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Les OGM sur les ondes béninoises : analyse d’un débat délocalisé et à distance

30 Déc, 2010

Résumé

Cet article présente quelques résultats issus d’une recherche plus globale ayant porté sur le traitement des thématiques environnementales dans les radios généralistes au Bénin. Il s’intéresse notamment à la couverture médiatique consacrée au « débat » sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Avec une approche socio-sémiotique s’inspirant des travaux de Goffman (1991) et de Benveniste (1974) et une démarche comparative, cette étude fait le choix de l’analyse des stratégies énonciatives des principaux acteurs du « débat » en question.

In English

Abstract

This article presents some results of a more comprehensive research concerning the treatment of environmental issues in non-specialized radios stations in Benin Republic. It is particularly focused on the media coverage of the « debate » on Genetically Modified Organisms (GMOs). Based on a socio-semiotic approach inspired by the work of Goffman (1991) and Benveniste (1974), and on a comparative approach, this study proposes to analyze the enunciative strategies of the main actors of « debate » under question.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Assogba Henri, « Les OGM sur les ondes béninoises : analyse d’un débat délocalisé et à distance », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°11/1, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2010/varia/02-les-ogm-sur-les-ondes-beninoises-analyse-dun-debat-delocalise-et-a-distance

Introduction

Longtemps présentés comme des objets scientifiques et débattus entre « experts », les organismes génétiquement modifiés (OGM) suscitent de plus en plus un profond débat social. Parmi les nombreux acteurs qui ont contribué à la publicisation des questions concernant les OGM, les médias traditionnels d’information sont régulièrement cités. Par le biais des panoplies de cadres et des schèmes d’interprétation qu’ils véhiculent, les médias, selon Rémy Rieffel (2005, p. 252), détiennent indéniablement (aux côtés d’autres instances ou groupes de pression) un pouvoir de définition de la réalité qui évolue dans le temps en fonction notamment des capacités de mobilisation des publics. Dans les pays en développement, les termes du débat sur les OGM se cristallisent souvent (avec des « pour » et des « contre ») autour de l’argument selon lequel les biotechnologies sont incontournables pour augmenter la productivité de leur agriculture tout en apportant une réponse efficace aux situations d’insécurité alimentaire. Pour peu qu’on décide d’aller au-delà de cet argumentaire suffisamment ressassé, on se rend compte que le débat sur les OGM en Afrique subsaharienne est une sorte de délocalisation du débat sur les OGM entre l’Europe et les Etats-Unis. C’est du moins l’hypothèse que je formule dans cet article, à travers une analyse comparée des stratégies énonciatives des acteurs de ce débat sur les ondes béninoises. Outre la dimension sociopolitique des médias d’information, l’originalité de cette étude réside dans l’intérêt porté aux médias africains et plus spécifiquement l’analyse du discours radiophonique autour d’une thématique particulière traitée dans une langue (le français) qui tout en ayant un statut officiel n’est pas la langue maternelle des journalistes et de leurs publics.
Mais avant d’en venir aux ancrages théoriques et choix méthodologiques qui sous-tendent cette analyse, je fais d’abord une présentation sommaire de l’état de la question des OGM au Bénin (1).

Présentation du contexte : l’émergence de la thématique des OGM au Bénin

De retour du sommet de Rio, le Bénin a ratifié en 1994 la Convention sur la diversité biologique avec comme point focal au niveau national chargé de sa mise en œuvre le tout nouveau ministère de l’Environnement créé trois ans plus tôt. C’est donc ce ministère qui est habilité à traiter des questions relatives aux OGM. Même si, paradoxalement dans les faits, les utilisateurs potentiels et les importateurs des OGM dépendent d’autres départements ministériels comme ceux de l’agriculture, du commerce, de la santé ou de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. C’est en se basant sur des dispositions d’une législation environnementale internationale (notamment l’article 13 de la Convention sur la diversité biologique et l’article 23 du Protocole de Cartagena sur la biosécurité) que des Organisations non gouvernementales (ONG) béninoises travaillant dans ces domaines ont introduit la question des OGM dans la sphère publique. Ces premières actions ont bénéficié, à l’origine, des financements de l’Union Européenne (UE) qui, faut-il le rappeler, entretient des rapports privilégiés (accords douaniers particuliers) avec les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Dans la suite d’une série de rencontres sous-régionales, l’Organisation des femmes pour la gestion de l’environnement, de l’énergie et la promotion du développement intégré (Ofedi) revendique la toute première conférence publique sur les OGM tenue à Cotonou le 15 février 2001. L’Ofedi est fière de cet « acte fondateur » d’autant plus que cette conférence est largement relayée par les médias d’information et aurait eu un « large écho au sein des décideurs politiques ». Toujours est-il qu’en septembre de la même année (2001), le gouvernement convoque un atelier national sur les risques liés à l’utilisation en agriculture des OGM. Au terme de cet atelier organisé par l’Institut national de recherche agricole du Bénin (Inrab), le fort clivage entre les partisans et les non-partisans de l’introduction des OGM dans l’agriculture se renforce : aucune convergence n’est envisageable tant les positions et arguments défendus par chaque camp sont contradictoires. Après moult discussions et tergiversations, les participants à cet atelier ont décidé de ne pas décider en choisissant d’adopter une position consensuelle, celle de recommander au pouvoir exécutif une période moratoire de cinq ans sur l’importation, la commercialisation et la circulation des OGM au Bénin. C’est la décision que prend effectivement le gouvernement lors du conseil des ministres du 06 mars 2002 avec une série de recommandations au nombre desquelles on peut noter l’organisation des « tables rondes télévisées et radiodiffusées et un battage médiatique soutenu devant permettre à l’opinion publique d’être largement informée sur les OGM et d’exiger l’étiquetage de produits pour renseigner les consommateurs sur leur teneur en produits OGM » (extrait du relevé des décisions administratives N° 10/SGG/REL adoptées par le conseil des ministres en sa séance du mercredi 06 mars 2002). Si ces recommandations n’ont pas été, pour la plupart, prises en compte par les différents départements ministériels concernés et autres acteurs, au fur et à mesure qu’on s’approche de la fin du moratoire prévue en mars 2007, le débat sur les OGM refait surface sur la scène publique locale.
C’est justement au cours de cette période marquée par des interrogations sur la reconduction ou non du moratoire sur les OGM au Bénin que j’ai constitué mon corpus. Ce dernier est constitué à partir de toutes les émissions d’information (août 2006 – août 2007) ayant traité un sujet concernant les OGM sur trois radios béninoises à statuts différents. Il s’agit de la Radio Nationale dite « Radio-mère » (celle qui avait le monopole jusqu’à la libéralisation des ondes intervenue dans les années 1990) ayant un statut public, de Golfe FM, la première radio privée commerciale dite de « référence » et de Radio Tokpa installée au cœur du plus grand marché de l’Afrique de l’ouest et qualifiée de « Radio populaire ». Ce choix de radios à statuts différents est volontaire et se justifie avec la démarche comparative qui est la mienne.
Après une transcription intégrale de tous ces « sujets consacrés aux OGM », je fais recours aussi bien au concept goffmanien de cadre (2) qu’à « l’appareil formel de l’énonciation » du linguiste Emile Benveniste (1974) pour mener à bien cette analyse comparée des cadres discursifs.

