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Les cours en ligne à l’UABC : une palette de significations pour les participants…

13 Fév, 2009

Résumé

Cette communication porte sur les significations des cours en ligne pour les étudiants et les professeurs. Partant d’une étude d’un cas sur l’Universidad Autónoma de Baja California (UABC), nous discutons quelques éléments théoriques et présentons les résultats des analyses des entretiens.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Pérez Fragoso Carmen, « Les cours en ligne à l’UABC : une palette de significations pour les participants…« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/13-les-cours-en-ligne-a-luabc-une-palette-de-significations-pour-les-participants

Description de l’étude

Ce travail est une portion d’une étude plus ample (1). Pour cette partie, la méthodologie a consisté en entretiens individuels pour les enseignants et en groupe pour les étudiants. 22 enseignants volontaires ont participé à l’étude, dont 10 hommes et 12 femmes. 12 d’entre eux utilisent les Tic (Technologies de l’Information et de la Communication) comme support pour leur cours présentiel et 10 donnent des cours entièrement en ligne. Ces derniers utilisent différentes plate-formes : 6 Virtual U, 2 UABCVirtual et 2 autres utilisent des pages Web avec les outils de travail et BSCW (Basic Support for Cooperative Work) pour les forums. Les cours font partie des plans d’études des cursus d’ingénierie, sciences exactes et naturelles, sciences de l’éducation et sciences humaines, sciences sociales et sciences de l’administration. Les entretiens ont duré environ cinquante minutes et ont eu lieu dans les endroits proposés par les personnes interrogées, généralement dans leur bureau. Une fois transcrits, les textes des ces entretiens ont constitué le corpus de la recherche. Nous les avons analysés en utilisant techniques d’analyse du contenu, selon la codification des réponses proposée par Holsti (1996).

Les 25 étudiants qui ont participé aux entretiens étaient des volontaires. 5 groupes de discussion se sont formés avec étudiants de six cours différents, dont trois optionnels et trois obligatoires : Biostatistiques (1), Développement des capacités de lecture et de rédaction (1), Méthodologie avancée des sciences sociales (8), Séminaire d’administration (3), Séminaire d’ingénierie logicielle (8) et Systèmes de gestion de l’information (4). Il y avait 14 femmes et 11 hommes. Les entretiens de groupe se sont déroulés avant les examens finaux des étudiants. La durée moyenne des entretiens était de quarante-cinq minutes. Avant de commencer, les étudiants ont rempli un petit formulaire avec leurs informations générales afin de les caractériser. Les entretiens ont été retranscrits et ont aussi été analysés à l’aide de techniques d’analyse de contenu.

Introduction : Le contexte institutionnel

La littérature spécialisée indique que le fait de se concevoir enseignant prend forme, d’une part, principalement grâce à l’interaction permanente de croyances, d’attitudes et d’expériences de l’enseignant et d’autre part, grâce au contexte social, culturel et institutionnel dans lequel il évolue. Par leurs interactions avec le contexte, les enseignants construisent des significations spécifiques vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur rôle en tant que professeurs (Van Den Berg, 2002).

D’un côté, Van Den Berg se base sur l’analyse des études réalisées dans les dix dernières années à propos des significations que les enseignants donnent à leurs propres pratiques éducatives. Il arrive ainsi à la conclusion que les constructions personnelles de signification chez les enseignants par rapport à leurs nouvelles attentes, leurs nouveaux rôles et nouvelles identités – ce qui va de soi pour l’introduction de toute nouvelle pratique – sont fondamentales dans l’encadrement des pratiques et que ces visions personnelles sur le processus éducatif peuvent être en conflit avec des demandes imposées par un élément extérieur.
Au sein de l’UABC la majorité des cours développés sont à l’initiative des enseignants, et sont destinés à leur usage exclusif. Ce sont eux qui décident quand ils commencent à les utiliser, quand ils les modifient ou quand ils les éliminent, tout comme le temps qu’ils les laissent en ligne. Nous pouvons dire que dans notre cas, le fait que l’enseignant conçoive et produise son cours depuis sa propre initiative et l’utilise pour ses propres intérêts, à des significations particulières à ce niveau (conception et production). Il le dote d’une valeur matérielle qui satisfait ses besoins pour l’enseignement, en respectant la réglementation institutionnelle et symboliquement, il le considère comme une création et une propriété qui lui sont propres et qui, parce qu’il y a une visibilité, lui apporte une reconnaissance de ses pairs et dans les programmes de stimulations institutionnels –qui peut se traduire par des revenus économiques.
Les conditions de production des cours, dans le cas de l’UABC, bien que variables et dans certains cas peu favorables, ne sont pas déterminantes pour la décision de dispenser ou non un cours en ligne. Mais, le facteur déterminant est plutôt l’intérêt de l’enseignant, que ce soit par conviction pédagogique ou pour des raisons personnelles, comme par exemple le besoin de s’absenter de la classe. Cette situation particulière fait que les cours préparés et dispensés partiellement ou entièrement en ligne sont extrêmement divers.

