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Multimédia et web 2.0 : entre pratiques éditoriales et industries créatives

16 Déc, 2011

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Paquienséguy Françoise, « Multimédia et web 2.0 : entre pratiques éditoriales et industries créatives« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/2, , p.3 à 10, consulté le mardi 23 avril 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/dossier/01-multimedia-et-web-2-0-entre-pratiques-editoriales-et-industries-creatives/

Introduction

Le terme « multimédia » a été utilisé dès la fin des années 80(1) du siècle dernier pour qualifier des contenus ou des services interactifs « utilisant le seul support numérique, pour le traitement et la transmission de l’information sous toutes ses formes : textes, données, sons, images fixes, images animées réelles ou virtuelles » (Théry, 1994 : 127). Le multimédia se structure alors dans un contexte socioéconomique très particulier fait de déréglementation, privatisation, porteur des premières technologies de l’information et de la communication numériques (TICN), et témoin de l’informatisation et de l’individualisation des pratiques… Le multimédia s’incarne alors principalement dans des produits disponibles sous forme de CD-Rom dont les contenus et les accès exploitent avant tout les prouesses de la numérisation des données.
Cette première période de « recherche et développement » du multimédia est donc sous-tendue par deux quêtes, celle de la performance technologique et celle de la créativité illimitée, portées et forcées par les industriels, comme Apple ou Microsoft ; les éditeurs comme Hachette ou Living Books ; et dans un troisième temps par certaines institutions, comme la Réunion des Musées Nationaux (RMN), l’Inathèque ou la Bibliothèque Publique Information (BPI) du Centre Georges Pompidou, par exemple. Le multimédia s’y trouve totalement dispersé, dans bien des directions, selon que l’une ou l’autre des quêtes progresse ou expérimente, souvenons-nous par exemple des fictions narratives conçues par ordinateur (Renga de Jean-Pierre Balpe), des moteurs comportementaux (Le jeu The Insiders),  des premières interfaces totalement graphiques (Le Dragon aux 10 000 icônes de Michel Jaffrenou), des visites guidées introductives en trois dimensions (CD-Rom Le Louvre), de la rupture de la linéarité (Orange, premier roman interactif pour Minitel conçu en 1984)… Des thèmes forts se dégagent de ces premiers travaux, comme celui des écritures qui taraude l’Ina par exemple (2),  (O. Koechlin) ; celui des jeux vidéos qui se légitiment (Le Diberder) ; celui du virtuel (P. Lévy) et de la virtualisation dont les artistes se saisissent très vite. Le multimédia commence alors à coloniser alors plusieurs secteurs d’activité : les loisirs, l’éducation, la culture, l’auto-apprentissage, l’art… Il s’immisce partout. Effervescence et productivité qui conduisent à des concrétisations et des conclusions diverses, cependant vite occultées par la montée en puissance du réseau Internet, et l’explosion de l’interactivité suite au lancement du World Wide Web à partir des années 1995/1997. La technologie rattrapait l’imaginaire et le réseau supplantait le multimédia : « la vision était réalisée » (Le Diberder, 2006 : 34).

Figures récurrentes du multimédia contemporain

En 2011, le dossier des Enjeux de l’information et de la communication cherche justement à faire le point sur le(s), les multimédia(s) contemporains en privilégiant le regard des Sciences de la Communication sur cet objet, tout à la fois devenu plus présent dans nos pratiques quotidiennes et plus discret dans nos questionnements scientifiques. Les cinq propositions retenues suite à l’appel de la revue revisitent le multimédia, le redécouvrent au fil d’Internet. Elles donnent à voir ce qu’il est aujourd’hui et comment il se structure, autour des pratiques et non plus des techniques. Chacune à leur façon, elles évoquent trois éléments récurrents, en totale continuité avec les premiers questionnements évoqués plus haut, abordés ici.