De l’analyse des stratégies énonciatives

Comme postulats de recherche, j’admets que les deux principaux actes qui résument la mission des médias d’information sont ceux qui consistent à rapporter et à expliquer. Des actes qui supposent, pour leur mise en scène, l’utilisation des cadres médiatiques spécifiques qui vont de pair avec l’appropriation d’un registre de parole que nous avons essayé de condenser dans des phrases idéal-typiques.
Ainsi, pour rapporter les faits, la phrase-type peut-être formulée de la manière suivante :

  • « Selon telle source, moi journaliste je te dis à toi public qu’il s’est passé tel fait ».

Il arrive parfois que des faits à venir, donc prévus, soient aussi rapportés (c’est ce que les journalistes appellent des « avant-papiers ») donnant lieu à une variante de la phrase-type formulée ci-dessus :

  • « Selon telle source, moi journaliste je te dis à toi public qu’il va se passer tel fait ».

Et même si la source n’est pas parfois mentionnée, le premier rôle des médias consiste à rapporter des faits déjà observés par d’autres (Esquenazi, 2002, p. 158).
En ce qui concerne l’acte d’expliquer les faits, il suppose que les faits sont déjà acquis avec plusieurs variantes de phrases-type inspirées de de Cheveigné et Véron (1994). En fait, il s’agit d’une adaptation des travaux de l’anthropologue Gregory Bateson (1997) sur les relations interpersonnelles. Ainsi, des cas suivants sont possibles :

  • « Moi, je sais de quoi il s’agit et toi public, tu voudras que je t’explique » (figure du journaliste expert ou spécialisé) ;
  • « Je sais et toi aussi, donc je ne t’explique pas » (théorie de l’expérience commune de Schramm ou le concept de « savoir partagé » évoqué par William Labov ou encore les implicites du discours) ;
  • « Je ne sais pas et toi non plus, mais nous voudrions savoir. J’interroge donc tel expert » ;
  • « Je ne sais pas, toi non plus, et cela nous est bien égal ».

Au-delà des limites (puisqu’à l’origine, ces types de relation sont proposés dans le cadre de la communication interpersonnelle et non de la communication médiatée où on ne peut pas véritablement parler d’échange en temps réel) et des nuances possibles de ces relations (la troisième phrase-type pourrait être aussi « Je sais mais je fais semblant de ne pas savoir afin de poser les questions que je présume que tu te poses » ou bien « Je voudrais que ce soit une autre voix, peut-être plus autorisée, que la mienne qui le dise », etc.), on voit apparaître la notion de symétrie ou de complémentarité dans les différentes stratégies énonciatives mobilisées.
Somme toute, ces « phrases-types » se déclinent souvent dans les « types de textes » particuliers, comme on le verra dans la suite, avec en sus une constellation d’expressions locales littéralement traduites et de nouveaux termes dus « (…) aux glissements, extensions et restrictions sémantiques, aux calques et transferts linguistiques et aux changements de registre » (Essono, 2008, p. 68). D’autres études menées dans divers domaines (Dumont et Maurer, 1995 ; Mendo Ze, 1999 ; Frère, 2000 ; etc.) ont également souligné la spécificité de ces variations linguistiques en Afrique francophone. Ce sont des aspects sur lesquels je n’insiste pas particulièrement dans le présent article.

