouvelles dégradations des évaluations.

Les enjeux pour les contenus

Ces enjeux sont très diversement abordés par les chercheurs. Certains, tel Pierre-Jean Benghozi (2012), avec la notion d’hyper-offre, insistent sur la transformation radicale qui serait en cours. Comme la plupart des auteurs s’inscrivant dans cette perspective, il insiste, primo, sur « une démultiplication considérable de l’offre de biens et de contenu » qui s’expliquerait par « l’infinité des modèles de vente en ligne, l’absence de limite au stockage et le foisonnement de contenus autoédités ». Cet auteur considère que la concurrence sur les mêmes marchés porte plus sur les « modèles d’affaires » que sur les produits. Trois séries de modèles d’affaires seraient ainsi à l’œuvre dans le secteur culturel. Tout d’abord, le modèle participatif caractérisé par une importance des User Generated Contents (UGC), des Pure Players et aussi par la gratuité et les faibles restrictions de consommation ainsi que par la taille de l’audience et la publicité. Ensuite, le modèle de distributeur avec une offre de contenus spécifiques voire exclusifs et un ciblage des consommateurs ; de nouvelles formes d’éditorialisation et de programmation ; des revenus reposant sur le marché final des consommateurs dont le Pay Per View et l’abonnement ; la multi-canalité. Enfin, le modèle d’éditeur comportant un contrôle des exclusivités. Il s’agirait d’un modèle payant avec une segmentation des usages et des limites d’utilisations et une absence de ciblage de niches(6).

Les chercheurs s’inspirant de la socio-économie des industries culturelles s’interrogent plus particulièrement sur les rapports de force entre les acteurs des industries culturelles et ceux des industries de la communication. Considérant, comme l’a rappelé Pierre Mœglin (2000), que les dimensions de création ou artistiques, d’un côté, et industrielles, de l’autre, sont très étroitement imbriquées (il ne s’agit pas de dynamiques antagonistes ou de dynamiques distinctes qui s’articuleraient), ces chercheurs examinent comment les transformations des rapports de force et des conflits entre acteurs industriels soulèvent divers enjeux pour les contenus. De même, ces chercheurs ont en commun de mettre l’accent non seulement sur l’articulation de l’offre et des pratiques, des usages et des consommations, mais aussi sur l’imbrication des enjeux industriels avec des questions politiques et idéologiques (Bouquillion Miège et Mœglin, 2013).

Ainsi, lorsqu’ils examinent les prises de position des acteurs des industries de la communication en aval des filières, en particulier dans les plateformes, leurs interrogations portent notamment sur la capacité de ces acteurs à extraire à leur profit la valeur produite par d’autres notamment par les acteurs des industries culturelles. Les contenus que ces derniers produisent sont alors transformés en produits joints pour des offres de matériels électroniques ou valorisés via la production d’informations marketing ou de la publicité en ligne. De ce fait, une large part de ces formes de valorisation indirectes des contenus échappe désormais aux acteurs des industries culturelles. De surcroît, les ventes de contenus (qu’ils soient sur support ou dits dématérialisés) aux consommateurs finaux sont entravées. Des effets de substitution se produisent entre les modes d’accès légaux et illégaux aux contenus, tandis que les taux de marge sont érodés soit pour éviter de rendre trop attractif le « piratage » soit parce que les acteurs des industries de la communication l’imposent. Ceux-ci misant principalement sur des modes de valorisation indirects des contenus, y compris lorsqu’ils offrent des contenus à la vente comme dans le cas d’iTunes, ont intérêt à ce que les contenus soient proposés à des tarifs faibles, quitte à enregistrer des pertes sur ces ventes ou des gains très faibles. Par exemple, la fixation à 99 cents du prix de référence pour un single musical a fortement contribué au succès d’usage d’iTunes et donc à la réussite des stratégies d’Apple en matière de distinction et d’articulation de ces divers matériels. En revanche, les acteurs producteurs et éditeurs de la musique ont été contraints d’aligner leurs tarifs alors que la vente de musique aux consommateurs finaux est l’une, sinon la principale, de leurs ressources, surtout au milieu des années 2000 lorsque Apple initie cette stratégie.