Les cours en ligne

L’éducation en ligne, comme le souligne Olcott (1993), peut présenter une vision actualisée, bien que modifiée, des limites et de la flexibilité des concepts comme la liberté académique, le contrôle du parcours, l’autonomie de la salle de classe, la discipline, la spécialisation et la qualité académique. En effet, nous pensons que ceux-ci et d’autres concepts acquièrent une signification différente quand le processus d’enseignement-apprentissage se déroule dans une salle de classe virtuelle. Les différences physiques des environnements d’apprentissage influent sur la signification de ces concepts, ainsi que, et de façon importante, sur la vision même de l’apprentissage et des fonctions que l’enseignant considère comme siennes dans n’importe lequel des deux médias pédagogiques.

Les caractéristiques des Tic s’adaptent à toutes les pédagogies et styles d’enseignement (Chaptal, 2003). Il convient de noter que dans le discours des enseignants en ligne, le statut même de la notion de technologie et de ce qu’ils considèrent comme l’enseignement et l’apprentissage en ligne est très variable. De même, nous pouvons observer, d’une part, que les intentions du concepteur (pas nécessairement explicites) visent des questions de développement personnel et d’épanouissement professionnel des enseignants, et le développement de procédures qui améliorent l’apprentissage de leurs étudiants. D’autre part, nous constatons également des facteurs personnels et d’ordre privé, comme par exemple la possibilité de s’absenter de la salle de classe pour s’occuper de différentes choses – à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution. Les intentions des concepteurs sont centrées sur l’accomplissement de leurs obligations professionnelles, sans grandes considérations pour le média pédagogique.

Les représentations des enseignants sur les cours en ligne nous renvoient à une série de suppositions et pédagogies implicites de nature très différentes. Comme le souligne Albero (2000, citée dans Barbot 2003, p. 179), « à l’intérieur d’une même institution, un même département ou avec un même enseignant, les représentations dérivées d’un paradigme de l’instruction et d’un constructivisme coexistent ». Dans ce travail, nous retrouvons ceux qui conçoivent leurs cours en ligne simplement comme un dépôt d’informations et ceux qui considèrent qu’ils leur permettent de présenter les éléments nécessaires à la construction du savoir.

En se basant sur les propositions de l’approche des usages sociaux, nous savons que nous partons du connu et acquérons de façon progressive expérience et pratique, ce qui nous permet d’entrer sur des terrains inconnus (Perriault, 1990). De même, nous savons que les représentations que nous avons de l’enseignement en ligne et la valeur symbolique que nous lui attribuons jouent un rôle primordial, manifesté dans les intentions et les déterminants de l’action des usagers (Perriault, 1989). Par conséquent, ce qui est le plus « naturel » pour celui qui de façon intuitive met son cours en ligne, est de reproduire ce qu’il fait dans son cours présentiel. Indépendamment de la façon dont l’apprentissage est conçu, qu’il ait recours à la mémorisation ou qu’il tente de promouvoir le développement d’aptitudes à la pensée critique, ses activités montreront les mêmes aspects que dans le cours présentiel (Meunier, Peraya, 2004). C’est-à-dire que, selon sa conception de l’apprentissage, et sans connaître le rôle joué par l’articulation technique/pédagogie, le concepteur répète ce qui a fonctionné dans la salle de classe présentielle.

