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La discrimination positive en question : projets de loi, résistances et initiatives militantes dans le domaine de la création audiovisuelle au Brésil

19 Mar, 2007

Résumé

Dans cette communication, j’analyse le rôle de l’Etat brésilien dans la lutte contre les discriminations raciales dans les médias. Je m’intéresse à la fois aux initiatives du gouvernement Lula qui, depuis 2002, a renforcé le dispositif institutionnel dans ce domaine, aux résistances que suscite le projet de loi sur l’imposition d’un quota d’artistes noirs dans les programmes télévisés, et aux initiatives militantes qui visent à dépasser l’action du gouvernement. Il s’agit d’analyser la position des acteurs en présence, à travers leurs discours et leurs actions, dans les tentatives d’application d’un idéal constitutionnel.

Em português

Resumo

Nesta comunicação, analiso o papel do Estado brasileiro na luta contra as discriminações raciais nos meios de comunicação. São observadas as iniciativas do governo Lula que, a partir de 2002, reforçou o dispositivo institucional nessa esfera e as resistências suscitadas pelo projeto de lei prevendo a imposição de uma quota de artistas negros nos programas televisivos, assim como as iniciativas militantes que visam ultrapassar a ação do governo. Analiso ainda a posição dos atores em presença, através de seus discursos e ações, visando a aplicação de um ideal previsto na Constitucional.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Perreau Élodie, « La discrimination positive en question : projets de loi, résistances et initiatives militantes dans le domaine de la création audiovisuelle au Brésil« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°07/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2006/supplement-a/29-la-discrimination-positive-en-question-projets-de-loi-resistances-et-initiatives-militantes-dans-le-domaine-de-la-creation-audiovisuelle-au-bresil

Introduction : la question des discriminations au Brésil, un débat public contemporain.

Au cours des années quatre-vingt, la question des discriminations envers la population noire brésilienne a émergé peu à peu dans l’espace public et s’est affirmée ces dernières années à travers les mesures affirmatives prises par le gouvernement Lula. Le discours officiel de l’Etat concernant la population noire écartait auparavant toute idée de discrimination. Depuis le XVIème siècle, le pays a connu des vagues de migrations multiples dont une partie de migrations forcées avec l’esclavage et la traite de noirs venus d’Afrique, instaurant un rapport de domination de la population blanche, en grande partie portugaise, envers la population noire. Après l’abolition de l’esclavage en 1888 et l’avènement de l’Estado Novo en 1889 qui marque la fin de l’Empire, l’Etat a mené une politique de blanchiment de la population, encourageant les migrants européens à venir s’installer au Brésil. (Agier, 1992; Moritz Schwarcz, 1998). A cette tentative de blanchiment du peuple brésilien dévalorisant la culture noire, a succédé, dans les années trente, le mythe de la « démocratie raciale », et l’idéologie d’une cohabitation harmonieuse « des trois races » constitutives du peuple brésilien incarnée par les trois figures de l’Indien, du Noir, et du Blanc. A cette époque, la culture des anciens esclaves devient partie intégrante de l’identité nationale. Aujourd’hui, si l’accent est mis sur la question des discriminations dans les débats publics, le mythe de la « démocratie raciale », persiste dans l’imaginaire national et dans l’image du Brésil véhiculé à l’étranger, masquant souvent les discriminations vécues au quotidien. Le préjugé qui s’exerce au Brésil est qualifié de preconceito de marca, préjugé de couleur ou plus largement préjugé qui s’exerce en fonction de critères physiques, par opposition au préjugé d’origine propre au contexte nord-américain (Moritz Schwarcz, 1998, p. 226).