Dans cette perspective, les contributions des acteurs des industries de la communication à la production de contenus originaux sont potentiellement faibles. Ils n’y ont guère intérêt sauf pour améliorer, lorsque c’est nécessaire, leurs relations avec les acteurs des contenus ou les pouvoirs publics (le Fonds Google pour la presse en offre un exemple) : pour faire pression sur les détenteurs de droits ou pour acquérir une légitimité culturelle (Amazon). Le cas d’acteurs tel Netflix est particulier. Netflix est certes une plateforme mais son économie se conçoit principalement autour de l’offre de contenus audiovisuels ou cinématographiques à des consommateurs finaux. Dans la mesure où il se valorise directement grâce aux contenus, Netflix doit se préoccuper de leur production, en particulier afin de disposer de contenus originaux lui permettant de positionner son offre face à celle des acteurs historiques de l’audiovisuel et du cinéma.

En somme, le constat fréquemment formulé de l’abondance des contenus disponibles grâce aux mécanismes du marché de l’économie numérique nous semble devoir être nuancé. L’économie des contenus demeure liée à celle des acteurs historiques des industries culturelles. Or, ceux-ci éprouvent des difficultés à se positionner sur les nouveaux modes de diffusion ; ils sont menacés de perdre le contrôle de l’aval des filières et du contact avec le client final ; leurs chiffres d’affaires tendent à stagner ou à diminuer. De ce fait, leurs dépenses dans la production de contenus originaux constituent très fréquemment une variable d’ajustement.

Les enjeux de politiques publiques

Les politiques publiques jouent un rôle fort important dans les jeux industriels. Elles pèsent notamment sur les rapports de force entre acteurs. Par exemple, les dispositifs d’interconnexion et de dégroupage qui obligent les opérateurs possédant des réseaux à les louer à leurs concurrents à des conditions tarifaires fixées par les autorités de régulation ont constitué un facteur majeur du déploiement de l’offre d’ADSL en Europe et singulièrement en France et ainsi de l’essor des connexions, des usages et donc de l’ensemble de l’économie du Web. De même, les conflits entre acteurs autour de la neutralité du Net forment un enjeu essentiel pour les relations entre acteurs industriels dont l’offre génère d’importantes consommations de bande passante (Netflix, YouTube, etc.) et les opérateurs de réseaux. Sa remise en cause permettrait à ces derniers de demander aux premiers une contribution et compléterait un mode de valorisation qui, à défaut, repose essentiellement sur les contributions des consommateurs finaux, les ménages abonnés notamment. De leur côté, les industriels de la culture sollicitent à divers titres les pouvoirs publics pour faire face à l’entrée des industriels de la communication dans leurs marchés. Par exemple, les acteurs de la musique enregistrée, mais aussi ceux de la télévision et du cinéma, ont beaucoup œuvré afin d’obtenir le renforcement des droits de la propriété intellectuelle, notamment en France dans les années 2000. Toutefois, malgré l’importance des enjeux, la thématique du numérique remet en cause le bien-fondé de l’action publique tandis que les modalités grâce auxquelles les politiques publiques en direction des industries culturelles prétendent s’ « adapter au numérique » ne permettent guère de faire face aux enjeux industriels les plus importants.

Avec le numérique se développent des discours de remise en cause à la fois des industries culturelles et des politiques publiques en leur faveur. Selon ces perspectives, les caractéristiques des technologies contemporaines feraient que les biens informationnels deviendraient des biens « collectifs » : les consommateurs finaux peuvent accéder, de manière légale ou illégale, à nombre de contenus, « gratuitement » ou, du moins, à coût marginal nul.  La numérisation permettrait de produire et de faire circuler à l’échelle planétaire une quantité jamais atteinte auparavant de contenus culturels et informationnels. De même, grâce au Web collaboratif les industries culturelles pourraient être remplacées par des productions réalisées par les internautes contributeurs, productions enrichies par les échanges entre ceux-ci (Bouquillion, Matthews, 2010).