En analysant leurs parcours académiques, nous pouvons observer que les enseignants les plus intéressés par la problématique pédagogique universitaire tendent à orienter l’usage des Tic vers la recherche d’un apprentissage plus actif, même lorsqu’ils n’ont pas suivi de formation ex professo. En général, la formation d’origine semble être un élément important dans l’utilisation de matériaux et d’activités d’apprentissages actives ; les enseignants des domaines des sciences dites ‘dures’ incluent une plus grande variété d’activités qui optimisent le média pédagogique, à l’opposé de ceux issus des sciences sociales. Ce fait, rapporté par plusieurs auteurs pour les enseignants des universités nord-américaines après 1990, semble être dû au fait que le niveau d’alphabétisation informatique est plus élevé pour les enseignants en sciences dures et appliquées, bien que cette différence tend à diminuer avec le temps (Meunier, Peraya 2004).

De même, ces enseignants disent plus utiliser les Tic dans d’autres aspects de leur vie professionnelle et privée. En ce sens, l’évidence a traditionnellement montré que l’usage intensif des Tic dans la vie privée des enseignants tarde à arriver, ou n’arrive pas nécessairement, dans la salle de classe ; néanmoins, cela n’a pas été notre cas. Notre recherche concorde avec l’affirmation de Miège (2004) qui observe que l’interpénétration de la sphère privée et professionnelle est très marquée dans certaines catégories socioprofessionnelles qui utilisent l’ordinateur, comme le montrent également Proulx (1988) et  Jouët (1987). Nous pouvons ajouter que la tendance à la disparition des frontières entre la vie professionnelle et la vie privée des individus est de plus en plus forte dans toutes les professions, y compris chez les enseignants, et que, étant donné que l’informatisation et la médiatisation des activités professionnelles se manifestent plus dans certaines professions que dans d’autres, les enseignants de ces domaines – comme les sciences ou les sciences de l’ingénieur – par leur propre formation et expérience professionnelle, utilisent les Tic dans leur enseignement plus tôt et de façon plus naturelle. De même, ces attributs – formation et expérience professionnelle avec les outils électroniques – facilite la conception et la production de leurs cours avec ce média éducatif.

Ainsi, nous pouvons supposer que l’articulation technique/pédagogie se développe comme une double spirale, où la connaissance et la pratique des techniques et des pédagogies s’entrelaceraient et se stimuleraient vers un usage pédagogique innovant. Nous pouvons penser que l’appropriation de la pédagogie et de la technique n’est ni linéaire, ni accélérée, « en laissant les processus naturels suivre leur cours et la maturité arriver à son terme » (Gil Anton, 2001, p. 64). De notre point de vue, la rencontre entre les avancées techniques d’un côté et les avancées sur la connaissance de l’apprentissage de l’autre, en qualité de champs d’études indépendantes, ne peut être forcée.

Les enseignants et leurs pratiques

Un cours en ligne est avant tout une pratique sociale, et en tant que tel, il peut être analysé avec des perspectives diverses. Nous utiliserons la proposition de Peraya (1999, 2000) qui conçoit le cours en ligne comme un lieu d’interaction sociale où les participants et les espaces de travail, avec leurs caractéristiques spécifiques, produisent leurs propres dynamiques. Dans ce sens, les représentations, les intérêts, les relations interpersonnelles et les valeurs des participants prennent une dimension importante dans la compréhension de ce qui se produit dans une classe virtuelle déterminée.

D’abord, le développement d’un cours en ligne repose en grande partie sur l’expérience de l’usage des Tic des participants. Ainsi, comme l’évoque Proulx (2001, p. 143) : « dans la trajectoire d’apprentissage d’un individu, le développement de savoirs et savoir-faire techniques (familiarisation avec les procédures, intériorisation de la logique de la culture technique) est associé à des représentations individuelles du fonctionnement des objets et systèmes techniques utilisés. […]. Ces représentations cognitives individuelles sont liées à de nombreux facteurs (l’histoire personnelle de l’usager-sujet ; les expériences précédentes avec d’autres objets techniques ; les motivations et les finalités d’usage ainsi que les contextes spécifiques d’usage). En même temps, ces représentations individuelles ne sont pas sans rapport avec l’ensemble des représentations sociales de la technique présentes dans une société à une époque donnée ». D’où leur importance non seulement du point de vue de leur fonction instrumentale mais surtout, de leur fonction symbolique qu’elles remplissent dans les différentes sphères d’une société donnée.