Dans le domaine de l’audiovisuel, l’étude des telenovelas, feuilletons télévisés diffusés sur la chaîne Globo, qui connaît les plus fort taux d’audience, met en évidence un imaginaire excluant, ou marginalisant les personnages noirs. Lors de mon enquête, le monde présenté à l’écran m’est apparu comme un monde blanc de la haute bourgeoisie. A ma connaissance, aucun scénariste noir ne travaillait pour la télévision à cette période. Depuis les années soixante, les personnages noirs de telenovelas oscillent entre exclusion et exotisme. A quelques rares exceptions, les artistes noirs ont le plus souvent joué le rôle d’employés domestiques dévoués, et rencontrent des difficultés à mener une carrière dans le milieu de la télévision (Zito Araújo, 2000). En 2005, l’apparition de la « première héroïne noire de telenovela » a été l’occasion de nouveaux débats.

Afin d’interroger les liens qui existent entre médias, politique et culture, je parlerai dans une première partie des actions que l’Etat brésilien mène depuis 2002 pour l’application d’un idéal humaniste. Je me concentrerai ensuite sur les débats que suscite un projet de loi qui prévoit l’imposition de quotas d’acteurs noirs dans les médias. Quels arguments les professionnels de la télévision opposent-ils à ce projet de discrimination positive ? Enfin dans un dernier temps, je m’intéresserai à des initiatives militantes de la part d’artistes qui se définissent comme « artistes noirs » ou « afro-descendants », et qui visent à dépasser l’action du gouvernement par le biais des médias et des TIC. Il s’agira d’observer le processus de régulation, et de négociation des images des personnes noires présentées dans les médias et de tenter d’en saisir les enjeux.

1- Les actions de l’Etat brésilien : la logique de réparation ou la remise en question de l’identité nationale

Depuis son accession au pouvoir en octobre 2002, Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, l’actuel Président de la République, a mis en place des actions affirmatives visant à lutter contre les discriminations dans le pays. Plusieurs actions dans le domaine de l’audiovisuel ont été menées dans ce dessein. La culture afro-brésilienne est mise en avant dans le but de corriger ce qui est considéré comme un déséquilibre historique au sein même de la population brésilienne. En instituant une politique de lutte contre les discriminations raciales, le gouvernement reconnait officiellement l’existence du racisme. Cette position marque une rupture avec le discours sur le métissage et la cohabitation harmonieuse des « trois races ». Remarquons cependant que le gouvernement Lula n’a pas à lui seul initié la lutte contre les discriminations, il a intensifié les actions de ses prédécesseurs. Par ailleurs, l’évolution du discours des gouvernements qui se sont succédés à la tête de l’Etat doit être replacé dans un contexte international.

1.1. L’importance du contexte international.

Le 24 janvier 1992, le gouvernement brésilien ratifie le pacte international relatif aux droits civils et politiques né en 1966. Par cet acte, l’Etat brésilien se place sous l’autorité d’une instance supra-étatique avec entre autres projets, la lutte contre les discriminations de tout ordre, dont les discriminations raciales. Il s’engage à mettre en place des politiques visant à réaliser l’idéal constitutionnel de l’égalité entre les hommes. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies est chargé de contrôler la tenue de ces engagements. Dans un rapport daté du 15 novembre 2004 disponible en ligne, ce Comité critique les limites des actions de l’Etat dans ce domaine. Selon Antonio Sérgio Alfredo Guimarães (2003), sociologue brésilien, « le diagnostique technique sur le caractère racial des inégalités sociales dans le pays est connu au niveau international depuis les années quatre-vingt ». Et si, à partir de 1996, le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso ouvre un espace de discussion autour de l’action affirmative, cette préoccupation se trouve en lien direct avec la participation de plus en plus importante d’ONG noires dans des forums internationaux qui mettent à mal le « mythe de la démocratie raciale » sur la base de statistiques officielles (Guimarães, 2003, p. 36). Dans ce contexte, le discours de l’Etat brésilien évolue vers une reconnaissance des discriminations sous le regard des pays qui participent à ces forums.