L’Interactivité

Depuis plus de dix ans, nous tenons une position très claire sur la distinction à opérer entre l’interactivité et le multimédia (Séguy, 1999 : 74-80) qui fait de la première une intelligence d’accès reposant sur une structure conceptuelle de l’ensemble des contenus, dont  l’hypertexte, le multicritères ou l’arborescence sont emblématiques ; et du second un mode d’agencement des vecteurs de transmission de ces contenus qui caractérise leurs concrétisations sensibles (images, son, animation, 3D…). Scission et complémentarité que Broudoux retravaille à propos des web-documentaires qu’elle définit comme « un documentaire réalisé en vidéos, en bandes sons, en textes et en images, dont la scénarisation tient compte de l’interactivité dans la fragmentation des récits et dans l’interface graphique et qui s’insère dans un dispositif personnalisant la communication avec l’internaute (réseaux sociaux, commentaires, etc.) ». En effet, dans un premier temps cette analyse des web-documentaires fait ressurgir les éléments clefs de l’interactivité comme les parcours multiples, les niveaux de l’arborescence, ou encore les menus hypertextuels, mais les spécificités du corpus étudié la conduisent dans un deuxième temps à dépasser ces fondamentaux pour lier le dispositif narratif interactif et son interface aux internautes.
L’interactivité aurait-elle évolué, non pas au regard des améliorations techniques qu’elle a connues, mais au regard de ses producteurs et de ses usagers ? Broudoux pose justement la question des caractéristiques de ces internautes qui sont pour elles des digitals natives, coutumiers du « visionnage » sur un écran d’ordinateur, en faisant sienne l’idée de Jenkins d’un changement dans les modes de consommation des médias. De même, elle tente de cerner les caractéristiques des auteurs de web-documentaires déjà porteurs de savoir-faire et de références professionnelles selon qu’ils s’affichent comme photographes, documentaristes ou journalistes ; leurs aptitudes et penchants les conduiraient à développer des pratiques « de production créative » que nous qualifierions également d’éditoriales, nous y reviendrons.
Creusant le même sillon, « d’une culture Internet » qui magnifie la co-conception et la créativité illimitée, et qui marque les pratiques comme les productions numériques, Croissant et Touboul font l’hypothèse que leur échantillon d’artistes professionnels à l’œuvre dans les réseaux sociaux, fait montre de compétences en termes d’interactivité. Celles-ci formeraient le socle indispensable à la mise en scène et à la valorisation de l’artiste et de son œuvre, pour « être remarqué et être remarquable » dans les réseaux sociaux numériques de créateurs. Actives, ces compétences vérifieraient une exposition, une personnalisation de l’identité artistique de l’auteur ; partielles ou absentes elles témoigneraient des difficultés, ou de l’incapacité de l’artiste à construire son identité numérique de créateur. Ces auteurs renforcent donc l’idée que l’interactivité est un outil aux services des productions multimédias, un outil d’importance dont elles font un des présupposés de la création. L’interactivité devenue compétence des producteurs et des consommateurs de contenus multimédias, constitue alors un des composants de l’écriture, d’une écriture dont les techniques, les genres et les formats se stabiliseraient pour Broudoux.