Toujours selon Proulx (2001, p. 144), les représentations sociales positives favorisent l’appropriation des techniques, alors que les stéréotypes négatifs ou les peurs retardent le processus. « Chaque individu développe ainsi un certain niveau de compétence technique -de même qu’un « sentiment de compétence« – lui permettant de circuler avec plus ou moins de flexibilité dans les environnements médiatisés ». Par ailleurs, la structuration pédagogique du cours impose ses propres conditions. La médiatisation des cours ne garantit pas un usage efficient des Tic, ou le développement d’apprentissages significatifs. L’organisation du cours et l’élaboration d’activités d’apprentissage exigent des aptitudes spécifiques chez l’enseignant pour introduire les Tic de façon progressive dans la résolution d’activités participant à la construction du savoir chez ses élèves.

Les entretiens individuels

Dans leur discours, les enseignants font apparaître diverses représentations sur l’enseignement supérieur tout en insistant de manière différenciée sur les aspects qu’ils considèrent plus importants. Au vu des réponses formulées par les enseignants, on peut supposer que l’usage des technologies par ces derniers obéit en grande partie à ce qu’ils perçoivent comme une demande sociale, s’inscrivant dans le développement technologique de la société.  En ce sens, nous nous rapprochons des travaux de Jouët (1987, p. 141), où le discours de ses interviewés était imprégné de « l’idéologie du progrès scientifique qui confère à l’évolution technologique un caractère de nécessité, d’universalité et d’irréversibilité ». Le discours des enseignants de l’UABC sur l’usage des Tic dans l’enseignement supérieur montre qu’ils considèrent l’usage des Tic comme une condition inéluctable dans la formation universitaire actuelle.

En général, les résultats des analyses concordent avec ceux décrits par Jouët (1987) par rapport au discours des enseignants ; ils indiquent une idéalisation de leur travail qui dépasse l’action mise en évidence à travers l’usage de dispositifs informatiques. La valeur importante attribuée à l’organisation et à la productivité du travail éducatif en ligne incite les enseignants à affronter et résoudre tout type de problème, de même qu’à consacrer davantage d’heures en dehors du temps alloué, pour certains en travaillant les week-ends. Le discours des formateurs en ligne, en tant que groupe, indique qu’ils valorisent non seulement leur connaissance des objets informatiques et des activités qui leur sont inhérentes, mais aussi le réseau et les imaginaires qu’ils partagent. Comme le souligne Cros (2002, p. 238), les innovations dans la formation s’appuient très fortement, et ici plus que dans n’importe quel autre domaine, sur l’imaginaire et le symbolique : « Les transactions sociales se font à travers un investissement résolument  tourné vers le futur ».

Dans notre cas, le discours de certains enseignants souligne leur sens de l’ouverture aux imprévus et leur intention d’individualiser les pratiques dans la mesure du possible. Les conditions institutionnelles autorisent cette souplesse, étant donné que l’enseignant est l’unique responsable du cours à « porte électronique fermée ». De façon individuelle, l’enseignant se trouve donc non seulement en situation d’utiliser les techniques pédagogiques qu’il souhaite, mais aussi d’inventer les siennes propres. Il est par conséquent en mesure de s’appuyer sur ses collègues et ses relations sociales, bien qu’au niveau du groupe l’aide se réalise entièrement de façon informelle et comme le soulignait une enseignante, la culture organisationnelle n’aide pas la mise en place de cours en ligne. Cependant, comme le précise implicitement le discours des enseignants, la liberté institutionnelle permettant de créer et de dispenser le cours, leur laisse une grande marge de manoeuvre, et nous constatons que certains professeurs utilisent cette situation pour expérimenter des pratiques nouvelles.