1.2. Un cadre institutionnel contre les discriminations.

Dans la continuité de ces actions, le gouvernement Lula a développé un dispositif institutionnel aux échelles nationale et locale. Il a tout d’abord inscrit parmi les principes fondamentaux de la Constitution brésilienne un décret du 20 novembre 2003 qui institue la Politique Nationale de Promotion de l’Égalité Raciale, désignée par le sigle PNPir. Il a été inscrit à l’Article 3. IV de la Constitution que l’Etat brésilien s’engage à : « Promouvoir le bien de tous, sans préjugés d’origine, de race, de sexe, de couleur, d’âge et de toute autre forme de discrimination » (Constituição da República Federativa do Brasil, 2004, p. 4). Le gouvernement a promu au rang de ministère le Secrétariat Spécial de Politiques de Promotion de l’Egalité Raciale (Sepir). Sa mission est d’élaborer et de faire appliquer les politiques publiques d’affirmation du noir. Son rôle est de combattre le racisme, les préjugés et la discrimination raciale et de réduire les disparités d’origine raciale dans les domaines économique, social, politique et culturel. Relevant du Sepir, le Conseil national sur la promotion de l’égalité des races (CNPir), organe consultatif, est chargé de proposer des politiques nationales encourageant l’égalité raciale.
A l’échelon fédéral des services spéciaux, rattachés au Secrétariat spécial pour les droits de l’homme au sein du Ministère de la Justice, servent de relais aux institutions créées à l’échelle nationale. L’un d’entre eux est aujourd’hui dédié à la lutte contre les discriminations : le Conseil national de lutte contre la discrimination (CNCD).
Le gouvernement de Lula, celui du parti des travailleurs, a également ouvert un espace plus important aux personnes noires leur conférant une nouvelle visibilité dans l’espace public. Une femme noire, Matilde Ribeiro, a été désignée pour occuper le poste de secrétaire du Sepir ; le plus connu, l’artiste Gilberto Gil a été chargé du ministère de la culture ; et Joaquim Benedito Barbosa est le premier noir à la tête du Tribunal Fédéral Suprême.

1.3. Les actions affirmatives dans les médias.

Dans la logique de la réparation envers la population noire, le Sepir a engagé plusieurs actions de promotion de l’images des « afro-descendants » dans les médias. Le 20 novembre 2003, jour de la conscience noire au Brésil, les télévisions publiques TVE et TV Cultura ont commencé à diffuser des courts-métrages éducatifs de 30 secondes contre la discrimination, tandis que la TV Câmara, chaînes des pouvoirs Judiciaires et Législatifs diffusait des films traitant de la culture héritée des esclaves, commentés par des spécialistes ou des militants de la lutte pour l’égalité raciale au Brésil. En 1995, un groupe de travail interministériel chargé de soutenir la population noire avait proposé des programmes pour la télévision scolaire, TV-Escola, visant à présenter la participation des Afro-brésiliens dans l’histoire du pays (Nations Unies, 2004, p. 69). Reprenant ce projet, le gouvernement a promulgué une loi le 9 janvier 2003 qui fait de l’histoire et la culture afro-brésilienne un sujet obligatoire des programmes scolaires.