L’Écriture

L’écriture et seulement elle, sans qualificatif complémentaire, car c’est l’écriture avant tout qui fait question : « Le multimédia permet-il d’ouvrir des possibles pour l’écriture ? » (Bouchardon et alii). Question récurrente depuis presque 20 ans à la suite d’un numéro thématique (3) des Dossiers de l’audiovisuel, qui a fait date. En effet, les médias et industries culturelles traditionnels ont toujours confié l’écriture à des professionnels, qu’ils soient journalistes, compositeurs, réalisateurs ou écrivains, tous spécialistes d’un genre dans leur catégorie professionnelle et produisant tous en référence à des codes et des pratiques éditoriaux défini par le média, ou la filière. Ces conditions d’écriture ont à la fois spécifié et contraint les pratiques et les modalités d’écritures, toutes sensées vérifier un genre et s’inscrire sur un support particulier. Sans référence aucune à la notion de convergence des industries de la communication telle que le MIT (4) la faite connaître, le multimédia bouscule ces frontières, les dispositifs numériques juxtaposent et mêlent des contenus et productions de moins en moins spécifiques à un secteur particulier. En la matière, le poids des recherches de l’Ina ne doit pas être négligé, car depuis les années 1980 (en association avec le Cnet et Canal+ (5)) cette institution interroge ces « nouvelles écritures » à l’intersection de l’audio-visuel, de la numérisation et du réseau d’un point de vue professionnel. C’est d’ailleurs sur la base d’une production récente de l’Ina, que Bouchardon et alii avancent l’hypothèse que l’écriture multimédia fait sens à partir d’éléments préexistants pour lesquels elle constitue une nouvelle éditorialisation. Cette idée d’un transfert, source d’enrichissement se trouve également chez Dupuy-Salle, pour qui le multimédia, dont le genre n’est pas défini, élargirait les pratiques d’écritures en cumulant l’écriture de référence (le cinéma et la vidéo dans son étude) à celle des outils et services de l’interactivité (les blogs dans son cas). Les pratiques d’écritures de références, ici souvent maîtrisées par les cinéphiles ordinaires qu’il observe et interroge, s’entremêlent alors avec les pratiques scripturales forgées dans et sur Internet.
L’écriture numérique s’en trouve alors augmentée sur la base d’une inclusion, d’une inscription des pratiques éditoriales de référence, comme en témoignent dans les articles qui suivent les web-documentaires : porteurs d’un nouveau genre éditorial, ou les blogs de cinéphiles : lieux de dépassement des pratiques d’écritures de blog, élargies par la vidéo, par les dynamiques du lien et surtout par la visée éditoriale qui les génère, ou encore les réseaux sociaux. Mais l’écriture elle-même est source d’augmentation, à l’instar de la 3D qui augmente la réalité… lorsqu’elle fédère et unit des ressources diverses, interchangeables, auxquelles elle donne une autre dimension, multimédia, comme dans les Fresques Hypermédias de l’Ina qui lient pratiques d’écriture et pratiques éditoriales dans une logique de re-exploitation des ressources archivées. Ces pratiques éditoriales couplant Multimédia et Internet seraient donc innovantes à la fois, parce qu’elles se montrent plus riches et plus complexes que celles qui s’étaient fixées sur un seul support ou média de référence, en réseaux elles sont déjà inscrites dans des processus de médiatisation  ; parce qu’elles se veulent accessibles à tous, amateurs comme professionnels, assidus comme dilettantes, experts comme néophytes, par la double mise à disposition des outils de création et de diffusion et des contenus, souvent préexistants nous l’avons dit ; et parce qu’elles reposent sur des formes d’écriture numérique en conformité avec ces caractéristiques. Ainsi structurée par une écriture spécifique, l’expression multimédia se développe dans des espaces numériques de médiation portés par le Web 2.0 avec lequel elle entre en synergie, d’autant plus et d’autant mieux que les stratégies industrielles l’y engagent, nous le verrons en conclusion.

