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Les théories de l’innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l’innovation ? Du modèle « émetteur » au modèle communicationnel

17 Juin, 2013

Résumé

L’innovation est considérée comme le facteur clé de la dynamique de nos sociétés. L’approche présentée dans cet article est interdisciplinaire. Nous montrons d’abord que des modèles mécaniques et linéaires ont été développés dans différentes disciplines (économie, sociologie, SIC…). Puis sont présentés d’autres modèles qui relèvent davantage d’une approche systémique et communicationnelle de l’innovation. Face à un modèle que nous appelons « émetteur de l’innovation » se profile un modèle « communicationnel de l’innovation ». Bien évidemment, les qualificatifs « émetteur » et « communicationnel » sont introduits pour souligner l’importance du contexte de l’essor de l’Internet et mettre l’accent sur la communication comme nouvelle route de l’innovation. Route dans laquelle les usagers ont un rôle qui peut devenir crucial, à travers les possibilités de ré-innovations numériques dans le cadre d’une approche communicationnelle et sociale.

Mots clés

Innovation, communication, usagers, ré-innovation numérique.

In English

Abstract

Innovation is considered as the key factor of the dynamics in our societies. Thanks to an interdisciplinary approach, firstly we show that mechanical and linear models have been developed in various disciplines (economics, sociology, information and communication sciences.). Then we analyze other models based on systemic and « communicational » approaches of innovation. Faced to what we call the « transmitter model of innovation » we highlight a « communicational model of innovation ». These terms are introduced to underline the importance of the context of the Internet and to emphasize communication as a new way for innovation. Way in which users have a role which could become crucial, through digital « re-innovations ». We define digital « re-innovation » as an important element of the « communicational » and social approach of innovation we develop in this paper

En Español

Resumen

La innovación es considerada como el factor clave de la dinámica de nuestras sociedades. Nuestro enfoque es interdisciplinario. En primer lugar, mostramos que modelos mecánicos y lineales han sido desarrollados en diferentes disciplinas (economía, sociología, SIC). Después presentamos otros modelos que siguen una visión sistémica y comunicativa de la innovación. Frente a un modelo que llamamos  » emisor de la innovación  » se perfila un modelo  » comunicativo de la innovación « . Desde luego, los calificativos « emisor » y comunicativo » son introducidos para subrayar la importancia del contexto del desarrollo de Internet y poner énfasis en la comunicación como nuevo camino de la innovación. Camino en el cual los usuarios tienen un papel que puede llegar a ser crucial, a través de las posibilidades de re-innovaciones numéricas en el marco de un enfoque comunicativo y social.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Badillo Patrick-Yves, « Les théories de l’innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l’innovation ? Du modèle « émetteur » au modèle communicationnel« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/1, , p.19 à 34, consulté le vendredi 29 mars 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013/varia/02-les-theories-de-linnovation-revisitees-une-lecture-communicationnelle-et-interdisciplinaire-de-linnovation-du-modele-emetteur-au-modele-communicationnel/

Introduction

Depuis plus de deux décennies l’innovation est considérée comme le facteur clé de la dynamique de nos sociétés, susceptible d’impulser une nouvelle croissance économique. Récemment encore, la Commission européenne a lancé, en octobre 2010, l’initiative « Innovation Union » pour répondre à une situation d’ « urgence » (http://ec.europa.eu/research/innovation-union/index_en.cfm). En effet, pour la Commission Européenne, une telle initiative est cruciale pour relancer l’économie et la croissance. Cette « approche stratégique de l’innovation (est) soutenue au plus haut niveau politique »  (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-10-1288_fr.htm) et a encore été affirmée comme une priorité au sommet européen de février 2013. Compte tenu de ce rôle essentiel de l’innovation, toujours affirmé avec plus de force, il nous est apparu pertinent de revisiter les théories de l’innovation. Notre approche est d’abord interdisciplinaire et fait référence aux contributions des sciences économiques, du management, de la sociologie et des sciences de l’information et la communication. De ce point de vue, notre corpus s’appuie sur les travaux qui nous sont apparus parmi les plus importants dans ces différentes disciplines depuis plusieurs décennies. Le corpus, non exhaustif (par exemple nous n’avons pas intégré une approche qui situerait l’innovation en liaison avec l’agir communicationnel, qui aurait pu être analysée en termes d’agir « innovationnel ») correspond à la bibliographie du présent article qui consiste en une sélection de recherches retraçant l’évolution des approches de l’innovation dans une perspective interdisciplinaire. Notre démarche part d’abord de la définition de l’innovation de Schumpeter qui est l’auteur de référence sur ce sujet. Puis nous élargissons l’approche en nous appuyant sur différentes disciplines, en montrant la progression parallèle des différents champs disciplinaires. Nous mettons en lumière le caractère mécanique et linéaire, durant la plus grande partie du XXème, des approches dans les différentes disciplines. Nous synthétisons ces approches à travers ce que nous appelons le modèle « émetteur » de l’innovation (première partie). Dans une deuxième partie, nous présentons différents courants de pensée qui relèvent davantage d’une approche systémique de l’innovation.  Dans une troisième partie, nous mettons en évidence une nouvelle approche de l’innovation, le modèle « communicationnel de l’innovation ». Bien évidemment, les qualificatifs « émetteur » et « communicationnel » ont été introduits pour souligner que, dans le contexte de l’essor de l’Internet, mettre l’accent sur une perspective communicationnelle et sociale de l’innovation est, selon nous, particulièrement pertinent.

Une approche « mécanique », mais interdisciplinaire de l’innovation : le modele « emetteur » de l’innovation

Différentes approches en sciences économiques, management et sciences de l’information et la communication (au sens large, en incluant des éléments issus, par exemple, de la sociologie ou d’autres disciplines) sont présentées. Ces approches sont mécaniques et linéaires, elles conçoivent l’entreprise, le management, l’innovation de façon top-down comme dans le modèle communicationnel « E-C-R » (émission, communication, réception) inspiré des travaux de Shannon. Nous retiendrons  l’idée d’un modèle « émetteur » de l’innovation. D’une part pour évoquer le fait que l’innovation se situe dans une logique schumpéterienne, celle de l’entrepreneur innovateur (l’émetteur) et d’autre part pour introduire la logique communicationnelle de l’innovation. Ainsi, le modèle « émetteur » est utilisé pour caractériser ces approches selon lesquelles les consommateurs et usagers sont considérés comme des récepteurs passifs. Ils peuvent accepter ou refuser l’innovation, mais ils ne participent aucunement au processus d’innovation. Nous allons montrer que l’on retrouve ces schémas linéaires et mécaniques dans différents champs disciplinaires.