Beaucoup plus controversé, le projet de loi Paulo Paim sur la discrimination positive dans les médias fait aujourd’hui débat. De la même façon que des quotas ont été imposés à l’entrée des universités publiques de certains états, il prévoit d’imposer un quota de participation de 20% minimum d’artistes noirs dans les films et programmes véhiculés par les chaînes de télévision dont la moitié devra être constitué de femmes afro-brésiliennes (article 74). Les éléments cités sont tirés de la version la plus récente du projet de loi, le PL6264/2005. Le projet de quotas s’étend aux spots publicitaires diffusés dans les programmes télévisés et dans les cinémas et au films et publicités émanant d’entité de l’administration publique, d’entreprises publiques. Au chapitre IX du projet instituant le Statut de l’Egalité Raciale, consacré aux moyens de communication, il est question de valorisation, de promotion : « La production véhiculée par les organes de communication valorisera l’héritage culturel et la participation des afro-brésiliens à l’histoire du Pays » (article 73). Des sanctions ont été prévues si les quotas ne sont pas respectés. A ce jour, le projet qui avait reçu une approbation à l’unanimité au sénat le 29 mai 2003, n’a pas encore été accepté par la chambre des députés.
De la même façon que l’imposition de quotas à l’entrée des universités publiques, la proposition du sénateur Paulo Paim pose la question suivante : « Selon quels critères désigner une personne comme noire dans un pays métissé comme le Brésil ? ». La définition varie à la fois d’un individu à l’autre, et dans le temps. Le nombre de personnes s’auto-désignant comme noire lors des recensements démographiques de 1991 et 2000 a augmenté. Au cours de cette période, la population qui se définissait comme noire a augmenté deux fois plus que celle qui se déclarait blanche et huit fois plus que celle qui se déclarait métisse. En 2000 les chiffres étaient de 6,2% de noires, 38,4% de métisses et 53,7% de blancs (Istoé, 21 janvier 2004). Cette question de définition fait d’ailleurs l’objet de nombreuses controverses relayées par la presse  à propos des acteurs de telenovelas : l’actrice Camila Pitanga, fille de parents noirs, à la plastique proche des critères de « beauté blanche », est selon le contexte désignée comme negra (noire) ou morena (brune). Prenant en compte sa notoriété, une anthropologue qualifiait même cette actrice de branca (blanche). Les limites floues et fluctuantes de la définition d’une personne noire et qui pose la question de l’inclusion ou de l’exclusion des quotas imposés par la loi reste entière.

Par ailleurs, le processus de réparation entamé dans les médias suscite des réactions négatives de la part des professionnels de la télévision qui s’opposent à toute forme de contrôle de leur travail de la part de l’Etat.

2- Des professionnels de la télévision contre les quotas.

Suite au constat sur la quasi-absence de personnages noirs dans les telenovelas et en lisant les polémiques dans la presse, j’ai questionné des scénaristes à ce sujet. Mes questions semblaient déranger, elles allaient à l’encontre de l’idée du pays métissé de la démocratie raciale. Entre 1998 et 2001, j’ai remarqué une réelle difficulté à aborder ce thème lors des entretiens. En 2006, la question du racisme semblait moins taboue, cependant, les arguments avancés contre le projet des quotas restaient les mêmes que quelques années auparavant : le refus de devoir se voir imposer des contraintes autres que celles de leur employeur, la chaîne Globo, et la subordination de la question de la discrimination raciale à une question d’appartenance de classe.

La décision d’imposer des quotas de participation d’acteurs est parfois perçue comme une forme de contrôle du travail des auteurs, rappelant la censure exercée sur les médias pendant la dictature militaire entre 1964 et 1985. Pour le réalisateur Daniel Filho opposé à la méthode des quotas : « Tout ce qui est imposé du haut vers le bas a une odeur de fascisme. Le quota est également restrictif parce qu’il s’applique de façon rigide, il oblige à créer un type de programme qui s’éloigne de la réalité » (Jornal do Brasil, 06 Septembre 2003). Les professionnels défendent une forme de non-intervention de l’Etat dans le processus de création artistique, mais également dans l’activité économique qui est la leur. A la volonté politique d’action de l’Etat, ils opposent la logique commerciale que leur impose la chaîne. Leur but, disent-il, est de retenir l’attention des spectateurs et d’obtenir une bonne audience afin que la chaîne puisse vendre ses espaces publicitaires au meilleur prix. Les questions que se posent alors les professionnels soumis à ces contraintes sont ainsi formulées : « Qu’est-ce que le public va aimer ? ». Un scénariste m’expliquait que si peu de personnages noirs étaient choisis, il s’agissait d’une anticipation sur les réactions du public. « L’audience risque d’être mauvaise ». Même si une grande partie du public est noire, « le public ne va pas s’identifier à l’émission », sous-entendant que l’identification aux héros blancs et riches remporte plus de succès auprès des spectateurs. Par ailleurs un scénariste de la Globo travaillant au sein du département de qualité et d’éthique invoque l’autonomie de la chaîne et le contrôle interne mis en place : « Avec quota ou sans quota, la Globo a toujours ouvert un espace pour les Noirs dans ses novelas dans des rôles de premier plan. En ce moment est diffusée une novela Cobras e Lagartos, dans lequel un protagoniste, Lázaro Ramos, est noir. De la même manière, la Globo veille à ne pas ébaucher de préjugé, qu’il soit racial, sexuel ou autre. Quand cela arrive, le personnage impliqué doit être puni ». Dans ce cas, il exclut une fois de plus la nécessité d’une intervention de l’Etat.