Les OGM passés « à la loupe » sur Radio Tokpa

Sur Radio Tokpa, tous les dimanches, en lieu et place du rendez-vous de l’actualité « Tokpa Info » de 13 heures, la rédaction de la radio dite populaire propose l’émission d’information « Info à la loupe » où ses journalistes reviennent sur les faits saillants de l’actualité traitée au cours de la semaine. Tout se passe comme si en semaine, les journalistes de la station se contentent de rapporter les faits quitte à revenir le dimanche sur les faits qui méritent plus d’attention et nécessitent des explications voire le plus souvent des commentaires engagés plus ou moins assumés. Telle une conférence de rédaction dirigée par le rédacteur en chef et retransmise en direct, les journalistes sont invités à donner leurs avis après une rediffusion du sujet traité au cours de la semaine. Or le sujet concernant les OGM qui est largement traité au cours de l’émission « Info à la loupe » du 17 septembre 2006 (une mise en valeur dans les titres de l’édition et une durée totale de 08 minutes et 25 secondes consacrée à ce débat) apparaît comme une exception dans la mesure où la rédaction de Radio Tokpa n’a pas du tout évoqué cette actualité au cours de ses « journaux parlés » de la semaine. Cette actualité sert en quelque sorte de prétexte pour aborder le sujet dans « Info à la loupe » comme en témoigne le lancement que rédige généralement le journaliste ayant traité le sujet à l’intention du présentateur qui se trouve être, dans le cas présent, le rédacteur en chef. Voici la transcription libre (3) que je fais du texte présenté par ce dernier à l’antenne :

Radio Tokpa, « Info à la loupe » du 17/09/06, Lancement
[Présentateur] : Les organismes génétiquement modifiés ont à nouveau fait parler d’eux cette semaine. Alors que les associations comme Grain et Jinukun continuent de dénoncer l’introduction des OGM au Bénin, une formation des formateurs en la matière s’est tenue cette semaine au Codiam de Cotonou. Quelle est l’utilité de cet atelier sur les OGM ? Est-il avantageux pour notre agriculture ? Qu’en est euh, qu’en est-il réellement de sa portée ? Toussaint Djaho analyse avec nous.

Une fois introduit par cette série d’interrogations, le journaliste ci-dessus nommé adopte une posture proche, selon notre modèle d’analyse, de la figure du journaliste spécialisé ou du journaliste « expert » : « Moi je sais de quoi il s’agit et toi public tu voudras que je t’explique ». En effet, quand le journaliste prend la parole, il se montre pédagogue :

Radio Tokpa, « Info à la loupe » du 17/09/06, Analyse
[Toussaint Djaho] : Serge Ayaka [ndlr : c’est le nom du rédacteur en chef qui est en interaction avec lui dans le studio] avant tout commentaire revenons une fois encore sur ce que sont les OGM. Comme leurs noms l’indiquent, ce sont des organismes génétiquement modifiés. Ce sont des espèces qui ont connu des manipulations génétiques au laboratoire, des manipulations qui leur donnent des caractères nouveaux qui ne font pas partie de leur première nature. Ces espèces sont donc dénaturées pour acquérir de nouvelles propriétés et fonctions au gré et au bon vouloir des généticiens et chercheurs curieux qui ne mettent aucune limite morale à leurs recherches. Ainsi, ces manipulations sont faites sur des animaux mais beaucoup plus sur les plantes. Ces généticiens prennent donc les gènes d’une espèce qu’ils injectent dans la garniture chromosomique d’une autre espèce. D’un animal à un autre animal, d’un animal à une plante, d’une plante à un animal, d’une plante à une autre. Fort heureusement les manipulations génétiques sur l’homme sont interdites mais on ne peut s’y fier, car assurément des choses se font secrètement dans des laboratoires et c’est peut-être plusieurs années plus tard que l’on va les découvrir. On connait la polémique suscitée par le clonage humain euh qui a été annoncé. En vérité donc ce ne sont pas les manipulations qui posent problème, ce sont plutôt les conséquences néfastes qu’elles ont sur l’homme, l’environnement et la biodiversité […]