Quoi qu’il en soit, une observation (Bosser, Bouquillion et Peghini, 2012)(7) des politiques publiques nationales françaises en direction des industries culturelles montre que les enjeux liés au numérique sont bien présents. Cependant, le numérique est essentiellement perçu comme un facteur de crise des filières et de leurs acteurs mais aussi de remise en question des œuvres, de leurs formes et du rapport entre elles et le public. De nombreuses mesures concernent donc cette question. Le cadre national et la focalisation sur les industries culturelles et médiatiques demeurent très présents, y compris lorsqu’il s’agit de penser des mesures relatives au numérique. La terminologie même de « numérique » au cœur des discours publics comme de ceux de nombre d’experts est révélatrice d’une perspective qui met en avant la technologie et les enjeux posés par celle-ci et non pas les enjeux industriels et économiques. Or, cette perspective industrielle échappe doublement au champ d’action publique et, singulièrement, à celle du ministère de la Culture et de la Communication. D’une part, ces acteurs ne sont pas des acteurs industriels de la culture mais ils appartiennent aux secteurs des télécommunications, du Web, des matériels et donc ils relèvent d’autres départements ministériels et d’autres instruments d’action publique. D’autre part, pour la plupart d’entre eux, du moins parmi ceux qui « comptent », ils ne sont pas français ni même européens. De ce fait, ils n’ont ni obligation, ni volonté, ni intérêt à subir des réglementations contraignantes. Nous sommes donc clairement en face d’une limite de l’intervention publique et parapublique culturelle.

La perspective en termes de numérique se conjugue avec les héritages du passé pour entraver la prise en compte des enjeux industriels présents. En effet, les politiques publiques en direction des industries culturelles, telles qu’elles se sont construites ont des difficultés à prendre en compte les enjeux soulevés pour les industries culturelles par le développement de leurs relations avec les industries de la communication. Aujourd’hui trois facteurs rendent difficile cette prise en compte. Primo, la césure entre mesures spécifiques et non spécifiques, et ainsi entre les ministères de l’Industrie et de la Culture, tend à disjoindre les actions relatives aux industries de la communication et celles relatives aux industries de la culture mais aussi les perspectives industrielles et culturelles. Secundo, le cloisonnement par filières est extrêmement fort. Au sein même du ministère de la Culture, les objectifs d’ordre économique des différentes mesures sont pensés par rapport aux spécificités anciennes des filières des industries de la culture et pour l’essentiel dans leur cadre national et non pas par rapport aux enjeux transversaux aux diverses filières ou aux enjeux suscités par la circulation transnationale des contenus. De même, au sein de chaque filière, les mesures sont généralement soit à dominante économique, soit à dominante culturelle. Il s’agit de pallier les défaillances du marché pour soutenir la qualité culturelle (finalité culturelle) ou pour soutenir le niveau de la production (finalité économique). L’importance des sommes allouées aux mesures dites automatiques fait que l’action publique a alors pour enjeu principal, le maintien de la position des acteurs historiques des industries de la culture. Ces derniers, de surcroît, déploient d’intenses actions de lobbying. Le nombre très important de mesures à finalité culturelle dominante contribue au saupoudrage de l’action publique. Tertio, des organismes autonomes gèrent la plus large part des actions publiques en direction des industries culturelles. La prolifération d’organismes, fréquemment dédiés à une seule filière, qui, en droit ou en fait, administrent dans une assez grande autonomie les mesures en direction des diverses filières rend difficile une coordination sur le plan de l’ensemble des industries de la culture et, plus encore, à l’échelle aussi des industries de la communication et de leur dimension transnationale.  Les exemples du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) et le Centre national du livre (CNL) peuvent être cités. Ces trois facteurs contribuent à éclater l’action publique en un nombre élevé d’actions ponctuelles oscillant entre le soutien aux acteurs en place des industries de la culture ou à l’ensemble de la filière et le maintien d’une logique d’œuvre, sans laquelle l’action publique risquerait d’enfreindre les règles internationales sur la concurrence.