Les approches linéaires et mécaniques dans le champ de l’économie

Le modèle du technology push a été le modèle dominant de l’innovation pendant la plus grande partie du XXe siècle et reste prégnant. Ce modèle considère l’innovation comme dépendante des politiques industrielles et scientifiques. Ce modèle inspire encore les politiques à la base de technologies clés, comme par exemple les nanotechnologies. C’est un modèle linéaire car il considère que l’innovation est avant tout le résultat de la science et de la technologie. Joseph A. Schumpeter est l’auteur clé à l’origine d’une telle approche. Il définit l’innovation comme de nouvelles combinaisons : introduction d’un produit nouveau ou ayant une qualité distincte, d’une nouvelle méthode de production, conquête de nouveaux marchés géographiques, approvisionnement à travers de nouvelles sources de matières premières ou de biens semi-manufacturés, mise en place d’un nouveau management dans l’industrie. Tout au long du XXe siècle l’approche Schumpeterienne de l’innovation s’est imposée, ou tout au moins une approche simplifiée de l’analyse de Schumpeter mettant l’accent sur les aspects technologiques des innovations. Ce modèle du technology push a été défini par Joseph A. Schumpeter à travers deux versions. Dans la première version (Schumpeter, 1912), les entrepreneurs, agissant au niveau d’entreprises plus ou moins « familiales » sont les acteurs de l’innovation, tandis que dans la seconde version du technology push (Schumpeter, 1942), les acteurs de l’innovation sont principalement les ingénieurs des départements recherche-développement de grandes entreprises.

Dans le cadre de ce modèle, les nouveaux produits ou nouveaux services sont conçus et développés dans les départements de recherche-développement, avec la distinction classique entre la recherche de base, la recherche appliquée et le développement expérimental, comme le définit le manuel de Frascati (OCDE). Après la phase de recherche-développement, les biens sont produits tandis que la promotion et la vente sont assurées par les services du marketing et finalement le consommateur achète les nouveaux produits ou services. Dans les années 1980, le modèle du technology push évolue. Différentes versions néo-schumpeteriennes ou issues de la théorie de l’évolution sont apparues. L’évolution selon une logique de trajectoire naturelle de la technologie a été introduite (Nelson et Winter, 1977). L’idée de paradigme technologique a été proposée par Giovanni Dosi (1982), tandis que Christopher Freeman, John Clark et Luc Soete (1982) développent la notion de paradigme techno-économique. Freeman et Perez (1988) définissent et distinguent plusieurs catégories d’innovations. Les innovations incrémentales, les innovations radicales, les changements de technologies et les changements de paradigmes techno-économique. Les innovations incrémentales sont des innovations permanentes, de petite ampleur. Notons qu’elles doivent être distinguées des innovations de rupture (disruptive). Cette catégorie d’innovation (disruptive) est introduite, dans une approche managériale, par Clayton Christensen (1997) qui montre que les leaders sont en difficulté non pas en raison d’avancées majeures de leurs concurrents, mais parce que des nouveaux venus sur le marché se positionnent en proposant des solutions de qualité inférieure. Ces nouveaux venus ne sont pas considérés comme dangereux; ils profitent de l’inadvertance des leaders, puis grignotent des parts de marché et mettent en péril les leaders. Si l’on reprend maintenant la typologie de Freeman et Perez, les innovations radicales sont bien distinctes : elles sont des événements de grande ampleur, intervenant de façon discontinue, comme par exemple l’apparition du nylon, les changements de technologies, comme par exemple l’essor de la pétrochimie, ont encore un impact plus ample. Enfin les changements de paradigmes technologiques affectent la totalité de la vie économique et sociale. En particulier, ils modifient en profondeur la façon dont le travail est organisé.  Selon Carlota Perez (2009, p. 12), nous serions entrés dans le paradigme techno-économique des télécommunications et de l’information depuis 1971. De telles approches conduisent aussi à l’idée d’un nouveau paradigme de l’information. Ces grandes thématiques remontent au rapport Nora-Minc (1978), sont reprises et amplifiées avec les programmes américains et européens des autoroutes de l’information (Al Gore, 1993 ; Bangemann, 1994), renouvelées avec l’idée d’une société de l’information et de la connaissance (Lisbonne, 2000) et actualisées aujourd’hui avec l’initiative « Innovative Union », déjà citée. Si les différentes approches théoriques se ramifient, et sont plus ou moins sophistiquées, elles conduisent, en partant du modèle du technology push à définir l’innovation, et les politiques qui l’accompagnent, comme une logique  linéaire où les découvertes scientifiques, en particulier dans le domaine des technologies de l’information et la communication, sont diffusées de façon mécanique et sont supposées changer ainsi l’ensemble de la société. Les éléments communicationnels qui en découlent correspondent à une logique top down, comme cela est envisagé en management à travers les travaux de Frederick W. Taylor.