Les étudiants et leurs intérêts

En nous appuyant sur les théories des usages sociaux des Tic, nous partons de l’affirmation selon laquelle les contenus culturels présents chez les étudiants sous forme d’imaginaires, de représentations et de préconceptions sur la technologie jouent un rôle important dans les classes utilisant les Tic et influencent la manière dont les technologies sont appropriées en tant qu’outils d’apprentissage.

Selon les recherches effectuées sur l’appropriation des Tic, les discours et les imaginaires dominants exercent des degrés d’influence divers sur les usagers. Par conséquent, nous pouvons dire que le niveau d’acceptation ou de rejet des technologies de la part des enseignants et des étudiants d’une institution donnée répond d’abord à leur degré d’identification ou de participation aux dits imaginaires, tout comme à la fonction (instrumentale et symbolique) qu’ils accordent à ces technologies (Jouët 1993). Il convient de souligner ici, comme l’indique Proulx, l’importance de la volonté des sujets à s’approprier les technologies, ainsi que l’importance de considérer les processus d’appropriation, surtout dans un premier temps, par rapport au contexte dans lequel ces outils seront utilisés. Se référant à la culture informatique, Proulx (1988, p.151) la définit comme « l’acquisition par les individus et les groupes, d’un minimum nécessaire et suffisant de connaissances techniques, théoriques et critiques, et de savoir-faire leur permettant d’avoir un contrôle relatif sur l’utilisation des technologies informatiques qui s’implantent dans leur environnement social immédiat ». Selon ces propositions, pour s’approprier les Tic, les étudiants manifesteront leur volonté et leur intérêt différemment, en fonction de la représentation qu’ils ont des Tic, du rôle plus ou moins important qu’ils accordent à ces dernières dans la réalisation de leurs activités quotidiennes.

Comme Proulx (1988), nous pensons que, en général, les étudiants débutants rencontrent des problèmes techniques divers dans l’utilisation des outils électroniques, mais à mesure qu’ils progressent, ils se familiarisent avec les Tic, jusqu’à ce qu’ils se les approprient. La volonté des étudiants est donc un élément central, à l’instar de la manière avec laquelle ils sont initiés aux usages des Tic. La formation reçue, l’accompagnement initial, l’usage progressif des technologies, la confiance entre les participants, sont autant de facteurs qui peuvent influer, de manière positive ou négative, sur les processus d’appropriation des étudiants (et évidemment sur le résultat final : intégration significative ou rejet). Nous ne pouvons que remarquer que dans ce cas, le motif pour lequel les étudiants utilisent les Tic est l’apprentissage de contenus d’un cours académique formel, et que la maîtrise des Tic représente seulement le passeport nécessaire pour leur participation. Cette situation peut donc faire une grande différence puisqu’ils peuvent soit se sentir obligés de maîtriser les technologies, soit se décourager ou de rater le cours et de décider d’abandonner.

Focus groupes

Les résultats des entretiens en groupe montrent que les étudiants s’inscrivent aux cours en ligne pour des raisons très diverses. Dans leur majorité (voire leur quasi-totalité) les raisons sont d’ordre pratique (convenance des horaires, crédits, intérêt pour la technologie) et apparaissent dans un discours qui fait allusion à la modernité et à un avenir qu’ils imaginent de plus en plus habité par la technologie. Il convient de préciser que dans aucun des groupes les étudiants n’ont invoqué de raisons relatives à la manière dont le média éducatif pouvait améliorer (ou affecter) leur apprentissage.

Par ailleurs, il convient de remarquer la grande quantité de commentaires faisant référence à la grande valeur accordée par les étudiants à leur propre participation en ligne tout comme à la participation de leurs pairs. Jouët (1993, p. 110) postule que la médiation sociale présente dans les pratiques de communication à travers l’ordinateur conduit à la production de liens sociaux qui conjugue l’expression de la subjectivité et l’incorporation à la collectivité : « L’autonomie sociale se joue donc à un double niveau : celui de la quête de soi qui se traduit par le déploiement de la subjectivité et celui de la quête de l’autre qui s’exprime par la recherche de nouvelles sociabilités ». En ce sens, en nous basant sur les commentaires des étudiants, nous pouvons dire que pour la majorité des interrogés, ce nouveau type de relation médiatisée entre les participants aux cours révèle de nouvelles facettes de la relation entre eux, plus académique, et c’est précisément dans cette exploration de nouveaux liens que les étudiants réaffirment leur appartenance aux groupes en ligne.