L’action de l’Union européenne, centrée sur le « bon » fonctionnement des marchés européens ne paraît pas en capacité de faire face aux enjeux soulevés par le déploiement des industries de la communication dans les activités des industries culturelles. En matière de réglementation des industries de la culture, l’Union a notamment eu le souci de préserver la capacité  des états membres de choisir leur degré d’intervention, dans le respect toutefois des règles internationales relatives à la liberté des échanges de biens et de services. L’exemple de la directive dite SMA (services de médias audiovisuels) de mars 2010 peut être cité. Pour autant, on ne voit pas là émerger une véritable politique. Les dépenses culturelles de l’Union européenne sont faibles tandis que les enjeux des relations entre industries culturelles et industries de la communication ne constituent pas une catégorie en tant que telle. Le principal programme dédié aux industries de la culture, le programme Media (devenu le sous-programme Media au sein d’Europe Créative) cherche d’abord à soutenir les acteurs européens du cinéma et de l’audiovisuel par un ensemble de mesures assez ponctuelles destinées à favoriser la circulation des œuvres au sein de l’UE.

Conclusion

Alors que les thèmes de la convergence et des Tic soulevaient des enjeux plutôt meso, par exemple les transformations des politiques publiques ou des stratégies industrielles, la thématique du numérique, depuis le début des années 2000, déplace les débats autour des questions micro, les pratiques des individus « libérés » des industries culturelles notamment, et macro, par exemple la créativité sociale et l’abondance de produits culturels librement accessibles. Un cadre idéologique se forme et il contribue à asseoir la position des acteurs des industries de la communication face à ceux des industries culturelles. Les premiers, grâce aux dispositifs d’échanges et de création qu’ils offrent, se présentent tels les acteurs de la créativité et ils peuvent plus facilement tirer parti de leur position de force sur les plans industriel et financier tandis qu’ils peuvent éviter de contribuer à la production de contenus originaux, production à laquelle ils n’ont qu’un intérêt marginal. La production de contenus culturels et informationnels de formats professionnels reste donc très dépendante de la capacité des acteurs historiques de ces domaines à consentir les dépenses nécessaires en faveur de l’amont des filières. Cette capacité, toutefois, a plutôt tendance à décliner. Les politiques publiques, y compris celles relevant de l’exception culturelle, ne semblent pas prendre la mesure de ce phénomène qui est industriel et transnational et qui ne relève pas, contrairement à ce que suggère la thématique du numérique, d’une simple adaptation à des changements technologiques.

Quoi qu’il en soit, développer une approche critique, à l’instar de l’approche des théories communicationnelles des industries culturelles, n’est pas chose aisée face à la force des discours en termes d’émancipation que déploient des acteurs qui pourtant, tels les GAFA, selon l’expression journalistique, sont au cœur du capitalisme contemporain.

 

Notes

(1) Les éléments présentés dans cet article s’appuient sur des recherches collectives des années 1990, notamment franco-québécoises relatives à la « convergence », ainsi que sur des recherches portant sur  la concentration dans les industries culturelles, sur la diversité culturelle (reliée aux mutations des Tic des industries culturelles) et sur les industries et l’économie créatives conduites durant les des années 2000 et 2010 en particulier au sein de la MSH Paris Nord. Ces recherches ont associé des collègues du Gresec, du Cemti et du LabSic. Certains de ces travaux ont été financés dans le cadre de programmes du ministère de la Culture et de la Communication et de l’Agence nationale de la recherche. À cet ensemble s’ajoutent des recherches en cours, en particulier sur les plateformes dans le cadre du Laboratoire d’excellence « Industries culturelles et création artistique ».