Le management et le rôle mécanique de l’information

Les approches managériales de l’innovation ont aussi été largement influencées par une vision mécanique. En effet, à partir des travaux de Frederick W. Taylor (1911), il a été considéré que la science et la technologie pouvaient être utilisées de façon mécanique pour améliorer l’efficacité des organisations. Pendant longtemps, cette idée a été corrélée à un modèle de management dominant basé sur une structure organisationnelle hiérarchique avec des flux d’information top-down et une forte division du travail. « Dans l’imagination de Taylor, orientée de façon mécanique, le travailleur commun n’est pas une source potentielle d’idées et d’améliorations de process mais plutôt une partie spécifique du problème des machines » (Andrea Gabor, p. 19, notre traduction). Notons que si la mise en œuvre des théories de Taylor a conduit à des approches mécaniques, Taylor, en ce qui le concerne, était conscient de la nécessité d’une certaine forme de communication-relation dans l’entreprise : « Chaque homme devrait recevoir au quotidien des enseignements et l’aide la plus amicale de ceux qui sont ses supérieurs, au lieu d’être, soit, de façon extrême, sous la conduite et la coercition de ses chefs, soit, à une autre extrémité, laissé à l’abandon. Cette coopération proche, intime, personnelle entre le management et les hommes fait partie de l’essence du management scientifique moderne »  (Taylor, 1911, Chapitre 1, notre traduction, consulté en ligne, http://www.eldritchpress.org/fwt/t1.html ). Mais, avec le développement des systèmes d’information, et en particulier des ERP (Entreprise Resource Planning) ou PGI (Progiciels de Gestion Intégrés) durant la dernière décennie, la vision hiérarchique et mécanique s’affirme, dominante et unidirectionnelle (voir sur ce point Badillo et Bourgeois, 2013).

La théorie « mécanique » de la communication

Le concept de l’information se situant dans une perspective mécanique de la communication est initialement développé à partir des travaux de l’ingénieur Claude E. Shannon (1948). Dans le modèle de Claude E. Shannon, un émetteur envoie l’information, qui est ensuite acheminée vers un récepteur à travers un canal d’information. Bien entendu, l’information peut être distordue à cause du bruit, comme, par exemple, en raison d’une mauvaise transmission à travers le câble ou le satellite. Dans cette approche, la communication est une communication mécanique, unidirectionnelle, sans aucune interaction avec les récepteurs. On peut évoquer cette logique « mécanique » dans des champs disciplinaires connexes, comme, par exemple, celui de l’étude de l’impact des médias. Dans ce champ, la théorie de la seringue hypodermique illustre également un schéma linéaire et mécanique.

Plus récemment, le modèle d’Everett Rogers a introduit la communication au cœur de l’innovation (la première édition de son célèbre ouvrage remonte à 1962 ; nous citerons par la suite l’édition de 1995). Il montre que la diffusion est un processus à travers lequel une innovation est communiquée, diffusée à travers différents canaux vers les membres d’un système social. Cette théorie est célèbre à travers cette distinction des différentes catégories de personnes adoptant l’innovation (les innovateurs, les « adopteurs précoces », la majorité, la majorité en retard et les retardataires). Nous reviendrons infra sur cette approche très intéressante de l’innovation, mais nous noterons ici que la démarche d’Everett Rogers est aussi souvent appréhendée comme diffusionniste (voir Bernard Miège, 1997, pp. 146 et sq. ou Boullier, 1989), marquée par une mécanique de l’innovation. Par exemple, selon Dominique Boullier (1989), le modèle d’Everett Rogers présente une vision selon laquelle l’innovation est d’abord achevée et ensuite, les usagers, purement passifs, vont accepter ou non innovation. En effet, il apparaît qu’à partir d’une innovation, une épidémie se propage plus ou moins mécaniquement à l’ensemble (ou à un sous-ensemble) de la population.

Le modèle « émetteur » de l’innovation

La présentation des différentes approches linéaires de l’innovation et des théories mécaniques de la communication (Shannon ou Rogers) conduit à notre proposition en termes de modèle « émetteur de l’innovation » : l’innovation est conçue, puis « émise » en direction de la société d’une façon relativement linéaire et mécanique. Un tel modèle est implicite, mais il est répandu à la fois en économie, en management, dans les sciences de l’information et la communication (nous aurions pu étendre une telle approche aux sciences sociales, comme la sociologie ou l’histoire où différentes études sont basées sur un tel déterminisme technologique). Du point de vue économique, c’est la logique du technology push qui illustre ce modèle émetteur. Du point de vue managérial, ce sont les approches de Frederick W. Taylor et aujourd’hui celles en termes de système d’information ou d’ERP qui sont caractéristiques. Enfin, pour la communication, les modèles de Claude E. Shannon ou d’Everett Rogers illustrent la logique d’un modèle émetteur, mécanique. Le modèle mécanique et linéaire de la communication, est appelé aussi modèle ECR (émission, communication, réception). Selon Jean Lohisse (2000, p. 29), « Le schéma des ingénieurs, dit modèle E-C-R, présente la communication comme une mécanique. Le cadre technologique E-C-R envisage la communication comme la transmission d’un message, d’un émetteur à un récepteur, à travers un canal. Émetteur et récepteur ont, par hypothèse, un répertoire commun de signaux utilisables, le code ».

Bien entendu, le caractère mécanique et linéaire issu des travaux de Frederick W. Taylor, Joseph A. Schumpeter, Claude E. Shannon ou Everett Rogers serait à nuancer. Ainsi, la richesse de l’approche de Joseph A. Schumpeter est incontestable, Frederick W. Taylor lui-même relativise certaines de ses analyses, Claude E. Shannon est avant tout un ingénieur des télécommunications et nous expliciterons infra certains apports très féconds d’Everett Rogers. Au-delà de ces remarques, ce qui nous intéresse, c’est que ce modèle linéaire, mécanique, imprégné de déterminisme technologique reste dominant dans l’appréhension de l’innovation. Ainsi, les départements de recherche-développement des grandes entreprises notamment, mais aussi les agences telles que l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) en France sont dans la logique du modèle émetteur de l’innovation avec le développement de recherches comme, par exemple, dans les domaines des télécommunications, du calcul intensif, des nanotechnologies, de l’intelligence artificielle ou de la robotique ; ces recherches, une fois mises au point dans les laboratoires, sont destinées à être diffusées dans l’ensemble de la société. Il en est de même pour la ligne générale définie par la Commission Européenne à propos de l’innovation. Dans certains cas, de telles approches constituent des succès indéniables. Pour développer de nouvelles molécules, de nouveaux moteurs de fusées, par exemple, le modèle issu du technology push reste fondamental et porteur d’innovations importantes. Une double question existe cependant. D’une part, celle de l’acceptabilité sociale de certaines innovations. Il est, bien sûr, louable et utile de réfléchir au fait qu’une technologie puisse être « acceptable » (voir Mallein et Toussaint : http://readip.blogspot.fr/2012/05/les-tice-et-les-innovations_16.html), mais, dans le même temps, cela traduit bien l’idée d’un processus top-down dans la logique mécanique et linéaire que nous avons évoquée. D’autre part, nous sommes très loin des processus de co-construction du technique et du social que nous allons maintenant présenter. Ces processus prennent une nouvelle place, croissante, dans l’innovation.