En général, le discours des étudiants met en évidence la grande valeur accordée au développement de leur capacité à manipuler les technologies. Les étudiants interrogés accordent une valeur plus importante à l’acquisition de compétences autres, dont ils sentent qu’elles favorisent leur développement personnel à travers la responsabilité, la discipline pour l’étude, la gestion de leur temps, tout comme à travers l’acquisition de capacités d’analyse, de synthèse, etcetera, qu’aux compétences techniques elles-mêmes. Les références à ces métacompétences sont apparues dans tous les entretiens, mettant en évidence une prise de conscience vis-à-vis de la formation que nous ne rencontrons pas nécessairement chez les étudiants en présentiel.

Les représentations des cours en ligne, révélées dans le discours de la majorité des étudiants interrogés, montrent les divers aspects que les étudiants valorisent tant sur le média éducatif que sur leurs professeurs et leurs camarades. La valeur positive attribuée à leurs pratiques en ligne concorde avec les résultats des recherches sur les usages des technologies télématiques et informatiques (Jouët,1987). Dans le contexte éducatif, nous pouvons dire qu’ils apprécient la transparence du processus d’enseignement – apprentissage, à savoir que toutes les interactions se réalisent par écrit et  sont accessibles à tout moment. Cependant, ils considèrent cette caractéristique du média éducatif comme insuffisante pour établir des relations sociales étroites.

Par ailleurs, il nous semble important de souligner l’idée selon laquelle les groupes en ligne se concentrent sur le déroulement d’une tâche. Nos résultats indiquent qu’il est plus facile de se concentrer sur les travaux académiques lors de cours en ligne que lors de cours présentiels.  Les étudiants sont plus distraits dans les cours présentiels, et étant donné qu’ils considèrent que les cours en ligne ne leur permettent pas de créer des relations sociales étroites, les commentaires soulignent que les étudiants laissent de côté les relations uniquement sociales (ils les développent dans leurs cours présentiels) et ils se consacrent plus à leurs travaux académiques. Cette situation coïncide avec celle observée dans une université française par Metzger et Delalonde (2005). Ils ont identifié des groupes d’étudiants en ligne qui s’entraidaient mutuellement dans leurs travaux académiques, soulignant des relations de type utilitaire, centrées sur la résolution des problèmes ; ils ne prolongeaient pas leurs échanges au-delà des activités du cours.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que pour les étudiants, en général, la valeur instrumentale attribuée aux cours (suivre un cursus et valider une matière)  répond à leurs attentes. En effet, ils considèrent ces cours sont équivalents à ceux en présentiel, ils les jugent efficaces, ont le sentiment d’apprendre et généralement, ils obtiennent leur validation. Néanmoins, certains étudiants trouvent que le manque de présence physique et d’explications verbales de la part de l’enseignant constitue une limite qui rend les apprentissages en présentiel et en ligne incomparables, au détriment des derniers.

La fonction symbolique attribuée aux cours par les étudiants est également variée. Certains expliquent que la participation à un cours en ligne enrichit leur formation, les aide dans leur développement personnel, et représente une meilleure préparation pour leur avenir professionnel ; prendre un cours en ligne constitue donc un atout supplémentaire. Pour d’autres, avoir pris un cours en ligne signifie simplement avoir appris à utiliser les outils électroniques nécessaires pour suivre le cours.

Les étudiants pensent avoir acquis, dans le meilleur des cas, des compétences techniques, aussi bien en rapport avec le maniement de l’ordinateur et des programmes utilisés qu’avec la manipulation d’internet et des outils de communication. Ainsi, ils expliquent avoir amélioré leurs compétences communicationnelles, surtout en ce qui concerne la rédaction de textes. En général, ils disent « avoir un contrôle relatif sur l’utilisation des technologies informatiques qui s’implantent dans leur environnement social immédiat » (Proulx 1988, p. 151).