La Médiation

Croisée avec le multimédia la question nous paraît nouvelle et centrale pour l’ensemble des auteurs de ce dossier. L’idée que nous en retenons est que les outils participatifs d’Internet, qui incitent l’internaute à être tout à la fois acteur, auteur, lecteur, producteur, diffuseur…, seraient le lieu d’exercice permanent d’une médiation entre les dispositifs techniques, les internautes dans toute la diversité de leurs statuts, et les contenus sur la base de pratiques éditoriales collaboratives. Le web social (Millerand, Proulx, Rieff, 2010) serait donc le support idéal du multimédia tout public, premièrement car les plateformes participatives valorisent les contenus multimédias dont elles facilitent et pérennisent l’accès (Pirolli et Pirolli) ; deuxièmement, car elles imposent leurs règles et formats d’expression (Croissant et Touboul) qui façonnent les productions et les incitent au multimédia  ; troisièmement, car ces nouveaux formats (le blog, le tweet, le mur…) ouvrent sur une très grande liberté éditoriale (Dupuy-Salle), processus qui impose de revisiter les logiques d’usages tant en consommation qu’en production ; quatrièmement, car les réseaux sociaux se perçoivent comme des espaces de négociation obligatoire entre les auteurs/producteurs qui y construisent et y jouent leur identité numérique et les internautes (Croissant et Touboul), fussent-ils les mêmes ; et enfin cinquièmement, car les deux éléments (le web social et le multimédia) reposent des productions collaboratives qui engendrent et génèrent la médiation (Bouchardon et alii), mode de fonctionnement partagé par les professionnels qui conçoivent en équipe projet multidisciplinaire,  mais aussi par les amateurs qui réagissent à leurs lecteurs et contradicteurs.
La collaboration et la négociation se jouent dans les espaces communicationnels du web2.0, comme les blogs, les plateformes collaboratives, ou les réseaux sociaux. Elles relèvent dont à la fois, du dispositif technique à l’œuvre et de la maitrise qu’en ont ses utilisateurs ; de la façon dont ceux-ci réussissent à s’extirper de leurs logiques antérieures, principalement en production en maîtrisant non seulement la technique, mais les formats et règles de l’écriture multimédia ; et de l’incitation générale à les mettre en œuvre, que Wright désigne comme « une hystérie de communication » (Croissant et Touboul).
Dans ce maelström fait de production, de sur-production, de co-production et de re-production des contenus numériques, les acteurs jouent gros, car les enjeux sont conséquents. Tout d’abord, c’est l’identité numérique qui est en jeu, car il s’agit pour les utilisateurs générateurs de contenus de défendre leur identité d’auteur, d’artiste, de professionnel, de passionné à travers leurs productions immédiatement sujettes à commentaires et évaluations via les plateformes ou les réseaux sociaux par exemple. Ensuite, ce sont à la fois la valorisation sociale, liée à la construction identitaire, et la valorisation marchande, liée à l’auteur, mais aussi aux acteurs de l’infomédiation, qui expliquent la mise en œuvre des négociations et des processus collaboratifs de production de contenus, comme on le voit par exemple sur les plateformes qui préformatent leurs informations afin que les bloggeurs n’aient qu’à les copier-coller dans leurs billets ou sites pour se les approprier.  Enfin, c’est la médiation elle-même qui s’exerce au sein de ces tendances et courants en tant qu’elle « permet de tenir à distance un déterminisme technique, tout en étant attentive au dispositif – hybride entre des objets, des textes, des humains-, qui favorise la mise en relation et la réception des objets communicants » (Caune, 2010).
Selon nous, les productions multimédias témoignent de ces processus de médiation, et à plusieurs niveaux. Premièrement, elles sont immatérielles, ne vivent que sur écran, et artificielles faites de codes informatiques alignant des zéros et des uns, ce qui provoque une tension entre la forme d’expression du contenu, spécifique, personnelle à l’auteur et la structuration du contenu, normée et formatée par les technologies numériques (Bouchardon). Notons que ce sont justement ces normes et règles qui permettent une large diffusion et circulation de ces contenus, voire leur association ou leur réemploi dans des productions multimédias. Deuxièmement, les productions multimédias sont collaboratives, et ce, depuis leurs origines, en milieu professionnel du moins. En effet,  depuis les années 90 la production multimédia professionnelle sourd d’équipes faites d’ingénieurs et d’artistes, de spécialistes des contenus et d’experts des formats, de juristes et de distributeurs qui s’inscrivent désormais dans le domaine du Digital Media Asset Management  (Pirolli et Pirolli). Ces processus de conception et de production ne sont pas sans rappeler le modèle de la traduction proposé par Callon et Latour dans les mêmes années pour décrire l’ensemble des négociations à l’œuvre entre les différentes catégories d’acteurs dans les processus d’innovation et la façon dont elles façonnent l’objet socio-technique qui en découle, porteur des médiations antérieures à sa réalisation. Toutefois, il nous semble que le multimédia accentue encore le processus de médiation d’une part, car il est lui-même « multi », c’est-à-dire composé d’éléments divers et dissemblables, cependant conçus pour faire sens en synergie, et d’autre part, car sa consommation intervient au sein d’une offre médiatique large et diversifiée dont il ne peut s’extraire. Ici la médiation croise (avec) la médiatisation.

Le multimédia : une industrie créative ?