Vers une approche systémique et communicationnelle de l’innovation

Les approches interactives, puis systémiques de l’innovation ont émergé dans différentes disciplines depuis plusieurs décennies. Les dimensions communication-relation et sociale de l’innovation ont aussi progressivement un rôle de plus en plus important.

Les modèles interactifs de l’innovation

Vers la fin des années 1970 et 1980 l’émergence d’approches non mécaniques de l’innovation a été le résultat de deux courants.

Le premier courant remonte à Jacob Schmookler (1966) qui développa un modèle de l’innovation « demand pull » ou « market pull ». Cette théorie affirme la souveraineté du consommateur. Elle est en quelque sorte symétrique à la théorie schumpeterienne, en étant toujours mécanique et linéaire. Mais elle a ouvert la voie, notamment, au modèle interactif de l’innovation. Ce modèle, introduit par Roy Rothwell et Walter Zegveld (1982) combine les modèles du technology push et du demand pull. Dans le cadre de ce modèle, il y a donc des effets de feed-back entre la logique de l’offre, déterminée par la technologie, et la logique de la demande, impulsée par les consommateurs. « Le processus d’innovation peut être pensé comme un ensemble de chemins de communication à travers lesquelles la connaissance est transférée » (Trott, 2008, p. 24). Ce modèle annonce les modèles plus récents comme les modèles de réseaux ou les modèles ouverts de l’innovation qui, implicitement, reposent sur une approche systémique de l’innovation.

Les approches communicationnelles : feed-back, interactions et logique systémique

En parallèle, dans le domaine de la communication, l’approche de Norbert Wiener (voir notamment son livre de 1954) permet de prendre en compte les effets de feed-back dans tout processus communicationnel. Paul Lazarsfeld, dès les années 1940, met en lumière l’importance du contexte : il montre que les votes des individus lors des élections sont beaucoup plus influencés par leur contexte social que par l’impact des médias. Par la suite, des auteurs comme Tamar Liebes et Elihu Katz (1990) montrent comment les contenus des médias sont « réceptionnés » et interprétés par les récepteurs. Le même message est reçu de façon différente selon les « caractéristiques » du récepteur. Comme pour le schéma interactif de l’innovation, les mécanismes sont interactifs. L’approche de l’école de Palo Alto va encore plus loin avec la prise en compte d’une logique systémique, en rupture avec l’approche mécanique de Claude E. Shannon. Il apparaît clairement que ce courant réfute le modèle mécanique et linéaire ECR que nous avons exposé précédemment. En effet, dans la mesure où les hommes communiquent en permanence, Paul Watzlawick, l’un des principaux représentants de l’école de Palo Alto, propose une approche systémique insistant sur les relations humaines. Il introduit au cœur de son analyse la communication-relation. Selon Paul Watzlawick (1978), la communication est principalement une question de relations humaines et non pas une question d’outils techniques ou de canaux. Le contexte est essentiel dans le processus de communication. La communication n’est pas un processus unidirectionnel. Le récepteur réagit et envoie en retour d’autres informations, et partage ces informations avec d’autres personnes. Avec l’approche systémique nous sommes déjà au-delà des modèles interactifs. Les modèles de réseaux vont prolonger cette approche.

Les modèles de réseaux : les approches économiques, managériales et sociologiques

Partage d’information, connaissance et modèle de réseau apparaissent avec les approches de la littérature économique et managériale (Aoki, 1986 ; Nonaka et Takeuchi, 1991 ; Shapiro et Varian, 1999) et de la sociologie (Callon, 1989, Castells, 1996). Luc Boltanski et Ève Chiapello proposent une analyse de ce « nouvel esprit du capitalisme » dont le réseau fait partie (1999). Pour le courant du Centre de Sociologie de l’Innovation (Callon et Latour), il s’agit d’examiner la nature des interactions sociales dont les technologies font l’objet. Les systèmes socio-techniques se stabilisent après un processus à travers les acteurs qui entrent en relation : « Le travail du sociologue consiste alors à décrire les opérations par lesquelles le scénario de départ, qui se présente essentiellement sous une forme discursive, va progressivement, par une série d’opérations de traduction qui le transforme lui-même, être approprié, porté par un nombre toujours croissant d’entités, acteurs humains ou dispositifs techniques » (Akrich, 1993, p. 92). Comme le précise Norbert Alter (2005, p. 18), « il existe des formes de sociabilité plus ou moins influentes sur la diffusion d’innovations : elles sont liées au degré d’appartenance à des réseaux sociaux (…) Dans tous les cas les réseaux représentent en quelque sorte l’architecture sociale informelle sur laquelle repose le développement d’une innovation. » Corrélativement à l’idée de réseau se développent les concepts de « cluster » (Michael Porter), de systèmes d’innovation à l’échelle nationale ou régionale (Freeman) ou d’écosystème de l’innovation, par référence à la Silicon Valley. Dès les années 1990 et de plus en plus dans la dernière décennie, les approches se sont de plus en plus éloignées des modèles linéaires et mécaniques de l’innovation, avec des perspectives interdisciplinaires. Par exemple, Patrice Flichy (2003) analyse les théories de l’innovation à partir de différentes sciences sociales (économie, sociologie, histoire, anthropologie) et propose une approche socio-technique qui insiste sur le rôle des acteurs (designers aussi bien que les usagers). Patrice Flichy montre que les approches de l’innovation se sont souvent développées dans une logique établissant une coupure entre la technique et la société. Dans le domaine du management et de l’économie, le paradigme de l’« Open Innovation » met l’accent sur les liens et les relations des firmes qui contribuent à l’innovation. Ce paradigme est l’antithèse du modèle du technology push qui est un modèle d’intégration verticale dans lequel les activités liées à l’innovation sont internes à l’entreprise. En fait, ce paradigme intègre les principales bases du modèle interactif de l’innovation, mais aussi celles de la logique des réseaux, puisque les idées viennent à la fois de l’extérieur et de l’intérieur de la firme (Chesbrough, 2003 et 2006).