A travers un autre argument récurrent les auteurs nient toute idée de discrimination. Ils préfèrent invoquer des raisons sociales. Dans un manuel de scénario datant de 1983 rédigé par le scénariste Doc Comparato, l’auteur expliquait l’absence d’acteurs noirs par la situation économique des noirs au Brésil et leurs difficultés à suivre une carrière d’acteur : « Il y a très peu d’acteurs noirs au Brésil. (…) Nous savons que la classe moyenne est composée, dans sa majorité, de descendants de colonisateurs et immigrants européens, blancs, où la concentration de revenus est assez haute – ce qui permet l’accès à l’éducation et à une bonne alimentation, etc. » (Comparato, 1983, pp. 61-62). Dans la continuité de ce raisonnement, une scénariste m’expliquait que la majorité des brésiliens noirs appartenaient aux classes défavorisées et ne pouvaient de ce fait prendre des cours de théâtre. Ils avaient, me disait-elle, moins de chance de devenir de bons acteurs. Lors d’un entretien récent, cette même scénariste hésitait entre la volonté de réparation à une échelle collective prônée par le gouvernement et la sélection des acteurs sur leur savoir faire : « des quotas pour les noirs à la télévision, sincèrement, je ne sais que répondre, parce que je doute encore. D’un côté, je crois que c’est une très bonne chose et juste, parce que ce serait une façon de réparer tant d’années de ségrégation et de racisme. D’un autre côté, je m’inquiète des critères d’admission ne soient pas autres que ceux du talent et de la compétence ». D’autres auteurs insistent sur le risque de décalage avec la réalité lorsque les personnages noirs occupent une position sociale élevée. Le scénariste Gilberto Braga expliquait lors d’un séminaire sur les telenovelas brésiliennes qui a eu lieu à l’Ina au mois de mars 2005 : « J’ai écrit deux fois des histoires anti-racistes. Pour moi, le problème était de montrer le racisme. J’ai voulu montrer des conflits. J’ai eu des problèmes avec le mouvement noir. Ils disent qu’il faut montrer des personnages noirs riches et heureux. Je me suis dit, je vais essayer de voir. Si les gens disent qu’il faut faire semblant, je vais essayer. [Dans une autre telenovela, Celebridade], j’ai mis un mec noir photographe. Il a une histoire d’amour avec la méchante. J’ai donc mis des personnages noirs édulcorés. J’ai reçu des lettres de noirs disant que c’était très bon pour la dignité des enfants noirs ».

3- Les initiatives militantes d’artistes noirs et le soutien de partenaires internationaux.

Au cours des années soixante-dix, au moment où s’amorce le retour à la démocratie, les Noirs s’organisent au Brésil contre les discriminations raciales. En 1978, ils fondent São Paulo le Mouvement noir unifié contre la discrimination raciale. Il développe des actions visant à lutter contre le racisme au cours des années quatre-vingt, et sollicite le gouvernement pour la mise en place d’actions affirmatives au moment du centenaire de l’abolition de l’esclavage (Guimarães, 2003, pp. 31-32). Aujourd’hui, les représentants du Mouvement noir critiquent régulièrement les telenovelas qui mettent en scène une société brésilienne blanche, privant les Noirs de toute visibilité sociale. Leurs revendications sont principalement axées sur la nécessité d’un engagement des scénaristes pour promouvoir une image valorisante des noirs dans les telenovelas et œuvrer ainsi à développer la confiance en eux des enfants noirs. Ils insistent sur la nécessité de mener une action collective de réparation en obtenant à la fois une visibilité et une reconnaissance sociale dans les médias. L’argument des risques de décalage avec la réalité avancé par certains scénaristes, est écarté au profit d’une réalité à construire. Pour cela, des artistes noirs ont engagé des actions par le biais des médias et des TIC, dépassant le projet de quotas du sénateur Paulo Paim. Pour mettre en place leur action, ils ont fait appel à des donateurs ou a des investisseurs étrangers dans un premier temps, et sollicitent aujourd’hui le gouvernement pour développer leur action.