Cette première intervention du journaliste offre, au moins, deux attitudes énonciatives permettant de caractériser des registres différents.
En commençant son intervention par l’utilisation du verbe revenir à la première personne du pluriel « (…) avant tout commentaire revenons une fois encore sur ce que sont les OGM (…) », le journaliste choisit de s’impliquer dans son énonciation en utilisant un registre de vulgarisation, car comme le faisait remarquer Daniel Jacobi (1999, p. 22), « les fragments de vulgarisation débutent toujours par une tournure métalinguistique, certes pauvre, mais bien réelle : il s’agit du verbe être précédé parfois d’un verbe explicitement introductif de la fonction métalinguistique : faire quelques rappels, examinons… ».
Puis en définissant les OGM, on note une sorte d’ « effacement énonciatif » (4) du journaliste comme s’il voulait utiliser un registre scientifique dominé par l’impersonnalité des assertions avec des constructions syntaxiques faisant disparaître les acteurs de l’énonciation. Même si des traces d’opinions implicites sont perceptibles dans la définition des OGM proposée par le journaliste quand il dit par exemple : « (…) Ces espèces sont donc dénaturées pour acquérir de nouvelles propriétés et fonctions au gré et au bon vouloir des généticiens et chercheurs curieux qui ne mettent aucune limite morale à leurs recherches (…) ». Puis vers la fin de sa première intervention, cet effacement énonciatif prend la forme d’un pronom indéfini : « (…) Fort heureusement les manipulations génétiques sur l’homme sont interdites mais on ne peut s’y fier, car assurément des choses se font secrètement dans des laboratoires et c’est peut-être plusieurs années plus tard que l’on va les découvrir. On connait la polémique suscitée par le clonage humain euh qui a été annoncé (…) ».
La suite de l’analyse du journaliste spécialisé ou expert va se poursuivre avec la « mise en scène interactionnelle » des relances rédigées dans une perspective de débat contradictoire et reprenant les arguments du tiers absent que sont les « pro » OGM. Certes, il s’agit d’un pseudo débat contradictoire mais cette stratégie d’ »opposition énonciative » (Vion, 2001) permet au locuteur de s’opposer aux voix d’énonciateurs construites dans son discours. Dans ce cas-ci, le journaliste spécialisé s’oppose à des opinions sans en préciser l’origine en développant avec force détails son argumentaire et en reprenant une rhétorique de la vulgarisation avec des métaphores, des reformulations (Peytard, 1984), mais aussi des informations non authentifiées qui permettent d’avoir des formules imagées du genre : « (…) la consommation régulière des OGM détruit le système immunitaire de l’organisme. C’est la voie ouverte donc à toutes les maladies un peu comme dans le cas du VIH Sida (…) ». Le journaliste va plus loin dans son « analyse » quitte à franchir un palier supplémentaire en osant des comparaisons qui sont censées avoir une certaine résonnance auprès des auditeurs : « (…) Le plus grave encore Serge Ayaka c’est qu’en maîtrisant ainsi l’agriculture africaine, ces multinationales tiennent le peuple africain par le ventre et elles pourront lui imposer toute leur volonté et vous imaginez que cette situation sera pire que l’esclavage (…) » (extrait de « Info à la loupe » du 17/09/06 sur Radio Tokpa). Telle une sorte de gradation dans son argumentaire, le journaliste semble rajouter à sa figure d’expert, celle « d’ambassadeur » d’une cause. En effet, il fait recours à l’histoire récente ou à la mémoire des auditeurs en ce qui concerne le moratoire toujours en vigueur sur les OGM au Bénin pour finalement « chuter » sur une interpellation ou, comme dirait Benveniste, une intimation au gouvernement béninois : « (…) les OGM sont déjà présents au Bénin par le truchement de l’aide alimentaire alors que le moratoire, pris pour décider si notre pays allait accepter ou non les OGM ne prend fin qu’en 2007. Aberration donc et notre gouvernement doit se réveiller et écouter les cris d’alarme de Jinukun ou de Grain pour barrer définitivement la route aux organismes génétiquement modifiés » (extraits de « Info à la loupe » du 17/09/06 sur Radio Tokpa).
Après cette « analyse experte » dont les caractéristiques sont celles d’un écrit oralisé mettant en scène deux interlocuteurs (une sorte d’échanges plateau entre le présentateur et le journaliste expert), les autres journalistes présents dans le studio sont invités à s’exprimer sur le sujet à savoir l’introduction des OGM au Bénin. Cette seconde phase des échanges se distingue de la première, car il s’agit d’un oral spontané même si cet oral n’est pas, la plupart du temps, improvisé. En effet, les journalistes ne découvrent pas à l’antenne les sujets à débattre et ont la possibilité de se préparer à l’avance pour leurs interventions qui ne sont pas rédigées certes, mais pas nécessairement improvisées. Dans ce type d’échange, les marques d’élaboration du discours en direct (les hésitations, les répétitions, la non-conformité aux règles grammaticales ou syntaxiques, etc.) sont perceptibles comme l’illustre l’échange suivant :

Radio Tokpa, « Info à la loupe » du 17/09/06, Discussion
[Présentateur] : Oui euh euh Peter Sonoumon vous êtes du même avis [ndlr : intonation interrogative], vous ne pensez pas que quand même il y a beaucoup de choses qu’on consomme et qui font si bien euh et qui font du bien aussi [ndlr : intonation interrogative]
[Peter Sonoumon] : En réalité par rapport a çà je dirai que moi moi j’ai j’ai j’ai j’ai peur, j’ai franchement peur et je me pose la question de savoir si euh euh l’occident, ces pays-là qui nous envoient ces… euh qui nous imposent je vais dire imposent euh ces genres de choses euh
[Toussaint Djaho] : Produits
[Peter Sonoumon] : Voilà produits, est-ce que également ils euh l’utilisent également ? […].

Ainsi, quand l’un des journalistes est à court d’arguments, cherche ses mots et ne les trouve pas, ce n’est pas l’animateur du débat qui lui vient en aide mais c’est le journaliste qui se construit comme un expert dans le domaine qui intervient spontanément jusqu’à révéler les limites de son « expertise » :