Les dimensions communication-relation et sociale au cœur de l’innovation

Everett Rogers est un auteur qui illustre l’évolution de l’analyse de la logique de l’innovation : on passe du diffusionnisme à un processus où l’usager prend un rôle important. En effet, à partir de la troisième édition de son ouvrage, Everett Rogers introduit le terme de « réinvention » qui est définie comme le degré auquel « une innovation est changée ou modifiée par l’usager au cours du processus d’adoption et de mise en place » (Rogers, 1995, p. 174, notre traduction). Everett Rogers précise : « la plupart des études de diffusion passées ont été basées sur le modèle linéaire de la communication, le processus par lequel les messages sont transférés d’une source vers un récepteur. Une telle vision unidirectionnelle (one-way) de la communication humaine décrit précisément certains types de communication (…) (mais) la communication est un procès dans lequel les participants créent et partagent de l’information avec les autres pour atteindre une compréhension mutuelle » (Rogers, 1995, p. xvi). Ce qui est intéressant, c’est que la communication est maintenant au cœur de l’innovation. Bernard Miège (1997, pp. 162 et sq.) insiste sur la dimension informationnelle et communicationnelle des techniques : « il conviendrait de souligner à la fois l’accent fort mis sur les stratégies (dans l’interaction entre technique et social), l’inscription de l’innovation technique dans le temps long, ainsi que les spécificités proprement informationnelles et communicationnelles des objets techniques envisagés. » (Miège, 1997, p. 168). Dans un ouvrage récent, Bernard Miège et Dominique Vinck (2012) approfondissent ces questions de la dynamique technologique et de la construction sociale des techniques. Nous renvoyons à Dominique Vinck (pp. 125 et sq.) et aux commentaires de Bernard Miège (pp. 149-151) : « l’aspect essentiel (de l’approche de Vinck) est (…) la co-construction du technique et du social ». Une telle approche rejoint ce que Bernard Miège appelle l’enracinement social des technologies de l’information et la communication (Miège, 2007) les deux sphères du technique et du social sont profondément intriquées.

Le modèle communicationnel de l’innovation

La communication, l’usager et l’innovation

En définitive, nous avons mis en lumière la dynamique des théories de l’innovation en nous appuyant sur le modèle mécanique de la communication et ses remises en cause. Les approches mécaniques et linéaires ont été observées dans différents champs disciplinaires. Dès lors, l’idée que le modèle émetteur de l’innovation avait d’abord prédominé a été proposée. Elle illustre le caractère mécanique de la séquence émission-communication-réception, mais elle montre aussi que l’innovation est fondamentalement un problème de communication. Everett Rogers avait déjà exploré cette piste. Nous avons étendu la réflexion à l’approche systémique qui montre les interactions apparaissant au coeur des processus d’innovation. Ici nous avons retrouvé différentes recherches contemporaines. Nous pouvons maintenant approfondir notre démarche en introduisant l’idée d’un modèle « communicationnel  de l’innovation ». Les technologies de l’information, en particulier avec le Web 2.0, favorisent la circulation libre de l’information, l’interaction les échanges entre usagers d’Internet. C’est Eric Von Hippel (1988) qui a été l’un des premiers à montrer l’importance des usagers qui vont créer des innovations adaptées à leurs propres besoins. Cependant, cette approche intègre des objectifs marketing. Le rôle des usagers est également étudié, mais dans une perspective bien différente, dans les travaux de l’école française de la sociologie des usages  (nous renvoyons à Josiane Jouët, 2000, et, pour des approches plus récentes, à Julie Denouël et Fabien Granjon, 2011). Ces approches très fécondes et  présentées notamment par François Jauréguiberry et Serge Proulx (2011) ont évidemment une place importante. Elles se situent dans une perspective communicationnelle, loin de toute approche info-communicationnelle. Nous souhaitons reprendre cette logique de l’usage,  mais en la prenant en compte dans l’environnement radicalement nouveau de l’Internet. La logique des usages, à l’origine, s’est développée dans le contexte du technology push : si l’usager est reconnu et pris en compte sur la scène de l’innovation, il apparaît comme un acteur qui s’approprie la technologie. Il la détourne et en fait un usage nouveau ou en tout cas imprévu. Internet change le contexte. Les internautes peuvent devenir des acteurs premiers de l’innovation. C’est dans cette perspective que nous introduisons le modèle communicationnel de l’innovation. Dans un contexte numérique, l’innovation passe par la communication et met au premier plan les internautes, au sens large, en particulier, dans une perspective Web 2.0, les usagers profitent des nouveaux espaces de communication pour échanger, communiquer et porter des innovations. Le modèle émetteur évoquait l’innovation top down impulsée par l’entrepreneur schumpétérien (ou les laboratoires de recherche développement des grandes entreprises). En effet l’entrepreneur impulse seul l’innovation, et sa logique est proche du modèle ECR, bien distincte de la logique « 2.0 » que nous allons maintenant expliciter.

Cette nouvelle logique du lien entre les internautes et les entreprises peut être notamment illustrée à travers un exemple qui est donné par le journaliste Jeff Jarvis (2009). À l’origine, il achète un ordinateur Dell ; cet ordinateur tombe en panne et le service de relation client ne lui donne aucune solution. Jeff Jarvis en parle dans son blog. Cela devient un buzz mondial, négatif pour l’image de Dell. Quelques mois après, l’entreprise Dell prend la mesure du problème. Non seulement Jeff Jarvis est consulté, mais Dell crée en juillet 2006 un blog direct2dell pour échanger avec ses consommateurs et en février 2007 le site Ideastorm est créé pour tenir compte des suggestions des usagers. Ces suggestions non seulement ont aidé à prendre des décisions au niveau opérationnel, mais aussi ont été prises en compte dans le champ de l’innovation, qui est donc alors impulsée à travers le Web.