3.1. Le Cidan ou « l’art de représenter la dignité ».

Zézé Motta, une comédienne noire, me racontait une anecdote. Avant le succès mondial du film cinéma Xica da Silva dans lequel elle jouait le personnage principal, une amie s’étonnait qu’elle suive des cours de théâtre : « Je ne savais pas qu’il fallait prendre des cours de théâtre pour jouer des rôles de bonne ». En 1984, la comédienne a fondé le Cidan, Centre Brésilien d’Information et de Documentation de l’Artiste Noir avec le slogan : « L’art de représenter la dignité ». Le Cidan défend la promotion et l’insertion sur le marché du travail des artistes noirs : acteurs, musiciens, chanteurs, danseurs, mannequins et techniciens du spectacle. Le vice-président de l’association, Jacques D’Adesky, m’expliquait que pour son lancement, le projet avait reçu le soutien de la fondation américaine Ford grâce à l’appui de Mickael Turner, un fonctionnaire noir américain. Un site Internet aujourd’hui en ligne, financé par des dons de la Fondation néerlandaise Prince Claus Fondation, ainsi que par le Fonds d’Aide aux Travailleurs (Fat), permet d’archiver des CV d’artistes accompagnés de photographies. Le Cidan propose également, lorsque cela est possible, des cours de formation de jeunes acteurs. La Comunidade Solidária et la Fondation Culturelle Palmares, deux organes liés à l’Etat, ont permis la réalisation de quelques cours d’arts dramatiques ouverts gratuitement aux jeunes des favelas et des faubourgs.
Le Cidan a également été associé directement au projet A Cor da Cultura (La Couleur de la culture) qui a produit à partir du mois d’août 2004 des programmes sur l’histoire afro-brésilienne diffusée par le Canal Futura, chaîne privée à vocation sociale et culturelle lancée par la Fondation Roberto Marinho, le fondateur de la chaîne Globo. Le projet a été financé par la compagnie nationale pétrolière Petrobras et appuyé par le Sepir.

3.2. La TV da gente, « première télévision uniquement dirigée par des noirs »

Le projet d’une télévision noire sur le modèle nord-américain était prévu en collaboration avec la Fondation Palmares, chargée de l’action de l’Etat dans la préservation de la culture afro-brésilienne et liée au ministère de la Culture depuis 1988. Le projet ne s’est pas concrétisé. Une nouvelle initiative, la TV da gente, que l’on pourrait traduire par Notre télévision, a vu le jour le 20 novembre 2005, jour de la conscience noire au Brésil, avec pour slogan : « La couleur du Brésil ». Ce nouveau projet n’émanait pas de l’Etat, mais d’un artiste noir. Le fondateur de la chaîne, José de Paula Neto, chanteur noir brésilien et animateur d’une émission Domingo da gente qui pourrait être traduit par Notre dimanche, de la chaîne Record, présente son projet comme « la première télévision dirigée uniquement pas des noirs ». Rappelons que la TV Record appartient à l’évêque Edir Macedeo, fondateur de l’Église universelle du Royaume de Dieu. Cette église pentecôtiste fondée en 1977 s’adresse aux personnes marginalisées dans la société. A un journaliste du quotidien Folha de São Paulo, il explique : « Je ne veux pas faire une télévision raciste, mais il est tout à fait normal que nous ayons une chaîne dirigée par des Noirs. Cela va au-delà de la lutte pour les quotas dans les universités ». Il souhaite offrir « une programmation de qualité pour une partie de la population qui ne s’identifie pas avec l’offre télévisée ». La chaîne propose six heures de programmation quotidiennes, avec des émissions sur le gospel international, le sport, la musique, l’actualité, des reportages, des débats. La chaîne qui cherche à développer son implantation est, à l’heure actuelle, diffusée en clair sur une partie restreinte du territoire brésilien : dans les régions de São Paulo, et de Fortaleza. Les spectateurs peuvent la recevoir par satellite dans le reste du pays.