Comme nous, le lecteur sera sans doute saisi par le leitmotiv de la créativité dans les approches des articles qui suivent, développé de bien des façons selon les auteurs. Cependant, regroupées elles permettent de traiter d’une part le caractère industriel du multimédia, et d’autre part de faire de « la créativité illimitée »  sa première caractéristique.
L’idée n’est pas inédite d’inscrire les productions multimédias, même celles des amateurs, dans un processus industriel, celui du web2.0, parfois complété par celui d’un  secteur d’activités de référence (le cinéma, l’archivage, l’art contemporain…), car généralement le secteur du multimédia ne se perçoit pas comme une activité économique en soi. Pourtant, lorsque Jenkins analyse la circulation des contenus médiatiques numériques, il considère à la fois des produits, des œuvres ou des biens multimédias et des industries multimédias. Il écrit clairement à ce sujet : « This circulation of media content  -across different media systems, competing media economies, and national borders- depends heavily on consumers active participation. » (Jenkins, 2006 : 3) et emploie alors sans réserve les termes de « multiple media platforms« , « multiple media industries » et « new media system« . Comme nous le lisons, une caractéristique forte de ce nouveau système médiatique, le multimédia, repose sur la participation de l’internaute à la production et à la consommation de ces contenus ; participation, qui porte simultanément l’inégalité, certains étant plus actifs ou créatifs que d’autres, et la consommation partagée dont elle se nourrit, pratique grandement facilitée par les nouveaux réseaux de médiatisation (Paquienséguy, 2010 : 14-15).
Dans le contexte actuel du web2.0, les internautes se trouvent donc positionnés comme générateurs de contenus. L’expérience a débuté par les échanges peer to peer et les blogs, aujourd’hui elle s’intensifie avec les réseaux sociaux, et avec les plates-formes participatives.  Au fil de ces développements, l’internaute dispose d’outils et de services toujours plus nombreux, orientés vers la production, l’échange et la mise en commun de contenus très différenciés. Le processus a fait basculer l’usager d’une position de consommateur d’informations, de passeur de contenus issus de prestataires professionnels, selon les modèles portés par les mass médias et les industries culturelles, à une situation décalée dans laquelle, tout en conservant la première, il en endosse une seconde en maîtrisant une partie de la production de contenus, (en transformant son compte Facebook en  book d’artiste par exemple) et en intervenant sur les contenus des autres au travers des wiki par exemple.  Ce rôle actif et participatif de l’internaute repose en partie sur sa propre créativité, mais s’explique surtout par le renversement du rapport de force Créatifs/Industriels opéré par les industries créatives. Elles transfèrent la créativité de l’offre industrielle vers les individus, les petites structures ou les start-ups et visent à l’exploitation de la créativité de tous indépendamment du statut et des compétences de chacun (Croissant et Touboul). Ce transfert induit une mise en lumière des créatifs, que le buzz du réseau magnifie ou massacre comme en témoignent par exemple les concours de conso-créateurs qui incitent à la création multimédia (Pirolli et Pirolli), ou encore les réseaux sociaux numériques qui valorisent la créativité des internautes. Ce déport encourage l’accès à la créativité par une mise à disposition des outils et des réseaux de diffusion sans toutefois être capable de la générer, comme l’illustrent les web-documentaires qui s’inventent en cherchant leurs formes et formats et se constituent progressivement en genre éditorial (Broudoux). Ainsi, la production de contenus multimédias, hétéroclites redisons-le, s’intègre totalement dans les stratégies des industries créatives à la recherche de ces mouvements créatifs et tentatives d’innovation, souvent exprimées par les vocables de web innovant ou social.
Mais au-delà de ce transfert, les industries créatives reposent également sur des biens, des contenus et des services, souvent intangibles et toujours symboliques, comme la communication. Intangibles parce que numériques. Bouchardon et alii insistent sur l’abstraction logique que représente le numérique : concrètement il n’existe pas. Ainsi, des traces numériques s’affichent qui ne sont pas les choses, qu’il s’agisse d’identité, de sociabilité, de communication, de valorisation, ou de création. Le multimédia n’est qu’artifice, la page-écran elle-même n’a pas de réalité autre que calculée et numérique. Dynamique, elle est générée par des bases de données à chaque requête et consultation, Dupuy-Salle parle d’ailleurs de logique de collage et de dynamique du lien pour aborder ces productions aux formes innovantes. Symboliques parce que culturels. Les biens culturels sont symboliques parce qu’ils instituent un patrimoine commun, parce qu’ils fondent l’identité (Camors, Soulard, 2010 : 16). Ils correspondent à des « produits symboliques comme le théâtre, la danse, les arts visuels ou les programmes de radio et de télévision » (Sapoval, 2008 : 7), et s’associent à des « services symboliques comme les services touristiques, le théâtre, la publicité ou programmes de radiodiffusion » (Sapoval, 2008 :56).  Le multimédia n’y déroge pas et manifeste une dimension symbolique dont les auteurs qui suivent témoignent : qu’il s’agisse de services mis à disposition par les fournisseurs d’accès, les hébergeurs de blogs, ou les entreprises et institutions présentes via des portails ou des plateformes participatives ; qu’il s’agisse des espaces ouverts à la créativité et au multimédia en relation avec le cinéma (Dupuy-Salle), l’art contemporain (Croissant et Touboul), le documentaire (Broudoux), la radio (Bouchardon et alii) ou de la musique (Pirolli et Pirolli).