La communication, nouvelle route pour l’innovation

Une nouvelle route de l’innovation est donc liée à la communication. « L’innovation est l’adoption d’une nouvelle pratique par une communauté (…) Le succès dans l’innovation est à l’intersection entre les domaines d’expertise de l’innovateur, ses compétences en matière d’interactions sociales et sa capacité à reconnaître et à saisir les opportunités » (Denning et Dunham, 2010, pp. 6 et 23, notre traduction). Ces auteurs soulignent ainsi le rôle de Google qui est un nouvel écosystème de l’information et qui interagit et travaille avec quatre groupes d’acteurs:

  • « les fournisseurs de contenu constitué par les médias et les individus qui créent l’information (…),
  • les publicitaires (…),
  • les consommateurs : il s’agit des centaines de millions de gens qui visitent Google chaque jour. Leurs recherches révèlent leurs intérêts (…), ils fournissent des idées pour des améliorations (…)
  • les innovateurs » : à travers la plate-forme Google, ils constituent un réseau de développement qui attire de nombreux usagers qui veulent essayer les nouveaux produits. Ils contribuent à générer du revenu et à accroître la valeur des outils et de la technologie de Google. (Denning et Dunham, 2010, p. 300)

Dans la même perspective, des auteurs tels que Galibert et alii (2012, pp. 211 et sq.) décrivent comment le Web devient un nouvel espace de démocratisation de l’innovation. Deux dimensions sont identifiées : celle d’une infrastructure collaborative ouverte permettant une conception distribuée, dans le prolongement de modèle d’innovation ascendante (Cardon, 2005) avec des processus de partage de connaissances et d’intelligence collaborative, et d’autre part la sous-traitance de projet, avec l’appel à des compétences externes dans une logique d’open innovation, décrite comme une conception assistée par l’usage. Galibert et alii (p. 214) décrivent les tensions existantes entre les processus d’activité des entreprises et ceux des communautés. Les tensions « entre bazar et cathédrale » sont fortes : d’un côté « on observe une forte prescription hiérarchique de l’entreprise, une coordination verticale de son organisation. Cette verticalité est caractérisée par des process rigides, formalisés et hiérarchisés. En face, les communautés web revendiquent une organisation plus libre, moins ordonnée, sans hiérarchie formelle ; une organisation plus horizontale laissant l’activité des internautes libres ».

À l’issue de cette présentation, nous voudrions souligner que ce ne sont pas les modèles originels d’innovation qui étaient inadaptés. Le modèle du technology push de Joseph A. Schumpeter a été hégémonique durant une grande partie du XXe siècle. Ce modèle était alors pertinent. Nous avons montré comment l’innovation est devenue de plus en plus complexe, alimentée à la fois par les ingénieurs, mais aussi de plus en plus par les usagers. Si, indéniablement, l’innovation a pu d’abord être considérée comme poussée par la technologie et la science, il est clair qu’aujourd’hui l’innovation est de plus en plus une question d’information et de communication, incluant la communication-relation. Son succès dépend aussi des médias et des nouveaux médias, en particulier d’Internet. Le modèle communicationnel de l’innovation doit aujourd’hui prendre en compte les  apports des usagers. « Des innovations remarquables viennent de réseaux sociaux spontanés de gens qui utilisent Internet pour communiquer et se coordonner. En faisant cela, ils défient la sagesse conventionnelle selon laquelle l’innovation doit être managée » (Denning et Dunham, 2010, p. 343, notre traduction). Il est clair que les « social technology » bouleversent non seulement les usages sociaux, mais aussi les dimensions économiques et managériales, y compris dans le champ de l’innovation. « Aujourd’hui, plus de 1,5 milliards de gens ont, au niveau mondial, un compte sur un site de réseau social, et presque une heure sur cinq heures passées en ligne est passée sur les réseaux sociaux, avec une tendance croissante à travers les mobiles. En 2011, 72 % des entreprises enquêtées ont indiqué qu’elles utilisaient des technologies sociales pour leurs affaires et 90 % de ces entreprises déclaraient qu’elles voyaient des avantages à cela » (Mc Kinsey, 2012, p. 1, notre traduction).

Conclusion : pour une approche communicationnelle et sociale des processus de ré-innovation numériques

En un peu plus d’une décennie les bouleversements ont été majeurs et sont en cours, en liaison avec le Web et Internet. Le modèle communicationnel de l’innovation se situe dans le contexte suivant :

  • du point de vue technologique, nous assistons à une éclosion d’innovations, avec, outre les technologies numériques et le Web 2.0, les avatars, les mobiles, les identités numériques, l’essor des nanotechnologies etc.,
  • dans le même temps, les approches de l’innovation doivent être interdisciplinaires et mobiliser l’économie, le management, la sociologie, les sciences de l’information et de la communication…

Cette conclusion s’appuiera de façon synthétique sur le bilan théorique interdisciplinaire que nous avons proposé et mettra en lumière trois apports principaux :

1 – Un nouveau modèle d’innovation est à l’œuvre, fondé sur les processus de ré-innovations numériques, que nous définissons comme des combinaisons nouvelles de facteurs d’information.

Schumpeter définit l’innovation comme combinaisons de facteurs. Implicitement il s’agit évidemment principalement des facteurs de production. Comme l’indique Eric von Hippel, le modèle d’innovation de Schumpeter est un modèle de « producteur » (Eric von Hippel, 2013, p. 117).

Nous proposons une nouvelle définition, adaptée à la société contemporaine. Dans cette société, l’activité d’innovation devient, de façon croissante, le fruit de combinaisons non pas de facteurs de production mais de facteurs d’information (par la suite, de façon simplifiée, on parlera de combinaisons d’informations). Si l’on combine de façon nouvelle des informations pour la santé, pour l’éducation… il est possible d’introduire des innovations très importantes. Les caractéristiques de l’économie numérique montre que les coûts de ces nouvelles combinaisons peuvent être extrêmement limités. Or, pour mettre en place de nouvelles combinaisons d’information, la communication-relation est essentielle.