(2) Jauneau, Yves, « Le poids économique direct de la culture », ministère de la Culture et de la Communication, chiffres clés 2014, DEPS, disponible en ligne, consulté le 20 décembre 2015,
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/L-actualite-du-DEPS/Le-poids-economique-direct-de-la-culture-CC-2013-3

(3) Jauneau ,Yves, op. cit.

(4) Source : ARCEP, consulté le 20 janvier 2016, http://www.arcep.fr/?id=12629

(5) Source : Données GFK, publiées par 20 Minutes le 12 février 2014, disponible en ligne, consulté le 10 janvier 2016,
http://www.20minutes.fr/high-tech/1297014-20140212-20140212-marche-lelectronique-grand-public-baisse-2013-tro

(6) Source : http://www.observatoire-omic.org/documents/modeles_benghozi.pdf

(7) Une base en ligne présentant les diverses mesures est disponible sur le site du DEPS.
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Statistiques-culturelles/Base-de-donnees-des-mesures-nationales-et-communautaires-d-intervention-publique

Références bibliographiques

Benghozi, Pierre-Jean (2012), Audition devant la commission Culture-Acte2, 3 octobre, disponible en ligne, consulté le 3 juin 2014,
http://www.culture-acte2.fr/topic/0310-audition-de-pierre-jean-benghozi-professeur-a-lecole-polytechnique-et-directeur-de-recherche-au-cnrs/

Bosser, Sylvie, Bouquillion, Philippe, Peghini, Julie (2012), Les mesures d’actions publiques en direction des industries culturelles et créatives, Rapport remis au Département des études, des statistiques et de la prospective, ministère de la Culture et de la Communication.

Bouquillion, Philippe, Matthews, Jacob (2010), Le Web collaboratif. Mutations des industries de la culture et de la communication, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

Bouquillion, Philippe, Miège, Bernard, Mœglin, Pierre (2013), L’industrialisation des biens symboliques. Les industries créatives en regard des industries culturelles, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

Jauneau, Yves, Le poids économique direct de la culture, ministère de la Culture et de la Communication, chiffres clés 2014, DEPS, septembre 2013, en ligne, consulté le 20 décembre 2015,
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/L-actualite-du-DEPS/Le-poids-economique-direct-de-la-culture-CC-2013-3

Lacroix, Jean-Guy ; Tremblay, Gaëtan (1994), « La convergence encore et toujours », in Lacroix, Jean-Guy ; Miège, Bernard : Tremblay, Gaëtan (dir.), De la télématique aux autoroutes de l’information, le grand projet reconduit, Sainte-Foy, Grenoble : Presses de l’université du Québec, Presses universitaires de Grenoble, p. 1-13.

Miège, Bernard (2000), Les industries culturelles face à l’ordre informationnel, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

Miège, Bernard ; Vinck, Dominique (2011), Les masques de la convergence, Paris : Editions des archives contemporaines.

Mœglin, Pierre (1994), « Votre minitel ne demande qu’à vous rendre service », in Lacroix, Jean-Guy ; Miège, Bernard : Tremblay, Gaëtan (dir.), De la télématique aux autoroutes de l’information, le grand projet reconduit, Sainte-Foy, Grenoble : Presses de l’université du Québec, Presses universitaires de Grenoble, p.163-191.

Mœglin, Pierre (2000), Rapport sur la faisabilité de la MSH Paris Nord, ministère de la recherche et de l’Enseignement Supérieur, disponible en ligne, consulté le 16 janvier 2016,
http://www.mshparisnord.fr/images/stories/la-msh-pn/rapport_faisabilite_MSH.pdf

Auteur

Philippe Bouquillion

.: Philippe Bouquillion est professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 13, chercheur au LabSic et à la Maison des sciences de l’homme Paris Nord. Ses recherches portent sur la socio-économie des industries culturelles, créatives et des industries de la communication, notamment sur le Web et le Web collaboratif.
http://labsic.univ-paris13.fr/index.php/bouquillion-philippe