Radio Tokpa, « Info à la loupe » du 17/09, Discussion
[Peter Sonoumon] : C’est justement pourquoi je parlais de de de produits chimiques tout à l’heure euh les produits chimiques euh vous savez euh ce qui se passe […].
[Toussaint Djaho] : Serge Ayaka je je vais appuyer un peu euh mon ami Peter Sonoumon et dire en fait j’ai parlé dans mon analyse de morale, il il y a que euh les OGM quand même vont au-delà de la limite de la morale et on fait des recherches ou des manipulations contre nature euh ce que Dieu n’a pas prévu euh parce que l’en l’environnement….
[Présentateur] : Comment vous savez que Dieu n’a pas prévu ça ?
[Toussaint Djaho] : Oui mais parce que la biodiversité nous montre que il il y a un cycle, il y a une un certain raisonnement, un certain fil conducteur qui réunit les espèces les unes aux autres et prendre euh euh une nature d’une espèce et l’implanter dans une autre. C’est c’est c’est des interventions euh des manipulations contre esp contre nature je crois que cela a forcément des conséquences négatives
[Présentateur] Oui très rapidement Fortune Houndéfa euh que pensez-vous de tout ça ?
[Fortune Houndéfa] Enfin, je ne voudrais pas enfoncer le le clou peut-être qu’on arrivera aux HGM hommes génétiquement modifiés [ndlr : hilarité générale dans le studio] euh ce que je voudrais dire moi je ne je n’en crois rien du tout parce que l’argument c’est que ca va permettre aux africains puisque nous sommes dans des pays sous-développés nous mourons de faim, de manger à satiété je n’y crois pas du tout il faudra pour cela modifier donc des plantes, modifier donc des animaux moi je voudrais vivre dans un monde tout naturel. Il faudrait pas qu’on crée en fin de compte un monde artificiel
[ndlr : Jingle pour passer à un autre sujet de la semaine à passer à la loupe]

Avec cette phase d’oral spontané où les interlocuteurs prennent en charge leur énonciation en parlant à la première personne du singulier, on constate, entre autres, que l’expertise du journaliste Toussaint Djaho s’est muée en sa croyance à Dieu qui n’aurait pas prévu ces manipulations génétiques. De son côté, le dernier intervenant, après avoir provoqué l’hilarité générale de ses confrères, exprime son souhait, celui de « vivre dans un monde tout naturel ». J’ajoute que le choix du mot « naturel » utilisé ici n’est pas anodin puisqu’il sollicite la représentation positive que le public se fait du naturel supposé moins dangereux, moins toxique, moins nuisible, en somme plus vivable que le monde artificiel qui se crée et que ce journaliste redoute.
Outre l’important « avant-papier » fait dans « Info à la loupe » la veille de l’ouverture de cette formation sur les OGM au profit des journalistes, la rédaction de Radio Tokpa a également couvert l’ouverture de cette formation (« Tokpa Info Première » du 18/09/06 a consacré 02 minutes et 20 secondes au sujet) et sa clôture par une nouvelle brève (27 secondes). Cette nouvelle brève annonçant la fin de la dite formation sur les OGM est d’ailleurs mise en valeur dans les titres de « Tokpa Info Première » du 20/09/06.
Pour rendre compte de l’ouverture de cette formation sur les OGM à l’intention des journalistes, le registre adopté par le présentateur de Radio Tokpa est proche de celui proposé dans le modèle d’analyse pour rapporter les faits à travers cette phrase-type : « Selon telle source, moi journaliste je te dis à toi public qu’il s’est passé tel fait ». Certes, la particularité du fait ici, c’est une formation pour « des journalistes béninois » et le présentateur en parle (à la troisième personne du pluriel) en prenant ses distances comme s’il se mettait momentanément en retrait de cette communauté qui serait inculte dans les questions relatives aux OGM et à qui il faut donner des « pré requis ». D’ailleurs, l’initiative n’émane pas des journalistes mais des « définisseurs primaires » représentés ici par l’un des membres du réseau Jinukun, la structure qui a organisée cette formation à l’intention de « ses » journalistes pour « les aguerrir ». La forme de présentation choisie est celle d’une interview et c’est le présentateur qui lit en direct le lancement qui introduit des extraits sonores déjà montés de l’unique personnage de l’actualité dont l’identité est mentionnée :

« Tokpa Info Première » du 18/09, Lancement + ITW
[Présentateur] : Des journalistes béninois suivent depuis ce matin à Cotonou une formation sur les Organismes Génétiquement modifiés et leurs conséquences sur l’agriculture africaine. La rencontre initiée par le réseau Jjinukun participe de la sensibilisation des populations quant aux dangers que comportent les OGM. Justification de Patrice Sagbo, membre du réseau Jinukun…..
[Patrice Sagbo, extrait 1] : Jusqu’à présent le débat est resté entre le bureau et dans la langue française uniquement alors que notre population quand même est à 80% analphabète. Il faut que le débat soit introduit dans nos langues nationales et nous ne pouvons réussir ce travail que par les médias. C’est pour cela que nous avons jugé utile de donner des pré- requis à nos journalistes pour les aguerrir parce que la lutte sera très très difficile.
[Présentateur] : Il s’agit donc d’ouvrir le débat sur les OGM au niveau du grand public et ce en langues nationales. Ce qui laissera le choix à ce public de consom… de consommer ou de ne pas consommer les organismes génétiquement modifiés. Il sera présenté donc aux journalistes tous les aspects, avantages et inconvénients des OGM afin qu’ils fassent aisément leur travail d’informations. Mais pour le réseau Jinukun, une chose est claire l’aide alimentaire imposée à nos pays et l’introduction des OGM dans l’agriculture ne comportent que des dangers Patrice Sagbo…..
[Patrice Sagbo, extrait 2] : Les plantes, les animaux tout çà que nous avons de chers seront totalement pollués et cette pollution est irré-ver-sible [ndlr : l’intervenant insiste bien sur ce mot en le prononçant de façon détachée par syllabes]. On ne pourra plus corriger cela. De même, lorsque les produits génétiquement modifiés seront déversés dans nos pays, quel sera le sort de nos petits paysans qui font l’agriculture et qui ne cherchent que des marchés, ils produisent, ils n’ont pas le marché mais les autres produisent veulent se servir de nous pour être des marchés. C’est ça la pauvreté et les semences OGM coûteront trop cher ensuite c’est des semences qu’on ne peut pas ressemer, c’est-à-dire vous êtes totalement dépendant de l’extérieur, le paysan devient esclave des multinationales. Le Bénin sera dépotoir des produits mal connus. Nous attirons l’attention des gouvernants, si jamais ils le faisaient ils ont assassiné le peuple et ce serait très dangereux.
[Présentateur] : La rencontre prend fin demain et le réseau Jinukun vise à préserver la biodiversité et la biosécurité.