Une connaissance des technologies est, bien sûr, une base fondamentale pour appréhender nombre d’innovations, mais il faut aussi aujourd’hui décrypter les nouveaux processus informationnels et communicationnels liés à Internet qui façonnent nos sociétés. Internet, les réseaux sociaux… ont en effet un impact sur certains processus d’innovation. Il ne faudrait pas tirer de cette présentation l’idée que les anciens modèles de l’innovation, comme celui du technology push, sont totalement dépassés. Les différents modèles coexistent, mais la logique communicationnelle de l’innovation prend une nouvelle place. Il nous semble qu’une distinction majeure doit être faite entre les innovations à base technologique importante (qui impliquent des investissements lourds et planifiés sur une longue période) et les innovations à base numérique qui peuvent se faire simplement à travers des nouvelles idées, des nouvelles combinaisons d’acteurs, des innovations incrémentales portant sur des logiciels ou de nouvelles relations humaines. Cette dernière catégorie d’innovation ne mobilise pas des investissements importants et peut se faire dans un délai relativement bref. Si Everett Rogers a introduit l’idée de réinvention, nous voudrions introduire à partir du modèle communicationnel de l’innovation l’idée de ré-innovation numérique. La ré-innovation numérique indique que, pour différentes catégories d’innovation, nous ne sommes plus dans cette perspective du technology push, dans laquelle les innovations sont liées à de grands paradigmes technologiques et à des trajectoires technologiques irréversibles. Le chemin de l’innovation, dans un certain nombre de cas, est flexible, adaptatif, spontané, voire marqué par la sérendipité. Ikujiro Nonaka (1991, p. 164) souligne la caractéristique de sérendipité de l’innovation. Créer une nouvelle connaissance ne revient pas à mettre en œuvre une procédure objective pour traiter l’information. Cela dépend plutôt des relations tacites et des points de vue subjectifs et des intuitions des individus. Selon Ikujiro Nonaka, la clé de tout cela est l’engagement individuel des employés. Le rôle des individus est d’autant plus important que le capital mobilisé pour une innovation peut être limité dans le contexte numérique. Précisons notre analyse : nous reprenons la logique de Carl Shapiro et Hal Varian (notons que ce dernier est aujourd’hui l’économiste en chef de Google). Ces auteurs montrent que, dans l’économie numérique, ce qui coûte cher c’est la fabrication du premier prototype, et qu’ensuite les nouveaux biens peuvent être produits pour un prix quasiment nul. Notre analyse consiste à considérer que cette logique est particulièrement pertinente pour différentes catégories d’innovation se situant dans le domaine numérique. Par exemple, lorsque des bases de données sont produites, les internautes peuvent se les approprier et proposer des innovations sociales pour un coût marginal quasi-nul. Dès lors, et dans la logique d’Ikujiro Nonaka, la dimension communicationnelle et sociale de l’innovation devient cruciale. La communication-relation doit être mise au premier plan pour favoriser l’innovation. L’idée de modèle communicationnel montre le renversement d’analyse pour certaines catégories d’innovation. Alors que les théories de l’usage montrent comment les usagers détournent, bricolent, rusent en s’adaptant à l’innovation imposée dans une logique technology push, nous mettons en exergue le rôle nouveau des acteurs : ils peuvent toujours adapter certaines innovations à leurs besoins, mais, surtout, ils sont susceptibles de devenir des acteurs impulsant l’innovation. Cependant, pour le moment, l’opposition entre le bazar et la cathédrale met en lumière la difficulté de la mise en œuvre de ce modèle communicationnel. La cathédrale implique des règles issues de la logique du technology push. Alors que le bazar, au contraire, reste sans hiérarchie et règles formelles ! De notre point de vue, le modèle communicationnel de l’innovation se développe, par exemple, autour de données numériques (cela peut être des « data », mais aussi des photos, des images, des dessins, etc.), mais aussi à l’intersection d’une communication-relation entre les individus et de l’exploitation de nouvelles combinaisons de facteurs d’information. La communication-relation est au cœur du système dans le sens indiqué par Ikujiro Nonaka, à savoir l’engagement positif des individus, et dans le sens de Dominique Cardon, à savoir des logiques ascendantes. Dès lors, émerge non plus seulement l’idée d’usagers qui s’approprient des technologies et qui réinventent des usages, mais d’acteurs qui sont susceptibles de faire de véritables ré-innovations numériques. À partir d’une base de données des ré-innovations numériques peuvent, par exemple, être faites sur la base de mises en relation de certaines données. Alors que les données sont aujourd’hui, souvent, propriétés des entreprises (dans la logique du technology push et du modèle émetteur de l’innovation), elles pourraient être appropriées par les usagers susceptibles de réinventer de nouvelles combinaisons de données, afin de produire de nouvelles innovations pour des coûts incrémentaux très faibles. Prenons un exemple où des panels d’usagers sont mis en place. Si les usagers prennent connaissance des informations accumulées sur des questions de santé, ou sur leurs habitudes de consommation, ils sont en mesure de proposer des ré-innovations autant et probablement plus que les managers ou informaticiens en charge de la gestion des bases de données. Il est d’ailleurs à noter que nous avons évoqué la rupture avec le modèle de technology push attribué à Joseph A. Schumpeter ; mais il ne faudrait pas oublier que cet auteur considère l’innovation dans une acception large et féconde. De nouvelles organisations, favorisant de nouvelles relations entre les individus, dans le sens de la ré-innovation numérique que nous avons introduite, entre dans la définition générique de l’innovation donnée par Joseph A. Schumpeter.

2 – Les modèles d’open innovation ou d’users sont dominés par le technology push et impulsés en fonction des objectifs des entreprises.

Les modèles d’open innovation et d’users (nous gardons le terme anglais users pour bien signaler qu’il s’agit d’usagers au sens de von Hippel et non pas des usagers, au sens de l’école de la sociologie des usages) mettent au premier plan les entreprises et les users. Les auteurs de référence de ces deux modèles sont Henry Chesbrough (2006) et Eric von Hippel (1998, 2005, 2013). Il est utile de définir précisément ces deux modèles pour expliciter comment notre approche s’en distingue.