La chaîne se développe grâce à des collaborations internationales. Un quart des financements en provenance de l’Angola, pays dont était issue une partie des esclaves avant l’abolition de l’esclavage. Le lien médiatique matérialise l’un des liens de la diaspora africaine. La télévision angolaise a d’ailleurs commandé une série télévisée sur la reine Ginga – une héroïne angolaise qui, au XVIIe siècle, s’est révoltée contre les Portugais. Les spectateurs angolais peuvent recevoir les programmes via satellite. D’autres liens se créent avec des « télévisions noires ». La TV da gente et la télévision française Traces TV échangent des clips vidéo.

Si les dirigeant de la chaîne ont développé des collaborations internationales, ils visent à consolider leur position sur le territoire national. Pour cela, l’aide de l’Etat brésilien se révèle indispensable. Le 15 août 2006, José de Paula Neto a rencontré le président du Sénat, Renan Calheiros, et le président de la Chambre de Député, Aldo Rebelo, afin de solliciter leur appui politique pour étendre le champ de transmission de la chaîne à l’ensemble du pays par le biais du câble, ce qui lui confèrerait une envergure nationale.

Conclusion : la fonction symbolique de l’Etat dans le processus de régulation et de négociation des images.

En signant un pacte international, l’Etat brésilien s’est placé sous l’autorité des Nations Unies, et à travers les actions affirmatives qu’il mène pour la promotion de l’égalité de races, il reconnaît officiellement le racisme dans le « pays de la démocratie raciale » occupant en cela une position symbolique forte qui oriente les discussions dans la sphère publique de débats à l’intérieur du pays. En renforçant le dispositif institutionnel, le gouvernement Lula a créé un cadre de référence indispensable à une action coordonnée à l’échelle du pays. Parallèlement, les artistes noirs qui s’appuient sur des aides internationales pour s’approprier une part de l’espace médiatique dédiée à la culture noire recherchent l’appui de l’Etat pour développer leurs actions. L’exemple développé ici montre que l’Etat brésilien loin de décliner et de perdre sa souveraineté, joue un rôle central dans le processus de régulation et de négociation de l’image. Même si dans le domaine de la création audiovisuelle, le projet d’imposition de quotas du sénateur Paulo Paim doit faire face aux résistances des professionnels de la télévision, et n’a pas encore été accepté, sur la base d’observations empiriques réalisées entre 1998 et 2006, le nombre d’artistes noirs dans les programmes télévisés a significativement augmenté. Sans forcer les professionnels de la télévision sur leur terrain, l’action de l’Etat et les initiatives militantes ont réorienté les termes du débat sur la discrimination, et par la même influé sur les images véhiculées dans les médias.

Références bibliographiques

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Moritz Schwarcz, Lilia (1998), « Nem preto nem branco, muito pelo contrário : cor e raça na intimidade », História da vida privada no Brasil, Vol. 4, São Paulo, Companhia das letras, pp. 174-244.

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Projet de loi PL6264/2005.

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Zito Araújo, Joel (2000), A Negação do Brasil, o negro na telenovela brasileira, São Paulo, SENAC.

Lors d’une première enquête réalisée entre 1998 et 2001, j’ai analysé le contenu de quatre telenovelas (O rei do gado, Torre de Babel, Laços de família, et Porto dos milagres) tout en menant une série d’entretiens avec des membres de la production travaillant pour la chaîne Globo. En juin 2005, un nouveau séjour au Brésil a été l’occasion de mener d’autres entretiens et d’observer l’évolution du contenu des feuilletons télévisés. Enfin, en 2006, j’ai questionné des scénaristes par courrier électronique à propos des projets de discrimination positive dans les médias.

Auteur

Élodie Perreau

.: Docteur de l’EHESS, Ater à l’Université de Lille 3