Le multimédia reposerait donc sur deux niveaux d’interaction porteurs de créativité : tout d’abord, nous remarquons un niveau endogène qui résulte de sa propre conception visant à associer des contenus, des liens selon les règles du format et du genre, sous le contrôle partiel du concepteur d’une part et sous l’action de l’internaute consommateur d’autre part, l’ensemble étant formaté par le dispositif technique qui en permet l’accès. Ensuite, nous notons un niveau exogène basé sur une interaction effective entre la combinatoire calculée du dispositif technique lui-même (la plateforme par exemple) que seule la programmation systématique d’une base de données maîtrise, mais qui dégage du sens (les bannières publicitaires ; les pop-up par exemple) et le bien multimédia dont le sens se construit dans un univers lui-même signifiant et incitatif.

Notes

(1) il aurait été lancé officiellement par Bill Gates, fondateur de Microsoft, en 1986, lors de la première conférence internationale sur le Compact Disc Read Only Memory (CD-ROM).

(2) L’Ina développe en 1999 le projet »Village de l’innovation » pour étudier les écritures multimédias et interactives.

(3) Les Dossiers de l’Audiovisuel, novembre 1995, n° 64 « Multimédia : l’écriture interactive».

(4) Principalement portées par Négroponte dans les années 1984/1986.

(5) Le Feuilleton/Jeu Shanghai – Paris  a été conçu et réalisé par l’INA  en collaboration avec le Cnet et diffusé de nuit en 1984 par Canal Plus : ce jeu était exploité sur support audio-vidéographique -norme alphamosaïque- avec une connexion nocturne à un serveur vidéotex.

Références bibliographiques

Camors C. et Soulard O. (2010), Les Industries créatives en Île-de-France : un nouveau regard sur la métropole », Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Île-de-France, Département Économie et Développement Local

Caune J. (2010), « Les territoires et les cartes de la médiation ou la médiation mise à nu par ses commentateurs », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2010-dossier/Caune/index.html

Jenkins H. (2006), Convergence culture. Where new and old media collide, New York, New York University Press

Le Diberder A. (2006), « Histoire du multimédia : un succès et deux enterrements », Hermès n°44,  pp.33-39

Millerand Fl., Proulx S., Rueff J. (2010), Web Social –  Mutation de la communication, Montréal : Presses de l’Université du Québec.

Paquienséguy, F. (2010), « La notion d’usage est-elle stratégique pour les industries créatives ? » in Bouquillion Ph., Combès Y. (dir),  Les Industries créatives, Tic et Société, http://ticetsociete.revues.org/

Sapoval Y-L., (2008), Les activités créatives, les industries culturelles et les villes, délégation interministérielle à la ville, délégation Ville, Éditions de la DIV 

Séguy F., (1999), Les produits interactifs et multimédias  Méthodologies – Conception – Écritures, coll. La Com en Plus, Presses Universitaires de Grenoble, 120 p.

Théry G. (1994), Rapport au Premier Ministre : Les autoroutes de l’information, Paris, La Documentation française, 27 p.

Auteur

Françoise Paquienséguy

.: Françoise Paquienséguy est professeur de Sciences de l’information et de la communication à l’UFR Culture et Communication de l’Université Paris. Elle est actuellement chercheur au Centre d’études des médias, des technologies et de l’international, et également rattachée à la MSHPN. Elle a travaillé sur le multimédia de plusieurs façons. En tant qu’enseignante, et en tant que chercheur. En 1999, elle a créé et dirigé ensuite jusqu’en 2004, l’axe EMIPU du Gresec consacré aux Écritures multimédias et Interactives : production et usages. Elle a publié un premier état de sa réflexion dans un ouvrage intitulé Les produits interactifs et multimédias Méthodologies – Conception – Écritures, paru aux Pug en 1999. Elle a participé et conduit plusieurs programmes de recherches sur les écritures interactives, dans les productions éducatives principalement. Elle a aujourd’hui élargi sa thématique de recherche aux usages des Technologies de l’information et de la communication numériques, qu’elle analyse selon différentes approches, du champ éducatif aux start-ups innovantes, en passant par les Industries créatives.