D’une part, la définition, fondatrice, de Henry Chesbrough et alii (2006, p.1, notre traduction) est la suivante : « l’open innovation est l’utilisation de flux de connaissances entrants et sortants (de l’entreprise) pour accélérer l’innovation interne et élargir les marchés pour l’utilisation externe de l’innovation. L’open innovation est un paradigme qui suppose que les firmes peuvent et doivent utiliser des idées externes aussi bien que des idées internes, des chemins internes et externes vers le marché, tandis qu’elle cherche à faire avancer leurs technologies ». D’autre part, récemment, Eric von Hippel (2013, p. 117) a introduit le modèle d’open user innovation : « dans ce second modèle, des innovations importantes d’un point de vue économique sont développées par les users et autres agents qui divisent leurs tâches et leurs coûts de développement de l’innovation et ensuite révèlent librement leurs résultats.  Les users obtiennent des bénéfices directs de leur effort collaboratif. Les autres participants obtiennent divers bénéfices tels que du plaisir, de l’apprentissage, de la réputation et une demande accrue pour des biens et des services complémentaires ». Ces travaux récents de l’innovation parlent donc notamment du modèle d’open innovation qui est principalement situé au sein des entreprises avec des modalités de création, de nouvelles coopérations avec le client ou encore de concours pour favoriser le crowdsourcing. Ainsi, aujourd’hui, de grandes entreprises organisent des concours à travers lesquels les internautes vont réaliser, par exemple, leur campagne publicitaire gratuitement.

En réalité, cette catégorie d’users est celle des techno-users : il s’agit d’users qui « baignent » dans les technologies. Nous faisons référence ici aux développeurs, aux spécialistes de l’open source et autres internautes qui ont une activité tout à fait importante dans le cadre du « bazar » ou en liaison avec les entreprises.  Ainsi, après avoir connu l’ère du technology push, nous connaissons celle des techno-users. Contrairement aux apparences, le modèle actuel de l’innovation (fondé sur l’open innovation et sur la logique de l’user) est en réalité toujours dominé par le technology push. Bien évidemment nous ne contestons ni la réalité, ni la réussite et l’importance de nombre d’innovations remarquables mises en œuvre dans un tel cadre. Mais, le potentiel des processus de ré-innovations numériques doit pouvoir prendre de nouvelles directions.

3 – Le modèle communicationnel et social, référence pour définir de nouveaux processus de ré-innovations numériques ?

L’innovation doit pouvoir répondre à des gammes de besoins différents, comme ceux de la personne âgée, de l’élève en difficulté, du malade, du handicapé… Dans ce cadre, les usagers doivent être sollicités de façon intense, et selon de nouvelles modalités qui restent à définir. Les nouvelles combinaisons d’informations sont susceptibles d’émerger grâce à une nouvelle communication-relation. La communication-relation et les usagers (au sens de la sociologie des usages) sont en effet au cœur d’une logique susceptible de redéfinir de la façon la plus efficace possible des combinaisons d’informations, notamment en dehors des entreprises.

Alors que le modèle du technology push domine tout le XXe siècle et reste encore prégnant, alors que les modèles d’open innovation et de l’user ont une importance croissante incontestable, les possibilités des ré-innovations numériques n’ont pas encore été exploitées pour inclure et s’appuyer sur la plus large partie possible d’usagers, celle qui n’est pas incluse dans les techno-users. Il s’agit d’aller très au-delà de programmes considérés comme démocratiques car impulsés par les usagers (en fait, ce sont des techno-users, de façon majoritaire). Citons, par exemple, le programme Midata, initié par le gouvernement Cameron en 2011 (pour convaincre les entreprises de partager leurs données avec leurs clients) et du mouvement lancé par la Fing « rendez-moi mes données » (sur ces points voir Frédéric Kaplan, 2013, p. 60; et, pour une réflexion sur l’innovation, les problèmes de vie privée et les données, voir Patrick Badillo, Sami Coll et Virginie Zimmerli, 2013). Si ce programme et ce mouvement mettent l’accent sur les usagers, ils sont impulsés par des techno-users, alors que l’enjeu beaucoup plus large est d’introduire une approche communicationnelle et sociale des innovations.

En effet, selon notre approche, la mer des ré-innovations numériques est presque sans limite (nous adaptons à notre propos une image suggérée par Joseph Schumpeter « Les possibilités technologiques peuvent être comparées à une mer dont la carte n’a pas été dressée » (1942, p. 118 ; trad. française, p. 167). Pour naviguer dans cette mer en direction de nouvelles catégories d’usagers, et limiter les fractures (qui s’approfondissent si les innovations sont uniquement impulsées par les techno-users), il faut prendre en compte l’intérêt d’une théorie de l’innovation communicationnelle, fondée sur la communication-relation, qui est alors essentielle. Bien évidemment une telle théorie conduirait à définir des programmes d’innovation sensiblement différents de ceux qui sont actuellement impulsés, par exemple à travers l’ « innovation union ».

La communication-relation est liée à la qualité, à la convivialité des relations entre les individus. « Finalement, la pensée fondamentale derrière le monde de l’Internet est ce que Illich a appelé la convivialité (Illich, 1973). La participation individuelle et la propriété commune de nouveaux concepts et de nouvelles idées sont très importantes dans le nouvel âge global de l’information. Sur la base de cette philosophie, à la fois les pays avancés et les pays en développement ont à créer leur société pour le XXIe siècle » (Kagami, 2003, p. 37, notre traduction). Les modèles de l’innovation impliquent des communications-relations de qualité pour fonder des innovations sociales dont les combinaisons, dans le contexte digital, sont variées, peu coûteuses et susceptibles de grands progrès. Encore faut-il être en mesure d’en décrypter les mécanismes afin de stimuler les horizons de créativité permise par les modèles communicationnels de l’innovation.

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Auteur

Patrick-Yves Badillo

.: Patrick-Yves Badillo est professeur en poste à l’université Stendhal Grenoble 3 (UFR des Sciences de la communication), directeur de l’axe Industrialisation de la culture, de l’information et de la communication, GRESEC, actuellement en détachement et professeur ordinaire à l’Université de Genève, directeur de l’Institut de la Communication, des Médias et du Journalisme, Medi@LAB-Genève.