Conclusion

Les recherches de Jouët (1993) montrent que dans leur discours, les usagers de son échantillon témoignent des représentations qui, d’une part s’identifient au discours social sur la modernité, et d’autre part, construisent leurs expériences concrètes avec les TIC. Dans notre cas, les représentations des étudiants construites dans les cours, comme expériences concrètes, montrent qu’en général, les étudiants considèrent les technologies comme des outils importants pour leur formation et qu’ils se sont appropriés les technologies qui interviennent dans leurs propres processus d’apprentissage. Nous avons également constaté que lorsqu’ils font référence à leurs expériences en ligne, les étudiants font allusion au discours sur la modernité et la technologie. Ils expriment un sentiment d’adhésion aux pratiques éducatives médiatisées comme une façon d’être en phase avec le monde dans lequel nous vivons. Nous avons rencontré des références liées au caractère stressant du travail en ligne, mais la majorité des étudiants considèrent que la participation continue et obligatoire qui leur est demandée est formatrice. Par dessus tout, dans les références à leur avenir professionnel, ils sentent que les compétences développées grâce à l’usage des Tic signifieront de meilleures opportunités de travail et la possibilité de continuer à s’adapter dans leur environnement professionnel. En ce sens, rejoignant Jouët (1987), le maniement efficace des technologies informatiques est pour les étudiants une source de reconnaissance sociale, ce qui à son tour renforce leur propre sentiment de maîtrise des technologies, leur fournissant ainsi une plus grande sécurité individuelle et sociale.

Pour les enseignants, la diversité des pratiques observées montre que le changement de l’enseignement avec l’usage des Tic n’est pas simultané ni synchronisé, mais part du processus individuel d’appropriation des techniques et des pédagogies par les enseignants qui combinent continuités, ruptures et transformations de leur propre pratique. Nous avons trouvé qu’au niveau de la conception et de la production des cours, la valeur instrumentale pour mettre leurs cours en ligne a des significations différentes. Pour certains enseignants,  la valeur instrumentale de concevoir et de produire leurs cours en ligne remplis les requis institutionnel, et pour d’autres, cela signifie l’opportunité de faire un programme qui améliore les situations d’apprentissage des étudiants. Pour tous, le cours peut apporter des points avec le Programme de Stimulations du Personnel Académique, et donc des primes. La valeur symbolique leur attribue quelques fois une source de prestige et de reconnaissance entre collèges et un meilleur niveau dans les Programmes de support gouvernemental.

Pour certains enseignants, le fait de dispenser le cours en ligne leur permet de s’absenter de la salle de cours et de réaliser d’autres activités qu’ils considèrent plus importantes que l’enseignement, et pour d’autres, cela signifie pouvoir créer plus (quantitativement) et mieux (qualitativement) des situations d’apprentissage pour leurs étudiants. Ainsi, nous observons que la valeur symbolique que les enseignants accordent à leur cours n’est pas non plus homogène. Certains, bien qu’il s’agisse de leur propre décision, ne considèrent pas que l’usage des Tic signifie ou apporte quelque chose de différent à leur rôle d’enseignant. Alors que pour d’autres, dispenser des cours en ligne est un motif de fierté. Ils disent qu’ils consacrent avec plaisir plus d’heures à leur travail d’enseignement en ligne que lorsqu’ils donnent leur cours de manière présentielle, depuis leur domicile, étant disponibles pour les étudiants, y compris pendant le week-end. Ces derniers expriment dans leur discours une idéalisation de leur travail qui va au-delà de l’usage réel qu’ils font des techniques.

Note

(1) Ce texte a été réécrit à partir de la thèse de doctorat soutenue par l’auteur en septembre 2006 à Grenoble3, en sciences de l’information et de la communication, sous la direction du professeur émérite Bernard Miège. Traduction par Hélène Deschamps et Barbara N’Daw.

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Auteur

Carmen Pérez Fragoso

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