Même si au cœur du commentaire qui relance la seconde intervention, le présentateur mentionne que tous les avantages et les inconvénients des OGM seront présentés aux journalistes au cours de cette formation afin qu’ils puissent faire aisément leur choix, le cadre de présentation choisi est celui que défend le réseau Jinukun c’est-à-dire aborder les OGM sous l’angle des dangers. Il s’en dégage une tonalité générale de dramatisation avec un argumentaire semblable (l’accent mis sur le caractère irréversible des pollutions que vont générer les OGM ; le paysan qui deviendrait l’esclave des multinationales ; l’assassinat du peuple ; etc.) à celui utilisé la veille par le journaliste spécialisé dans son analyse à « Info à la loupe ». D’ailleurs le nom de ce dernier n’est plus du tout mentionné dans la couverture que la rédaction de Radio Tokpa a faite de cette formation. En effet, il est intéressant de remarquer que le présentateur ne précise nulle part celui qui a recueilli les propos et dans quelles conditions. S’agit-il d’un représentant de la rédaction de Radio Tokpa qui a pris part à ladite formation et en a profité pour faire l’interview exploitée dans le « journal parlé » ou c’est la rédaction qui a jugé utile d’y envoyer un reporter juste pour la couverture médiatique ? A défaut de pouvoir répondre à cette question, on peut constater que la rédaction de cette radio accorde une importance certaine à cette formation « des journalistes béninois » que le présentateur désigne, en se mettant en retrait, à la troisième personne du pluriel.

Golfe FM fait entendre l’indignation des anti-OGM

Toute cette actualité concernant la formation sur les OGM à l’intention des journalistes n’a pas du tout été traitée dans les émissions d’information de la Radio Nationale et de Golfe FM. En revanche, la radio privée commerciale a offert le 21/09/06 (c’est-à-dire le lendemain de la fin de ce séminaire de formation) une tribune sous forme d’un long reportage (d’une durée de 06 minutes et 30 secondes) à une représentante du réseau Jinukun pour dénoncer leur mise à l’écart de la rencontre initiée par la Banque mondiale devant discuter du projet régional de biosécurité en Afrique de l’ouest. Il s’agit en fait de larges extraits d’interview déjà montés et qu’une journaliste de la rédaction qu’on imagine être la personne ayant réalisée l’interview vient introduire en direct du studio au cours du « Journal parlé ». Cela ressemble à du semi-direct comme précédemment fait sur Radio Tokpa pour rendre compte de l’ouverture de la formation sur les OGM avec tout de même deux différences notables : une durée plus importante et le présentateur qui reçoit plutôt sa consœur en lui laissant le soin d’introduire les extraits d’interview. Mais avant qu’ils ne commencent, on assiste à une sorte de mise en scène des interactions quotidiennes où l’on a plutôt affaire aux « petits rituels » des salutations d’usage comme si les deux journalistes venaient de se rencontrer alors qu’ils ont préparé ensemble le JP. A la suite de Kerbrat-Orecchioni (2009), de Goffman (1974) et bien d’autres, j’admets que les formules rituelles sont pauvres en contenu informationnel, mais riches en signification relationnelle tout en préparant à l’échange proprement dit. Ainsi, le présentateur peut donc en venir au lancement du sujet :

« Golfe Info Midi » du 21/09, Echanges en studio
[Présentateur] : Les principaux acteurs travaillant sur les OGM et la biodiversité ne sont pas associés à la rencontre importante qui se tient quand même depuis ce matin à Cotonou sur la question. Le thème : projet régional de biosécurité en Afrique de l’ouest.
[Claire S.] : Exactement ces acteurs écartés pour la plupart ne partagent pas l’idée de l’introduction des organismes génétiquement modifiés en Afrique. Mais qu’est ce qui pourrait en être les réels motifs de leur mise à l’écart ? Ecoutons ici Madame Jeanne Zoundji Ekpon membre de l’ONG Jinukun.
[Mme Zoundji Ekpon] : Au début nous y étions invités. Même déjà depuis 3 à 4 semaines nous étions invités. Il y a 4 jours encore on a reçu l’invitation écrite et paradoxalement hier on nous dit que nous y sommes plus invités, nous n’y sommes plus invités. Mais je vais vous dire que ce n’est pas seulement nous mais ce sont les principaux acteurs travaillant sur les organismes génétiquement modifiés et sur la biosécurité au Bénin qui ne seraient pas invités. J’utilise bien le conditionnel parce que finalement j’ai l’impression que c’est un flou artistique […]

Une fois le lancement fait, le présentateur s’efface pour laisser place à sa consœur qui se charge des relances pour d’autres extraits programmés. Il ressort de l’écoute de ces séquences que l’acte prédominant dans le traitement de cette actualité est celui de rapporter conformément à la phrase-type du modèle d’analyse proposé : « Selon telle source, moi journaliste je te dis à toi public qu’il s’est passé tel fait ». Le fait ici, du moins tel qu’il est présenté, c’est le refus, au dernier moment, d’associer les « principaux acteurs travaillant sur les OGM et la biosécurité » à une importante rencontre sous régionale devant discuter de ces questions. Puis la journaliste met en scène son souci d’informer le public en recueillant directement à la source le témoignage d’un des acteurs écartés dans une perspective d’authentification de la nouvelle. Au-delà de la prédominance de cet acte de rapporter cette actualité par le biais d’un entretien, il apparaît toutefois, avec les questions de la dernière relance de la journaliste, un besoin d’explication :

[Claire S.] : Les organismes génétiquement modifiés favoriseraient-ils des conséquences négatives pour l’organisme humain ? L’on se pose également la question de savoir si l’Afrique a réellement besoin de ces OGM pour vivre. Les populations ne pourraient-elles pas se nourrir avec leurs propres moyens alimentaires, naturels, dont elles disposent ? Réponse de Jeanne Zoundji Ekpon membre de l’Ong Jinukun […]

Des quatre phrases-types relevant de l’acte d’expliquer que nous avons proposé dans notre modèle d’analyse, celle qui semble la mieux correspondre avec cette série de questions dont l’une est posée en utilisant le pronom indéfini est la suivante : « Je ne sais pas et toi non plus, mais nous voudrions savoir. J’interroge donc tel expert ». Ce faisant, la journaliste attribue un double statut à son interlocutrice qui en plus de témoigner intervient en tant qu’experte des OGM.

Les OGM en débat (à distance) sur la Radio Nationale

Même si c’est la seule rédaction des trois radios étudiées qui dispose en son sein d’une sous -division dédiée aux questions environnementales (notamment le desk « Environnement-Santé »), nous n’avons retrouvé aucune occurrence sur les OGM dans les éditions des « journaux parlés » de la Radio Nationale pendant notre période d’étude. C’est plutôt le magazine d’information produit par le desk « Environnement-Santé » qui s’est intéressé, à plusieurs reprises, aux OGM. Même si la promesse (Jost, 2007) générique d’information de ce magazine demeure identique à celle des rendez-vous d’actualité, son dispositif énonciatif est différent. « Terre d’ici et d’ailleurs » est la nouvelle dénomination de « Planète espoir, l’environnement notre défi » pour, semble-t-il, mieux souligner l’indispensable ancrage du local dans le global, une nécessaire prise en compte des deux dimensions à la fois. C’est une émission d’environ 25 mn préenregistrée (donc montée et mixée) et qui passe les après-midi du vendredi à partir de 16H05 juste après le journal des sports et avant une émission interactive en langue nationale Dendi. Etant donné que la radio émet 24H/24, l’émission est rediffusée tard dans la nuit à partir de 01H30. « Terre d’ici et d’ailleurs » se présente comme une émission citoyenne à visée pédagogique qui reçoit généralement, en tête à tête, un acteur des secteurs de l’environnement qui (re)vient (avec plus de temps que dans les « journaux parlés ») sur un sujet ayant fait ou non l’actualité. Il s’agit souvent d’un entretien en tête-à-tête avec le journaliste spécialisé (du moins qui se construit comme tel) sans possibilité d’une tierce personne d’apporter la contradiction au cours de l’émission en question. Ce qui n’empêche pas que la même tribune soit offerte, l’édition prochaine, à un autre acteur des secteurs de l’environnement défendant des points de vue contraires. C’est un parti pris éditorial (ayant ses avantages et inconvénients) qu’assume le journaliste animateur de l’émission.
Le cadrage de « Terre d’ici et d’ailleurs » est presque immuable pour l’invité. Celui-ci définit et expose les manifestations du « problème » identifié, prend position, donne ses arguments et fait enfin des propositions ou recommandations. La plupart du temps, au montage, les interventions de l’invité sont illustrées par une plage musicale choisie par le journaliste animateur en fonction du sujet débattu. De fait, il y a une sorte de solidarité d’intérêts voire de connivence (Marcotte et Sauvageau, 2006; Jacobi, 1999; Tristiani-Potteaux, 1997) entre le journaliste qui adopte une posture « d’expert » en face de l’invité « expert » avec une mission commune : « éduquer à l’environnement » le grand public (le tiers-absent) a priori considéré comme « inculte en la matière ». Aucun dispositif de « feed-back » n’est mis en place avec ce « cher public inconnu ». Cela s’apparente, d’une certaine manière, à ce que Brin, Charron et de Bonville (2004) ont appelé du « journalisme de communication » avec la prédominance d’un discours promotionnel. Dans la typologie des discours radiophoniques, il s’agit plus, surtout de la part de l’invité, d’un oral spontané que d’un écrit oralisé comme c’est le cas pour les « journaux parlés ». Les « experts » invités sont souvent présentés comme des scientifiques et/ou des responsables d’ONG.
Dans mon corpus, j’ai recensé dix émissions entièrement consacrées aux OGM avec une majorité d’invités (sept sur dix) qui sont ouvertement contre l’introduction de cette technologie dans l’agriculture. Au-delà de cette première indication sur les préférences de la « puissance invitante » représentée ici par le journaliste spécialisé qui anime le magazine d’information, il est intéressant de mentionner que c’est la même illustration sonore (notamment le titre assez explicite « Ne cédez jamais » extrait de l’album de la star béninoise Angélique Kidjo) qui est utilisée pour le mixage des éditions ayant reçu comme invités des anti-OGM. L’activisme de ces derniers semble avoir plus d’écho médiatique sur les ondes béninoises. L’Union européenne et surtout la France (dont l’actualité est très suivie par le biais de RFI, la radio internationale la plus écoutée en Afrique francophone) sont souvent citées en exemple quant aux réticences vis-à-vis des OGM. Même les institutions internationales spécialisées comme la Fao (à travers son rapport publié en 2004 et intitulé « Les biotechnologies agricoles : une réponse aux besoins des plus démunis ? ») ou la Banque mondiale (avec son initiative « Proposed West Africa Regional Biosafety Project » en 2006) sont accusées d’être à la solde des États-Unis soupçonnés d’imposer aux pays du Sud « l’utilisation et la consommation des produits qui font l’objet de polémique et de rejet partout dans le monde ».
A l’exception d’une « experte » invitée et présentée comme spécialiste de renom d’origine ivoirienne et enseignant à l’Université agricole d’Alabama qui défend haut et fort les OGM qui sont, selon elle, « incontournables dans l’agriculture du 21e siècle » et qui sont également une « opportunité pour l’Afrique qui a déjà raté la révolution verte des années 60 » (quelques extraits de « Terre d’ici et d’ailleurs » du 19 janvier 2007), les deux autres « scientifiques » béninois ont assuré un service minimum en prenant chaque fois le soin de préciser qu’ils étaient, à titre personnel, « pour l’introduction des OGM dans l’agriculture ».

Conclusion

Pendant la période retenue pour cette étude, la couverture médiatique de l’actualité concernant les OGM s’est faite de façon différenciée sur les ondes béninoises et a donné lieu à un débat entre ceux qui sont « pour » et ceux qui sont « contre » l’introduction des biotechnologies dans l’agriculture. Encore qu’il n’y a pas eu véritablement de débat en « face-à-face » puisqu’on n’a surtout entendu que les représentants du réseau Jinukun qui revendiquent leur ferme opposition à l’introduction des OGM au Bénin et au-delà en Afrique. Les journalistes se sont d’ailleurs approprié les arguments du réseau d’ONG, quitte à apparaître parfois comme des porte-parole de ce mouvement qui se définit comme « social et citoyen ». Les stratégies particulières d’accès aux médias (comme le paiement des per diem ou « communiqués finaux ») et les spécificités de la pratique du journalisme au Bénin (Faye, 2008 ; Adjovi, 2003 ; Frère, 2001 ; etc.) expliquent en grande partie une telle attitude de la part des journalistes.
Dans ce débat à distance ou « en différé », ce sont surtout les anti-OGM qui se font le plus entendre tandis que les pro-OGM semblent garder un profil bas n’osant presque pas avouer publiquement qu’ils sont pour l’introduction des biotechnologies dans l’agriculture.

Ainsi, au-delà de la visée générique d’information, apparaît, à travers les stratégies énonciatives et cadres discursifs utilisés, une sorte de glissement du « faire savoir » au « faire faire » caractéristique des médias d’information au service d’une cause.

Notes

(1) Avec une superficie de 114.763 km2, cette ancienne colonie française appelée Dahomey est un pays situé en Afrique occidentale entre le Nigeria et le Togo. Sa population est estimée à près de sept (07) millions d’habitants avec un taux d’analphabétisme qui est de 63 %. Dans ce pays autrefois qualifié de « quartier latin de l’Afrique » (Mounier, 1957), la langue officielle de travail est le français. Et dans la typologie proposée par Biloa (2005), le Bénin fait partie des États francophones linguistiquement hétérogènes sans langues nationales dominantes au niveau national. A la Radio Nationale, par exemple, en plus du français, les programmes sont diffusés dans dix-huit (18) langues nationales.

(2) A la suite du sociologue Ervin Goffman (1974 ; trad. fr. 1991), je définis la notion de cadre comme un style caractéristique d’expérience, socialement organisé, qui permet à la fois de reconnaître l’activité d’autrui et de façonner la nôtre.

(3) Dans la mesure du possible, j’ai reproduis « tel quel » ce que j’entends, à l’écoute des émissions enregistrées de mon corpus, en laissant exprès les hésitations, les mauvaises formulations, les fautes de syntaxe et autres. De fait, je ne garantis donc pas l’écriture des noms propres puisqu’ils sont orthographiés phonétiquement.

(4) Selon Robert Vion (2001), l’effacement énonciatif constitue une stratégie, pas nécessairement consciente, permettant au locuteur de donner l’impression qu’il se retire de l’énonciation, qu’il « objectivise » son discours en « gommant » non seulement les marques les plus manifestes de sa présence (les embrayeurs) mais également le marquage de toute source énonciative identifiable.

Références bibliographiques

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Auteur

Henri Assogba

.: Docteur en sciences de l’information et de la communication et chercheur au sein de l’Équipe de recherche de Lyon en sciences de l’information et de la communication (Elico), Henri Assogba est actuellement ATER à l’Université de Lyon. Ses recherches portent sur la médiatisation des thématiques environnementales notamment dans les radios généralistes.